Daniel Guérin

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Daniel Guérin
Sans doute dans les années 1920.
Sans doute dans les années 1920.

Naissance
Paris 17e
Décès (à 83 ans)
Origine français
Cause défendue marxisme libertaire

Daniel Guérin ( à Paris 17e - ), est un écrivain révolutionnaire français, anticolonialiste, militant de l'émancipation homosexuelle, théoricien du communisme libertaire[1], historien et critique d'art.

Biographie

Jeunesse et formation

Daniel Guérin est issu d'une famille bourgeoise, libérale et dreyfusarde. Son père, Marcel Guérin (1873-1948), était un riche collectionneur et critique d'art qui fut, entre autres, l'auteur de L’œuvre gravé de Gauguin en 1927[2].

Daniel Guérin fut diplômé de sciences politiques et publia des œuvres littéraires de jeunesse qui attirèrent l'attention de François Mauriac, tout en ayant des activités de libraire en Syrie de 1927 à 1929.

Engagements militants

Engagement anticolonialiste

Lors d'un voyage en Indochine, en 1930, où il découvrit la réalité coloniale, il profita de la traversée pour dévorer un nombre impressionnant de textes politiques allant de Proudhon à Marx en passant par Sorel. Il s'engagea dès ces années dans la lutte contre le colonialisme (Indochine, Liban...).

Daniel Guérin rompit avec le milieu bourgeois, s'installa à Belleville (quartier ouvrier de l'est de Paris), devint correcteur et commença à militer dans les années 1930 avec les syndicalistes révolutionnaires de la revue La Révolution prolétarienne de Pierre Monatte.

Voyage dans l'Allemagne nazie

En 1933, Daniel Guérin parcourut à bicyclette l'Allemagne hitlérienne. Il rédigea un document sur la montée du nazisme qui parut dans Le Populaire organe de la SFIO et sera édité en volumes sous les titres La Peste brune et Fascisme et grand capital en 1936. Daniel Guérin y analysait l'origine du fascisme, de ses troupes et la mystique qui les animait ; sa tactique offensive face à celle, trop légaliste, du mouvement ouvrier ; le rôle des plébéiens qui le rejoignaient ; son action anti-ouvrière et sa politique économique (une économie de guerre en temps de paix). Ce dernier ouvrage, réédité de multiples fois (voir le détail en fin d'article) est aujourd'hui considéré comme un classique[source insuffisante][3].

Le trotskysme

Au milieu des années 1930, Daniel Guérin rejoignit la Gauche Révolutionnaire de Marceau Pivert. C'est alors qu'il croisa la destinée exceptionnelle de Simone Weil. Lorsque cette tendance fut exclue de la SFIO et crée le Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP), Guérin en devint l'un des responsables. Il se situa à la gauche de ce groupe, et fut alors très proche de Trotsky avec lequel il correspondit. Après la défaite de 1940, avec Yvan Craipeau, Jean Rous, et Barta (bientôt exclu, il forma ce qui devint Lutte ouvrière), il créa le « Comité pour la IVe Internationale » qui diffusa, en parallèle à La Voix de Lénine, L'Étincelle, et de façon également confidentielle[4]. Ils prônaient alors le « défaitisme révolutionnaire » [4].

La Seconde Guerre mondiale

Le 23 avril 1940, à Oslo en Norvège occupée, Daniel Guérin est interné par les Allemands en tant que ressortissant d'un pays belligérant. Il fut libéré du camp d'internement de Wülzburg en Bavière le 18 décembre suivant. De 1943 à 1945, il coopéra, en France, avec le mouvement trotskiste dans la clandestinité, essayant de maintenir une position internationaliste à l'écart du chauvinisme ambiant, multipliant les appels aux travailleurs allemands jusque dans les rangs de l'armée d'occupation (activité on ne peut plus dangereuse d'autant que les livres de Daniel Guérin sur le fascisme étaient inscrits sur la liste Otto).

Séjour aux États-Unis

En décembre 1946 Daniel Guérin embarque pour les États-Unis où il fut actif aux côtés du mouvement ouvrier et des Noirs américains. En janvier 1949 il rentre en France. En juillet 1950, accusé d'être, ou d'avoir été « trotskyste » et « anarchiste », un nouveau visa pour les États-Unis lui est refusé dans le cadre de la chasse aux sorcières du maccarthysme. Cette interdiction n'est levée qu'en 1957 et Guérin ne retournera aux États-Unis qu'en octobre 1973[5].

Le marxisme-libertaire

Guérin, qui à son retour des Etats-Unis étudia les œuvres complètes de Bakounine, s'éloigna peu à peu du marxisme orthodoxe durant la guerre pour se rapprocher de l'anarchisme. Il tenta de concilier ces deux tendances en envisageant la formation d'un courant "marxiste libertaire" : à partir de 1959 et de la publication de Jeunesse du socialisme libertaire, il chercha une voie nouvelle dans une synthèse de l'anarchisme et du marxisme. Il plaida pour concilier le meilleur de ces deux systèmes de pensée et publie Pour un marxisme libertaire puis À la recherche d'un communisme libertaire. Il écrivit par exemple dans Pour un marxisme libertaire : « La double faillite du réformisme et du stalinisme nous fait un devoir urgent de réconcilier la démocratie prolétarienne et le socialisme, la liberté et la révolution ». Il adhéra cependant au PSU, sans y militer, et en resta membre jusqu'en 1969. Dans une réunion publique à Marseille en 1969 il déclara parlant du PSOP que c'était « une sorte de PSU ».

Il demeura un acteur de la vie politique, notamment engagé dans le soutien à la révolution algérienne.

Guérin lutta également beaucoup pour la difficile intégration par le mouvement ouvrier de la question homosexuelle.

En 1971 il rejoignit l'Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA).

Puis, de 1979 à sa mort en 1988, il fut militant de l'Union des travailleurs communistes libertaires, organisation dont est héritière l'actuelle Alternative libertaire.

L'homosexualité

Daniel Guérin est ouvertement bisexuel, il dénonce les discriminations dont sont victimes les minorités sexuelles, y compris dans les milieux de la gauche radicale.

En 1955, il publie Kinsey et la sexualité[6], ouvrage où il détaille l'oppression spécifique subie en France par les homosexuels : « Les plus sévères [critiques] émanent de milieux marxistes qui ont tendance à gravement sous-estimer la variété d’oppression de l’homme par l’homme qu’est le terrorisme antisexuel. Je m’y attendais d’ailleurs et je savais, en publiant mon livre, que je m’exposais au risque de me mettre à dos ceux desquels je me sens le plus proche sur le plan politique »[7].

En 1965, après son coming out, il s'exprime sur l'homophobie qui domine à gauche pendant la deuxième moitié du XXe siècle, « l'incompréhension voire l'homophobie de la plupart des « gauchistes » — leur conception petite bourgeoise de la sexualité. L'attitude était beaucoup plus libérale à l'égard de l'homosexualité dans les années 1920-1930, l'hypocrisie se rencontrant alors beaucoup plus chez les bourgeois que chez les prolétaires. Depuis ces derniers ont été conditionnés par les idées bourgeoises. »[8].

En 1975, il écrit : « Il n'y a pas tellement d'années se déclarer révolutionnaire et s'avouer homosexuel n'étaient pas choses compatibles. Quand je suis entré en 1930 dans le mouvement social il n'était pas question de s'y risquer, ni même d'aborder impersonnellement un sujet aussi scabreux. [...] J'étais affligé encore d'une autre vulnérabilité. Dans les mouvements syndicaux et politiques auxquels je participais, j'avais une propension à me situer toujours à leur extrême-gauche [...] Il eût été insensé d'ajouter à ces lourds handicaps une charge supplémentaire : celle de m'intéresser aux partenaires de mon sexe, qu'il s'agît de jeunes ouvriers sans conscience de classe ou, plus grave encore, de militants dont certains rayonnaient d'une juvénilité dont il fallait soigneusement cacher à quel point elle m'était attirante. »[9].

Il évoque, la personnalité de Louis Aragon « arrimé à l'hétérosexualité comme au stalinisme par Elsa, son mauvais génie, devait se protéger d'un autre malfaisant sectarisme, celui du Parti communiste, hystériquement intransigeant sur le plan des « bonnes mœurs » et qui ne tolérera les extravagances amoureuses d'Aragon que beaucoup plus tard, quand Elsa ne sera plus là pour le détourner des garçons et que l'évolution de la société post-soixante-huitarde aura enfin fait voler en éclats le tabou. »[10]

Ses textes sur la libération sexuelle sont alors censurés dans certains journaux de gauche[11].

Il s'implique dans les événements de Mai 68 en France et prend une part active à la création du mouvement de libération homosexuelle qui émerge dans les années suivantes, notamment le Front homosexuel d'action révolutionnaire. En 2000, Frédéric Martel le qualifie de « grand-père du mouvement homosexuel français »[12].

L'historien

Daniel Guérin fut aussi historien. Il étudia principalement le mouvement social pendant la Révolution française à travers deux ouvrages : La Lutte des classes pendant la Première République en deux volumes publiés en 1947 et Bourgeois et bras nus (1793-1795) publié en 1973.

Il fut également l'auteur de Ni Dieu, ni maître, une histoire et anthologie de l'anarchisme.

Œuvres

  • Le livre de la dix-huitième année (poèmes), Paris, Albin Michel, 1922
  • L'enchantement du Vendredi Saint (roman), Paris, Albin Michel, 1925
  • La vie selon la chair (roman), Paris, Albin Michel, 1929
  • Fascisme et grand capital. Italie-Allemagne, Paris, Éditions de la révolution prolétarienne, 1936 (4 éditions cette année[13]) ; réédité par Gallimard en 1945, par Maspero en 1965, 1969 ; réédité par l'ENS[14] ; réédité par Syllepse (1999) ; réédité au sein de Sur le fascisme, La Découverte, 2001 ; réédition augmentée du texte "Quand le fascisme nous devançait" et de la traduction intégrale de la préface de Dwight MacDonald à l'édition américaine, Libertalia, 2014. Traduit en anglais par Pioneer en 1939[15] et en italien par Schwarz en 1957[16]
  • La lutte des classes sous la Première République, 1793-1797, Paris, Gallimard, 2 vol., 1946 (édition abrégée : Bourgeois et bras-nus, 1793-1795, 1968; réédition aux éditions Libertalia, 2013)
  • Où va le peuple américain ?, Paris, Julliard, 2 vol., 1950-1951
  • Au service des colonisés, Paris, Éditions de Minuit, 1954
  • Kinsey et la sexualité, Paris, Julliard, 1955
  • Les Antilles décolonisées (préface d'Aimé Césaire, Paris, Présence Africaine, 1956
  • " La répression de l'homosexualité en Angleterre ", La Nef, novembre 1957.
  • " La répression de l'homosexualité en France ", La Nef , janvier 1958.
  • Jeunesse du socialisme libertaire, Paris, Rivière, 1959
  • Shakespeare et Gide en correctionnelle ?, Paris, Éditions du Scorpion, 1959
  • Le grain sous la neige, adaptation théâtrale d'après Ignazio Silone, Éditions Mondiales, 1961
  • Vautrin, adaptation théâtrale d'après Honoré de Balzac, Paris, La Plume d'or, 1962
  • Eux et lui, illustré par André Masson, Monaco, Éditions du Rocher, 1962. Rééd. QuestionDeGenre/GKC, 2000.
  • Essai sur la révolution sexuelle après Reich et Kinsey, Paris, Belfond, 1963
Proudhon, un refoulé sexuel, texte intégral
  • Front Populaire, révolution manquée ?, Paris, Julliard, 1963. Réédition chez Agone en 2013.
  • Décolonisation du noir américain, Paris, Présence Africaine, 1963
  • L'Algérie qui se cherche, Paris, Présence Africaine, 1964
  • Un jeune homme excentrique. Essai d'autobiographie, Paris, Julliard, 1965
  • Sur le fascisme : I- La peste brune ; II- Fascisme et grand capital, Paris, Maspero, 1965 (réédition)
  • L'anarchisme. De la doctrine à l'action, Paris, Gallimard, 1965, texte intégral.
  • Ni Dieu ni maître. Histoire et anthologie de l'anarchie, Paris, Éditions de Delphes, 1965
  • Pour un marxisme libertaire, Paris, Laffont, 1969
  • Rosa Luxemburg et la spontanéité révolutionnaire, Paris, Flammarion, 1971
  • Autobiographie de jeunesse. D'une dissidence sexuelle au socialisme, Paris, Belfond, 1972
  • Ci-gît le colonialisme : Algérie, Inde, Indochine, Madagascar, Maroc, Palestine, Polynésie, Tunisie ; témoignage militant, Paris, Mouton, 1973, extraits en ligne.
  • De l'Oncle Tom aux Panthères Noires, Paris, UGE, 1973 (réédition : Les Bons Caractères, 2010)
  • Les assassins de Ben Barka. Dix ans d'enquête, Paris, Guy Authier, 1975
  • La Révolution française et nous, Paris, Maspero, 1976
  • Le feu du sang - autobiographie politique et charnelle, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 1977
  • Proudhon oui et non, Paris, Gallimard, 1978
  • Homosexualité et révolution, Paris, Le vent du ch'min, 1983, texte intégral.
  • Pour le communisme libertaire, 2003, éd. Spartacus, (ISBN 2902963467), notice éditeur, texte intégral.

Bibliographie

  • « Historien & militant. Daniel Guérin, un itinéraire », Agone, no 29-30, 2003, p. 237-291. [lire en ligne]
  • Alexandre Marchant, « Daniel Guérin et le discours militant sur l'homosexualité masculine en France (années 1950-années 1980) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 4/2006 (no 53-4), p. 175-190.
  • Paul Melchior, Daniel Guérin : Les Garçons et la liberté, Gai Pied, avril 1988 (publication posthume du dernier texte revu par Daniel Guérin), nouvelle édition Daniel Guérin et la liberté, Pascal Maurice éditeur, septembre 2014.
  • Sylvain Pattieu, Mohamed Harbi, Les Camarades des frères : trotskistes et libertaires dans la guerre d'Algérie, Syllepse, 2002.
  • Sylvie Chaperon, Le fonds Daniel Guérin et l’histoire de la sexualité, Journal de la BDIC, no 5, juin 2002, p. 10, texte intégral.

Audiovisuel

Télévision

Notices

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, « Le Maitron » : Daniel Guérin.
  2. Sur le même sujet, Daniel Guérin éditera un choix de textes de Paul Gauguin, Oviri, Écrits d’un sauvage en 1974.
  3. Jacques Collin (interviewer), Charles Jacquier (interviewé), « Réédition de Fascisme et grand capital : cinq questions à Charles Jacquier », Questions de classe(s), 27 novembre 2014.
  4. a et b Christophe Nick, Les Trotskistes, Fayard, 2002, p. 296
  5. Daniel Guérin Le feu du sang - autobiographie politique et charnelle, Éditions Grasset & Fasquelle 1977
  6. Daniel Guérin, Kinsey et la sexualité, Paris, Julliard, 1955.
  7. Lettre du 27 mai 1955, Fonds Guérin, BDIC, F° Δ 721/carton 12/4, in Sylvie Chaperon, Le fonds Daniel Guérin et l’histoire de la sexualité, Journal de la BDIC, no 5, juin 2002, p. 10, texte intégral.
  8. Daniel Guérin à confesse, interview avec Gérard Ponthieu, in Un monde à refaire, Sexpol, no 1, 20 janvier 1975, p. 11-14, notice.
  9. Daniel Guérin, Être homosexuel et révolutionnaire, in Les homosexualités, La Quinzaine littéraire, no 215, août 1975, p. 9-10 ; Homosexualité et Révolution, Les Cahiers du Vent du Ch'min, novembre 1983, p. 36-42, lire en ligne.
  10. Daniel Guérin, Aragon, victime et profiteur du tabou, Gai Pied Hebdo, 4 juin 1983, texte intégral.
  11. David Berry, For a dialectic of homosexuality and revolution. Daniel Guérin’s engagement with sexology from the 1950’s and his contribution to the theorization of sexuality and gender from a historical materialist perspective, note pour la conférence Socialism and Sexuality. Past and present of radical sexual politics, Amsterdam, 3–4 octobre 2003, texte intégral.
  12. Frédéric Martel, Le rose et le noir. Les homosexuels en France depuis 1968, Paris, Seuil, 2000, p. 46, lire en ligne.
  13. [1]
  14. [2]
  15. [3]
  16. [4]

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