Grand Prix automobile de France 1953

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Grand Prix de France 1953
Tracé de la course
Données de course
Nombre de tours 60
Longueur du circuit 8,347 km
Distance de course 500,820 km
Conditions de course
Météo temps chaud et ensoleillé
Résultats
Vainqueur Mike Hawthorn,
Ferrari,
h 44 min 18 s 6
(vitesse moyenne : 182,881 km/h)
Pole position Alberto Ascari,
Ferrari,
min 41 s 2
(vitesse moyenne : 186,409 km/h)
Record du tour en course Juan Manuel Fangio,
Maserati,
min 41 s 0
(vitesse moyenne : 186,641 km/h)

Le Grand Prix de France 1953 (XLe Grand Prix de l'A.C.F.), disputé sous la réglementation Formule 2 sur le circuit de Reims-Gueux le , est la vingt-huitième épreuve du championnat du monde de Formule 1 courue depuis 1950 et la cinquième manche du championnat 1953.

Contexte avant le Grand Prix[modifier | modifier le code]

Le championnat du monde[modifier | modifier le code]

Le Grand Prix de France constitue la cinquième épreuve du championnat du monde 1953, disputé pour la deuxième année consécutive sous la réglementation formule 2 (moteurs deux litres atmosphériques) par suite du désengagement des principaux constructeurs de F1 à la fin de la saison 1951.

Hormis les 500 miles d'Indianapolis qui sont l'apanage des pilotes nord-américains et de leurs roadsters spécifiques, le champion du monde en titre Alberto Ascari et sa Ferrari 500 ont remporté toutes les manches précédant l'épreuve rémoise, et ses trois victoires assurent au pilote italien une confortable avance au classement des pilotes. Dans leur dernière évolution, les Maserati pilotées par Juan Manuel Fangio et José Froilán González sont en mesure de contester la victoire aux Ferrari, leur manque de fiabilité en ce début de saison les a toutefois privées de résultats tangibles. Parmi les autres constructeurs en lice, aucun ne peut inquiéter les deux marques italiennes, et seul Gordini a pu obtenir une place d'honneur, grâce à Maurice Trintignant cinquième lors du Grand Prix de Belgique.

Le circuit[modifier | modifier le code]

Reims-Gueux
Photo récente de la longue ligne droite des stands, empruntant la départementale 27.

Ce circuit très rapide a été récemment modifié, d'abord par la réalisation en 1952 d'une bretelle permettant d'éviter la traversée du village de Gueux, puis par l'adjonction de la bretelle nord qui porte la longueur de la piste à 8,3 kilomètres. L'ensemble des travaux a coûté à l'Automobile Club de Champagne cent millions de francs[1],[Note 1]. Avec ses deux longues lignes droites, ce tracé peu sélectif, favorisant l'aspiration, génère des courses spectaculaires et très disputées. Le dernier vainqueur en date est Jean Behra, dont la Gordini a battu les Ferrari pourtant largement favorites lors du Grand Prix de la Marne 1952. Le meeting 1953 voit la création des 12 Heures de Reims, épreuve internationale d'endurance se déroulant en lever de rideau du Grand Prix, le départ étant donné le samedi à minuit.

Monoplaces en lice[modifier | modifier le code]

  • Ferrari 500 "Usine"
Ferrari 500 F2.
La Ferrari 500 F2, jusqu'alors invaincue en championnat.

Disposant d'un quatre cylindres développant environ 180 chevaux à 7500 tr/min[2], la 500 F2 n'est pas cette année la plus puissante du plateau (le six cylindres Maserati est légèrement supérieur dans ce domaine), mais demeure la plus homogène grâce à sa souplesse d'utilisation, sa bonne motricité, ses qualités de freinage et surtout sa très grande fiabilité. La Scuderia Ferrari a engagé quatre voitures pour ses pilotes habituels, les Italiens Alberto Ascari, Luigi Villoresi, Giuseppe Farina et le Britannique Mike Hawthorn. Le pilote français Louis Rosier est également présent sur sa monoplace personnelle, légèrement moins puissante, les versions clients étant bridées à 6500 tr/min[1].

  • Maserati A6SSG "Usine"

Évolution de la Maserati A6GCM de 1952, la version A6SSG (également désignée A6GCM « Interim ») est la plus rapide des F2, grâce à son moteur six cylindres développant 190 chevaux à 7500 tr/min[3]. Elle est toutefois un peu plus lourde que la Ferrari 500, et son pont arrière rigide la pénalise en motricité. Les épreuves précédentes ont révélé une faiblesse au niveau de la transmission, qui lui a coûté la victoire lors du dernier Grand Prix de Belgique sur le rapide circuit de Spa-Francorchamps, où José Froilán González et Juan Manuel Fangio avaient nettement dominé les Ferrari en début de course. Les deux Argentins sont épaulés par leur compatriote Onofre Marimon et par le vétéran italien Felice Bonetto. Aux quatre voitures d'usine s'ajoute la monoplace privée d'Emmanuel de Graffenried, préparée par la Scuderia Platé.

  • Gordini T16 "Usine"
Gordini T16.
Une Gordini Type 16, lors d'une course historique.

Amédée Gordini a engagé quatre T16, trois pour ses pilotes habituels Jean Behra, Maurice Trintignant et Harry Schell, la quatrième étant dévolue à l'Argentin Roberto Mieres (qui avait remplacé Behra, alors blessé, au Grand Prix des Pays-Bas). Ces monoplaces, équipées d'un moteur six cylindres maison développant environ 160 chevaux, sont assez agiles mais souffrent souvent d'une mauvaise préparation, la petite structure ayant des difficultés à gérer ses nombreuses participations en Grands Prix et en Sport[4].

  • Connaught A "Usine"

L'usine a engagé deux Connaught « Type A » pour Roy Salvadori et le Prince Bira, l'Écurie Belge ayant amené une troisième voiture pour Johnny Claes. Déçu par les performances de ces lourdes monoplaces qui ne disposent que de 150 chevaux[3], Stirling Moss a récemment quitté l'équipe pour piloter une Cooper.

  • HWM 53 "Usine"

Comme à Francorchamps deux semaines auparavant, l'équipe britannique HWM a engagé trois voitures : deux pour ses pilotes habituels Peter Collins et Lance Macklin, la troisième pour le pilote français Yves Giraud-Cabantous. Ces monoplaces sont équipées d'un moteur Alta développant 160 chevaux à 6100 tr/min, et d'une boîte de vitesses pré-sélective Wilson[5].

  • Cooper

Bien qu'officiellement engagée par l'usine, la Cooper-Alta Special pilotée par Stirling Moss est en fait un modèle spécifique développé par Ray Martin et John Cooper sur la base d'un châssis Cooper MkII, et construit par Alf Francis et Tony Robinson. Cette monoplace est équipée de freins à disques à l'avant. Alimenté par des carburateurs Weber, le moteur Alta de 160 chevaux est accouplé à une boîte à quatre rapports[3]. Les Britanniques Bob Gerard et Ken Wharton sont également présents, à titre privé, sur des T23 à moteur six cylindres Bristol développant environ 150 chevaux.

  • OSCA

Le Français Élie Bayol et le vétéran monégasque Louis Chiron ont engagé personnellement leurs O.S.C.A. Type 20. Ces monoplaces, développées par les frères Maserati en 1952, sont équipées d'un moteur six cylindres développant environ 170 chevaux. Équipé d'un pont De Dion, leur châssis est dérivé de la F1 de 1951 et de ce fait accuse un poids assez important[3].

Coureurs inscrits[modifier | modifier le code]

Liste des pilotes inscrits[6]
no  Pilote Écurie Constructeur Châssis Moteur Pneumatiques
2 Jean Behra Equipe Gordini Gordini Gordini T16 Gordini L6 E
4 Maurice Trintignant Equipe Gordini Gordini Gordini T16 Gordini L6 E
6 Harry Schell Equipe Gordini Gordini Gordini T16 Gordini L6 E
8 Roberto Mieres Equipe Gordini Gordini Gordini T16 Gordini L6 E
10 Alberto Ascari Scuderia Ferrari Ferrari Ferrari 500 Ferrari L4 P
12 Luigi Villoresi Scuderia Ferrari Ferrari Ferrari 500 Ferrari L4 P
14 Giuseppe Farina Scuderia Ferrari Ferrari Ferrari 500 Ferrari L4 P
16 Mike Hawthorn Scuderia Ferrari Ferrari Ferrari 500 Ferrari L4 P
18 Juan Manuel Fangio Officine Alfieri Maserati Maserati Maserati A6SSG Maserati L6 P
20 José Froilán González Officine Alfieri Maserati Maserati Maserati A6SSG Maserati L6 P
22 Onofre Marimon Officine Alfieri Maserati Maserati Maserati A6SSG Maserati L6 P
24 Felice Bonetto Officine Alfieri Maserati Maserati Maserati A6SSG Maserati L6 P
26 Lance Macklin HW Motors HWM HWM 53 Alta L4 D
28 Peter Collins HW Motors HWM HWM 53 Alta L4 D
30 Yves Giraud-Cabantous HW Motors HWM HWM 53 Alta L4 D
32 Louis Chiron Privé O.S.C.A. OSCA 20 O.S.C.A. L6 P
34 Élie Bayol Privé O.S.C.A. OSCA 20 O.S.C.A. L6 P
36 Stirling Moss Cooper Car Company Cooper Cooper Special Alta L4 D
38 Bob Gerard Privé Cooper Cooper T23 Bristol L6 D
40 Ken Wharton Privé Cooper Cooper T23 Bristol L6 D
42 Prince Bira Connaught Engineering Connaught Connaught A Lea Francis L4 D
44 Louis Rosier Écurie Rosier Ferrari Ferrari 500 Ferrari L4 D
46 Emmanuel de Graffenried Privé Maserati Maserati A6SSG Maserati L6 P
48 Johnny Claes Écurie Belge Connaught Connaught A Lea Francis L4 E
50 Roy Salvadori Connaught Engineering Connaught Connaught A Lea Francis L4 D

Qualifications[modifier | modifier le code]

Les séances qualificatives se déroulent le vendredi et le samedi précédant la course, par beau temps. Si la première journée n'est pas très disputée, la seconde va être l'objet d'une belle bataille entre les pilotes Ferrari et les pilotes Maserati. C'est tout d'abord José Froilán González (Maserati) qui établit un temps de référence, mais rapidement Alberto Ascari et Luigi Villoresi améliorent; sur ce circuit comportant deux épingles, la bonne motricité et les qualités de freinage des Ferrari compensent leur puissance légèrement. González essaie bien de répliquer, mais ne peut battre Ascari qui a tourné à 186,4 km/h de moyenne. Empruntant la voiture de Felice Bonetto, l'Argentin s'approche à trois dixièmes du temps réalisé par le champion du monde, réalisant le deuxième temps des essais. Ascari partira donc de la pole position, aux côtés de Bonetto (qui bénéficie de la performance de son coéquipier), Villoresi complétant la première ligne.

Juan Manuel Fangio et José Froilán González partiront côte à côte en seconde ligne, devant les deux Ferrari de Giuseppe Farina et Mike Hawthorn et la Maserati d'Onofre Marimon. Les monoplaces italiennes ont une nouvelle fois largement dominé les essais : en incluant les voitures privées d'Emmanuel de Graffenried et de Louis Rosier, ce sont cinq Ferrari et cinq Maserati que l'on retrouvent aux dix premières places de la grille ! Première monoplace britannique, la Connaught du Prince Bira est reléguée en cinquième ligne, à douze secondes de la pole position. Quant aux Gordini, elles n'ont pu être préparées à temps pour les essais (l'équipe des mécaniciens étant accaparée par l'épreuve des 12 Heures[4]), seul Harry Schell ayant pu effectuer un tour lancé. Les quatre monoplaces françaises partiront donc en fond de grille.

Résultats des qualifications
Pos. no  Pilote Écurie Temps Écart Note
1 10 Alberto Ascari Ferrari 2 min 41 s 2 - Temps réalisé le samedi
2 24 Felice Bonetto
José Froilán González
Maserati 2 min 41 s 5 + 0 s 3 Monoplace attribuée à Bonetto
Temps réalisé par González[7]
3 12 Luigi Villoresi Ferrari 2 min 41 s 9 + 0 s 7
4 18 Juan Manuel Fangio Maserati 2 min 42 s 0 + 0 s 8
5 20 José Froilán González Maserati 2 min 42 s 4 + 1 s 2
6 14 Giuseppe Farina Ferrari 2 min 42 s 5 + 1 s 3
7 16 Mike Hawthorn Ferrari 2 min 43 s 5 + 2 s 3
8 22 Onofre Marimon Maserati 2 min 44 s 7 + 3 s 5
9 46 Emmanuel de Graffenried Maserati 2 min 46 s 1 + 4 s 9
10 44 Louis Rosier Ferrari 2 min 49 s 6 + 8 s 4
11 42 Prince Bira Connaught 2 min 53 s 2 + 12 s 0
12 38 Bob Gerard Cooper 2 min 54 s 2 + 13 s 0
13 36 Stirling Moss Cooper 2 min 55 s 7 + 14 s 5
14 40 Ken Wharton Cooper 2 min 55 s 8 + 14 s 6
15 34 Élie Bayol O.S.C.A. 2 min 56 s 9 + 15 s 7
16 26 Lance Macklin HWM 2 min 57 s 2 + 16 s 0
17 28 Peter Collins HWM 3 min 02 s 0 + 20 s 8
18 30 Yves Giraud-Cabantous HWM 3 min 06 s 7 + 25 s 5
19 50 Roy Salvadori Connaught 3 min 23 s 0 + 41 s 8
20 6 Harry Schell Gordini 3 min 25 s 8 + 44 s 6
21 48 Johnny Claes Connaught pas de temps -
22 2 Jean Behra Gordini pas de temps -
23 4 Maurice Trintignant Gordini pas de temps -
24 8 Roberto Mieres Gordini pas de temps -
25 32 Louis Chiron O.S.C.A. pas de temps -

Grille de départ du Grand Prix[modifier | modifier le code]

Grille de départ du Grand Prix et résultats des qualifications[8]
1re ligne Pos. 3 Pos. 2 Pos. 1

Villoresi
Ferrari
2 min 41 s 9

Bonetto
Maserati
2 min 41 s 5

Ascari
Ferrari
2 min 41 s 2
2e ligne Pos. 5 Pos. 4

González
Maserati
2 min 42 s 4

Fangio
Maserati
2 min 42 s 0
3e ligne Pos. 8 Pos. 7 Pos. 6

Marimon
Maserati
2 min 44 s 7

Hawthorn
Ferrari
2 min 43 s 5

Farina
Ferrari
2 min 42 s 5
4e ligne Pos. 10 Pos. 9

Rosier
Ferrari
2 min 49 s 6

Graffenried
Maserati
2 min 46 s 1
5e ligne Pos. 13 Pos. 12 Pos. 11

Moss
Cooper
2 min 55 s 7

Gerard
Cooper
2 min 54 s 2

Bira
Connaught
2 min 53 s 2
6e ligne Pos. 15 Pos. 14

Bayol
O.S.C.A.
2 min 56 s 9

Wharton
Cooper
2 min 55 s 8
7e ligne Pos. 18 Pos. 17 Pos. 16

Cabantous
HWM
3 min 06 s 7

Collins
HWM
3 min 02 s 0

Macklin
HWM
2 min 57 s 2
8e ligne Pos. 20 Pos. 19

Schell
Gordini
3 min 25 s 8

Salvadori
Connaught
3 min 23 s 0
9e ligne Pos. 23 Pos. 22 Pos. 21

Trintignant
Gordini
pas de temps

Behra
Gordini
pas de temps

Claes
Connaught
pas de temps
10e ligne Pos. 25 Pos. 24

Chiron
O.S.C.A.
pas de temps

Mieres
Gordini
pas de temps

Déroulement de la course[modifier | modifier le code]

Le départ du Grand Prix est donné à quinze heures, par temps chaud et ensoleillé. Les Ferrari ne sont présentées sur la grille de départ qu'à la dernière minute, la Scuderia ayant menacé de se retirer à la suite de la disqualification d'une de ses voitures dans l'épreuve des 12 Heures de Reims, réservée aux voitures de Sport, qui s'est courue entre minuit et midi. La plupart des concurrents ont prévu une course non-stop; l'équipe Maserati a toutefois pris la décision (secrète) de faire partir José Froilán González avec des réservoirs à moitié pleins, pour adopter d'emblée un rythme très soutenu dans le but de faire casser les Ferrari[7].

Au baisser du drapeau, Felice Bonetto (Maserati), en première ligne, s'écarte sur la gauche, ouvrant le passage à ses coéquipiers González et Fangio, partis juste derrière lui. Les trois Maserati attaquent de front la ligne droite, avec quelques longueurs d'avance sur les pilotes Ferrari, qui se sont fait surprendre[9]. Jouant parfaitement son rôle de lièvre, exploitant au mieux sa monoplace allégée, González prend immédiatement le large et repasse devant les tribunes avec près de trois secondes d'avance sur la Ferrari d'Alberto Ascari, qui malgré son départ manqué a rapidement dépassé Fangio et Bonetto au cours de ce premier tour. Son coéquipier Luigi Villoresi a également réagi : troisième, il emmène le premier peloton groupé comprenant Bonetto, Mike Hawthorn, Fangio, Onofre Marimon et Giuseppe Farina, ces six pilotes étant déjà à cinq secondes du leader. On trouve donc aux huit premières places les quatre Maserati et les quatre Ferrari d'usine, nettement détachées des autres concurrents emmenés par la Maserati privée d'Emmanuel de Graffenried et la Connaught du Prince Bira, qui comptent déjà dix secondes de retard à l'issue de cette première boucle.

En tête, González mène un train d'enfer et augmente régulièrement son avance. Au cours du second tour, Bonetto prend la troisième place à Villoresi mais effectue un tête-à-queue au suivant, dans le virage de Thillois, perdant sept places et le contact avec le groupe de chasse; celui-ci est maintenant composé des trois Ferrari d'Ascari, Villoresi et Hawthorn, alors que Farina, Fangio et Marimon ont cédé un peu de terrain. Après cinq tours, l'avance du leader est déjà de six secondes mais les quatre Ferrari, groupées et changeant constamment leurs positions, s'aspirent mutuellement et vont parvenir à compenser en partie leur handicap de poids. Si bien qu'après dix tours leur retard se limite à sept secondes. Fangio et Marimon sont légèrement en retrait, en position d'attente. Derrière, Maurice Trintignant effectue un beau début de course sur sa Gordini, ayant pris le meilleur sur Graffenried.

González, soucieux de se construire une avance consistante avant son ravitaillement, ne relâche pas ses efforts, alors que le premier groupe de poursuivants semble temporiser quelque peu; si Ascari, Hawthorn et Villoresi continuent à rouler roues dans roues, prenant la seconde place à tour de rôle, leur retard sur la Maserati de tête se creuse à nouveau, pour atteindre une vingtaine de secondes au vingtième passage devant les tribunes. À quelques longueurs, après un début de course relativement prudent, Fangio s'est rapproché de Farina, cinquième. Si Marimon occupe toujours la septième place, c'est désormais Bonetto qui est huitième devant Graffenried, Trintignant ayant dû renoncer, pignon d'attaque de pont cassé[4].

Ayant rejoint Farina, Fangio le dépasse au cours du vingt-troisième tour, qu'il accomplit à plus de 185 km/h de moyenne. Au suivant, Farina fait mieux, à près de 186 km/h, et reprend la cinquième place. Tous deux ont rejoint Villoresi, qui a perdu le contact avec Ascari et Hawthorn. Au vingt-cinquième, Fangio établit un nouveau record du tour à 186,5 km/h, dépassant coup sur coup Farina, Villoresi et Hawthorn. Il est désormais troisième, dans les roues d'Ascari. Il reste quelques tours dans le sillage du champion du monde, puis le dépasse au cours du vingt-neuvième tour, au moment où González s'arrête au stand pour ravitailler en carburant. L'opération dure moins de trente secondes, mais l'avance de l'Argentin n'était pas suffisante pour lui permettre de conserver la tête de la course. Lorsqu'il repart, Fangio, Ascari, Hawthorn, Farina et Marimon sont déjà passés. À la mi-course, Fangio occupe la première place, Hawthorn et Ascari dans ses roues. Quatrième, Farina a perdu le contact et roule isolé, comptant sept secondes de retard. Le cinquième est maintenant Marimon, alors que González, reparti sixième juste devant Villoresi, compte dix-huit secondes de retard sur le groupe de tête.

La bataille s'engage entre Fangio et Hawthorn : roulant roues dans roues, voire souvent côte à côte, les deux pilotes entament un continuel chassé-croisé et se détachent d'Ascari. Ce dernier est bientôt rejoint par Farina, tandis que González, au prix d'une grosse attaque, remonte rapidement sur Marimon. Villoresi, voulant ménager sa machine, a un peu levé le pied; il perd de ce fait l'aspiration des Maserati qui le précédaient et se retrouve nettement lâché. Au trente-quatrième tour, alors que la lutte est indécise entre Fangio et Hawthorn, les deux hommes passant de front devant les stands, González prend le meilleur sur son coéquipier Marimon et s'empare de la cinquième place. Les deux Argentins se rapprochent rapidement d'Ascari et Farina qui bataillent pour la troisième place. La jonction est bientôt faite, et les quatre pilotes vont se disputer âprement la troisième position, à quelques secondes des hommes de tête.

Fangio est en tête à la fin du quarantième tour. Il pousse au maximum, mais malgré ses efforts ne parvient pas à se débarrasser d'Hawthorn; à chaque boucle, le même scénario se répète : le champion argentin a quelques mètres d'avance au passage de Muizon, mais la Ferrari du Britannique bénéficie d'un bien meilleur freinage et recolle à la Maserati au freinage de Thillois, les deux pilotes repassant de front devant les tribunes ! Le public, partagé entre les supporters du champion argentin et ceux du jeune Britannique, se passionne de plus en plus, le suspense étant à son comble. D'autant que la lutte pour les places d'honneur est également très animée, entre Farina, Ascari, González et Marimon. Alors qu'il vient de prendre l'avantage, Farina, gêné par des projections d'huile venant de son moteur, doit ralentir et perd le contact avec le groupe, tandis qu'une pierre heurtant la Maserati de Marimon va forcer le jeune Argentin à s'arrêter longuement au stand pour remplacement du radiateur. On assiste dès lors à deux duels : si la victoire semble devoir se jouer entre Fangio et Hawthorn, à quelques encablures leurs coéquipiers respectifs González et Ascari, dans des styles totalement opposés, en décousent pour la troisième place.

Jusqu'au terme de la course, la bataille reste indécise, et l'attitude chevaleresque des deux pilotes force le respect : dépassant un attardé dans la ligne droite des stands, Hawthorn va jusqu'à élargir délibérément sa trajectoire, mettant deux roues dans l'herbe, afin que Fangio, dans son sillage, ne soit pas gêné; en signe de reconnaissance, Fangio remerciera d'un geste élégant[10]. Les deux pilotes sont parfois si proches l'un de l'autre qu'Hawthorn parvient à lire le compte-tours de son adversaire[11] ! Dans les tout derniers tours, Hawthorn parvient à prendre quelques longueurs d'avance sur Fangio, mais à l'abord de l'ultime boucle celui-ci est revenu dans les roues du Britannique. Lorsqu'ils abordent pour la dernière fois la longue ligne droite, Fangio a une longueur d'avance, il est cependant handicapé par des garnitures de freins fatiguées et la perte de son premier rapport de boîte[12]. À l'approche de Thillois, il retarde au maximum son freinage, mais Hawthorn parvient à freiner encore plus tard, sortant le premier du virage, alors que l'Argentin doit corriger un léger travers qui lui fait perdre le contact. Acclamé par la foule, le jeune pilote Ferrari franchit la ligne d'arrivée une seconde devant Fangio, qui manque de se faire déborder au finish par son coéquipier González, bien revenu, qui est parvenu à se débarrasser d'Ascari, quatrième à quelques longueurs. Finalement, moins de cinq secondes séparent les quatre premiers de l'épreuve, dont l'intensité lui vaudra le nom de « course du siècle » dans de nombreux journaux[9]. Cinquième et sixième, Farina et Villoresi terminent dans le même tour, mais à plus d'une minute du vainqueur.

Classements intermédiaires[modifier | modifier le code]

Classements intermédiaires des monoplaces aux premier, deuxième, quatrième, cinquième, dixième, vingtième, vingt-cinquième, trentième, quarantième et cinquantième tours[10],[13].

Classement de la course[modifier | modifier le code]

Pos No Pilote Voiture Tours Temps/Abandon Grille Points
1 16 Drapeau du Royaume-Uni Mike Hawthorn Ferrari 60 2 h 44 min 18 s 6 7 8
2 18 Drapeau de l'Argentine Juan Manuel Fangio Maserati 60 + 1 s 0 4 7
3 20 Drapeau de l'Argentine José Froilán González Maserati 60 + 1 s 4 5 4
4 10 Drapeau de l'Italie Alberto Ascari Ferrari 60 + 4 s 6 1 3
5 14 Drapeau de l'Italie Giuseppe Farina Ferrari 60 + 1 min 07 s 6 6 2
6 12 Drapeau de l'Italie Luigi Villoresi Ferrari 60 + 1 min 15 s 9 3  
7 46 Drapeau de la Suisse Emmanuel de Graffenried Maserati 58 + 2 tours 9  
8 44 Drapeau de la France Louis Rosier Ferrari 56 + 4 tours 10  
9 22 Drapeau de l'Argentine Onofre Marimon Maserati 55 + 5 tours 8  
10 2 Drapeau de la France Jean Behra Gordini 55 + 5 tours 22  
11 38 Drapeau du Royaume-Uni Bob Gerard Cooper-Bristol 55 + 5 tours 12  
12 48 Drapeau de la Belgique Johnny Claes Connaught-Lea Francis 53 + 7 tours 21  
13 28 Drapeau du Royaume-Uni Peter Collins HWM-Alta 52 + 8 tours 17  
14 30 Drapeau de la France Yves Giraud Cabantous HWM-Alta 50 + 10 tours 18  
15 32 Drapeau de Monaco Louis Chiron O.S.C.A. 43 + 17 tours 25  
Abd. 24 Drapeau de l'Italie Felice Bonetto Maserati 42 Moteur 2  
Abd. 36 Drapeau du Royaume-Uni Stirling Moss Cooper-Alta 38 Embrayage 13  
Abd. 42 Drapeau de la Thaïlande Prince Bira Connaught-Lea Francis 29 Différentiel 11  
Abd. 34 Drapeau de la France Élie Bayol O.S.C.A. 18 Moteur 15  
Abd. 40 Drapeau du Royaume-Uni Ken Wharton Cooper-Bristol 17 Roulement de roue 14  
Abd. 4 Drapeau de la France Maurice Trintignant Gordini 14 Transmission 23  
Abd. 26 Drapeau du Royaume-Uni Lance Macklin HWM-Alta 9 Embrayage 16  
Abd. 6 Harry Schell Gordini 4 Moteur 20  
Abd. 8 Drapeau de l'Argentine Roberto Mieres Gordini 4 Transmission 24  
Abd. 50 Drapeau du Royaume-Uni Roy Salvadori Connaught-Lea Francis 2 Allumage 19  

Légende:

  • Abd.=Abandon

Pole position et record du tour[modifier | modifier le code]

Évolution du record du tour en course[modifier | modifier le code]

Le record de la piste fut amélioré sept fois au cours de l'épreuve[13].

Tours en tête[modifier | modifier le code]

Classement général à l'issue de la course[modifier | modifier le code]

  • attribution des points : 8, 6, 4, 3, 2 respectivement aux cinq premiers de chaque épreuve et 1 point supplémentaire pour le pilote ayant accompli le meilleur tour en course (signalé par un astérisque)
  • Le règlement permet aux pilotes de se relayer sur une même voiture, les points éventuellement acquis étant alors partagés. Sam Hanks et Duane Carter marquent chacun deux points pour leur troisième place à Indianapolis, Fred Agabashian et Paul Russo marquent chacun un point et demi pour leur quatrième place dans cette même course, Felice Bonetto et José Froilán González marquent chacun deux points pour leur troisième place aux Pays-Bas.
  • Sur dix épreuves qualificatives prévues pour le championnat du monde 1953, neuf seront effectivement courues : en septembre les organisateurs du Grand Prix d'Espagne (programmé le ) annuleront l'épreuve à la suite de l'annonce du forfait de la Scuderia Ferrari pour cette course[11].
Classement des pilotes
Pos. Pilote Écurie Points
ARG

500

NL

BEL

FRA

GBR

ALL

SUI

ITA

ESP
1 Alberto Ascari Ferrari 28 9* - 8 8 3
2 Mike Hawthorn Ferrari 14 3 - 3 - 8
3 Luigi Villoresi Ferrari 13 6 - 1* 6 -
4 José Froilán González Maserati 11 4 - 2 1* 4
5 Drapeau des États-Unis Bill Vukovich Kurtis Kraft 9 - 9* - - -
6 Giuseppe Farina Ferrari 8 - - 6 - 2
7 Juan Manuel Fangio Maserati 7 - - - - 7*
8 Drapeau des États-Unis Art Cross Kurtis Kraft 6 - 6 - - -
9 Emmanuel de Graffenried Maserati 5 - - 2 3 -
10 Onofre Marimon Maserati 4 - - - 4 -
11 Drapeau des États-Unis Sam Hanks Kurtis Kraft 2 - 2 - - -
Drapeau des États-Unis Duane Carter Kurtis Kraft 2 - 2 - - -
Felice Bonetto Maserati 2 - - 2 - -
Oscar Alfredo Gálvez Maserati 2 2 - - - -
Drapeau des États-Unis Jack McGrath Kurtis Kraft 2 - 2 - - -
Maurice Trintignant Gordini 2 - - - 2 -
17 Drapeau des États-Unis Fred Agabashian Kurtis Kraft 1,5 - 1,5 - - -
Drapeau des États-Unis Paul Russo Kurtis Kraft 1,5 - 1,5 - - -

À noter[modifier | modifier le code]

  • 1re victoire en championnat du monde pour Mike Hawthorn.
  • 14e victoire en championnat du monde pour Ferrari en tant que constructeur.
  • 14e victoire en championnat du monde pour Ferrari en tant que motoriste.

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. 100 millions de francs 1953 (anciens francs) équivalent à 2,25 millions d'Euros 2018 - Base Insee.

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Alan Henry, Ferrari : Les monoplaces de Grand Prix, Editions ACLA, , 319 p. (ISBN 2-86519-043-9)
  2. Christian Moity et Serge Bellu, « La galerie des championnes - 1952/53 : la Ferrari Type 500 F2 », L'Automobile, no 392,‎ , p. 85
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