Emmanuel-Joseph Sieyès

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Ceci est une version archivée de cette page, en date du 7 mai 2017 à 18:43 et modifiée en dernier par 86.69.180.174 (discuter). Elle peut contenir des erreurs, des inexactitudes ou des contenus vandalisés non présents dans la version actuelle.

Emmanuel-Joseph Sieyès
Image illustrative de l’article Emmanuel-Joseph Sieyès
Emmanuel-Joseph Sieyès par Jacques-Louis David, 1817, Fogg Art Museum.
Biographie
Naissance
Fréjus
Décès (à 88 ans)
Paris
Autres fonctions
Fonction religieuse
Prêtre
Fonction laïque
Homme politique

Signature de Emmanuel-Joseph Sieyès

Emmanuel-Joseph Sieyès ou l'abbé Sieyès (la prononciation ancienne était [sjɛs]), né le à Fréjus et mort le à Paris, est un homme d'Église, homme politique et essayiste français, surtout connu pour ses écrits et son action pendant la Révolution française. Directeur, il est, au début du Consulat, consul provisoire. Il est ensuite président du Sénat conservateur et comte de l'Empire.

Biographie

Fils d'un employé des impôts et maître de poste de Fréjus, il fait ses études à Draguignan puis au séminaire de Saint-Sulpice à Paris. Il entre dans les ordres comme prêtre en 1774. Par la suite, il devient en 1775 chanoine de Tréguier, attaché comme secrétaire à l'évêque de Lubersac, l'aumônier de Madame Sophie, la tante de Louis XVI, puis vicaire général de Chartres en 1787 et conseiller commissaire à la chambre supérieure du clergé.

Sieyès, député à la Convention nationale.

Sieyès devient célèbre dès 1788 par son Essai sur les privilèges. Mais c'est plus encore sa brochure de 1789 Qu'est-ce que le tiers état ?, texte fondateur de la Révolution française, qui obtint un grand retentissement et assure sa popularité. Il prend ainsi une part active à la Révolution française jusqu'à sa fin, par sa participation au coup d'État du 18 brumaire.

En 1789, élu député du tiers état aux États généraux, il joue un rôle de premier plan dans les rangs du parti patriote du printemps à l'automne 1789 et propose, le 17 juin, la transformation de la Chambre du Tiers état en assemblée nationale. Il rédigea le serment du Jeu de paume et travailla à la rédaction de la Constitution.

Élu dans trois départements à la Convention, il siégea à la Plaine mais dans le procès du roi vota avec la Montagne contre l'appel au peuple pour la mort et contre le sursis. Il abandonna sa charge de prêtre selon les modalités en vigueur de la Constitution civile du clergé.

Pendant la préparation de la constitution de l'an III, le (2 thermidor), il prononça un discours resté célèbre au cours duquel il proposa la mise en place d'un jury constitutionnaire, premier projet d'un contrôle étendu de la constitutionnalité des actes des organes de l'État.

Sous le régime politique du Directoire, il fut président, en 1797, du conseil des Cinq-Cents. En 1798, il fut envoyé comme ambassadeur à Berlin. En 1799, il se résolut à entrer au Directoire en tant que directeur. Il prépara le coup d'État du 18 brumaire selon lequel il démissionna de son poste de directeur, puis il fut nommé consul provisoire par Bonaparte. Il devint président du Sénat conservateur sous le Consulat. Il est nommé comte d'Empire en mai 1808. Pendant la seconde Restauration, c'est-à-dire après les Cent-Jours de la fin de 1815 à 1830, il s'exila durant quinze ans pour régicide à Bruxelles. Il ne rentra en France qu'en 1830.

Il est inhumé le 25 juin 1836 dans la division 30 du cimetière du Père-Lachaise[1].

Théories politiques et philosophiques

Sieyès en tenue de Directeur.

Benjamin Constant dit de lui : « Personne jamais n'a plus profondément détesté la noblesse »[2].

Le baron Ernest Seillière relève chez Sieyès une exhortation à l'opposition entre le tiers état, vu comme d'origine gallo-romaine, contre l'aristocratie, décrite comme étant d'ascendance germanique[3] (franque) ; Sieyès proposait de « renvoyer dans les forêts de la Franconie toutes ces familles (nobles) qui conservaient la folle prétention d'être issues de la race des conquérants et de succéder à leurs droits »[4]. Il faut cependant voir qu'il prenait en cela au mot les prétentions de théoriciens des droits de la noblesse comme Sainte-Pallaye, qui ont promu à la fin de l'ancien régime une vision de plus en plus essentialiste de l'origine du second ordre[réf. nécessaire].

Sieyès en tenue de Directeur.

Il oppose le gouvernement représentatif (qu'il promeut) et le gouvernement démocratique (qu'il rejette) :

« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »

— Discours du 7 septembre 1789[5]

Sieyès est alors vu en science politique comme un contradicteur des théories de Jean-Jacques Rousseau : alors que Rousseau se prononçait pour la démocratie directe et fustigeait le modèle représentatif britannique, Sieyès, moins confiant dans le peuple que Rousseau, choisit de défendre le système représentatif. Dans le système représentatif, le peuple élit des représentants munis d'un mandat représentatif qui, eux, décident des lois qui s'appliquent, alors que la démocratie directe suppose que le peuple décide des lois qui lui sont appliquées et que les délégués qu'il élit lui sont soumis par des mandats impératifs. La doctrine juridique parle souvent de « souveraineté nationale » pour qualifier l'idée de Sieyès de gouvernement représentatif en l'opposant à celle de « souveraineté populaire », celle de démocratie directe, soutenue par Rousseau puis revendiquée par l'aile gauche du parti des Jacobins, celle dite des Montagnards dirigée par Robespierre, lequel avait surnommé Sieyès « la Taupe de la Révolution ».

Sieyès, de plus, s'est montré favorable au bicamérisme, mais il soutenait un bicamérisme différent de ceux britannique et américain ; il réclamait un bicamérisme pour éviter une dictature d'assemblée, sans chambre haute donc. Il a soutenu cette idée déjà dans des propositions pour la Constitution du 3 septembre 1791. Ce sont ses idées en plus de celles de Bonaparte qui servent à concevoir la Constitution de 1799 instituant le Consulat. Ainsi, Sieyès est souvent considéré comme un précurseur de la Révolution du fait de son ouvrage Qu'est-ce que le Tiers-état ?, mais aussi comme celui qui a déclenché le coup d’État mettant fin à la période révolutionnaire.

Sieyès était partisan du suffrage censitaire. Il considérait que le vote est une fonction et que par conséquent seuls les individus ayant les capacités (intelligence, niveau économique) d'exercer cette fonction doivent y participer.

Académie française

En 1795, Sieyès fut en premier lieu membre de la classe des sciences morales et politiques, future Académie des sciences morales et politiques de l'Institut de France.

Lors de la réorganisation de 1803, il fut en outre élu dans la deuxième classe, qui succédait à l'Académie française après plusieurs années de disparition, et où il remplaça, au fauteuil 31, Jean-Sylvain Bailly, guillotiné le 12 novembre 1793.

Après la Seconde Restauration de 1815, Sieyès fut exclu de l'Académie, en 1816, en tant que régicide, et remplacé aussitôt par le marquis de Lally-Tollendal, nommé par ordonnance royale.

Sieyès et la sociologie

Dans un manuscrit, Sieyès forge le néologisme « sociologie » une cinquantaine d'années avant Auguste Comte. Sous sa plume, le terme reste peu conceptualisé, et pris dans le souci de développer un « art social » : la connaissance positive de la société doit servir à la gouverner[6].

Sieyès et l'art social

L'abbé Sieyès, député à l'Assemblée nationale.

« L’objet du physicien, déclarait Sieyès, c’est d’expliquer les phénomènes de l’univers physique. Puisque cet univers existe indépendamment de lui, le physicien doit se contenter d’observer les faits et d’en démontrer les rapports nécessaires. Mais la politique n’est pas la physique, et le modèle de la nature ne s’applique pas aux affaires humaines." Pour Sieyès, la société est une construction artificielle, un édifice ; la science de la société devrait donc être, à proprement parler, une architecture sociale.

De même que le jeune Marx devait reprocher à la philosophie hégélienne d’interpréter le monde, sans montrer comment le changer, de même le jeune Sieyès rejeta très tôt l’idée selon laquelle la seule tâche du philosophe serait d’énoncer les faits sociaux.

Sa critique avait d’abord pris pour cible le despotisme des faits sur les principes, qu’il décelait dans la physiocratie. À la veille des États Généraux, il trouva une nouvelle cible dans l’approche historique adoptée par les disciples de Montesquieu et dans leur vénération, leur « extase gothique » pour le modèle de la constitution anglaise[7]. »

— Keith Michael Baker, Condorcet. Raison et politique.

Sieyès participe activement aux travaux de la Convention sur la réforme de la carte administrative, et il propose d'adopter un découpage de la France en carrés de 5 km de côté pour les communes, et de 50 km de côté pour les départements.

Œuvres

Qu'est-ce que le Tiers État ? (1789).

Notes et références

Notes

Références

  1. Journal des débats politiques et littéraires, (lire en ligne).
  2. Emmanuel de Waresquiel, Talleyrand : Le prince immobile, Fayard, 2003, p. 254.
  3. Ernest Seillière, Le Comte de Gobineau et l'aryanisme historique, 1903, [lire en ligne].
  4. Abbé Sieyès, Qu'est-ce que le Tiers-État ?, ch. II, 1789.
  5. Archives parlementaires de 1787 à 1860, Librairie administrative de Paul Dupont, 1875, [lire en ligne] [Lire sur Gallica (pages 594 et 595)].
  6. Jacques Guilhaumou, « Sieyès et le non-dit de la sociologie : du mot à la chose », Revue d'histoire des sciences humaines, no 15, 2006 [lire en ligne].
  7. K. M. Baker, Condorcet, Paris, Hermann, , poche (ISBN 978-2-7056-6090-1).
  8. « Notice salle des inventaires virtuelle des Archives nationales », sur www.archives-nationales.culture.gouv.fr (consulté le ).

Voir aussi

Sieyès dans la littérature

Son nom est toujours associé à ceux de Fouché et de Talleyrand dans « le brelan de prêtres » (selon l'expression ironique de Carnot). Il est mis en scène par Honoré de Balzac dans Une ténébreuse affaireHenri de Marsay fait le récit du complot contre Napoléon auquel Sieyès participe : « Fouché connaissait admirablement les hommes; il compta sur Sieyès à cause de son ambition trompée, sur monsieur de Talleyrand parce qu'il était un grand seigneur, sur Carnot à cause de sa profonde honnêteté[1] ». Un personnage portant ce nom est également présent dans l’œuvre La dernière campagne du Grand Père Jacques, d'Émile Erckmann, où il est cité comme créateur d'une constitution[2].

Stendhal cite Sieyès dans son roman Le Rouge et le Noir au début du chapitre XII : « On trouve à Paris des gens élégants, il peut y avoir en province des gens à caractère ».

Bibliographie

Ouvrages

Buste de Sieyès par le sculpteur David d'Angers (1838).
  • Jean-Denis Bredin, Sieyès : la clé de la Révolution française, Paris, Éditions de Fallois, , 611 p. (ISBN 2-87706-014-4).
  • Marco Fioravanti, « Sieyès et le jury constitutionnaire : perspectives historico-juridiques », Annales historiques de la Révolution française, no 349,‎ , p. 87-103 (lire en ligne).
  • Jacques Guilhaumou, Sieyès et l'ordre de la langue : l'invention de la politique moderne, Paris, Kimé, coll. « Philosophie, épistémologie », , 235 p. (ISBN 2-84174-283-0, présentation en ligne).
  • Jérôme Mavidal (Éditeur scientifique), Émile Laurent (Éditeur scientifique) et al., Archives parlementaires de 1787 à 1860 : recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises, Paris, P. Dupont, (BNF 34057622)

Articles

  • Marc Lahmer, « Sieyès est-il l’auteur des formules célèbres qu’on lui prête ? », Revue française d'histoire des idées politiques, Picard, no 33,‎ , p. 47-70 (ISSN 1266-7862, lire en ligne).
  • (de) Charles Philippe Dijon de Monteton, « Der lange Schatten des Abbé Bonnot de Mably. Divergenzen und Analogien seines Denkens in der Politischen Theorie des Grafen Sieyès », dans U. Thiele (ed.), Volkssouveränität und Freiheitsrechte. Emmanuel Joseph Sieyes' Staatsverständnis, Nomos, Baden-Baden, 2009, p. 43-110.
  • David Pantoja Morán, « Sieyès et la constitution mexicaine de 1836 », Revue française d'histoire des idées politiques, Picard, no 33,‎ , p. 103-116 (ISSN 1266-7862, lire en ligne).
  • Pasquale Pasquino, Sieyès et l'invention de la constitution en France, Paris, Odile Jacob, , 262 p. (ISBN 2-7381-0582-3, présentation en ligne), [présentation en ligne].
  • Stefano Pighini, « Le jeu de la communication politique chez Sieyès », Revue française d'histoire des idées politiques, Picard, no 33,‎ , p. 83-102 (ISSN 1266-7862, lire en ligne).
  • Pierre-Yves Quiviger, « Sieyès », Revue française d'histoire des idées politiques, Picard, no 33,‎ , p. 3-4 (ISSN 1266-7862, lire en ligne).
  • Jean-Jacques Sarfati, « Sieyès, le choix de l’ombre après les lumières », Revue française d'histoire des idées politiques, Picard, no 33,‎ , p. 71-81 (ISSN 1266-7862, lire en ligne).
  • Erwan Sommerer, « Le contractualisme révolutionnaire de Sieyès : formation de la nation et prédétermination du pouvoir constituant », Revue française d'histoire des idées politiques, Picard, no 33,‎ , p. 5-25 (ISSN 1266-7862, lire en ligne).
  • Lucas Scuccimarra, « Généalogie de la nation : Sieyès comme fondateur de la communauté politique », Revue française d'histoire des idées politiques, Picard, no 33,‎ , p. 27-45 (ISSN 1266-7862, lire en ligne).
  • Andreï Tyrsenko, « L'ordre politique chez Sieyès en l'an III », Annales historiques de la Révolution française, no 319,‎ , p. 27-45 (lire en ligne).

Liens externes

Sur les autres projets Wikimedia :

  1. Édition Charles Furne, 1845, vol. XII, p. 402 à 405.
  2. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k102270r.