Animisme

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Faux lion Corvus albus lors d'un combat de lutte sénégalaise (Dakar).

L’animisme, (du latin animus, originairement « esprit », puis « âme ») est la croyance en un esprit, une force vitale, qui anime les êtres vivants, les objets mais aussi les éléments naturels, comme les pierres ou le vent, ainsi qu'en des génies protecteurs[1].

Ces âmes ou ces esprits mystiques, manifestations de défunts ou de divinités animales, peuvent agir sur le monde tangible, de manière bénéfique ou non. Il convient donc de leur vouer un culte[2]. Ainsi défini, comme « croyance à l'âme et à une vie future et, corrélativement, croyance à des divinités directrices et des esprits subordonnés »[3], l'animisme peut caractériser des sociétés extrêmement diverses, situées sur tous les continents.

À moins d'être redéfini dans le champ de l'anthropologie, par exemple à la manière de Philippe Descola, ou limité à un processus psychique, par exemple dans la psychanalyse ou dans la conception piagétienne, l'objet « animisme » ne correspond à aucune réalité religieuse se réclamant comme telle. Il n'est qu'un objet créé historiquement pour distinguer des croyances et des pratiques n'entrant pas dans le cadre des paradigmes des religions dites universalistes.

Origine et usage du terme

Médecine du XVIIIe siècle

Le médecin allemand Georg Stahl est à l’origine (Theoria medica vera, 1707)[4] d’une théorie médicale appelée animisme, opposée au mécanisme et au vitalisme ; pour résumer à l’extrême, il s’agissait d’expliquer que l’âme avait une influence directe sur la santé. Une seule et même âme est à la fois principe de vie et principe de pensée.

L'animisme (Stahl) s'oppose alors au mécanisme (Démocrite, Descartes, Cabanis, Le Dantec) et se différencie du vitalisme (Platon, Paracelse, Paul-Joseph Barthez, Félix Ravaisson, Bergson, H. Driesch). L'animiste ne se contente pas de subordonner la matière à la vie, mais, qui plus est, il soumet la vie à la pensée. Les philosophes d'inspirations vitalistes considèrent au contraire l'activité intellectuelle comme fondamentalement subordonnée à la « vie ».

Edward Tylor, le pionnier

Edward Burnett Tylor (1832-1917) est le premier sociologue à avoir établi une théorie sur l’animisme, dans Primitive Culture (1871). Il fonde son analyse sur le sentiment, pour lui général dans les sociétés qu’il qualifiait alors de « primitives », que l’âme était distincte du corps car, lors des rêves, le dormeur semble atteindre un monde différent de celui où se trouve son corps.

C’est cette expérience qui aurait fondé la notion d’« âme ».

Par analogie et extension, des âmes auraient ainsi été prêtées (attribuées) à l’ensemble des éléments de la nature[5]. Pour Tylor, l’animisme représentait le premier stade de religiosité humaine, celui des sociétés les plus primitives, et il devait être suivi par le fétichisme, puis le polythéisme et enfin, par le monothéisme, qui caractérisait la religion de sa propre société[6].

La théorie de Tylor sur l’animisme eut un énorme succès. Le terme fut ensuite beaucoup repris, discuté et critiqué.

Les anthropologues ont notamment reproché à Tylor sa perspective évolutionniste (comme si toutes les sociétés devaient évoluer de la même manière vers un même but), sa perspective psychologique (il est difficile d’expliquer une notion telle que l’âme par une simple référence à une expérience de dormeur – ou alors, cette notion devrait prendre un sens identique dans toutes les sociétés, ce qui n’est pas le cas), ainsi que le caractère imprécis du terme animisme (tous les éléments de la nature ne sont pas partout perçus comme ayant une âme, attribuer un esprit ou une âme à un élément n’est pas la même chose, etc.).

Évolution vernaculaire du terme

En dehors de quelques anthropologues qui reprennent ce terme dans leur analyse en lui donnant une signification précise (tel Philippe Descola), le terme d’animisme n’est plus employé que de manière très vague, pour finalement désigner toutes les religions qui ne sont pas universalistes (c’est-à-dire les religions de la conversion, telles le christianisme, l’islam ou qui ne sont pas des religions de grands pays-civilisations (les religions chinoises, indiennes, etc.). Il est alors pris comme synonyme de « religion traditionnelle » (un terme qui ne signifie rien, en soi), ou d’autres termes à l’usage tout aussi vague, tels que le chamanisme. En réalité, la difficulté de définir clairement ces termes et circonvenir leur périmètre respectif procède essentiellement de leur éloignement des modes de pensées des sociétés modernes, issus d'une représentation du monde radicalement différente, que Philippe Descola qualifie de naturaliste.

Introduit à la fin du XIXe siècle par l'anthropologue britannique Edward Burnett Tylor pour désigner les religions des sociétés qu'il nomme « primitives » (Primitive Culture, 1871), le concept a connu un indéniable succès jusque dans les premières décennies du XXe siècle, devenant « l'un des termes de référence majeurs de l'histoire de l'ethnologie religieuse »[7]. Cette ambitieuse tentative d'explication globale des croyances religieuses – une « doctrine de l'âme » – a perdu une large part de sa validité aujourd'hui et les travaux contemporains s'en écartent, notamment ceux de l'anthropologue français Philippe Descola qui ne voit pas dans l'animisme une religion, mais plutôt « une manière de concevoir le monde, et de l'organiser »[8].

Le terme lui-même, souvent entaché de connotations colonialistes[9], du moins perçues comme péjoratives[10], est employé avec circonspection, parfois remplacé par des expressions telles que « croyances populaires », « croyances indigènes », « religions traditionnelles ». Par défaut ou par commodité, il est désormais utilisé dans le langage courant ou dans les statistiques, comme un mot fourre-tout désignant généralement l'ensemble de ce qui, ne relevant pas des grandes religions théistes s'appuyant sur des textes sacrés (christianisme, islam, bouddhisme…), est transmis par des traditions orales[11].

Philippe Descola

Parmi les anthropologues contemporains, Philippe Descola, dans une vision globalisante voire universaliste, a redéfini l'animisme dans un ouvrage remarqué, Par-delà nature et culture (2005)[12]. Il se place pour cela dans la situation de l'Homme s'identifiant au monde suivant deux perspectives complémentaires : celle de son « intériorité » et celle de sa « physicalité » vis-à-vis des autres, humains et non humains.

L'animisme correspondrait à la perception d'une identité commune des intériorités des existants, humains et non humains, et à celle d'une identité distincte entre leurs physicalités. L'anthropologue décrit les trois autres « ontologies » qui suivent la perception d'une fusion ou d'une rupture entre intériorité et physicalité, et qui se nomment totémisme, analogisme et naturalisme ; les quatre modes (identité/rupture) * {intériorité/physicalité}) réunis auraient une vocation universelle, tout en revêtant diverses formes de cohabitation ou de dominance suivant les cultures (qu'elles soient archaïques, traditionnelles ou modernes).

Ainsi, pour Philippe Descola, l'animisme se caractérise ainsi.

Ontologie

L'animisme repose sur cette affirmation : ressemblance des intériorités et différence des physicalités entre humains et non-humains (animaux, végétaux, esprits, objets). Les animaux, les plantes ont la même âme, intériorité (émotions, conscience, désirs, mémoire, aptitude à communiquer...) que les humains, ils ne s'en distinguent que par leurs corps et donc aussi par leurs mœurs, l'éthogramme, le mode de comportement spécialisé (p. 187, 190). Il y a, comme dans le totémisme, classification par prototype, c'est-à-dire à partir du modèle le plus représentatif, qui est, dans l'animisme, l'humain (p. 333). "De même que l'animisme est anthropogénique parce qu'il emprunte aux humains le minimum indispensable pour que des non-humains puissent être traités comme des humains, le totémisme est cosmogénique car il fait procéder de groupes d'attributs cosmiques préexistants à la nature et à la culture tout ce qui est nécessaire pour que l'on ne puisse jamais démêler les parts respectives de ces deux hypostases dans la vie des collectifs" (p. 368-369).

Géographie

L'animisme se rencontre "en Amazonie, dans l'aire arctique et circumpolaire ou dans les forêts de l'Asie du Sud-Est" (p. 189), chez les Pygmées, les Dogon de Tireli au Mali, en Nouvelle-Calédonie.

Notions

Métamorphose : les êtres ont la capacité de métamorphose, l'animal peut devenir homme et inversement (p. 192). Un chamane huaorani d'Amazonie peut devenir jaguar (p. 344). Perspectivisme : comme l'écrit Eduardo Viveiros de Castro, "les animaux (prédateurs) et les esprits voient les humains comme des animaux (des proies), tandis que les animaux (le gibier) voient les humains comme des esprits ou comme des animaux (prédateurs)."

Religion

L'animisme ne consiste pas en croyances, mais en l'expérience qu'il y a des esprits avec lesquels on peut entrer en communication, par des rêves, par la parole...

Sociabilité

Relations permanentes sur le registre de l'amitié, de l'alliance de mariage, de déférence vis-à-vis des anciens" (p. 346). Aussi, "sur tout son territoire on ne trouvera ni éleveurs exclusifs, ni castes d'artisans spécialisés, ni culte des ancêtres, ni lignages fonctionnant comme des personnes morales, ni démiurges créateurs, ni goût pour les patrimoines matériels, ni obsession de l'hérédité, ni flèche du temps, ni filiations démesurée, ni assemblées délibératives" (p. 538).

Problèmes

Comment rendre compte de la forme non humaine des non-humains ? solution : la métamorphose (p. 416).

Des religions animistes ?

Statue du Génie de la Montagne dans le Haut-Tonkin (fin XIXe siècle)

L’évocation d’une « religion animiste » est communément entendue :

  • En général pour désigner le culte qui serait voué aux pierres, au vent, au sable, à l’eau, aux arbres, au feu… par des peuples divers ;
  • En particulier pour désigner les religions négro-africaines originelles.

Une fois de plus, ce terme relève du langage courant, il n’a pas de portée anthropologique. Il pêche à trois égards : d’abord parce qu’on peut mettre en doute que, pour leurs adeptes, ces éléments soient eux-mêmes doués d’une âme ; ensuite parce que les peuples concernés n’isolent pas la « religion » des autres aspects de leurs traditions[13] ; enfin parce qu’il recouvre d’innombrables cultures, très différentes les unes des autres.

Esprits, religions et animisme

Dans beaucoup de religions sinon toutes, les éléments naturels occupent une place importante. On peut citer la vénération de fleuves, tel le Gange, dans l’hindouisme, ou la crue du Nil, divinisée sous le nom d’Hâpy dans l’Égypte ancienne ; celle du feu auquel pouvait être assimilé Vesta à Rome ; celle du chêne et du gui, sacrés chez les Celtes.

Les monothéismes abrahamiques s’appuient eux-mêmes sur des éléments naturels, objets de cultes antérieurs : la fête de Noël est celle du solstice d’hiver (septentrional), celle de la Saint-Jean du solstice d’été, la fête de Pessa'h ou de Pâques est attachée au calendrier lunaire, qui rythme également la liturgie musulmane, dont le ramadan, etc.

Dans les religions amérindiennes, les divinités sont associées à des éléments naturels, avec une grande importance accordée au soleil, à la lune, à la pluie… La Méso-Amérique ne comptait pas moins de 4 dieux du maïs : un pour le maïs blanc, un pour le jaune, un pour le rouge, un pour le noir. Dans l’aire inca, on pratiquait une offrande à Pachamama, la Terre mère[14].

Pour autant, aucune de ces religions ne rend un culte « aux pierres ou au vent ». Tous les peuples, depuis la préhistoire, savent dépendre pour leur survie d’éléments naturels : la terre, le soleil, l’eau… Mais ils ne les adorent pas eux-mêmes, ils attribuent leur puissance à des forces surnaturelles qui les commanderaient : ils les ont divinisés ou vénèrent les esprits ou les dieux qui les dirigent. S’il y a des éléments d’animisme dans la plupart des religions, il est jusqu’à preuve du contraire difficile d’exhiber des cas de religions essentiellement fondées sur le culte des éléments naturels eux-mêmes. Dans l’exemple des Celtes, la sacralisation du chêne et du gui n’implique pas qu’il leur ait été directement rendu un culte : aucune source sérieuse ne le mentionne. Ce n’est pas parce que l’hostie est sacrée que le pain azyme est l’objet d’un culte : à travers elle, c’est le Christ qui est vénéré…

Certains lieux présentant des caractères physiques impressionnants ont marqué tous les peuples qui les ont traversés. On en trouve un exemple frappant dans le nid d’aigle d’Erice (Sicile) : Élymes, Phéniciens, Grecs, Romains, Arabes, chrétiens… en ont tous fait un lieu de culte. Aucun d’eux ne vénérait le rocher d’Erice : ils étaient convaincus que, perché au milieu du ciel, ce lieu était élu, qu’il offrait une voie d’accès privilégiée à leur(s) divinité(s).

L’interprétation « animiste » de religions « traditionnelles » comme celles de l’Afrique noire, repose sur une appréhension simpliste de cultes jugés « primitifs » et sur la conviction implicite de la supériorité des religions et des cultures des nouveaux venus. L’appellation d’animisme n’en reste pas moins et malheureusement généralisée.

À Mayotte par exemple, une petite île française située dans le canal du Mozambique entre l'Afrique et Madagascar, religion et animisme cohabitent : en effet, Mayotte conserve une originalité culturelle liée aux diverses influences qui ont forgé son identité qu'elles soient malgaches, africaines, européennes ou arabes. Bien que 90 % de la population soit musulmane, se pratique sur l’île des cultes animistes : Mayotte abrite des habitants que les statistiques ne prennent pas en compte, ce sont les esprits. Des esprits invisibles, puissants et qui, selon les croyants, peuvent posséder le corps de l'homme. L’île regorge de lieux sacrés et magiques, où les gens viennent faire des offrandes, procèdent à des rituels d'exorcismes pour chasser l'esprit du corps possédé. Parmi ces lieux de culte, on peut citer la pointe Mahabou, l'endroit où repose le sultan d'origine malgache, Adriansouly, qui vendit Mayotte à la France. Cet endroit est considéré comme étant un lieu de prière pour les animistes, lieu où l'on peut invoquer tous les esprits. On retrouve aussi la cascade de Soulou. La seule cascade de l’île où les habitants se rendent pour des bains rituels censés guérir le malade possédé. ce culte animiste est souvent remis en cause par la religion prédominante, l'islam. mais la pratique de la religion étant modérée, animisme et religion cohabitent.

Animisme ou vitalisme ?

Les voyageurs et les colons européens, observant des offrandes, des sacrifices et des rites devant des éléments naturels tels que le fleuve Saloum, la pierre d’Abeokuta, etc. en déduisaient que dans leur « pensée primitive » les Négro-Africains leur attribuaient une âme, d’où le terme d’animisme. La réalité est plutôt inverse : le culte est rendu à un esprit localisé à cet emplacement, parfois parce qu’il y est mort ou y est enterré, et où un autel lui est en général dressé. Ces esprits sont ceux d’ancêtres anonymes, d’ancêtres ayant joué un rôle historique, parfois d’ancêtres divinisés, ils peuvent être recueillis ou hébergés en des animaux de la brousse, être d’une autre nature, comme les djinnés (inspirés des djinns arabes)… Il est significatif que plusieurs langues d’Afrique de l’Ouest utilisent le terme désignant un esprit ancestral pour désigner également un serpent (sérère o fangool), un animal sauvage (wolof rab), un autel (mandinka jálaŋ, maninka boli, diola bëcin)[15], etc.

On trouve un exemple du véritable sens de l’« animisme » dans la pratique encore très vivante en Afrique noire, consistant à réserver les premières gouttes d’une boisson (surtout alcoolisée) ou les premières parcelles de nourriture à la terre : ce n’est pas à la nature que cette offrande est rendue, mais aux ancêtres, dont le séjour est souterrain dans la vision africaine. Le même rite est largement pratiqué dans les régions marquées par une forte présence d’afrodescendants, comme la côte caraïbe de Colombie. Au Laos, on trouve la même pratique d'offrir à la nature, la première gorgée, dans le bouddhisme Theravada.

La persistance du souffle vital (contrairement au corps et à la force vitale, éphémères) de l’ancêtre et son retour dans un nouveau-né (réincarnation partielle) sont centraux dans cette vision du monde qui englobe religion, mythe, magie, pouvoir, médecine… Elle a conduit certains auteurs, tel Louis-Vincent Thomas[16], à définir ces religions comme vitalistes plutôt que comme animistes : elles sont avant tout des religions de la vie, dans lesquelles la force vitale occupe la place centrale, et la sexualité comme la fécondité y ont une portée religieuse. Le décès d’enfants en bas âge est attribué au renoncement de l’ancêtre, déçu par la vie terrestre qu’il retrouve et désireux de repartir au village des morts[17]. Le sens de l’anthropophagie[18] (symbolique, contrairement au cannibalisme) est l’appropriation de la force vitale (mais non du souffle vital, qui ne peut l'être) de l’autre : l’esprit ou le sorcier anthropophage prend possession de sa victime pour absorber sa force vitale et augmenter la sienne[19].

Le terme de vitalisme, qui vise à restituer l’essence des religions africaines, ne fait pourtant pas l’unanimité, comme sont contestés tous ceux par lesquels on tente de remplacer celui d’animisme, soit parce qu’ils n’en rendent que partiellement compte (culte des ancêtres…), soit parce qu’ils ne sont pas signifiants (religions traditionnelles…). Quant à la tradition négro-africaine, elle n’analyse pas la religion isolément de la magie, du pouvoir, de la médecine… et n’éprouve donc pas le besoin de la nommer en tant que telle.

Une autre approximation consiste à opposer un animisme africain polythéiste, puisque vénérant d’innombrables esprits, aux religions monothéistes. En réalité, la plupart des religions africaines, sinon toutes, sont fondées sur la croyance en un Dieu suprême ou unique : Roog chez les Sérères, Amma chez les Dogons, Olodumare chez les Yoruba, etc. occupent cette position. Si le culte est rendu aux esprits, ancêtres ou orishas, et non au maître de l’univers, c’est que celui-ci est inaccessible et qu’il convient d’amadouer les puissances « intermédiaires » de l’au-delà pour intercéder auprès de lui[20]. Cette situation n’est pas si différente de la dévotion aux saints du catholicisme et a grandement facilité la syncrétisation entre saints et orishas ou saints et inquices dans les cultes afro-américains, comme le candomblé.

Animisme, totémisme, chamanisme, shintoïsme

Il y a plus qu’une parenté entre l’animisme et le totémisme, le chamanisme ou le shintoïsme : une interpénétration, tous comportant une part d’« animisme ».

Le totémisme est présent dans beaucoup de sociétés animistes ou chamaniques, dont il est un autre aspect de la vision du monde et de la culture. En Afrique de l’Ouest, chaque famille clanique a son animal totem, par exemple le lapin pour les Senn wolofs ou sérères ; cet animal est considéré comme un parent et ne peut être consommé par les membres du clan. La même interdiction existe en Australie ou en Amérique du Nord, où Claude Lévi-Strauss montre que le totémisme repose sur une analogie entre un groupe humain et une espèce naturelle[21] : tel clan ou tel hameau s’apparente au raton laveur par son mode vie. Cette parenté existe parce que le totem est souvent assimilé à un ancêtre.

L’animisme africain et les chamanismes de Sibérie et des Amériques ont en commun la médiation entre les êtres humains avec des forces spirituelles (esprits de la nature, âmes des animaux sauvages, ancêtres…), généralement intercesseurs auprès de la ou des divinités. Dans les deux cas, des sacerdotes (chaman ou pajé amérindiens, saltigui ou babalawo africains…) ont la connaissance ésotérique leur permettant d’entrer en contact avec l’autre monde. Le sacerdote, à l’aide de paroles rituelles et de plantes, voyage pour recueillir la volonté des esprits et leur soumettre les besoins humains : il recommandera les offrandes et rites qui lui permettront d’apporter la guérison, la pluie, la fécondité… L’intermédiation use dans certains cas du support de la transe qui peut être celle du sacerdote ou du disciple.

L’animisme africain et le shintoïsme japonais, d’ailleurs de lointaine origine chamanique, ont en commun le culte des ancêtres, dont les pratiques rituelles et les offrandes peuvent être assez proches de celles pratiquées en Afrique ou dans les religions afro-américaines.

Autres religions animistes

Chaman en séance avec le feu. Cet élément a donné lieu à des cultes et est célébré et utilisé dans l'animisme (Kyzyl, région de Touva, Russie).

Ce qu’il est convenu d’appeler animisme est présent dans d’autres civilisations. On peut citer de manière non exhaustive, avec souvent des caractères relevant de l’animisme et du chamanisme, les traditions :

  • Des Samis (ou Lapons) en Scandinavie ;
  • Des Maris de la région de Kazan (Russie) ;
  • De diverses ethnies de la péninsule indochinoise (Cambodge, Lao Theung et Lao Soung du Laos, Myanmar) ;
  • De certains peuples d’Insulinde (Indonésie, Brunei) ;
  • Des minorités chinoises comme les Naxi (dongba), les Turco-mongols (tengrisme), ou au Tibet (bön) ;
  • Des peuples aborigènes d’Australie (Mythologie aborigène).
  • Des ethnies amérindiennes et d'Amérique du Sud comme les Kali'nas[22].

L'animisme enfantin selon Jean Piaget

Dans les années 1920, Jean Piaget[23] utilise le mot à propos de la psychologie du développement chez l'enfant de 6 à 14 ans. « Animisme : tendance à concevoir les choses comme étant vivantes et douées d'intention ». Par exemple, l'enfant dit que la chaise contre laquelle il se cogne est « méchante », il croit que sa poupée est vivante. « L’animisme est une forme primitive de causalité dans laquelle la réalité tout entière tend à être conçue comme peuplée d’êtres animés, dotés d’un vouloir-être et d’un vouloir-faire plus ou moins conscient. Ainsi les nuages bougent parce qu’ils veulent bouger, comme le font les animaux lorsqu’ils se déplacent. Pour la mentalité animiste, la cause première des phénomènes est considérée comme interne aux êtres qui y sont impliqués. L’animisme est tout à la fois un biocentrisme et un psychocentrisme diffus, il tend à identifier chaque être extérieur à la notion spontanée que l’être humain se fait de lui-même, comme source d’action sur la réalité extérieure[24] »[réf. incomplète].

Selon la théorie de Piaget, durant le « stade 1 », à 6-7 ans, l'enfant confond vie et activité : le Soleil est vivant, puisqu'il éclaire. Durant le « stade 2 », vers 7-8 ans, l'enfant, plus précisément, assimile vie et mouvement : la table n'est pas vivante car elle ne bouge pas, mais le Soleil, oui, car il bouge. Durant le « stade 3 », vers 9-10 ans, l'enfant tient la vie pour le mouvement propre : la mouche est vivante car elle se meut elle-même, mais la bicyclette, non, car on la pousse. Enfin, durant le « stade 4 », vers 11-12 ans, l'enfant n'attribue la vie qu'aux plantes et aux animaux[25][réf. incomplète].

Dès 1932, cette théorie est contestée, par exemple par Johnson et Josey qui déclarent n'observer rien de tel[26].

Bibliographie

  • Robert Asséo, Jean-Louis Baldacci, Bernard Chervet (et al.), L'animisme parmi nous, Presses universitaires de France, Paris, 2009, 219 p. (ISBN 978-2-13-056899-5) (actes d'un colloque réunissant des anthropologues et des psychanalystes autour du thème de l'animisme, les 29 et au Musée du quai Branly, Paris)
  • Denis Bon, L'animisme : l'âme du monde et le culte des esprits, De Vecchi, Paris, 2002, 140 p. (ISBN 978-2-7328-3356-9)
  • J. E. Chancerel, Recherches sur la pensée biologique de Stahl, 1934.
  • Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », Paris, 2005. (ISBN 978-2-07-077263-6)
  • (en) Graham Harvey, Animism : respecting the living world, Columbia University Press, New York, 2006, 248 p. (ISBN 978-0-231-13701-0) (br.)
  • Lothar Käser, Animisme. Introduction à la conception du monde et de l’homme dans les sociétés axées sur la tradition orale, Excelsis, Charols, 2010. (ISBN 978-2-7550-0115-0)
  • Géza Róheim, L'animisme, la magie et le roi divin (préf. de Tobie Nathan), Payot, Paris, 2000 (éd. en anglais, 1930), 458 p. (ISBN 978-2-228-89292-6)
  • Edward Tylor, La civilisation primitive (Primitive Culture, 1871, traduit de l'anglais sur la deuxième édition par Pauline Brunet et Edmond Barbier), C. Reinwald et Ce, Paris, 1876-78, 2 vol. (XVI-584, VIII-597 p.)

Notes et références

  1. « Les Casamançais », sur kassoumay.com (consulté le ).
  2. « Animisme », dans Jean-François Dortier (dir.), Le Dictionnaire des sciences humaines, Auxerre, Éditions Sciences Humaines, (ISBN 978-2-912601-25-4), p. 19.
  3. G. Le Moal, « Animisme », dans Pierre Bonte et Michel Izard (dir.), Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, PUF, , p. 72.
  4. Georg Ernst Stahl, Œuvres médico-philosophiques et pratiques, trad. et comm. T. Blondin, 1859-1864, 5 vol. parus. T. III et t. IV : Vraie théorie médicale, 1863. [1]
  5. « L’animisme est la croyance que les êtres naturels ont des forces spirituelles qui les habitent et qui leur donnent une puissance surhumaine » E. B. Tylor, Primitive Culture, 1903, I, p. 427 ;& 1924 [orig. 1871] Primitive Culture. 2 vols. 7th ed. New York: Brentano's.
  6. « L’animisme est le fondement de la religion, depuis celle des sauvages jusqu’à celle des civilisés » Edward Tylor, Primitive Culture, 1903, I, p. 426 ;
  7. « Animisme », article de G. Le Moal dans Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, sous la direction de Michel Izard et Pierre Bonte, Presses universitaires de France, Paris, 4e éd. coll. « Quadrige. Dicos poche », 2007, p. 72-73 (ISBN 978-2-13-055999-3)
  8. « L'animisme est-il une religion ? », loc. cit.
  9. Comme dans ce récit de ce missionnaire, Théophile Burnier, Âmes primitives : contribution à l'étude du sentiment religieux chez les païens animistes, 1922.
  10. « Jusqu'ici le concept d'animisme a une connotation péjorative. Peu de gens sont capables de s'affirmer animistes. » (Chindji Kouleu, Négritude, philosophie et mondialisation, Éditions CLE, Yaoundé, 2001, p. 91).
  11. « Philippe Descola, anthropologue : L'animisme est-il une religion ? », propos recueillis par Nicolas Journet, Les Grands Dossiers des Sciences humaines, no 4, décembre 2006/janvier-février 2007, p. 36-39.
  12. Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005.
  13. Propos recueillis par Nicolas Journet, « L'animisme est-il une religion ? Entretien avec Philippe Descola », sur Sciences Humaines (consulté le )
  14. Portal Francia, « Offrande A La Terre | Perú.Travel », sur www.peru.travel (consulté le )
  15. Dominique Sarr, L’ombre des Guelwaars, Paris, L’Harmattan, , p.301
  16. Louis-Vincent Thomas, Cinq essais sur la mort africaine, Dakar, Université de Dakar, , p.7 sqq.
  17. Ferdinand Ezémbé, L'enfant africain et ses univers : approches psychologiques et culturelles, KARTHALA Editions, (lire en ligne), p. 254-255
  18. Maria Teixeira, « Sorcellerie et contre-sorcellerie : un réajustement permanent au monde », Cahiers d’études africaines, vol. 48, nos 189-190,‎ , p. 59–79 (ISSN 0008-0055, DOI 10.4000/etudesafricaines.9762, lire en ligne, consulté le )
  19. Henri Gravrand, « Naq et sorcellerie dans la conception sereer », Psychopathologie africaine, XI, 2,‎ , p. 179-216
  20. Henry Gravrand, La civilisation sereer – Pangol, Dakar, Nouvelles Éditions africaines,
  21. Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, collection Agora, , p. 154
  22. « Kali'na - Croyances et religion »
  23. Jean Piaget, "De quelques formes primitives de causalité chez l'enfant", Année psychologique, 1925 ; La représentation du monde chez l'enfant, Alcan 1926, PUF 1947 ; La causalité physique chez l'enfant, Alcan, 1927.
  24. « animisme », sur fondation Jean Piaget (consulté le Date invalide (10 avril 2015 (dernière màj le 2 avril 2015))).
  25. [2]
  26. E. C. Johnson et C. C. Josey, "A note on the development of the thought forms of children as described by Piaget", Journal of Abnormal and Social Psychology, 1932, 26, p. 338-339..

Voir aussi

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