Sobriété numérique

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La sobriété numérique est une démarche qui vise à réduire l'impact environnemental du numérique en limitant ses usages, et constitue l'un des aspects de l'informatique durable. L'expression « sobriété numérique » a été définie en 2008 par l'association GreenIT.fr pour désigner « la démarche qui consiste à concevoir des services numériques plus sobres et à modérer ses usages numériques quotidiens ».

Selon un rapport de l'association française The Shift Project, le numérique est responsable de 3,7 % des émissions de CO2 mondiales en 2018[1] et, selon un rapport de GreenIT.fr, de 3,8 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales[2],[3]. En 2021, une étude publiée dans la revue Patterns estime cette part entre 2 et 4 %[4],[5]. Il contribue de plus à l'épuisement du stock de ressources abiotiques (minerais). En Europe, les émissions du numérique comptent pour 40 % du budget GES soutenable d'un Européen, selon GreenIT.fr en 2021. Ces émissions proviennent pour 54 % de la phase de fabrication des équipements[6].

Selon The Shift Project, la « surconsommation numérique » n'est ainsi ni soutenable, ni indispensable à la croissance économique, dont elle est décorrélée, ni compatible avec les engagements internationaux pris par la France et l’Union européenne, en particulier l'accord de Paris sur le climat (2015)[7]. L'association préconise donc de limiter les usages du numérique pour en réduire l'empreinte écologique[8].

La recherche de sobriété numérique n'est pas qu'un sujet informatique. Elle concerne aussi la stratégie et les finances de l'entreprise, et peuvent réduire les coûts et le risque de fraude[9].

Historique[modifier | modifier le code]

Bien que l'on n'employât pas à l'époque l'expression « sobriété numérique » pour la préparation du passage informatique à l'an 2000 — dans les années 1995 à 1999 —, la communauté informatique mondiale a déjà été amenée à concentrer ses efforts sur les systèmes critiques pour assurer la survie des organisations[réf. souhaitée].

En 2008, Frédéric Bordage, de l'association GreenIT.fr, définit l'expression « sobriété numérique »[10],[11].

En 2009, le concept est décliné en sobriété des centres de données (data centers en anglais) au Royaume-Uni [12].

En 2015, le philosophe Fabrice Flipo explique cette préoccupation dans son livre Énergie et développement durable : l’enjeu de l’équité et de la sobriété[13].

En 2017, le magazine Socialter publie un « manifeste pour une sobriété numérique »[14].

Le 4 octobre 2018, l'association française The Shift Project reprend la notion de sobriété numérique dans son rapport Lean ICT : Pour une sobriété numérique[15].

Le 11 juillet 2019, l'association française The Shift Project publie un rapport sur la sobriété numérique centré sur le streaming vidéo, intitulé Climat : l'insoutenable usage de la vidéo en ligne[16]. La même année, Frédéric Bordage estime que la sobriété numérique est nécessaire afin de réduire l'empreinte écologique. Il prône notamment le recours à la « low-tech » et la limitation des vidéos en streaming[17]. Son collectif GreenIT.fr publie également un rapport intitulé Empreinte environnementale du numérique mondial[18].

Le 16 janvier 2020, The Shift Project publie un rapport intermédiaire intitulé Déployer la sobriété numérique[19]. Quelques mois plus tard, George Kamiya, expert de l'Agence internationale de l'énergie, conteste les chiffres de The Shift Projet sur l'impact environnemental du streaming vidéo[20]. Le 15 juin 2020, The Shift Project reconnaît ses erreurs dans le calcul de l'impact du streaming vidéo, sans conséquence sur les résultats publiés dans ses rapports[21].

Le 15 octobre 2020, The Shift Project publie son troisième rapport, intitulé Déployer la sobriété numérique[22].

En 2021, GreenIT publie le rapport Le numérique en Europe : une approche des impacts environnementaux par l’analyse du cycle de vie.

En janvier 2022, l'Arcep et l'Ademe notent dans un rapport conjoint que « les réseaux ont une consommation très largement fixe et indépendante du trafic (plutôt fonction du degrés de couverture géographique). L’augmentation du trafic a donc pour effet de baisser l’impact environnemental par Go de données et peut augmenter l’impact environnemental total associé aux réseaux, mais pas de manière proportionnelle[23]. »

Rapport de 2018 du Shift Project[modifier | modifier le code]

En 2018, un rapport produit par The Shift Project, laboratoire d'idées français, formule plusieurs préconisations pour les grandes organisations[24],[25]. L'association recommande notamment de développer une pédagogie de la prise de conscience de l’impact environnemental du numérique ; d'adopter le concept de sobriété numérique comme principe d’action de la transformation numérique, notamment en matière d’usage de la vidéo, de contrôle des copies numériques, de renouvellement des équipements d’infrastructure et des terminaux, et de prise en compte du bilan carbone des projets numériques parmi les critères d’arbitrage ; ainsi que d'intégrer des critères énergétiques et environnementaux dans les appels d’offres des grands donneurs d’ordre.

Les experts de l'association affirment que l'impact environnemental de la transition numérique devient gérable si elle est plus sobre.

Réduction de l'empreinte environnementale du numérique[modifier | modifier le code]

Couramment appliquée dans tous les secteurs d'activité, la sobriété numérique ne vise pas l'élimination du numérique dans le quotidien, mais son utilisation responsable[26]. Le rapport Empreinte environnementale du numérique mondial, publié par GreenIT.fr en , préconise quatre principales mesures de réduction de l'empreinte environnementale du numérique[27] :

  • réduire le nombre d’objets connectés, en favorisant leur mutualisation et leur substitution, par l'ouverture de leurs APIs ;
  • réduire le nombre d’écrans, en les remplaçant par d’autres dispositifs d’affichage : lunettes de réalité augmentée / virtuelle, vidéo projecteurs LED, etc. ;
  • augmenter la durée de vie des équipements, en allongeant la durée de garantie légale, en favorisant le réemploi et en luttant contre certaines formules d’abonnement ;
  • réduire les besoins des services numériques et promouvoir leur écoconception.

L'entreprise de conseil Livosphere préconise quant à elle, en , une stratégie centrée sur deux axes[28]. Le premier axe consiste à mesurer son impact, en le mesurant grâce à des outils intégrés et accessibles aux salariés, et en se fixant des objectifs, qui s'appliquent en particulier aux achats et aux fournisseurs. Le second axe consiste à réduire son impact numérique en prolongeant la durée de vie du matériel, ce qui implique parfois de différer les mises à jour logicielles[29], à augmenter l'efficacité des serveurs de données (leur indicateur d'efficacité énergétique), à adopter la norme européenne ETSI TS 105 174-2[réf. à confirmer] sur le data centre energy management (DCEM) qui en corrige les défauts, à intégrer la production électrique renouvelable et la production d'énergie réutilisée, dont la chaleur par cogénération, ainsi qu'à réduire le stockage par des techniques de suppression, déduplication ou compression automatisée de fichiers et données.

Concernant l'intelligence artificielle, l'apprentissage par transfert évite d'entraîner à de nombreuses reprises des modèles de réseaux neuronaux ayant de larges jeux de données communs très consommateurs en énergie. L'entraînement d'un réseau neuronal générique si possible open source, affiné par de petits entraînements spécifiques, permet de réduire fortement la consommation énergétique et donc les émissions de CO2, en mutualisant une partie des apprentissages[30]. Le numérique est aussi un levier environnemental permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre en réduisant le nombre de déplacements inutiles (tournées pour remplir des distributeurs automatiques, vider des bornes de vêtements ou des conteneurs grâce à des capteurs connectés, maintenance à distance...). Il permet de réduire les gaspillages énergétiques en adaptant l'utilisation de l'éclairage et du chauffage selon la présence de personnes. Une vision globale de l'impact du numérique requiert donc d'évaluer l'ensemble de ses impacts positifs et négatifs.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. The Shift Project 2018, p. 59.
  2. Bordage et GreenIT.fr 2019, p. 9.
  3. Le CO2 n'est en effet que l'un des gaz à effet de serre.
  4. « Sobriété numérique: pourquoi et comment s’y prendre? », Metro, (consulté le ).
  5. (en) Charlotte Freitag, Mike Berners-Lee, Kelly Widdicks et Bran Knowles, « The real climate and transformative impact of ICT: A critique of estimates, trends, and regulations », Patterns, vol. 2, no 9,‎ (ISSN 2666-3899, PMID 34553177, PMCID PMC8441580, DOI 10.1016/j.patter.2021.100340, lire en ligne, consulté le ).
  6. Numérique : 40 % du budget GES soutenable d’un européen, Green IT, (résumé, lire en ligne).
  7. The Shift Project 2018, p. 59.
  8. Sylvain Rolland, « "La sobriété numérique nécessite de remettre en question nos usages" », La Tribune,‎ , p. 62 (lire en ligne Inscription nécessaire)
  9. Étienne Thierry-Aymé, « Plaidoyer pour une IT durable et une sobriété numérique en entreprise », Les Échos, 16 novembre 2021 (lire en ligne, consulté le 27 janvier 2024).
  10. Frédéric Bordage, Vers une généralisation de la taxe carbone
  11. Frédéric Bordage, « La société s’empare de la sobriété numérique », GreenIT.fr, 2018.
  12. Thierry Roch, Au Royaume-Uni, une loi invite à la sobriété des datacenters
  13. Fabrice Flipo, Énergie et développement durable : l’enjeu de l’équité et de la sobriété, in École d’été CNRS : Développement durable et transdisciplinarité : penser la transition énergétique, Clermont-Ferrand, 24/25 août 2015.
  14. « Manifeste pour une sobriété numérique. », sur socialter.fr (consulté le ).
  15. The Shift Project 2018.
  16. Maxime Efoui-Hess, Climat : l'insoutenable usage de la vidéo en ligne : Un cas pratique pour la sobriété numérique, The Shift Project, , 36 p. (présentation en ligne, lire en ligne [PDF]).
  17. « « Sobriété numérique », pour un emploi massif de la « low-tech » », La Croix,‎ (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le ).
  18. Bordage et GreenIT.fr 2019.
  19. Hugues Ferreboeuf (dir.), Déployer la sobriété numérique (rapport intermédiaire (v1)), The Shift Project, , 68 p. (présentation en ligne, lire en ligne [PDF]).
  20. George Kamiya, The carbon footprint of streaming video: fact-checking the headlines, Agence internationale de l'énergie, 11 décembre 2020.
  21. « Le Shift Project a-t-il vraiment surestimé l’empreinte carbone de la vidéo ? », sur The Shift Project, (consulté le ).
  22. The Shift Project 2020.
  23. Arcep et Ademe, Évaluation de l'impact environnemental du numérique en France et analyse prospective, , 17 p. (lire en ligne [PDF]).
  24. The Shift Project, « « Pour une sobriété numérique » : le nouveau rapport du Shift sur l’impact environnemental du numérique », sur theshiftproject.org, (consulté le )
  25. « Sobriété numérique : vers une prise de conscience collective ? », CIGREF, lire en ligne.
  26. « Fiche 2 : sobriété numérique et bonnes pratiques » Accès libre [PDF], sur Association québécoise des organismes de coopération internationale, (consulté le ).
  27. Bordage et GreenIT.fr 2019, p. 29.
  28. « Stratégie RSE : Sobriété numérique, Numérique, levier environnemental / Digital sustainability Vs Digital for Sustainability », sur Livosphere - Conseil Innovation : IA IoT, RSE Economie circulaire, (consulté le ).
  29. « Plaidoyer pour une IT durable et une sobriété numérique en entreprise », sur Les Échos, (consulté le ).
  30. « Numérique, levier pour l'environnement, la RSE, l'économie circulaire et Sobriété Numérique (5G, IA...) », sur Livosphere, (consulté le ).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Frédéric Bordage, Empreinte environnementale du numérique mondial, GreenIT.fr, , 40 p. (présentation en ligne, lire en ligne [PDF]). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Frédéric Bordage (préf. Isabelle Autissier (présidente de WWF France)), Sobriété numérique, les clés pour agir, Buchet/Chastel,
  • Éric Vidalenc, Pour une écologie numérique, Les Petits Matins,
  • Fabrice Filipo, L'impératif de la sobriété numérique, Éditions matériologiques, , 405 p. (ISBN 978-2-37361-258-5)
  • Pierre Boulet, S Bouveret, A Bugeau et al., Référentiel de connaissances pour un numérique éco-responsable. [Rapport de recherche], GDS CNRS EcoInfo, , 20 p. (HAL hal-02954188, lire en ligne)
  • Frédéric Bordage (ill. Marie Morelle), Tendre vers la sobriété numérique, Actes Sud, , 62 p. (ISBN 978-2-330-10928-8)
  • Sarah Descamps, Gaëtan Temperman et Bruno De Lièvre, « Vers une éducation à la sobriété numérique », Humanités numériques, no 5,‎ (lire en ligne)
  • Fabrice Flipo, « L’enjeu de la sobriété numérique : État des lieux en France », Sens public,‎ (lire en ligne)
  • " Vers la sobriété numérique : les bibliothèques en action ", Arabesques, avril-mai-juin 2023, n°109 (lire en ligne)

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

« * Sobriété numérique : vers une prise de conscience collective ? », Cigref, .