Culpabilité (émotion)

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Coupable d'avoir osé défier les dieux, Sisyphe fut condamné à faire rouler éternellement jusqu'en haut d'une colline un rocher qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet

La culpabilité est un sentiment causé par la transgression d'une norme morale[1]. Il s'agit d'un sentiment proche du concept du remords.

Dans la classification des émotions morales de Jonathan Haidt, la culpabilité fait partie des émotions auto-conscientes, celles permettant aux individus de réguler leurs actions[2]. L'embarras et la honte sont des sentiments proches de la culpabilité. La culpabilité s'en distingue car elle entraîne des remords, la volonté de réparer sa faute, s'accompagnant d’empathie envers les victimes[3]. Selon l'anthropologue Ruth Benedict, les cultures peuvent être classées en fonction de l'importance de l'utilisation de la honte ou de la culpabilité pour réguler socialement les activités de leurs membres.

Définition[modifier | modifier le code]

Selon le dictionnaire Larousse, le terme culpabilité est défini comme l'état d'une personne coupable, mais aussi comme un « sentiment de faute ressenti par un sujet, que celle-ci soit réelle ou imaginaire »[4].

Selon le CNTRL, le mot culpabilité est défini comme la « situation d'une personne coupable ou tenue pour coupable, ou qui se sent −à tort ou à raison− coupable d'avoir transgressé une règle. »[5].

Culpabilité, regret et remords[modifier | modifier le code]

Tableau "Les Remords d’Oreste" par W-A Bouguereau

Le remords, expression morale du regret, est généralement ressenti par une personne après avoir commis un acte qui a conduit à être honteux, blessant ou violent. Le remords est très proche de la culpabilité et d’un auto-ressentiment.

Le regret est lié au fait que la personne se reproche la manière dont elle a agi, ce qui peut être la cause du remords.

Étymologie[modifier | modifier le code]

Le mot culpabilité provient du latin « culpabilis », signifiant coupable et lui-même issu du terme « culpa » signifiant faute et apparenté au mot « scelus » signifiant crime[6].

Terme dérivé[modifier | modifier le code]

L'expression « battre sa coulpe » (coulpe signifiant « faute » ou « péché ») est également liée à cette étymologie[7].

Aspect psychologique[modifier | modifier le code]

La culpabilité est un facteur favorisant les symptômes du trouble obsessionnel compulsif[8]. La culpabilité et ses causes, mérites, et démérites associés sont des thèmes courants dans les domaines psychologiques et psychiatriques. Dans ces deux domaines, la culpabilité est caractérisée par un état émotionnel perçu chez un individu qui est persuadé, selon ses propres perceptions et croyances morales, avoir mal agi. Il s'agit d'un sentiment grandissant qui reste marqué la plupart du temps, causée par la « conscience ».

Psychanalyse[modifier | modifier le code]

Sigmund Freud décrit le sentiment de culpabilité dans sa seconde topique. Freud rejette le concept religieux de Dieu qui punirait toute mauvaise action en infligeant une maladie. Chez un patient, en tentant d'effacer la source de sa culpabilité, Freud remarque une seconde forme de culpabilité succédant à la première. Freud déduit « l'obstacle d'une culpabilité inconsciente... comme le plus puissant de tous les obstacles qui mènent vers la voie de la guérison[9]. » Le philosophe Martin Buber souligne la différence entre la notion freudienne, basée sur les conflits internes, et la « culpabilité existentielle », basée sur les blessures infligées aux autres[10].

Alice Miller explique que « de nombreuses personnes souffrent de ce sentiment oppressif de culpabilité dans leur vie, un sentiment de ne pas être devenu comme nos parents le voulaient... sans explication, ce sentiment de culpabilité peut s'accroître[11]. » La culpabilité est souvent associée à l'anxiété ; les patients maniaques, selon Otto Fenichel, réussissent à dévier leurs sentiments de culpabilité via « un mécanisme de défense qui ignore cette culpabilité à l'aide de la surcompensation... permettant au patient de ne pas ressentir la culpabilité[12]. » Fenichel souligne que « la maîtrise des sentiments de culpabilité peut devenir une tâche dévorante dans la vie d'une personne... « la contre-culpabilité »[13]. » De nombreuses techniques sont possibles, dont le refoulement.

Psychopathie et culpabilité[modifier | modifier le code]

Les individus psychopathes manquent de culpabilité et de remords pour les blessures et souffrances infligées aux autres. À la place, ils rationalisent leur comportement, accusent les autres, ou refusent d'admettre leurs fautes[14].

Pour les psychologues, il s'agit d'un mauvais raisonnement moral (comparé à la majeure partie de l'humanité), une incapacité à évaluer les situations d'un point de vue moral, et une incapacité à développer de l'empathie vis-à-vis des autres individus[15]. De plus, la sociopathie, ou plus communément trouble de la personnalité antisociale, présente également ce manque de culpabilité[16].

Aspects culturels[modifier | modifier le code]

Mythologie grecque et romaine[modifier | modifier le code]

La culpabilité des personnages (dieux, demi-dieux, héros et simples mortels) est un des thèmes récurrents de la mythologie gréco-romaine.

Les douze Travaux d'Hercule[modifier | modifier le code]

Dès sa conception, le personnage d'Hercule/Héraclès se base sur une faute, celle de Zeus qui prenant l'aspect du roi Amphitryon passe sa nuit avec Alcmène, son épouse. Il s'agit donc d'un double méfait commis par Zeus qui abusant de cette femme, trompe ainsi Héra. Héraclès portera, dès lors, durant toute sa vie de héros, le poids de cette faute et de la haine implacable d'Héra. À la suite d'un coup de folie, il tuera son épouse et ses propres enfants. Afin d'expier sa faute et conseillé par la Pythie, Hercule acceptera d'exécuter douze travaux considérés comme des exploits et imposés par Eurysthée.

Sisyphe[modifier | modifier le code]

Pour avoir osé défier les dieux, le très rusé Sisyphe qui trompa la mort, fut condamné, dans le Tartare, à faire rouler éternellement jusqu'en haut d'une colline un rocher qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet. Le châtiment éternel se présente ainsi à la hauteur de la culpabilité du fautif.

Prométhée[modifier | modifier le code]

Reconnu coupable par Zeus et les dieux de l'Olympe d'avoir volé le « feu sacré » pour le transmettre aux hommes, le titan Prométhée fut condamné à être attaché à un rocher sur le mont Caucase, son foie dévoré par l'Aigle du Caucase chaque jour, et renaissant la nuit.

Tableau "Pandora" de K-H Kennington

La boîte de Pandore[modifier | modifier le code]

Créature conçue par les dieux, mais non divine, elle-même, Pandore est la femme d'Épiméthée, le propre frère de Prométhée, offerte par Zeus, lui-même. Pandore apporta dans ses bagages une boîte mystérieuse que le père des dieux lui interdit d'ouvrir, mais la curiosité de la première fut la plus forte et elle ouvrit la boîte magique lançant ainsi sur l'humanité tous les maux de la Terre. Selon ce mythe, la faute d'une seule femme rejaillit ainsi sur l'ensemble des humains créant ainsi une notion de culpabilité sans limite.

Religion catholique[modifier | modifier le code]

Le péché originel et la chute[modifier | modifier le code]

Contenu dans la Bible (Livre de la Genèse), le péché originel (ou péché d'Adam) narre le récit d'une faute. Transgressant la Loi que Dieu leur avait imposée, Adam et Ève nés de la main même du créateur mangent tous deux le fameux fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal.

Le Confiteor[modifier | modifier le code]

Lors du Confiteor, prière liturgique, commune aux rites latins médiévaux et modernes, commençant par le verbe latin qui signifie : « Je reconnais, j'avoue ». Par cette formule, le fidèle se reconnaît pécheur.

C'est du Confiteor romain que vient l'expression courante « Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa » (« c'est ma faute, c'est ma faute, c'est ma très grande faute ») que le fidèle dit en se frappant la poitrine et qui lie le pécheur au sentiment de culpabilité. Leur chute entraînera l'Humanité dans la souffrance.

La culpabilité dans les arts[modifier | modifier le code]

Dans la peinture[modifier | modifier le code]

Tableau Silence de J-H Füssli

Le tableau Le silence de l'artiste-peintre et écrivain d'art britannique d'origine suisse Johann Heinrich Füssli est une huile sur toile peinte en 1799.

Cette œuvre représente une personne assise en tailleur vue de face, bien qu'on ne puisse pas discerner pas son visage caché par sa longue chevelure. Sa tête, tombante, enfoncée entre ses épaules, semble indiquer une grande détresse comme elle peut être ressentie lors d'un état dépressif et peut évoquer le sentiment de culpabilité.

Dans la littérature[modifier | modifier le code]

Ce roman narre les pérégrinations d'un jeune curé tiraillé par sa foi et son amour pour une jeune femme prénommé Albine.
Il s'agit du titre français d'un ouvrage du philosophe de Karl Jaspers paru en 1946 qui traite de la situation spirituelle de l'Allemagne après la Seconde Guerre mondiale et des notions de culpabilité et de responsabilité. Il est traduit en français en 1948 par Jeanne Hersch.

Au cinéma et à la télévision[modifier | modifier le code]

Films[modifier | modifier le code]

Rongé par la culpabilité de son crime, un pharmacien (interprété par Bernard Blier) d'une petite ville de province va tenter de sauver un homme faussement accusé du meurtre d'une jeune fille à sa place, puis, malgré l'opposition de ses amis notable finit par se livrer aux autorités.
La vie d'un écrivain bascule le jour où son épouse disparaît subitement. Après une année de recherches infructueuses, l'homme est rongé par le doute et la culpabilité et décide, tout de même de reconstruire sa vie.
Al, un homme très ambitieux, renverse un homme alors qu'il rentre d’une soirée à Paris et prend la fuite sans porter secours à l'homme grièvement blessé sur la chaussée. Après la mort de l'accidenté, Al tente des compensations financières avec de l'argent amassé irrégulièrement, ce qui lui fait perdre sa place de travail. Malgré la présence d'un témoin, il ne sera jamais dénoncé, il ne lui reste plus que son repentir.

Téléfilms[modifier | modifier le code]

Dans la bande dessinée[modifier | modifier le code]

La BD Heimat de Nora Krug (traduction : Emmanuelle Casse-Castric), éditions Gallimard (ISBN 978-207066315-6) narre les aventures de la jeune Nora qui, après avoir vécue douze années aux États-Unis, découvre la vérité sur l'holocauste.

Dans la chanson[modifier | modifier le code]

Coupable est une chanson de Jean-François Michael, sortie en 1973

Dans les manga et anime[modifier | modifier le code]

  • Dans le manga et l'anime L'attaque des Titans, le personnage de Reiner Braun souffre d'un syndrome post-traumatique et d'un fort sentiment de culpabilité à la suite des morts qu'il a provoqué sur l'Île du Paradis, l'amenant même à tenter de suicider d'une balle de fusil dans la bouche.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) "Guilt." Encyclopedia of Psychology. 2nd ed. Ed. Bonnie R. Strickland. Gale Group, Inc., 2001. eNotes.com. 2006. 31 décembre 2007.
  2. Quatre familles d'émotions morales La recherche 200§.
  3. La culpabilité, une émotion socialement utile Laurent Bègue 2012.
  4. Site Larousse.fr, page sur la définition du mot culpabilité, consultée le 23 décembre 2018
  5. Site du CNRTL, page sur la définition du mot culpabilité, consultée le 23 décembre 2018
  6. Site du Littré, étymologie du mot culpabilité, consultée le 23 décembre 2018
  7. Site Larousse.fr, page sur la définition du mot coulpe, consultée le 23 décembre 2018
  8. (en) Leslie J. Shapiro (LICSW), « Pathological guilt: A persistent yet overlooked treatment factor in obsessive-compulsive disorder — », sur Aacp.com (consulté le ).
  9. (en) Sigmund Freud, On Metapsychology (PFL 11)p. 390-1.
  10. (en) M Buber, « Guilt and guilt feelings », Psychiatry, vol. 20, no 2,‎ , p. 114–29 (PMID 13441838).
  11. (en) Alice Miller, The Drama of Being a Child (1995) p. 99-100.
  12. (en) Otto Fenichel, The Psychoanalytic Theory of Neurosis (Londres, 1946) p. 409-10.
  13. (en) Fenichelp. 496.
  14. (en) Morten Birket-Smith, Theodore Millon, Erik Simonsen et Roger E. Davis, Psychopathy: Antisocial, Criminal, and Violent Behavior, New York, The Guilford Press, (ISBN 1-57230-864-8), « 11. Psychopathy and the Five-Factor Model of Personality, Widiger and Lynam », p. 173–7.
  15. (en) RD Hare et CN Neumann, Handbook of Psychopathy, New York, The Guilford Press, (ISBN 1-59385-212-6), « The PCL-R Assessment of Psychopathy: Development, Structural Properties, and New Directions », p. 58–88.
  16. (en) Eric Berne, A Layman's Guide to Psychiatry and Psychoanalysis (Penguin 1976) p. 240.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

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