Dernier ancêtre commun aux chimpanzés et aux êtres humains

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Arbre évolutif des Hominini et des Gorillini depuis 10 millions d'années.

Le dernier ancêtre commun aux chimpanzés et aux êtres humains (DACCH) est le dernier ancêtre commun partagé par les genres d'Hominini existant actuellement, à savoir Homo (humains) et Pan (chimpanzés et bonobos). L'âge de cette population ancestrale reste discuté par les spécialistes, avec des estimations variant généralement entre 6 et 10 millions d'années.

Taxonomie[modifier | modifier le code]

Phylogénie des genres actuels d'hominidés, d'après Shoshani et al. (1996)[1] et Springer et al. (2012)[2] :

Hominidae 
 Ponginae 

 Pongo (Orang-outan)


 Homininae 
 Gorillini 

 Gorilla (Gorille)


 Hominini 
 Panina 

 Pan (Chimpanzé)


 Hominina 

 Homo (Homme)






Sur la base de leur proximité génétique, la tribu des Hominini rassemble les humains (genre Homo) et les chimpanzés (genre Pan). Les Hominini sont le groupe-frère des Gorillini, qui incluent les gorilles (genre Gorilla), à égale distance génétique des humains et des chimpanzés.

Pan et Homo représentent deux sous-tribus distinctes[3]. Homo et les genres fossiles bipèdes sont attribués à la sous-tribu des Hominina, tandis que Pan est attribué à la sous-tribu des Panina. Bernard Wood a donné en 2010 son point de vue sur cette taxonomie[4]. Wood et Richmond avaient proposé en 2000 une tribu des Panini, à partir de l'idée selon laquelle la sous-famille des Homininae serait composée d'une trifurcation de tribus[5].

Richard Wrangham avait avancé en 2001 que l'espèce du DACCH était très similaire au chimpanzé commun (Pan troglodytes), à tel point qu'elle devrait être classée comme membre du genre Pan et recevoir le nom taxonomique Pan prior[6].

Tous les genres d'Hominini qui sont apparus après la divergence avec Pan appartiennent à la sous-tribu des Hominina, y compris les genres Homo et Australopithecus. Ce groupe représente la lignée humaine et ses membres sont appelés hominines[7] (à ne pas confondre avec les homininés, qui correspondent à la sous-famille des Homininae).

Registre fossile[modifier | modifier le code]

Aucun fossile n'a encore été identifié de manière concluante comme étant le DACCH. Un candidat possible est Graecopithecus, daté de 7,2 millions d'années, trouvé en Grèce et en Bulgarie[8]. Cela placerait l'origine du DACCH en Europe au lieu de l'Afrique[9].

Sahelanthropus tchadensis, trouvé au Tchad et daté de 7 millions d'années, est attribué aux Hominina en raison de sa bipédie, de la réduction de ses canines, et de différents autres caractères morphologiques. C'est le plus ancien Hominina actuellement connu.

Ardipithecus est apparu il y a 5,8 millions d'années. Il présente une mosaïque de traits archaïques et dérivés qui incite certains auteurs, qui restent toutefois minoritaires, à le placer du côté des Panina plutôt que des Hominina[10],[11],[12]. Cependant, Sarmiento (2010), notant qu'Ardipithecus ne partage aucune caractéristique exclusive à l'homme et certaines de ses caractéristiques (celles du poignet et du basicrâne), a suggéré qu'il pourrait avoir divergé des Homininae africains avant la divergence entre les Hominini et les Gorillini[13].

Les premiers fossiles assez complets pour ne pas subir de contestations sur leur appartenance à la lignée humaine sont ceux du genre Australopithecus, dont Australopithecus anamensis, daté de 4,2 à 3,8 millions d'années, est le plus ancien représentant connu.

Très peu de fossiles de Panina ont été trouvés. Les plus anciens sont des dents, datées entre 545 000 et 284 000 ans par datation argon-argon, découvertes dans la vallée du Rift est-africain, au Kenya[14].

En raison de la rareté des fossiles anciens, Aurélien Mounier a présenté en 2016 une étude visant à créer un fossile virtuel en appliquant la morphométrie numérique et des algorithmes statistiques aux fossiles d'Hominina et de Pan. Il avait précédemment utilisé cette technique pour reconstituer le crâne du dernier ancêtre commun de l'Homme de Néandertal et d'Homo sapiens[15],[16].

Estimations d'âge[modifier | modifier le code]

Dans les études génétiques humaines, le DACCH est utile comme point d'ancrage pour calculer les taux de polymorphisme nucléotidique dans les populations humaines, où les chimpanzés sont utilisés comme groupe externe, c'est-à-dire comme l'espèce existante la plus génétiquement proche d'Homo sapiens.

Une estimation de TDACCH entre 10 et 13 millions d'années a été proposée en 1998[note 1] et une fourchette de 7 à 10 millions d'années est supposée par White et al. (2009) :

« In effect, there is now no a priori reason to presume that human-chimpanzee split times are especially recent, and the fossil evidence is now fully compatible with older chimpanzee–human divergence dates 7 to 10 Ma... »

— White et al. (2009), [18]

Certains chercheurs ont tenté d'estimer l'âge du DACCH (TDACCH) en utilisant des structures de biopolymères qui diffèrent légèrement entre des animaux étroitement apparentés. Parmi ces chercheurs, Allan C. Wilson et Vincent Sarich ont été des pionniers dans le développement de l'horloge moléculaire pour l'homme. Travaillant sur des séquences de protéines, ils ont finalement (1971) déterminé que les singes étaient plus proches des humains que certains paléontologues ne le pensaient sur la base des archives fossiles[note 2]. Plus tard, Vincent Sarich a conclu que le TDACCH n'avait pas plus de 8 millions d'années[20], avec une fourchette privilégiée entre 4 et 6 millions d'années avant le présent.

Cet âge paradigmatique est resté fidèle à l'anthropologie moléculaire jusqu'à la fin des années 1990. Depuis les années 1990, l'estimation a de nouveau été repoussée vers des temps plus éloignés, car des études ont trouvé des preuves d'un ralentissement de l'horloge moléculaire alors que les grands singes évoluaient à partir d'un ancêtre commun ressemblant à un singe avec les singes, et que les humains évoluaient à partir d'un ancêtre commun ressemblant à un grand singe avec les grands singes non humains[21].

Une étude de 2016 a analysé les transitions au niveau des sites CpG dans les séquences du génome, qui présentent un comportement plus semblable à une horloge que les autres substitutions, aboutissant à une estimation de l'époque de divergence entre l'homme et le chimpanzé de 12,1 millions d'années[22].

Spéciation par hybridation[modifier | modifier le code]

Une source de confusion dans la détermination de l'âge exact de la séparation Pan - Homo est la preuve d'un processus de spéciation plus complexe qu'une séparation nette entre les deux lignées. Différents chromosomes semblent s'être séparés à des moments différents, peut-être sur une période allant jusqu'à 4 millions d'années, indiquant un processus de spéciation long et prolongé avec des événements d'hybridation à grande échelle entre les deux lignées émergentes aussi récemment que 6,3 à 5,4 millions d'années, selon Patterson et al. (2006)[23].

La spéciation entre Pan et Homo s'est produite au cours des 9 derniers millions d'années. Ardipithecus est probablement issu de la lignée Pan au Messinien moyen[11],[12]. Après les divergences originelles, il y a eu, selon Patterson (2006), des périodes d'hybridation entre groupes de population et un processus d'alternance de divergence et d'hybridation qui a duré plusieurs millions d'années[23]. Quelque temps au cours de la fin du Miocène ou du début du Pliocène, les premiers membres du clade humain ont achevé une séparation définitive d'avec la lignée Pan, avec des estimations de dates allant de 13 à 4 millions d'années[23]. Cette dernière date et l'argument des événements d'hybridation sont rejetés par Wakeley[note 3].

L'hypothèse d'une hybridation tardive reposait notamment sur la similitude du chromosome X chez l'homme et le chimpanzé, suggérant une divergence aussi tardive qu'il y a 4 millions d'années. Cette conclusion a été rejetée comme injustifiée par Wakeley (2008), qui a suggéré des explications alternatives, notamment la pression de sélection sur le chromosome X dans les populations ancestrales du DACCH[note 3].

La spéciation complexe et le tri de lignées incomplet des séquences génétiques semblent également s'être produits dans la scission entre la lignée humaine et celle du gorille, indiquant que'une spéciation «désordonnée» est la règle plutôt que l'exception chez les grands primates[25],[26]. Un tel scénario expliquerait pourquoi l'âge de divergence entre Homo et Pan a varié avec la méthode choisie et pourquoi un seul point a jusqu'à présent été difficile à repérer.

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Based on a revision of the divergence of Hominoidea from Cercopithecoidea at more than 50 Mya (previously set at 30 Mya). "Consistent with the marked shift in the dating of the Cercopithecoidea/Hominoidea split, all hominoid divergences receive a much earlier dating. Thus the estimated date of the divergence between Pan (chimpanzee) and Homo is 10–13 MYBP and that between Gorilla and the Pan/Homo linage ≈17 MYBP."[17]
  2. "If man and old world monkeys last shared a common ancestor 30 million years ago, then man and African apes shared a common ancestor 5 million years ago..."[19]
  3. a et b "Patterson et al. suggest that the apparently short divergence time between humans and chimpanzees on the X chromosome is explained by a massive interspecific hybridization event in the ancestry of these two species. However, Patterson et al. do not statistically test their own null model of simple speciation before concluding that speciation was complex, and—even if the null model could be rejected—they do not consider other explanations of a short divergence time on the X chromosome. These include natural selection on the X chromosome in the common ancestor of humans and chimpanzees, changes in the ratio of male-to-female mutation rates over time, and less extreme divergence versions with gene flow. I, therefore, believe that their claim of hybridization is unwarranted."[24]

Références[modifier | modifier le code]

  1. (en) J. Shoshani, C. P. Groves, E. L. Simons et G. F. Gunnell, « Primate phylogeny : morphological vs. molecular results », Molecular Phylogenetics and Evolution, vol. 5, no 1,‎ , p. 102-54 (PMID 8673281, lire en ligne)
  2. (en) Mark S. Springer, Robert W. Meredith et al., « Macroevolutionary Dynamics and Historical Biogeography of Primate Diversification Inferred from a Species Supermatrix », PLoS ONE, vol. 7, no 11,‎ , e49521 (ISSN 1932-6203, PMID 23166696, PMCID 3500307, DOI 10.1371/journal.pone.0049521, lire en ligne)
  3. (en) Alan Mann et Mark Weiss, « Hominoid Phylogeny and Taxonomy: a consideration of the molecular and Fossil Evidence in an Historical Perspective », Molecular Phylogenetics and Evolution, vol. 5, no 1,‎ , p. 169–181 (PMID 8673284, DOI 10.1006/mpev.1996.0011)
  4. (en) Bernard Wood, « Reconstructing human evolution: Achievements, challenges, and opportunities », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 107,‎ , p. 8902–8909 (PMID 20445105, PMCID 3024019, DOI 10.1073/pnas.1001649107, Bibcode 2010PNAS..107.8902W)
  5. (en) Bernard Wood et Richmond, « Human evolution: taxonomy and paleobiology », Journal of Anatomy, vol. 197, no Pt 1,‎ , p. 19–60 (PMID 10999270, PMCID 1468107, DOI 10.1046/j.1469-7580.2000.19710019.x)
  6. "Out of the Pan, Into the Fire" in: Tree of Origin: What Primate Behavior Can Tell Us About Human Social Evolution, , 124–126 p. (ISBN 9780674010048, lire en ligne)
  7. Bradley, B. J., « Reconstructing Phylogenies and Phenotypes: A Molecular View of Human Evolution », Journal of Anatomy, vol. 212, no 4,‎ , p. 337–353 (PMID 18380860, PMCID 2409108, DOI 10.1111/j.1469-7580.2007.00840.x)
  8. (en) Fuss, Spassov, Begun et Böhme, « Potential hominin affinities of Graecopithecus from the Late Miocene of Europe », PLOS ONE, vol. 12, no 5,‎ , e0177127 (PMID 28531170, PMCID 5439669, DOI 10.1371/journal.pone.0177127, Bibcode 2017PLoSO..1277127F)
  9. (en) « Graecopithecus freybergi: Oldest Hominin Lived in Europe, not Africa », Sci.News,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  10. Wood et Harrison, « The evolutionary context of the first hominins », Nature, vol. 470, no 7334,‎ , p. 347–35 (PMID 21331035, DOI 10.1038/nature09709, Bibcode 2011Natur.470..347W, S2CID 4428052)
  11. a et b Wood et Harrison, « The evolutionary context of the first hominins », Nature, vol. 470, no 7334,‎ , p. 347–52 (PMID 21331035, DOI 10.1038/nature09709, Bibcode 2011Natur.470..347W, S2CID 4428052)
  12. a et b Milford H. Wolpoff, Human Evolution, (ISBN 978-0070718333)
  13. Sarmiento, « Comment on the Paleobiology and Classification of Ardipithecus ramidus », Science, vol. 328, no 5982,‎ , p. 1105; author reply 1105 (PMID 20508113, DOI 10.1126/science.1184148, Bibcode 2010Sci...328.1105S)
  14. (en) McBrearty, Sally et Nina G. Jablonski, « First fossil chimpanzee », Nature, vol. 437, no 7055,‎ , p. 105–108 (PMID 16136135, DOI 10.1038/nature04008, Bibcode 2005Natur.437..105M, S2CID 4423286)
  15. (en) « 'Virtual fossil' reveals last common ancestor of humans and Neanderthals »,
  16. Mounier et Mirazón Lahr, « Virtual ancestor reconstruction: Revealing the ancestor of modern humans and Neandertals », Journal of Human Evolution, vol. 91,‎ , p. 57–72 (PMID 26852813, DOI 10.1016/j.jhevol.2015.11.002, lire en ligne)
  17. Arnason U, Gullberg A, Janke A, « Molecular timing of primate divergences as estimated by two nonprimate calibration points », Journal of Molecular Evolution, vol. 47, no 6,‎ , p. 718–27 (PMID 9847414, DOI 10.1007/PL00006431, Bibcode 1998JMolE..47..718A, S2CID 22217997)
  18. White TD, Asfaw B, Beyene Y et al., « Ardipithecus ramidus and the paleobiology of early hominids », Science, vol. 326, no 5949,‎ , p. 75–86 (PMID 19810190, DOI 10.1126/science.1175802, Bibcode 2009Sci...326...75W, S2CID 20189444)
  19. Vincent Sarich et Allan Wilson, « Immunological Time Scale for Hominid Evolution », Science, vol. 158, no 3805,‎ , p. 1200–1203 (PMID 4964406, DOI 10.1126/science.158.3805.1200, Bibcode 1967Sci...158.1200S, S2CID 7349579)
  20. Phyllis Dolhinow et Vincent Sarich, Background for Man, Little, Brown & Co., (ISBN 9780512246967, lire en ligne), p. 76
  21. Venn, Turner, Mathieson et de Groot, « Strong male bias drives germline mutation in chimpanzees », Science, vol. 344,‎ , p. 1272–1275 (PMID 24926018, PMCID 4746749, DOI 10.1126/science.344.6189.1272, Bibcode 2014Sci...344.1272V)
  22. Moorjani, Amorim, Arndt et Przeworski, « Variation in the molecular clock of primates », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 113, no 38,‎ , p. 10607–10612 (ISSN 0027-8424, PMID 27601674, PMCID 5035889, DOI 10.1073/pnas.1600374113)
  23. a b et c « Genetic evidence for complex speciation of humans and chimpanzees », Nature, vol. 441, no 7097,‎ , p. 1103–8 (PMID 16710306, DOI 10.1038/nature04789, Bibcode 2006Natur.441.1103P, S2CID 2325560)
  24. Wakeley J, « Complex speciation of humans and chimpanzees », Nature, vol. 452, no 7184,‎ , E3–4 (PMID 18337768, DOI 10.1038/nature06805, Bibcode 2008Natur.452....3W, S2CID 4367089)
  25. « Insights into hominid evolution from the gorilla genome sequence », Nature, vol. 483, no 7388,‎ , p. 169–75 (PMID 22398555, PMCID 3303130, DOI 10.1038/nature10842, Bibcode 2012Natur.483..169S)
  26. Van Arsdale, « Go, go, Gorilla genome », The Pleistocene Scene – A.P. Van Arsdale Blog (consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]