Piraterie en Méditerranée antique
La piraterie en Méditerranée antique a une longue histoire documentée depuis l'Âge du bronze final mentionné dans L'Iliade et l'Odyssée. La piraterie naît probablement en même temps que la navigation et est intimement mêlée aux guerres maritimes.
Origines
Le monde méditerranéen a des côtes rocheuses favorables au développement de la piraterie. Les routes commerciales terrestres y sont peu nombreuses, étant donné les obstacles montagneux et les modestes rivières. Elles sont peu propices à l'agriculture et les villages côtiers vivent principalement de la pêche. Lorsque cette dernière est insuffisante pour subvenir à leurs besoins, les villageois réalisent des raids dans les territoires voisins ou pratiquent la piraterie sur les principales routes de commerce qui longent les côtes[1]. Des aléas climatiques et historiques peuvent aussi pousser des peuples entiers à se lancer sur la mer pour trouver ailleurs les ressources qui leur font défaut à leurs points de départ[2].
La piraterie à l'époque hellénistique
Les auteurs antiques grecs comme Homère ou Hérodote, aussi bien dans leurs récits historiques que mythologiques, écrivent sur cette période au cours de laquelle commerce, piraterie et navigation vont ensemble. D'ailleurs le mot « pirate » vient du latin pirata[3] (« celui qui tente la fortune, qui est entreprenant ») — attesté depuis Cicéron — et emprunté au grec πειρατής (peiratês) dérivé du verbe πειράω (peiráō) signifiant « tenter sa chance » qui est aussi à l'origine du nom « Pirée »[4]
Avant la guerre de Troie, après avoir ravagé Troie et tué son roi Laomédon, les Grecs menés par Héraclès échouent sur l'île de Cos où l'on dit que ses habitants, les Méropes, ont considéré Héraclès comme un pirate venant piller leur terre et lui ont jeté des pierres[5].
Les Phéniciens sont considérés tout à la fois comme des marchands et des pirates, et Ménélas explique l'origine de sa fortune par des pillages en règle[6].
La piraterie est endémique dans le monde grec antique. La période hellénistique ne fait pas exception. Les pirates les plus connus de la période sont en premier lieu les Étoliens qui instaurent une sorte de « piraterie d’état » ainsi que les Crétois mycéniens, dont la piraterie est attestée depuis l’époque archaïque.[7]
Afin de se protéger contre la piraterie, des îles égéennes mettent en place des dispositifs particuliers, comme des séries de tours de guet comme celles de la baie de Poro en Crète, implantées dans les parties les plus fertiles de l’île. Ces tours peuvent aussi servir de refuge pour les populations, et de fortins. Des feux et des fumées de différentes couleurs permettaient de prévenir les habitants avec une certaine précision du type de danger qui les menace[8].
La police des mers est l’apanage des cités dotées d’une flotte conséquente. La période hellénistique est marquée par des évolutions géopolitiques du monde grec. Autrefois Athènes, hégémonique sur la mer, s’occupait de chasser les pirates pour ses alliés. À l’époque hellénistique cette tache est plutôt dévolue à Rhodes, devenue plaque tournante du commerce. Cette dernière protège les cargaisons avec sa marine de guerre. De nombreuses cités tentent donc de préserver leur lien avec Rhodes.[9]
Vers 260 av. J.-C., on voit diverses cités grecques conclure des accords d'asylie avec la confédération étolienne pour échapper à la piraterie et au pillage. En Asie mineure, l'asylie est octroyée aux cités de fondation séleucide, pour protéger le sanctuaire et par extension la cité tout entière qui l'abritait ; c'était aussi un titre dans la course aux honneurs entre cités[10].
Les pirates pratiquent des raids non seulement en mer (grâce à leurs bateaux longs, ils s'attaquent facilement aux grands bateaux ronds marchands des naukleroi, les armateurs grecs) mais également sur terre, incitant de nombreuses cités à se fortifier ou s'installer à quelques kilomètres des côtes, telles les acropoles de Tirynthe, Mycènes, Argos, Lerne[11].
Les raids pirates sont définis dans les sources comme un véritable fléau. Une inscription de Téos datée du IIIe siècle atteste de vols d’or, d’argent, de vaisselle, de bijoux jusqu’aux vêtements précieux… Les pirates cherchent des butins peu encombrants et à forte valeur ajoutée. Ces derniers font également des prisonniers durant leurs pillages afin de les revendre par la suite, ce qui constitue une autre source d’argent pour les pirates et de crainte pour les habitants…[12]
La piraterie à l'époque égyptienne
Les Égyptiens de l'Antiquité sont victimes des Peuples de la mer (ou Peuples du Nord), groupes de différents peuples venus attaquer sans succès à au moins deux reprises la région du delta, sous les règnes de Mérenptah et de Ramsès III, à la fin du XIIIe siècle et au début du XIIe siècle, à la fin de l'Âge du bronze récent (période du Nouvel Empire)[6].
La piraterie à l'époque romaine
Jusqu'au Ier siècle av. J.-C., les pirates sont les principaux fournisseurs de Rome pour son marché aux esclaves et sont donc tolérés. Avec le développement de la piraterie qui n'hésite pas à piller des villes (notamment la Cilicie qui forme un véritable « État piratique », plusieurs villes de l'Empire romain concluant avec lui des traités bilatéraux pour leur éviter le pillage), comme en 67 av. J.-C. qui voit le port de Rome d'Ostie incendié et deux éminents sénateurs romains enlevés, Rome se met à les redouter tellement que Cicéron appelle les pirates Communis hostis omnium : « ennemis communs de tous »[13] qui n'hésitent pas à utiliser leurs captifs comme rançon, tel Jules César attaqué dans sa galère romaine à destination de Rhodes[14]. Des lois piratiques affichées dans des sanctuaires vers -102 mobilisent des généraux romains, tel Marc Antoine qui mène quelques expéditions mais trouve plus efficace de traiter avec les pirates pour réduire le nombre de Romains capturés. Le général Aulus Gabinius fait adopter la Lex Gabinia, qui donne à Pompée les pouvoirs extraordinaires pour lutter contre les pirates. Selon les historiens antiques, ce dernier débarrasse presque la Méditerranée des pirates, fait exécuter leurs chefs (décapitation, crucifixion) et décide de changer leur mode de vie, notamment en les installant pour repeupler certaines colonies en Péloponnèse[15].
La chute de l'Empire romain marque un renouveau des activités de piraterie dans la Méditerranée, qui a continué à se développer au Moyen Âge[6].
Voir aussi
Bibliographie
- Attar Frank, « Pompée et les pirates », in : L’Histoire, septembre 2009, N° 346, p. 38.
- Brulé Pierre. La piraterie crétoise hellénistique. Besançon : Université de Franche-Comté, 1978. 208 p. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 223)
- Garlan Yvon, « Signification historique de la piraterie grecque », in : Dialogues d’histoire ancienne, Vol. 4, 1978, pp. 1-16.
- Grandjean C. et alii, Le monde Hellénistique, Paris, A. Colin, 2008, chap.10
- Ormerod A. Henry, Piracy in the ancient world, an essay in mediterranean history, the Johns Hopkins university press, Baltimore, Maryland, 1997
Articles connexes
Liens externes
- La Piraterie dans l'Antiquité, J.M. Sestier, 1880. (Project Gutenberg)
- Écumeurs des Sept Mers, Un site spécialisé sur les pirates et corsaires de l'antiquité à nos jours
Notes et références
- (en) Henry Arderne Ormerod, Piracy in the ancient world : an essay in Mediterranean history, The Johns Hopkins University Press, , p. 15.
- Pierre Grandet, « Les peuples de la mer », dans Philippe de Souza et Pascal Arnaud (dir.), The Sea in History. The Ancient World/La mer dans l'Histoire. L'Antiquité, The Boydell Press, Woodbridge 2017, p. 175-186.
- Informations lexicographiques et étymologiques de « pirata » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales
- Alain Rey, « Pirate », in Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 2010, p. 1651b.
- Pseudo-Apollodore, Bibliothèque [détail des éditions] [lire en ligne], II, 7, 1.
- Maurice Sartre, « Les pirates dans l'Antiquité », émission Concordance des temps sur France Culture, 13 avril 2013.
- Catherine Grandjean, Geneviève Hoffmann, Laurent Capdetrey et Jean-Yves Carrez-Maratray, Le monde hellénistique, Armand Colin, (ISBN 978-2-200-35516-6, lire en ligne)
- « O. F. Robinson. <italic>The Criminal Law of Ancient Rome</italic>. Baltimore: Johns Hopkins University Press. 1995. Pp. x, 212. $40.00 », The American Historical Review, 1997-06-xx (ISSN 1937-5239, DOI 10.1086/ahr/102.3.792, lire en ligne, consulté le )
- Claude Orrieux et Pauline Schmitt-Pantel, Histoire grecque, Presses Universitaires de France, (ISBN 978-2-13-062569-8, lire en ligne)
- (en) Kent J. Rigsby, Asylia. Territorial inviolability in the Hellenic World, Berkeley, University of California Press, 1996.
- (en) Ellen Churchill Semple, « Pirate Coasts of the Mediterranean Sea », Geographical Review, vol. 2, no 2, , p. 136.
- Pierre Brulé, « La piraterie crétoise hellénistique », Annales littéraires de l'Université de Besançon, (ISSN 0523-0535, DOI 10.3406/ista.1978.1015, lire en ligne, consulté le )
- Cicéron, Œuvres complètes de Ciceron, Crapelet, (lire en ligne)
- Robert de La Croix, Histoire de la piraterie, Ancre de Marine Éditions, (ISBN 9782905970992, Histoire de la piraterie sur Google Livres), p. 18.
- (en) BjØrn MØller, « Piracy, Maritime Terrorism and Naval Strategy », Danish Institute for International Studies, , p. 11.
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Ancient Mediterranean piracy » (voir la liste des auteurs).