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Sylvothérapie

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Promeneurs dans le parc Futatabi de Kobe au Japon.
Dans les forêts de l'île de Yakushima, des expérimentations scientifiques sur les « bains de forêt » sont menées par Yoshifumi Miyazaki depuis 1990[1].
L'île de Yakushima, située au sud du Japon et presque entièrement enforestée, classée parc national, zone Ramsar et réserve de biosphère est caractérisée par des forêts à haut degré de naturalité.

La sylvothérapie repose sur l'idée qu'être dans une forêt ou à proximité d'arbres a un effet bénéfique pour le bien-être et la santé. Elle s'appuie sur les faits observés par des chercheurs de différentes disciplines (psychologie environnementale, neurobiologie notamment) comme quoi les environnements naturels, et particulièrement les arbres, ont un effet positif sur le cerveau[2]. À cette réalité s'ajoutent d'autres d'hypothèses, certaines avérées (ex. : effet de certaines essences volatiles émises par les arbres (phytoncides)), certaines demandant encore à être confirmées (effets positifs sur le système immunitaire), d'autres relevant des pseudo-médecines, comme la thérapie énergétique. Au début du XXe siècle, la sylvothérapie consistait à installer des convalescents ou malades (notamment des victimes de maladies pulmonaires) dans des forêts de résineux. Cette pratique s'est étendue désormais aux personnes en bonne santé qui réalisent des promenades dans des environnements forestiers en prêtant une grande attention à éveiller tous leurs sens[3],[4].
Certains ajoutent à cette pratique de base, des approches plus proches de l'herboristerie, de l'ethnobotanique (consommation de plantes sauvages), ou de la gemmothérapie (usage thérapeutiques des bourgeons).

Historique

La médecine antique attribuait déjà des vertus curatives aux arbres. Pline l'Ancien tient pour certain « que l'odeur de la forêt où l'on recueille la poix et la résine est extrêmement salutaire aux phtisiques et à ceux qui, après une longue maladie, ont de la peine à se rétablir[5] ».

Au Moyen-Âge, les terpénoïdes présents dans l'atmosphère forestière notamment des conifères, sous forme d'oléorésines (ces métabolites secondaires qui se retrouvent dans le camphre et la térébenthine, sont des défenses chimiques des plantes contre les herbivores) contribuent à soigner concrètement les corps malades dans les familles (effet analgésique, sédatif, bronchodilatateur, antitussif, anti-inflammatoire, antibiotique et relaxant)[5].

Des cures sylvatiques sont développées dans certains pays depuis plusieurs siècles, et plus particulièrement au XIXe et au début du XXe siècle pour les tuberculeux en forêts tempérées ou nordiques. Des sanatoriums (et leur solarium) et divers types de centres de cures sont installés dans des environnements forestiers ou en bordure de lac où le programme thérapeutique implique de longues promenades dans les forêts de pins[6]. Certains fonctionnent encore.

En 1982, l'Agence forestière du Japon (ja) propose pour la première fois d'intégrer le Shinrin-yoku (森林浴[7]) dans les préconisations d'une bonne hygiène de vie[8].

Il faut attendre 1985 en France pour qu'un ingénieur des eaux et forêts, Georges Plaisance, publie un livre sur ce sujet : Forêt et santé[9].

En 2012, le Dr Qing Li et plusieurs de ses collègues fondent une nouvelle discipline appelée « sylvothérapie » (forest medicine)[10], science interdisciplinaire « qui rentre dans les catégories des médecines alternative, environnementale et préventive, et qui recouvre les effets des milieux forestiers sur la santé humaine[8] ».

Au Japon en 2020, « il existe 65 bases de thérapies forestières certifiées par l'association japonaise Forest Therapy Society (森林セラピーソサエティー) qui est aussi l'organisme certificateur des guides de thérapie forestière et des thérapeutes de forêt, avec des postes de contrôles médicaux, sous la supervision de l'université de Chiba et de la Nippon Medical School (en) de Tokyo. Pour la seule année 2012, on a recensé jusqu'à 5 millions de visiteurs pratiquant les parcours de thérapie forestière »[11].

Selon Miyazaki Yoshifumi, en 2018, les effets de variantes de contact avec des éléments naturels étaient aussi en cours d'études au Japon telles que l’observation du ciel nocturne, des nuages, des cascades, les jeux d'eau ou de concerts donnés en forêt[12], de même pour la durée de contact (15 min de shinrin-yoku) ou pour les effets selon l'heure de la journée[12].

Principes

Effet tranquillisant

Le Forestry and Forest Products Research Institute, au Japon, démontre dans une étude que le sang de personnes ayant marché dans les bois contient un taux de cortisol beaucoup plus bas que celui de personnes ayant couvert la même distance en ville[13]. Or cette hormone est considérée comme une des principales hormones de stress. De plus, les chercheurs ont également mesuré une activité plus faible de la zone préfrontale du cerveau[13], signe d'un état de relaxation avancé. La tonalité verte de l'environnement semble favoriser la guérison. Roger Ulrich, qui étudie le comportement humain à l'université Texas A&M, note que les patients guérissent plus vite quand leur chambre donne sur un espace vert : ils ont moins besoin d'analgésiques et souffrent moins de nausées. La présence de grandes plantes vertes semble aussi avoir un effet déstressant, et certaines se sont montrées en laboratoire très efficaces pour adsorber ou décomposer de nombreux polluants urbains ou de l'air intérieur, cf. programme Phyt'air, à titre d'exemple ; mais l'ADEME considère que l'argument « plantes dépolluantes » n'est pas validé scientifiquement au regard des niveaux de pollution généralement rencontrés dans les habitations et des nouvelles connaissances scientifiques dans le domaine[14].

Qualité de l'air

Les bénéfices de la sylvothérapie sur la qualité de l'air respiré sont non-démontrés et dépendent du lieu choisi.

La rosée, les mousses et les lichens fixent rapidement et efficacement les aérosols et particules en suspension dans l'air forestier mais certains des spores de champignons - parfois nombreux dans les parties ombreuses et humides riche en matières en décomposition - peuvent être allergènes.
Après l'avènement de l'hygiénisme, notamment inspiré par Pasteur, diverses mesures citées par Georges Plaisance ont comparé différents airs et montré que l'air forestier contenait bien moins de microbes que l'air urbain (50 microbes par mètre cube d'air en forêt littorale, contre 1 000 dans le parc Montsouris de Paris, 88 000 sur les Champs-Élysées, 575 000 sur les grands boulevards et 4 000 000 dans les grands magasins à Paris selon Georges Plaisance[15]).

L'air forestier peut être naturellement enrichi en huiles essentielles (ex. : terpènes) et en phytoncides (molécules antibiotiques naturellement sécrétées par les arbres pour se défendre contre leurs pathogènes). Le cèdre en Orient, le pin en Europe ou le sapin baumier en Amérique du Nord ont depuis longtemps la réputation d'être bons pour la santé de ceux qui en respirent les effluves.

Les scientifiques de la Nippon Medical School (en) mènent depuis de années des recherches sur la sylvothérapie. Le Dr Qing Li aurait ainsi démontré d'autres bienfaits sur la santé de simples promenades en forêt : accroissement d'indicateurs de la vitalité, renforcement de l'immunité[16],[17].

Évaluation scientifique

Doutes et preuves insuffisantes, risques potentiels ?

En 2018, Le Figaro a relayé des avis considérant que la sylvothérapie est - ou pourrait être - une « nouvelle escroquerie médicale » en raison notamment du faible nombre de sujets suivis lors des premières études[18] ; selon eux, l'activité physique et la détente induite par la promenade expliquerait ces effets positifs plutôt que le milieu lui-même. Certains estiment que le sujet a une forte dimension culturelle au Japon, pas nécessairement reproductible ailleurs. D'autres mettent même en garde vis-à-vis de risques éventuels dans certaine parties du globe pour ceux qui la pratiquent comme par exemple la maladie de Lyme [19] ou encore, à la suite de l'exposition à une mousse du genre Frullania en prenant des arbres dans ses bras, à s'exposer à des démangeaisons pouvant s'étendre sur le corps (« maladie des bûcherons »). Divers lichens provoquent des allergies[réf. souhaitée]. L'écorce du mancenillier est toxique et source de brûlures. Enfin, certaines espèces animales dangereuses pour l'humain vivent dans les arbres (chenilles urticantes, frelons, serpents…)[19].

Promoteur de cette thérapie, Georges Plaisance précise lui-même que la cure sylvatique peut être un adjuvant à une autre cure ou une post-cure, et est surtout une médecine préventive dans un contexte de pollution de l'air qui affecte les zones urbaines et industrielles[20].

Études concluantes

En 2018, des études principalement réalisées au Japon (autour de l'immunologiste Qing Li notamment, avec le shinrin yoku), mais également en Corée ou en Chine[21], concluent au contraire que la sylvothérapie a plusieurs aspects bénéfiques, dont des effets notables sur la santé mentale et cardiovasculaire, sur la glycémie et le système immunitaire[22] ou encore sur le stress[23]. Une partie de ce courant intègre aussi la forêt comme source d'aliments[24] (du gibier aux végétaux en passant par les champignons) ou de suppléments nutritionnels[24] (sève, écorces, bourgeons, feuilles, pollen, nœuds du bois…) et s'est développé autour des thèmes de la forêt-jardin et de la forêt comestible.

La Revue forestière française et la revue Santé publique ont coproduit en 2019 un numéro spécial sur le sujet, appuyé sur des revues de la littérature scientifique (études asiatiques souvent et principalement publiées au Japon)[25],[26]. Cette synthèse montre une certaine influence des bains de forêt et de la respiration de phytoncides, composés organiques volatils antimicrobiens (terpénoïdes, pinènes, bornéol, linalol, limonènes …) émis dans l'air par les arbres, sur la santé, le bien-être physique (système immunitaire, cardiovasculaire, hormones…) et/ou mental (humeur, stress…). Au Royaume-Uni, l’administration écossaise des forêts a été pionnière pour la prise en compte des effets des immersions en forêt sur la santé[24].

Des études écoépidémiologiques ont porté sur les boisements urbains et périurbains, montrant que les espaces verts et la forêt ont un impact positif sur la santé, la santé mentale et le développement cognitif, notamment chez les jeunes habitant en ville et zones résidentielles, mais le cas particulier des adolescents n’avait pas été finement étudié. Depuis, une étude anglaise basée sur 3 568 enfants de 9 à 15 ans suivis durant 4 ans (2014-2018), scolarisés dans 31 écoles autour de Londres a été publiée en 2021[27] Les auteurs ont cartographié les espaces « bleus » (cours d'eau, lacs, mer) et les espaces verts (bois, prairies/gazons et parcs urbains, en différentiant les espaces ouverts de type prairie/gazon, et fermés, de type boisement)[27]. Puis ils ont calculé le taux de contact quotidien de chaque adolescent à chacun de ces environnement dans un rayon de 50 m, 100 m, 250 m et 500 m de leur domicile et de leur école. Un test de développement cognitif, de santé mentale, et de bien-être psychologique et social a été effectué en début et fin de l’étude pour chaque enfant[27]. Après ajustement des résultats pour d'autres variables, les milieux boisés (mais pas les prairies/gazons) apparaissent comme étant l'écosystème le plus favorable pour la santé. Les jeunes les plus exposés quotidiennement aux forêts affichent des scores plus élevés pour le développement cognitif et ont un risque inférieur de 16 % de développer des problèmes émotionnels et comportementaux deux ans plus tard. Un effet similaire mais plus faible est observé pour les espaces verts, avec des scores plus élevés pour le développement cognitif, mais cela n'a pas été observé pour les espaces bleus. Les mécanismes expliquant ces différences ne sont pas encore clairement compris[27].
L'étude présente quelques limites : elle n’a pas pris en compte les environnements naturels plus éloignés que 500 m de la résidence et de l’école or ils pourraient peut-être également avoir un effet favorable sur les enfants ou adolescents si ceux-ci y ont un accès assez fréquent et/ou long[28]. De même, en raison du contexte écopaysager de la zone étudiée (région de Londres), l'accès à l'« espace bleu » dans la cohorte étudiée est généralement faible[28].

Notes et références

  1. (ja) « 森林浴の効果を科学する:千葉大学の宮崎良文教授 (Science des effets des bains de forêt : Professeur Yoshifumi Miyazaki) », sur nippon.com,‎ (consulté le )
  2. Cerveau et Psycho, no 110 « Comment la nature fait du bien à notre cerveau », mai 2019 (ISSN 1639-6936) [lire en ligne].
  3. Defossez JM, Sylvothérapie, le pouvoir bienfaisant des arbres. Jouvence. 2018.
  4. Laurence Monce, InterEditions, 2018, p. 7
  5. a et b Serge Bahuchet, L'homme et la forêt tropicale, éditions de Bergier, , p. 195
  6. Marie-Dominique Ribeyreau-Gayon, « Des puanteurs méphitiques au doux parfum de l'or », Odeurs et parfums, sous la direction de D. Musset et C. Fabre-Vassas, p. 47
  7. Terme inventé en 1982 par cette agence du ministère japonais de l'Agriculture, des Forêts et de la Pêche.
  8. a et b Qing Li, « Effets des forêts et des bains de forêt (shinrin-yoku) sur la santé humaine : Une revue de la littérature », Revue forestière française, nos 2-3-4,‎ , p. 273
  9. Eric Brisbare, Un bain de forêt, Marabout, , p. 36
  10. LI Q., 2012. Forest Medicine. In: LI Q., ed. Forest Medicine. Nova Science PubLIsHErs, Inc., NY. 316 p.
  11. Ernst Zürcher, Les arbres, entre visible et invisible, Actes Sud Nature, , p. 156.
  12. a et b « Miyazaki Yoshifumi explore le pouvoir de guérison de la forêt, le « shinrin-yoku » », sur nippon.com, (consulté le )
  13. a et b (en) Park BJ, Tsunetsugu Y, Kasetani T, Hirano H, Kagawa T, Sato M, Miyazaki Y, « Physiological effects of Shinrin-yoku (taking in the atmosphere of the forest)--using salivary cortisol and cerebral activity as indicators », J Physiol Anthropol, vol. 26, no 2,‎ , p. 123-8. (PMID 17435354, lire en ligne [PDF]) modifier
  14. « Plantes et épuration de l'air intérieur – ADEME », sur ADEME (consulté le ).
  15. G Plaisance, né à Vesoul, mort à Dijon en 1998 était ancien élève de l’Institut agronomique de Paris, de l’École nationale des eaux et forêts de Nancy et docteur-ingénieur en écologie à la faculté des sciences de Dijon. il a notamment écrit un ouvrage évoquant largement la sylvothérapie, dans lequel il cite des analyses de l'air faites dans différents types d'environnement
  16. (en) Li Q, Morimoto K, Kobayashi M, Inagaki H, Katsumata M, Hirata Y, Hirata K, Suzuki H, Li YJ, Wakayama Y, Kawada T, Park BJ, Ohira T, Matsui N, Kagawa T, Miyazaki Y, Krensky AM, « Visiting a forest, but not a city, increases human natural killer activity and expression of anti-cancer proteins », Int J Immunopathol Pharmacol, vol. 21, no 1,‎ , p. 117-27. (PMID 18336737) modifier
  17. (en) Li Q, « Effect of forest bathing trips on human immune function », Environ Health Prev Med, vol. 15, no 1,‎ , p. 9-17. (PMID 19568839, PMCID PMC2793341, DOI 10.1007/s12199-008-0068-3) modifier
  18. « Faire des câlins aux arbres, une nouvelle escroquerie «médicale» », sur sante.lefigaro.fr, (consulté le )
  19. a et b Olivier Hertel, « Sylvothérapie : câliner un arbre peut être dangereux », Sciences et Avenir,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  20. Georges Plaisance, La forêt française, Denoël, , p. 157
  21. Claire Dhouailly, « La sylvothérapie nettoie l’esprit des pensées stressantes », sur Le Monde, (consulté le )
  22. Marie-Céline Ray, « Sylvothérapie : 4 bonnes raisons d'essayer un « bain de forêt » », sur Futura-Sciences, (consulté le )
  23. « La forêt, espace vital de bien-être ! Les forêts comme thérapies anti-stress », sur Office national des forêts (consulté le )
  24. a b et c « Forêts et santé publique » (RFF n° 2-3-4/2018), co-publié par la Revue forestière française et Santé publique, au printemps 2019
  25. Li, Q. (2019). Effets des forêts et des bains de forêt (shinrin-yoku) sur la santé humaine: une revue de la littérature. Sante Publique, 1(HS), 135-143.
  26. Meyer-Schulz, K., & Bürger-Arndt, R. (2019) Les effets de la forêt sur la santé physique et mentale. Une revue de la littérature scientifique. Sante Publique, 1(HS), 115-134.
  27. a b c et d (en) Mikaël J. A. Maes, Monica Pirani, Elizabeth R. Booth et Chen Shen, « Benefit of woodland and other natural environments for adolescents’ cognition and mental health », Nature Sustainability,‎ (ISSN 2398-9629, DOI 10.1038/s41893-021-00751-1, lire en ligne, consulté le )
  28. a et b Luc Ruidant, « Vivre près d'une forêt est bénéfique pour la santé mentale des jeunes », sur Site-UpdateSpecialiste-FR, (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Marie Defossez, Sylvothérapie. Le pouvoir bienfaisant des arbres, Jouvence, , 160 p. (lire en ligne).
  • Laurence Monce, Découvrir la sylvothérapie, InterEditions, , 176 p. (lire en ligne).

Articles connexes

Liens externes