Pays de Yam

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Paysage actuel des Monts Ouenat où a été trouvée une inscription mentionnant le Yam et le « Tekhe-bet ».

Le pays dont le nom est par défaut transcrit Yam ou Iam est un royaume[Y 1] antique jouxtant au sud-ouest l'Égypte pharaonique.

Son étendue le long de pistes caravanières s'étirant sur plusieurs centaines de kilomètres fait encore l'objet de spéculations. C'est par son intermédiaire que les pharaons entretiennent à partir de la VIe dynastie, soit aux environs de -2200, un commerce avec les régions restées inconnues de l'Afrique noire. C'est en particulier au Yam que le nomarque Hirkhouf, prince marchand[1] d'Éléphantine, qui est la ville la plus méridionale de l'Ancien Empire, découvre un corps de ballet animé par des pygmées[2] capturés dans l'intérieur du continent, semblables à un homme amené du Pount à la cour du pharaon Isési cent cinquante ans plus tôt[3].

Sources épigraphiques[modifier | modifier le code]

L'épigraphie continue de révéler au gré des campagnes de fouilles de nouvelles citations difficiles à interpréter, soit parce que des hiéroglyphes ont été altérés[4] soit parce que l'orthographe[5] ou le sens ont varié. Une difficulté supplémentaire dans l'interprétation de ces citations vient en particulier de la signification raciste attachée à la désignation des habitants du sud de l'Égypte, de sorte que cette désignation semble renvoyer, dans un mélange de crainte et de fascination baignant dans un esprit de magie, tantôt aux habitants en tant que tels tantôt aux « négros »[6]. Le plus souvent, ce sont des indications géographiques écrites dans le cadre d'éloge funèbre ou bien inversement des malédictions incantatoires prononcées à l'occasion de rituels magiques contre des Yamites.

Intérieur de la tombe de Hirkhouf où a été découvert le principal texte évoquant le Yam, la citation d'une lettre du pharaon Pépi II fasciné par les pygmées.

Variations orthographiques[modifier | modifier le code]

Iam dans la tombe d'Hirkhouf
imAM1mxAst
'imȜr(m)
Variante de la tombe d'Ouni
iG1M1m
'iȜr(m)

La lecture Yam, transcrite 'iȜm, ou Yma, transcrite 'imȜ, où Ȝ traduit une voyelle variable, est conventionnelle[C 1] mais simplificatrice. Les hiéroglyphes se lisent Ỉ (la feuille de palme), qui est un yod polyvalent[15], Ma (l'araire), rr roulé (l'arbre)[16], M final redondant (la chouette) sans valeur phonétique certaine. Le signe des collines à trois sommets qui termine le nom est un déterminatif qui indique qu'il s'agit d'un toponyme[C 2] et ne se prononce pas. Le syllabisme de l'égyptien ancien et son écriture idéogrammique ne permet pas d'être certain de la vocalisation à adopter[17]. L'inscription de la tombe d'Ouni[Y 2] substitue au hiéroglyphe de l'araire celui du percnoptère, qui note un a (comme dans Cléopâtre).

Iam sur la stelle 2540
iA1mAm
'iʔmȜr(m)

La stèle rupestre de Bouhen 2540 ajoute après la palme un hiéroglyphe qui indique un arrêt glottal[C 1] et celui de l'arbre a disparu. En suivant littéralement le consonantisme de l'écriture, on restitue difficilement à travers plusieurs transcriptions hiéroglyphiques approchantes la prononciation entendue par une oreille égyptienne d'un mot de la langue saharienne[18] ou couchitique[16] primitive qui a pu connaître des variations grammaticales ou dialectales ainsi que des altérations selon les traducteurs et les époques :

En optant pour telle ou telle vocalisation de et de Ȝ, on obtient un schéma consonantique qui pouvait être [ʔ mr], [ʔ rm] ou [jmr][C 3], auquel s'ajoute constamment un m final peut être muet.

Variations sémantiques[modifier | modifier le code]

Campement de tentes
imAM1mO1
imȜr(m) (pr)
Pays de l'arbre
imAM1xAst
'imȜr / 'iȜmr

Ce toponyme se prête à des jeux de mots. Si son orthographe est différente, il se prononce de la même manière que le mot qui signifie campement[C 2]. Les trois premiers hiéroglyphes signifient ensemble arbre[C 2], de sorte qu'avec son déterminatif final et le hiéroglyphe de la chouette, la désignation peut se comprendre comme signifiant Pays de l'arbre M.

Les Égyptiens appelaient « arbre de Yam »[19] la Capparacée Maerua crassifolia[20], espèce alors connue d'eux pour être répandue dans les oasis du désert Libyque[19] habités par les « Neuf Arcs »[21], leurs ennemis occidentaux[22].

Avec le temps, Yam, comme Pount, a pu désigner moins le royaume délimité découvert du temps d'Hirkhouf qu'une sorte de pays des merveilles[23].

Étymologie[modifier | modifier le code]

L'imprécision et la pauvreté des sources n'ont pas arrêté les aventuriers de l'étymologie. Ils ont cherché, chacun avec force astuce, dans des langues autrefois présentes sur un territoire du Yam lui-même indéterminé. L'hypothèse d'une origine dans la vallée nubienne oriente vers une étymologie qui a sa source dans le couchitique ancien[24]. Celle d'une extension aux oasis du désert Libyque conduit au saharien originel[25].

Dans les deux cas, ont été retenus, à l'instar des Sao « peuple des kraals »[26], un étymon relatif à une construction civilisatrice ou un pôle d'habitation  :

Or le même radical se retrouve dans le nom du royaume de Kerma, retenu par certains comme localisation du Yam[29], dans la vallée nubienne, et dans le nom de Kerma dans le désert Libyque, capitale des ancêtres des Toubous, les Garamantes, dont les routes caravanières entre Ennedi et vallée du Nil remontent à l'Holocène[30]. Ces deux toponymes, très postérieurs aux premières inscriptions relatives aux « 'Ymer », illustrent les limites auxquelles se heurte l'étymologie dans le cas d'emprunts de noms propres faits à une langue par une autre[31].

Localisation[modifier | modifier le code]

Principaux sites historiques nubiens et cataractes sur la vallée actuelle du Nil.
Le Yam se serait situé à hauteur des récents lacs de Toshka[Y 3] et étendu peut être plus de mille deux cents kilomètres vers l'ouest, jusqu'à l'Ennedi[C 4], le long de pistes caravanières[Y 4].

Ennemi méridional des Libyens Tjemehou[Y 5], le royaume de Yam s'étendait à l'ouest[Y 5] de cette portion de la vallée du Nil au-delà de la première cataracte qui deviendra, six cents ans après la première exploration égyptienne, soit vers -1520, le vice-royaume de Koush. C'est le pendant occidental du tout aussi mystérieux pays de Pount[C 5] mais il n'est pas exclu qu'il eût son centre sur la vallée même[C 6] en amont des royaumes de Ouaouat, de Zaw et de Irt[Y 3], qui, sous le règne d'un unique souverain[Y 3], s'étiraient dans la basse Nubie respectivement de la première[32] à la seconde cataracte[33] jusqu'au comptoir thinite de Bouhen, ce qui le situerait dans la région de Kerma[34].

Le pays, gouverné par un roi[Y 1], est accessible au terme d'un voyage de plus de quatre mois[Y 2], durée indéterminée du séjour incluse, par une route traversant le désert et passant par une oasis[Y 5]. Son étendue à travers le désert Libyque reste imprécise mais une inscription trouvée à Ouenat[C 7], trop à l'ouest de la vallée du Nil pour n'être qu'un comptoir égyptien[C 8], indique qu'il incluait cette oasis[C 8], qui était peuplée par les Toubous jusqu'avant guerre[25] et qui fait aujourd'hui la frontière entre Libye et Soudan.

Cette extension occidentale[C 9] est à mettre en regard des migrations que l'assèchement croissant de la région a provoquées[C 10] et du maintien à travers le désert d'un commerce caravanier préhistorique[Y 4].

Commerce avec le cœur du continent[modifier | modifier le code]

Ce commerce caravanier préhistorique transportait dès avant -3000[35] de l'obsidienne[36], une variété d'ébène[37], de l'oliban[38] mêlée[39] à l'encens[9], de l'or, de l'ivoire, des cannes de raphia, de l'huile de palme, des panthères ou léopards[36]. Toutes ces choses sont produites en Afrique tropicale[37] et sahélienne[40], mais aussi jusqu'à l'époque historique au Kongo et au Loango ou bien encore au Fombina et en Guinée.

Le Yam[9], comme le Pount[41] depuis la plus haute antiquité[42] et comme les caravanes du Darfour[Y 4] jusqu'au XIXe siècle[43], en approvisionnait donc l'Égypte en partie en tant que zone de production mais principalement en tant qu'ultime intermédiaire[Y 4],[C 11].

Bibliographie[modifier | modifier le code]

En relation

Références[modifier | modifier le code]

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  2. a et b p. 173
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  2. a b et c p. 4
  3. p.  3
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  9. a b et c E. Edel, K.-J. Seyfried & G. Vieler, Die Felsgräbernekropole der Qubbet el Hawa bei Assuan. III 1 Architektur, Darstellungen, Texte archäologischer Befund und Funde der Gräber QH 102 – QH 209, p. 1743–1744, Ferdinand Schöningh, Paderborn, 2008.
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