Inerrance biblique

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Rembrandt, L'Évangéliste Matthieu inspiré par un ange, 1661.

En théologie chrétienne et juive, l’inerrance biblique (ou simplement inerrance) est une position doctrinale selon laquelle la Bible ne comporte aucune erreur dans ses manuscrits d'origine, tant en ce qui concerne la foi et la vie du croyant qu'au sujet de l'authenticité du texte et des détails relatifs aux thèmes scientifiques, historiques et géographiques. Cela implique que les auteurs bibliques auraient suivi la volonté de Dieu, et que celui-ci leur aurait évité toute erreur dans l'évocation des faits.

Dans le christianisme, cette doctrine s'appuie notamment sur la Deuxième épître à Timothée, écrite par un disciple de Paul de Tarse : « Toute Écriture est inspirée de Dieu, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli et propre à toute bonne œuvre[1]. »

Elle est professée par plusieurs confessions, principalement les protestants fondamentalistes. En revanche, les Églises catholique, orthodoxe et protestantes historiques (luthérienne, calviniste et anglicane) affirment que la Bible est inspirée de Dieu et infaillible en matière de foi et de morale, mais que cette infaillibilité ne s'étend pas à son contenu historique, géographique ou scientifique.

Judaïsme

Fac-similé d'un fragment du Talmud de Jérusalem.

Après la destruction du Second Temple de Jérusalem en 70 EC, le judaïsme rabbinique s'attache à la notion de « Torah orale » (hébreu : תּוֹרָה שֶׁבְּעַל־פֶּה, Torah SheBe'al-Pe, littéralement « Torah sur la bouche ») : il s'agit de préceptes moraux, de rtuels, de concepts juridiques et d'interprétations théologiques non définis explicitement dans le Pentateuque, ou « Torah écrite » (תּוֹרָה שֶׁבִּכְתָב, Torah SheBiktav, « Loi écrite »), mais tout aussi importants.

Selon la tradition rabbinique, Dieu a transmis oralement tout ou partie de cette Torah orale à Moïse sur le mont Sinaï, avant que ce corpus soit relayé de génération en génération jusqu’à sa mise par écrit. L'ensemble de ces textes constitue le Talmud, édité sous deux formes : le Talmud de Jérusalem (v. 300-350) et le Talmud de Babylone (v. 450-500).

Christianisme

Histoire

À partir du XVe siècle, les découvertes scientifiques, contredisant certaines affirmations des Écritures, menacent l'autorité biblique. Au XVIe siècle, le développement de la philologie contribue à jeter un doute sur la valeur historique de certains passages du texte. Tandis que le protestantisme réaffirme le caractère inspiré et inerrant des Écritures, l’Église catholique adopte une position légèrement différente : lors du concile de Trente, elle pose que l'interprétation du texte sacré passe aussi par les traditions transmises depuis les apôtress, et qu'elle est donc juge du sens véritable à leur donner[2].

En 1670, Spinoza publie son Tractatus theologico-politicus, dans lequel il prône l'extension de la liberté de penser, non seulement à la philosophie politique, mais encore à l'interprétation du texte biblique. De son côté, Richard Simon écrit en 1678 une Histoire critique du Vieux Testament[3], qui rencontre l'hostilité de l’Église[4].

Conséquence du développement de la méthode historico-critique allemande, la controverse autour des Écritures ne cesse de se développer, au fil du XIXe siècle, d'abord dans toute l'Europe puis, plus tardivement, aux États-Unis.

En 1814, William Van Mildert, qui sera évêque de Durham, exprimant ce qui fait alors consensus en Grande-Bretagne, affirme encore que la raison est non compétente pour juger de l’inspiration divine dans la Bible. Coleridge, tenant compte des contestations historiques, géographiques ou morales adressées à la Bible, mais défendant les Écritures et l'inspiration, propose une approche radicalement différente de celle des savants ou intellectuels britanniques qui n'aura toutefois d'influence que plus tard[réf. nécessaire].

Au milieu du XIXe siècle, le débat reprend en Grande-Bretagne à la suite des nouvelles questions posées par les sciences naturelles (autant par Vestiges of the Natural History of Creation (1844) de Robert Chambers que par L'Origine des espèces (1859) de Charles Darwin)[5].

Catholicisme

Le concept est employé par l'Église catholique dans un sens restreint : si les Écritures ne contiennent pas d’erreur en matière de foi, la constitution Dei Verbum promulguée par le concile Vatican II rappelle que la Révélation traduit la volonté qu’a Dieu de se faire connaître aux hommes tout au long de l’histoire du peuple élu, par la parole des prophètes et d’une manière totale en la personne de Jésus-Christ.

Le sociologue des religions et historien Émile Poulat résume l'évolution de la pensée de l'Église : « L'immense effort développé au nom de la « science» dans tous les domaines sans en exclure la Bible a dissipé notre représentation religieuse de l'homme et du monde. Les Six Jours, Adam et Eve, le Déluge, la composition du Pentateuque, le monde du Proche-Orient, les « sources » des évangiles, les genres littéraires, l'histoire des manuscrits et du canon, la Bible reste un univers religieux mais dont il a fallu sortir pour l'étudier et le comprendre avec un outillage intellectuel et un équipement culturel qui ne lui doivent rien. Leur mise en œuvre a d'abord été ressentie comme un sacrilège avant que leur nouveauté ne soit tardivement reçue par Pie XII dans son encyclique Divino Afflante Spiritu (1943), puis assumée par Vatican II dans la constitution Dei Verbum (1965) »[6]. À l'ère préscientifique, en symbiose avec la culture de leur époque et de leur milieu, les auteurs bibliques ne cherchaient pas à éviter des erreurs et des contradictions qui demeuraient sans lien avec l'inspiration et le message qu'ils voulaient transmettre[7]. »

L’Église n'entend pas se prononcer sur les domaines scientifiques. Elle rappelle seulement l'historicité des quatre évangiles canoniques en ce qu'ils nous transmettent fidèlement ce que Jésus a fait et enseigné [8]. L'Église rejette la doctrine fondamentaliste[9] de l'inerrance et considère que la Bible ne vise pas à renseigner le lecteur concernant les sciences naturelles, la cosmologie, l'histoire, la géographie, ou tout autre domaine de connaissance sans rapport avec le salut de l'être humain[10].

Outre les quatre sens de l'Écriture, l'Église catholique rappelle l'existence des genres littéraires qu'il est nécessaire de connaître et de distinguer pour interpréter correctement les textes[11].

Le théologien Luc Chartrand précise : « L'inerrance de l'hagiographe, ou plus justement celle de la Bible, doit être replacée dans la perspective propre de la Révélation biblique, c'est-à-dire de tout ce qui a rapport au salut de l'homme et rien d'autre. La Révélation s'accomplit à l'intérieur d'un développement ». À ce sujet, il cite le théologien Pierre Grelot : « Bien mieux, elle a dépendu dans une large mesure des milieux culturels avec lesquels la Providence la mettait en rapport. Puisque chaque auteur sacré a écrit pour ses contemporains, c'est en fonction de ce cadre historique qu'il faut apprécier la portée de son œuvre. On ne saurait le faire sans recourir aux données de l'ethnologie et des autres sciences humaines, comme disait déjà l'encyclique Divino Afflante Spiritu »[12],[13].

Protestantisme

Réforme protestante

Martin Luther a ramené la Bible au centre de la foi avec la Réforme protestante[14]. L'expression Sola scriptura en est un exemple. Ce point de vue reste toutefois nuancé car Luther « compare la Bible au berceau de jonc qui portait Moïse sur les eaux du Nil. Le berceau n’a de valeur qu’à cause de l’enfant qui s’y trouve couché. Le berceau n’est pas l’enfant, mais, sans le berceau, l’enfant se serait noyé et aurait péri. De même, la Bible n’est pas la parole de Dieu, mais sans la Bible qui la porte, la parole divine ne nous parviendrait pas »[15]. André Gounelle reprend cette image en ces termes : « La Bible a été écrite non pas par Dieu ou sous sa dictée, mais par des hommes qui y racontent comment ils ont entendu, reçu, compris, interprété la parole de Dieu dans des expériences privilégiées qu’ils ont vécues. À proprement parler, la Bible n’est pas parole de Dieu, elle est le rapport qui en a été donné, le témoignage qui lui a été rendu. Elle nous fait entendre, dans un langage imparfait, parfois contradictoire, avec des erreurs et des ratés, ce que Dieu nous annonce, et ce qu’il veut que nous devenions[15]. »

Christianisme évangélique

Pour les chrétiens évangéliques, la Bible est « inspirée » par Dieu lui-même et est l'autorité souveraine dans la foi chrétienne[16]. Souvent appelée « la Parole de Dieu » ou l’Écriture (langage biblique), elle est considérée comme infaillible et, dans certains milieux évangéliques, sans erreur[17]. Ceci lui vaut parfois d’être interprétée d’une manière très littérale, dans certains courants. La Bible détient l’autorité suprême en matière de foi et de direction de la vie du croyant[18]. Elle est considérée comme un manuel de vie qui concerne tous les aspects de la vie [19].

En 1978, des théologiens évangéliques ont signé la Déclaration de Chicago (en). Elle s'engage à ce qu'une affirmation factuelle soit reçue selon l'intention de l'auteur de la communiquer comme telle. Même si elle concède qu'il est impossible de connaître l'intention des auteurs originels et que la Bible ne contient pas uniquement des affirmations factuelles, la déclaration réaffirme l'authenticité de la Bible dans son entièreté en tant que « Parole de Dieu » : accepter une erreur dans la Bible amènerait in fine à lui dénier toute valeur supérieure à n'importe quel autre livre.

Notes et références

  1. 2 Tm 3:16-17, trad. Louis Segond, 1910.
  2. Yves Chiron, Histoire des conciles, Éditions Perrin, (ISBN 978-2-262-03309-5), p. 192-193.
  3. Richard (1638-1712) Auteur du texte Simon et Ezechiel (1629-1710) Auteur du texte Spanheim, Histoire critique du Vieux Testament , par le R. P. Richard Simon,... Nouvelle édition... la première imprimée sur la copie de Paris, augmentée d'une apologie générale et de plusieurs remarques critiques. On a de-plus ajouté... une table des matieres et tout ce qui a été imprimé jusqu'à présent à l'occasion de cette Histoire critique, (lire en ligne)
  4. Jean Louis Ska, « Richard Simon : un pionnier sur les sentiers de la tradition », Recherches de science religieuse, vol. 97, no 2,‎ , p. 307 (ISSN 0034-1258 et 2104-3884, DOI 10.3917/rsr.092.0307, lire en ligne, consulté le )
  5. Frédéric Slaby, « Présentation d’une controverse : les Écritures face à la critique biblique au xixe siècle en Grande-Bretagne », Revue LISA/LISA e-journal [Online], Vol. V - no 4 | 2007, Online since 01 September 2009, connection on 20 March 2013. URL : http://lisa.revues.org/1242 ; DOI : 10.4000/lisa.1242
  6. Émile Poulat, École des hautes études en sciences sociales (Paris), Comment lire la Bible, p. 217-234, dans Les retours aux Écritures. Fondamentalismes présents et passés. Édité par Évelyne Patlagean et Alain Le Boulluec, Peeters, Louvain et Paris, 1993, 225.
  7. Pierre Lathuilière, Le Fondamentalisme catholique. Signification et ecclésiologie, Cerf, Paris, 1995, 334 pages, p. 199
  8. Dei Verbum (concile Vatican II), (chapitre V)
  9. « Définition : Fondamentalisme - Église catholique en France », sur Église catholique en France (consulté le ).
  10. Luc Chartrand, La Bible au pied de la lettre, le fondamentalisme questionné, Médiaspaul, 1995
  11. « C’est de façon bien différente que la vérité se propose et s’exprime en des textes diversement historiques, ou prophétiques, ou poétiques, ou même en d’autres genres d’expression. Il faut, en conséquence, que l’interprète cherche le sens que l’hagiographe, en des circonstances déterminées, dans les conditions de son temps et de sa culture, employant les genres littéraires alors en usage, entendait exprimer et a, de fait, exprimé. En effet, pour vraiment découvrir ce que l’auteur sacré a voulu affirmer par écrit, il faut faire minutieusement attention soit aux manières natives de sentir, de parler ou de raconter courantes au temps de l’hagiographe, soit à celles qu’on utilisait à cette époque dans les rapports humains. » Dei Verbum 12.
  12. Luc Chartrand, La Bible au pied de la lettre, Le fondamentalisme questionné, Médiaspaul, 1995, p. 118
  13. Pierre Grelot, « Commentaire du chapitre III - L'Inspiration de l'Écriture et son interprétation », in La Révélation divine - Constitution dogmatique « Dei Verbum », texte latin et traduction française par Jean-Pierre Torrell, commentaires publiés sous la direction de B.-D. Dupuy, Paris, Éditions du Cerf, (Coll. Unam Sanctam, 70b), 1968, p. 347-380
  14. Hans J. Hillerbrand, Encyclopedia of Protestantism: 4-volume Set, Routledge, USA, 2016, p. 377
  15. a et b André Gounelle, « La Bible est-elle Parole de Dieu ? ».
  16. Michel Deneken, Francis Messner, Frank Alvarez-Pereyre, "La théologie à l'Université: statut, programmes et évolutions", Editions Labor et Fides, France, 2009, pages 66-67
  17. Religioscope et Sébastien Fath, À propos de l’évangélisme et des Églises évangéliques en France – Entretien avec Sébastien Fath, religion.info, France, 3 mars 2002
  18. Samuel S. Hill, The New Encyclopedia of Southern Culture: Volume 1: Religion, University of North Carolina Press, USA, 2006, p. 17
  19. Sébastien Fath, Encyclopædia Universalis, ÉVANGÉLISME ET ÉGLISES ÉVANGÉLIQUES, universalis.fr, France, consulté le 27 aout 2016

Voir aussi

Bibliographie

  • Rudolf Bultmann, Nouveau Testament et Mythologie, Labor et Fides, 2013
  • Luc Chartrand, La Bible au pied de la lettre, le fondamentalisme questionné, Médiaspaul, 1995
  • Bart D. Ehrman, La Construction de Jésus : Aux sources de la tradition chrétienne, H&O, 2010 (ISBN 9782845472174)
  • Bart D. Ehrman, Jésus avant les Évangiles : Comment les premiers chrétiens se sont rappelé, ont transformé et inventé l'histoire du Sauveur, Bayard, 2017 (ISBN 978-2-227-48913-4)

Articles connexes

Liens externes