Procès de Moscou

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Les procès de Moscou sont une série de procès organisés par Joseph Staline entre et dans le cadre des Grandes Purges, pour éliminer ses anciens rivaux politiques en Union soviétique, ainsi que diverses personnalités tombées en disgrâce. Plusieurs vétérans bolcheviks de premier plan, acteurs de la révolution d'Octobre, sont condamnés lors de ces procès truqués. La peine capitale est le verdict habituel. L'exécution a généralement lieu dans les heures qui suivent la sentence.

Contexte

En avril 1933, le Comité central du Parti communiste de l'Union soviétique décrète une campagne d'épuration du Parti. L'année 1934, qui voit l'achèvement du premier plan quinquennal et une relative libéralisation connaît une fin tragique avec l'assassinat de Sergueï Kirov le à Léningrad. Dans les heures qui suivent, Staline entame une politique répressive intense. Les premières arrestations ont lieu dès le 4 décembre. Les premières têtes tombent dans les jours qui suivent. Cependant, les lampistes, jugés, condamnés et exécutés le 28 et 29 décembre, ne sont pas seuls à faire les frais de ce durcissement.

Dès le 22 décembre 1934, l'agence Tass accuse un certain « centre de Léningrad », qui serait animé par d'anciens zinoviévistes d'être à l'origine de l'assassinat de Kirov[1]. Jusqu'alors les soupçons se portaient sur une mystérieuse organisation de « Russes blancs » en exil. Le 27 décembre, la Pravda publie l'acte d'accusation officiel. Le 16 janvier 1935, un procès a lieu qui réunit une quinzaine de hauts responsables bolcheviks de Léningrad, en particulier Grigori Zinoviev (l'ancien homme fort de la région) et Lev Kamenev. Les accusés rejettent les accusations de participation au complot, mais reconnaissent (en particulier Zinoviev et Kamenev) leur « culpabilité idéologique »[2], car, selon la Pravda du 17 janvier 1935, ils n'avaient pas « lutté assez énergiquement contre la décomposition qui était la conséquence de leur position anti-Parti, et sur le terrain de laquelle une bande de brigands avait pu naître et réaliser son forfait »[2]. Les prévenus écopent de cinq à dix ans de prison. Le 23 janvier, un autre procès visa des responsables du NKVD ; curieusement, les sentences furent plutôt clémentes : deux à trois ans de prison[3]. En plus de la « culpabilité idéologique », Zinoviev et Kamenev auront à répondre de la culpabilité opérationnelle dans l'assassinat de Kirov lors du premier procès de Moscou, en 1936.

Objectifs

Pour Nicolas Werth, les grands procès politiques à vocation pédagogique font partie de la « culture politique bolchevique » dès les premières années du régime. Avec Staline, « le recours au « procès exemplaire » apparaît comme un véritable réflexe »[4].

Procès-spectacles, les procès de Moscou préfigurent, et dissimulent[5] les Grandes Purges des années 1937 et 1938. Les procès, publics, visent d'abord les anciens bolcheviks, qui jouissent d'un certain prestige au sein de la population. Pour les éliminer, il ne faut pas à Staline simplement les envoyer au Goulag et les exécuter : il faut les discréditer. C'est ainsi que des dossiers d'accusations sont créés de toutes pièces par le NKVD. Des bolcheviks de la première heure sont accusés de haute trahison, de sabotage, d'assassinats, d'espionnage et autres crimes du même genre.

Les procès de Moscou contribuent à la construction du totalitarisme stalinien. Loin d'être irrationnels, ils répondent efficacement à plusieurs objectifs essentiels au moment où ils se déroulent :

  1. une prise en main plus étroite de l'appareil du Parti communiste : éliminer les vieux bolcheviks et d'une manière générale les cadres qui doivent leur position à leur engagement ou à leur valeur personnelle. Staline poursuit ici à grande échelle le travail qu'il avait entamé en tant que secrétaire général du Parti en 1922 : l'appareil doit être exclusivement composé de ses « créatures », d'autant plus dociles qu'elles sont totalement dépendantes de lui. Non seulement les purges doivent tétaniser toute velléité de résistance, mais le cadre qui veut garder sa place et tous les privilèges matériels qui lui sont attachés doit se montrer encore plus servile que ses homologues.
  2. affermir le contrôle sur la société soviétique. Contrairement aux cadres de la nomenklatura, les citoyens vivent la pénurie au quotidien. La carence en biens de consommation s'est aggravée avec l'abandon de la NEP, la déportation des « koulaks » et la collectivisation à outrance de 1929-30. Il faut expliquer cette pénurie persistante : comme il est évidemment exclu d'en rendre le système responsable, on recourt au vieux stratagème du complot : ce sont des « saboteurs » qui détruisent les vivres et empêchent le ravitaillement des citadins. Si ces saboteurs sont de vieux bolcheviks, au-dessus de tout soupçon, on comprend pourquoi ils ont pu œuvrer sans éveiller la méfiance dans la société soviétique. On ne peut alors que resserrer les rangs autour de Staline, dont seule la clairvoyance a permis de débusquer les « traîtres trotskistes »...
  3. réaliser les « grands projets » qui montreront au monde la supériorité du modèle soviétique. À côté des procès de cadres, à grand spectacle, retransmis par la radio (avec les aveux « spontanés » des inculpés), les Grandes Purges frappent jusqu'au niveau le plus modeste les râleurs, les contestataires et autres asociaux qui rechignent à accomplir « le plan quinquennal en quatre ans ». Condamnés à la déportation, ils vont rejoindre le Goulag, main-d'œuvre servile indispensable pour construire dans des conditions impossibles les grands barrages d'Ukraine, les canaux du Nord et les villes de Sibérie.

Déroulement

Vychinski lisant l'acte d'accusation du procès Centre antisoviétique trotskyste de réserve en janvier 1937 (procès de Piatakov-Radek)

Il y eut trois[a] grands procès publics menés à Moscou par le procureur général Andreï Vychinski :

  1. celui des 16 (août 1936) ;
  2. celui des 17 (janvier 1937) ;
  3. celui des 21 (mars 1938).

Le 11 juin 1937, la Pravda annonce l'arrestation de militaires de l'Armée rouge. Certains considèrent cet épisode comme un quatrième procès, d'autres en contestent jusqu'à l'existence. Quoi qu'il en soit, celui-là se déroula à huis clos et n'eut pas le même décorum, ni le même retentissement que les trois autres[b].

La particularité de ces procès est l'absence totale d'avocat, l'absence d'éléments matériels et une instruction à charge, fondée sur les seuls aveux des accusés, souvent obtenus après plusieurs semaines de torture et de menaces sur leurs familles. L'opinion publique avait été préparée par les journaux à la « trahison » de la vieille garde bolchévique. C'est ainsi que les rédacteurs recevaient des ordres pour accuser des pires crimes les futurs accusés.

Ce qui a médusé les opinions publiques occidentales, c'est l'aveu unanime des accusés et la dénonciation complaisante « spontanée » qu'ils faisaient de leur « crimes ».

Procès des 16

Le procès dit du « Centre terroriste trotskyste-zinoviéviste[8] » se déroula à Moscou du au .

Liste des accusés :

Les accusations vont de terrorisme à l'assassinat de Sergueï Kirov, en passant par le sabotage et la préparation d'assassinat de plusieurs hauts responsables du gouvernement soviétique comme Staline.

Le verdict est la condamnation à mort pour tous. Les condamnés sont exécutés dans les vingt-quatre heures.

Procès des 17

Un deuxième procès, dit du « Centre antisoviétique trotskyste de réserve[9] », s'ouvre le . Cette fois, 17 personnes, principalement des hauts responsables économiques, sont accusées :

L'accusé-vedette est Gueorgui Piatakov.

Les accusations sont presque les mêmes que pour le procès précédent. S'y ajoutent les contacts avec des pays étrangers et l'appartenance aux services secrets allemand ou tchécoslovaque. Le procureur est toujours Andreï Vychinski. À l'exception de Sokolnikov, Radek, Arnold et Stroilov (condamnation de 8 à 10 ans de camp), les autres seront tous condamnés à mort et exécutés le 30 janvier 1937.

Procès des généraux de l'Armée rouge

Un autre « procès » s'ouvre en mai-juin 1937. Instruit en secret, il se déroule à huis clos et vise exclusivement les plus hauts généraux de l'Armée rouge. Parmi les accusés il y a :

Yan Gamarnik, chef de l'administration politique de l'Armée rouge, également inculpé s'était suicidé le 31 mai 1937.

Ils sont accusés de trahison, espionnage et complot sous l'appellation d'Organisation militaire trotskiste antisoviétique. Les accusés auraient avoué leur participation sous la torture. Ils sont tous condamnés à mort par un tribunal militaire sous la présidence du juge civil Vassili Oulrikh, et exécutés le . De nombreux membres de leur famille seront aussi exécutés ou déportés.

Tous ces accusés seront réhabilités le 31 janvier 1957.

Tandis que les épurations du parti de 1929 et 1933 avaient peu touché le personnel militaire, dans les semaines qui suivent le procès et jusqu'à la mi-1938, de nombreux officiers et soldats, n'épargnant pas non plus les commissaires politiques, font l'objet l'une épuration de masse par emprisonnement ou exécution.

Procès des 21

Ce troisième procès, dit du « Bloc des droitiers et des trotskystes antisoviétiques[10] » se déroule du 2 au . Les 21 principaux accusés sont :

La composition des accusés est semblable aux précédents procès à l'exception du fait qu'elle contient des membres de la police d'État et des médecins sans contact avec la politique[11].

Dans la même veine que les précédents procès, ils sont accusés de complot visant à assassiner Staline, conspiration pour détruire l'économie et la puissance militaire du pays, de travailler avec les services d'espionnage de l'Allemagne, de la France, du Japon ou encore du Royaume-Uni. Des accords secrets auraient également été conclus avec l'Allemagne et le Japon.

Tous sont passés aux aveux, à l'exception de Krestinski, mais qui le jour suivant le procès, avoue tous les chefs d'accusations. À l'exception de Pletnev (25 ans), Rakovski (20 ans) et Bessonov (15 ans), tous les accusés sont condamnés à mort.

Le 13 mars, la Pravda titre : « Le verdict de la Cour fut accueilli par de nombreuses manifestations de joie populaire[12] ».

L'exécution de Guenrikh Iagoda, qui fut à la tête du NKVD et qui lança le début des Grandes Purges, ne marque pas vraiment la fin de cette période de terreur, qui ne s'éteindra qu'à la fin de 1938 (avec le remplacement de Nikolaï Iejov par Lavrenti Beria), avant l'éclatement de la Grande Guerre patriotique contre l'Allemagne nazie en juin 1941. Mais l'inquiétude qui s'instaura dans la population sera réanimée périodiquement jusqu'à la mort de Staline en mars 1953.[Quoi ?]

Résultats des procès

Comité central du Parti communiste bolchévique en 1917.

Finalement, tous les membres du Politburo du temps de Lénine ont été jugés, à l'exception de Staline, Mikhaïl Kalinine et Viatcheslav Molotov.

Staline a arrêté ou fait exécuter la plupart des bolcheviks de la révolution russe de 1917. Sur les 1 966 délégués du XVIIe congrès du Parti communiste de l'Union soviétique (1934), 1 108 sont arrêtés. Sur les 139 membres du Comité central, 98 sont arrêtés. Trois cinquièmes des maréchaux soviétiques et un tiers des officiers de l'Armée rouge ont été arrêtés ou fusillés. En dehors des prisonniers politiques, plusieurs millions d'autres sont morts durant les purges.

L'accusé principal, Léon Trotski (expulsé d'URSS en janvier 1929), a réussi à échapper aux procès du fait de son exil. Mais il fut retrouvé au Mexique par Ramón Mercader, un agent du NKVD qui l'exécuta avec un piolet le sur ordre de Staline.

Réactions à l'étranger

C'est avec stupéfaction que le monde apprend le 19 août 1936 l'ouverture du procès à Moscou. En dépit, de l'invraisemblance des accusations, il n'y a pas de sursaut de l'opinion publique dans les pays occidentaux[11]. L'écrivain Charles Plisnier s'étonne dans son recueil de nouvelles Faux Passeports (1937) de cette absence de réaction de la part du public[11].

L'Humanité, qui annonce le 26 août 1936 l'exécution de « seize terroristes trotskystes, » reprend les thèmes principaux de l'argumentaire stalinien : les ennemis du peuple préparaient « l'agression hitlérienne et japonaise contre le pays du socialisme »[11]. En France, le camp socialiste s'exprime avec beaucoup de réserve : selon Charles Jacquier, d'un point de vue temporel, le premier procès qui a lieu quelques semaines après l'installation du gouvernement Blum, avec une S.F.I.O. engagée dans une politique d'action avec le Parti communiste français, a pour conséquence que celle-ci privilégie les « nécessités tactiques » de cette alliance à la critique des réalités soviétiques. Ce sont les considérations internationales, la préservation de la paix et la lutte contre le fascisme, qui priment sur la condamnation du procès à l'exception de quelques voix particulières comme celles de Maurice Paz[11]. En revanche, deux ans plus tard, alors que se déroulent les troisièmes procès, Léon Blum, tout en rappelant la nécessité du pacte franco-soviétique pour faire face à l'axe Rome-Berlin-Tokyo, écrit dans un article que ceux-ci le plongent « dans une sorte d'accablement » doutant des aveux qui ont été obtenus des inculpés[11]. La Ligue des droits de l'homme reste également très réservée. Le rapport qu'elle publie en novembre 1936 ne met pas en doute la sincérité des aveux et reprend l'idée d'une complicité de l'Allemagne avec les accusés. Elle refuse même de publier les opinions contraires au rapport. Cette attitude pousse Maurice Paz à démissionner de la commission en juin 1937 pour ne pas s'associer à « un simulacre d'enquête » et entraîne la démission de sept autres membres de son comité central[13].

En mars 1937, la commission Dewey (en) a révélé dans ce qui allait devenir le « monde libre » la nature de procès-spectacle des procès de Moscou[c].

Pour Nicolas Werth, les observateurs de l'entre-deux-guerres n'ont pas saisi l'essentiel de ce qui se déroulait alors, les « sensationnels aveux » et le côté spectaculaire de ces procès masquant « les horreurs plus quotidiennes et plus prosaïques du Goulag »[14].

Fiction

Arthur Koestler se fonde sur les procès de Moscou pour relater dans son roman Le Zéro et l'Infini paru en 1941, l'histoire imaginaire d'un haut responsable communiste, Roubachof, qui se retrouve accusé par le régime soviétique, tout comme les véritables accusés des années 1930.

Notes et références

Notes

  1. Dans son ouvrage[2],[6], Nicolas Werth fait référence à un document préparatoire soviétique de 1964 destiné à L'Histoire de l'URSS — mais jamais publié — qui parle d'un premier procès contre l'opposition (Zinoviev et Kamenev) à Léningrad, qui s'est déroulé à partir du (juste après l'assassinat de Kirov).
  2. L'historien Nicolas Werth n'en fait aucune mention. Il indique seulement : « 11 juin : La Pravda annonce l'arrestation du maréchal Toukhatchevsky et de nombreux commandants d'armée pour espionnage et trahison. »[7].
  3. Voir par exemple, les conclusions de la commission Dewey, qui taxe les procès de Moscou d'« imposture »[6].

Références

  1. Werth 2006, p. 117.
  2. a b et c Werth 2006, p. 118.
  3. Werth 2006, p. 119.
  4. Nicolas Werth, La mise en scène pédagogique des grands procès staliniens, Le Temps des médias, 2010/2 (n° 15), p.142 - 155
  5. Werth 2006, p. 10.
  6. a et b Werth 2006, p. 202.
  7. Werth 2006, p. 215.
  8. Werth 2006, p. 13.
  9. Werth 2006, p. 22.
  10. Werth 2006, p. 31.
  11. a b c d e et f Charles Jacquier, La gauche française, Boris Souvarine et les procès de Moscou, Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, Année 1998, 45-2, pp. 451-465
  12. Werth 2006, p. 45.
  13. Gaston Bergery, Félicien Challaye, Léon Émery, Magdeleine Paz, Georges Pioch, Élie Reynier et Georges Michon, in Jacquier, 1998, op. cit. p.457
  14. Irène Commeau-Rufin, Nicolas Werth. Les procès de Moscou (compte-rendu), Politique étrangère, Année 1987, 52-4, pp. 1002-1003

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Friedrich Adler, Le Procès de Moscou : un procès en sorcellerie, Nouveau Prométhée, 1936.
  • Pierre Broué, Les Procès de Moscou, coll. Archives Julliard, 1964.
  • Pierre Broué, Les Procès de Moscou, collection les causes célèbres, édition Edito-Service S.A. Genève, 1972.
  • Collectif, Le Livre noir du communisme. Crimes, terreur, répression, Collection Bouquins, Éditions Robert Laffont, 1997.
  • Robert Conquest, La Grande Terreur : les purges staliniennes des années 1930, Paris, 1970 (New York, 1968).
  • Robert Conquest, Staline, Odile Jacob, 1999, (ISBN 2-7381-0174-7).
  • Michel Heller et Aleksandr Nekrich, L'Utopie au pouvoir. Histoire de l'U.R.S.S. de 1917 à nos jours, Calmann-Lévy, 1982.
  • Ernst Nolte, La Guerre civile européenne (1917-1945) : national-socialisme et bolchevisme, Paris, Édition des Syrtes, 2000. Traduit de l'allemand par Jean-Marie Argelès ; préface par Stéphane Courtois. Réédition : Paris, Librairie Académique Perrin, collection « Tempus », 2011.
  • Victor Serge, 16 fusillés à Moscou, éditions Spartacus, 1936 (réédition 1972).
  • Nicolas Werth, Les Procès de Moscou : 1936-1938, Bruxelles, Éditions Complexe, (1re éd. 1987), 224 p. (ISBN 2-8048-0101-2). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Nicolas Werth, La Terreur et le désarroi. Staline et son système, coll. Tempus, éditions Perrin, Paris, 2007.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes