Capitalocène

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Désignant sensiblement la même réalité phénoménologique que le concept d’Anthropocène, celui de Capitalocène sous-tend cependant que c'est le capitalisme et l’organisation capitaliste du monde qui sont principalement responsables des dérèglements environnementaux actuels, et non l'humanité dans son ensemble. Il faut donc, selon Andreas Malm, inventeur de ce concept, parler de « capitalocène » plutôt que d’anthropocène. Plus particulièrement, c'est le capitalisme industriel défini par « la production de valeur d’échange et la maximisation des profits au moyen de l’énergie fossile » qui selon Malm est responsable de l'artificialisation du monde et de la surexploitation de ses ressources.

Histoire du concept

Appuyant son raisonnement sur la dynamique interne, financière, expansionniste, extractiviste, consommatrice et de croissance infinie, du capitalisme davantage que sur celle d’un « mauvais » Anthropos, Andreas Malm, doctorant en écologie humaine à l’Université de Lund en Suède, propose le concept alternatif de capitalocène[1].

Donna Haraway et Jason W. Moore ont ensuite contribué à diffuser le concept et le terme de capitalocène dans la sphère publique[2],[3],[4].

Origine et motivations du concept

Selon Victor Court[5], on ne peut attribuer la crise environnementale actuelle à toute l'humanité considérée comme un seul bloc. Cela revient à naturaliser, « déshistoriciser » et dépolitiser un mode de production spécifique à un contexte sociohistorique

Tenir pour responsable l'humanité toute entière du changement climatique c'est laisser le capitalisme s'en tirer à bon compte. (...) S'il est certain que tous les humains vont subir les conséquences du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité (dans des proportions très différentes cependant), il est impossible au regard de l’histoire d’affirmer que tous les membres de l’humanité partagent le même degré de responsabilité dans ce désastre. Un Nord-Américain ne peut pas être aussi responsable des bouleversements du système Terre qu’un Kényan qui consomme en moyenne 30 fois moins de matières premières et d’énergie que lui.
Il est difficile d'étudier les causes de la transition géologique sans prendre en compte la dimension politique de ce phénomène. À la différence de l'Anthropocène, la notion de Capitalocène pourrait permettre d'intégrer cette dimension politique dans l'analyse du dérèglement climatique.

Le terme « Capitalocène » présente l’avantage de reconnecter les développements du capitalisme et les révolutions industrielles britanniques aux transformations matérielles des paysages de la Terre, et d’ouvrir les potentialités des critiques du capitalisme.[6] — (Malcolm Ferdinand, L’Écologie décoloniale, 2019, page 83)

[réf. nécessaire]

Critique ou nuancement du concept

  • Pour nommer le quatrième étage de l’Holocène, qui succèderait aux 4 250 années de l’actuel Méghalayen, on[Qui ?] propose plutôt le mot et concept d' Exterminacien « afin d’insister sur la sixième extinction de masse des espèces — du jamais vu depuis la cinquième extinction il y a 66 millions d’années, et la quatrième il y a 200 millions d’années, entre le Trias et le Jurassique (!) (...) De Pékin à Berlin en passant par Sydney et Washington, c’est contre le Puissancisme qu’il faut s’insurger, et cela va bien plus loin que la classique critique du seul capitalisme.
    S’insurger au plus vite pour jeter à terre cet étage de l’Exterminacien en train de détruire tous les équilibres bio-géo-chimiques de notre fragile biosphère.
    Heureusement que le terme « Anthropocène » est mort : en accusant de tous les maux « l’homme » (anthropos) il était lui-même une manifestation du problème qu’il prétendait dénoncer. Toutes les phrases où l’on peut lire : « l’homme ceci, l’homme cela », « l’homme, force géologique », relèvent de cette erreur de diagnostic et ne nous aident pas à trouver le bon remède. »
    [7]
  • En 2022, Victor Court, estime que le terme Capitalocène décrit mal les 200 dernières années du capitalisme fossile, car, selon lui, « Si Capitalocène il y a, celui-ci remonte au XVIe siècle, voire au début du second Moyen Âge (XIIe siècle), et peut-être même à l’Antiquité dans des formes plus diffuses ». Victor Court ajoute que le XXe siècle a aussi été marqué par des régimes dits « non capitalistes – ou en tout cas n’autorisant pas la propriété privée – ont été extrêmement extractivistes et polluants. Tout comme les sociétés capitalistes, ces régimes d’inspiration socialiste prenant la forme de collectivismes bureaucratiques et totalitaires ont massivement eu recours aux énergies fossiles, tout en engendrant des désastres écologiques comparables à ceux du capitalisme occidental »
  • Dans le même ordre d'idées, selon Serge Audier (philosophe) dans le journal Le Monde : « Si l’on décidait de parler de « capitalocène », peut-être faudrait-il alors se résoudre à parler également, en un certain sens, de « socialocène » et surtout de « communistocène », ce que curieusement personne ne se risque à faire. Aussi pénible que soit la reconnaissance du rôle majeur joué dans la crise écologique non seulement par les régimes communistes, mais aussi, beaucoup plus largement, par le socialisme et la gauche dans leur axe majoritaire, cette responsabilité historique doit être pleinement assumée »[8]

Voir aussi

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Articles connexes

Bibliographie

  • Anthropocene or Capitalocene ? Nature, History, and the Crisis of Capitalism. ed. Jason W. Moore, (PM Press/Kairos, 2016)
  • Jason W. Moore (2017): The Capitalocene, Part I: on the nature and origins of our ecological crisis, The Journal of Peasant Studies, http://dx.doi.org/10.1080/03066150.2016.1235036, lire en ligne
  • Jason W. Moore, « The Capitalocene Part II: accumulation by appropriation and the centrality of unpaid work/energy », The Journal of Peasant Studies, vol. 45, no 2,‎ , p. 237–279 (ISSN 0306-6150, DOI 10.1080/03066150.2016.1272587, lire en ligne, consulté le )
  • Philippe Béraud et Franck Cormerais, « Bernard Stiegler et le Capitalocène : l'appréciation d'une controverse avec Jason W. Moore », Etudes digitales, no 9,‎ , p. 109 (DOI 10.48611/isbn.978-2-406-11521-2.p.0109, lire en ligne, consulté le )
  • Fabien Colombo, «Vers un Capitalocène de plateforme ? Éléments pour une articulation théorique», Études digitales, 2020.
  • Capitalocène et plateformes. Hommage à Bernard Stiegler, Études digitales, 2020 – 1, no 9
  • (en) Neil Brenner et Nikos Katsikis, « Operational Landscapes: Hinterlands of the Capitalocene », Architectural Design, vol. 90, no 1,‎ , p. 22–31 (ISSN 0003-8504 et 1554-2769, DOI 10.1002/ad.2521, lire en ligne, consulté le )
  • (en) John Peter Antonacci, « Periodizing the Capitalocene as Polemocene: Militarized Ecologies of Accumulation in the Long Sixteenth Century », Journal of World-Systems Research, vol. 27, no 2,‎ , p. 439–467 (ISSN 1076-156X, DOI 10.5195/jwsr.2021.1045, lire en ligne, consulté le )
  • Helena Pedersen, Sally Windsor, Beniamin Knutsson, Dawn Sanders, Arjen Wals & Olof Franck (2022) « Education for sustainable development in the ‘Capitalocene', », Educational Philosophy and Theory, 54:3, 224-227, DOI: 10.1080/00131857.2021.1987880
  • (en-US) Kees Jansen et Joost Jongerden, « The Capitalocene response to the Anthropocene », Handbook of Critical Agrarian Studies,‎ , p. 636–646 (lire en ligne, consulté le )
  • Corwin, J.E. and Gidwani, V. (2023), « Repair Work as Care: On Maintaining the Planet in the Capitalocene ». Antipode. https://doi.org/10.1111/anti.12791
  • Diana Stuart & Ryan Gunderson (2020) « Human-animal relations in the capitalocene: environmental impacts and alternatives », Environmental Sociology, 6:1, 68-81, DOI: 10.1080/23251042.2019.1666784
  • (en) Wendy Arons, « Tragedies of the Capitalocene », Journal of Contemporary Drama in English, vol. 8, no 1,‎ , p. 16–33 (ISSN 2195-0164, DOI 10.1515/jcde-2020-0003, lire en ligne, consulté le )
  • Le capitalisme dans la toile de la vie, éditions L'Asymétrie, 2015
  • Donna Haraway, Vivre avec le trouble, 2016
  • Malcom Ferdinand, L'Écologie décoloniale, 2019, page 83
  • Thierry Sallantin, « Vie et mort du mot Anthropocène », sur Le Partage, (consulté le )

Notes et références

  1. Donna Haraway, « Anthropocène, Capitalocène, Plantationocène, Chthulucène. Faire des parents. », sur multitudes, (consulté le )
  2. « Donna Haraway, "Anthropocene, Capitalocene, Chthulucene: Staying with the Trouble", 5/9/14 » (consulté le )
  3. Vivien García, Vivre avec le trouble, (ISBN 978-2-9555738-4-6 et 2-9555738-4-1, OCLC 1192405648, lire en ligne)
  4. Robert Ferro, Le capitalisme dans la toile de la vie : écologie et accumulation du capital, (ISBN 979-10-96441-14-3, OCLC 1236882432, lire en ligne)
  5. Victor Court est enseignant-chercheur en économie à l'IFP School, IFP Énergies nouvelles ; membre de la chaire « Énergie & Prospérité » et chercheur associé au Laboratoire Interdisciplinaire des Énergies de Demain (LIED, Université Paris Cité).
  6. Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale : penser l'écologie depuis le monde caribéen, dl 2019 (ISBN 978-2-02-138849-7 et 2-02-138849-2, OCLC 1127392011, lire en ligne)
  7. Nicolas Casaux, « Vie et mort du mot Anthropocène (par Thierry Sallantin) », sur Le Partage, (consulté le )
  8. « L’Age productiviste » : vers une nouvelle définition écologique du « progrès », sur Le Monde.fr, (consulté le )