Malle sanglante de Millery

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« L'Affaire Gouffé ». Une du Supplément littéraire illustré du Petit Parisien, 2 février 1890.

La Malle sanglante de Millery, Malle à Gouffé[1],[2], Affaire Gouffé ou Affaire Eyraud-Bompard sont les noms donnés à une affaire criminelle française débutant le avec le constat de la disparition d'un fonctionnaire parisien de la rue Montmartre[3] suivi, deux semaines plus tard, par la découverte de restes humains difficilement identifiables et des débris d'une malle, respectivement à Millery et à Saint-Genis-Laval, près de Lyon[4]. L'affaire connaîtra, durant près d'une année, de multiples rebondissements, dont la presse française de la fin du XIXe siècle se fera largement l'écho.

La victime est un huissier de justice réputé, Toussaint-Augustin Gouffé. Un couple sera reconnu coupable de son assassinat, Michel Eyraud et Gabrielle Bompard ; le premier, arrêté à Cuba au terme d'une cavale en Amérique du Sud et du Nord puis extradé, est condamné à mort et guillotiné le , et la seconde, qui pour sa défense dira avoir été hypnotisée par son amant criminel, est condamnée à une peine de vingt ans de travaux forcés.

Découverte de la malle

« L'Affaire Gouffé. La malle dans laquelle a été transporté le cadavre. - Vue de Millery. - Gabriel Bompard, maîtresse d'Eyraud, l'assassin présumé ». Gravure d'Ernest Clair-Guyot. Illustration en une du Supplément littéraire illustré du Petit Parisien, 15 décembre 1889.

Le , un cantonnier du nom de Denis Coffy, alerté par des gens disant avoir remarqué une odeur pestilentielle sur la route départementale reliant Vernaison à Millery, près de Lyon, inspecte l'endroit. Au lieu-dit « La Tour de Millery », dans un buisson en contrebas, il aperçoit un gros sac en toile cirée dégageant en effet une odeur nauséabonde. À l'intérieur se trouve, recroquevillé, un cadavre nu et dans un état de décomposition avancée. Les autorités sont alertées. Là d'où le sac semble avoir été jeté, les enquêteurs repèrent une petite clef.[4],[5]

Le docteur Lacassagne.

Emmené à la faculté de médecine de Lyon, le médecin légiste Paul Bernard procède à l'autopsie le 14 août[6]. Il constate dans son rapport médico-légal que le corps dénudé est ligoté avec sept mètres de cordes, la tête enveloppée dans une toile cirée noire et que la victime est apparemment mort par strangulation depuis trois à cinq semaine[7]. Mais le docteur, chargé de l'identification, ne peut guère se prononcer. Conservé dans le formol, ce n'est que trois mois plus tard que le corps pourra être identifié par le docteur Alexandre Lacassagne (son autopsie débutée le 13 novembre 1889 dure huit jours), sur base notamment de cheveux prélevés sur le peigne d'un disparu et de la description d'une ancienne blessure de celui-ci[5], dans ce qu'on présente aujourd'hui comme les prémices de la police scientifique[8]. La victime est un huissier de justice de quarante-neuf ans, Toussaint-Augustin Gouffé[9], dont l'étude, sise au no 148 de la rue Montmartre à Paris, est l'une des plus importante de la capitale. Il est décrit comme un veuf respectable, élevant convenablement ses deux filles, mais multipliant néanmoins les « conquêtes féminines »[10].

À Saint-Genis-Laval, la découverte des débris d'une malle par un marchand d'escargots, deux jours après la sinistre trouvaille du cantonnier, précipite l'enquête. La clef s'adapte à la serrure, un clou manquant est semblable à un clou retrouvé à Millery, et la puanteur qui se dégage du coffre ne laisse planer aucun doute quant à l'usage qui en a été fait[5]. Une étiquette collée à l'une des planches apprend que la malle a voyagé de Paris à Lyon, par chemin de fer, en date du 27 juillet 1888 ou 1889, le dernier chiffre étant illisible[11]. Les registres de la compagnie P.L.M. permettent de s'assurer que 1889 est l'année exacte, et cette date correspond au lendemain de la disparition de l'huissier[5]. Le procureur de Lyon décide de transmettre les éléments en sa possession au Parquet de Paris qui confie l'enquête au commissaire Marie-François Goron, chef de la Sûreté parisienne depuis 1887. Les inspecteurs explorent les habitudes et les relations de l'huissier, et s'aperçoivent qu'il a fréquenté, peu avant sa disparition, un couple d'escrocs : Michel Eyraud et sa maîtresse Gabrielle Bompard. Coïncidence plus que troublante : ceux-ci ont quitté précipitamment Paris le 27 juillet. Le 29 juillet, le beau-frère du disparu, inquiet de son absence inexpliquée, alerte le commissariat du quartier. Le 29 novembre, l'un des premiers mandats d'arrêt internationaux est lancé contre les deux escrocs. Plus tard, les soupçons se confirment lorsqu'un layetier londonien reconnaît la malle, qu'il a vendue à Eyraud et Bompard[12].

Déroulement du meurtre

« Affaire Gouffé ». Dessin d'Henri Meyer. Supplément illustré du Petit Journal, 20 décembre 1890.

Le 26 juillet, Gabrielle Bompard reçoit l'huissier, qu'elle a le jour-même fait mine de rencontrer accidentellement dans un café et incité, par ses avances, à venir lui rendre visite, dans l'appartement parisien qu'elle et son complice louent dans le 8e arrondissement, au no 3 de la rue Tronson-du-Coudray. Après l'avoir invité à s'asseoir sur une chaise longue, tout en jouant de ses charmes, elle lui passe autour du cou le cordon qui ferme sa robe de chambre. Eyraud, qui jusque-là se tenait caché derrière une tenture, se saisit alors du cordon, l'attache à une corde préalablement passée dans une poulie fixée au plafond, et tire. mais Gouffé résiste. Eyraud, paniqué, sort de sa cachette, bondit sur l'étrangle de ses mains[13],[8]. Lors de leur audition, Eyraud charge sa compagne et dira que c'est elle qui a passé au cou de Gouffé la cordelière, en lui disant « Ça te ferait une belle cravate »[14].

Voyant que l'huissier n'a pas d'argent sur lui, Eyraud décide de se rendre seul à son étude en se servant des clefs de sa victime. Cependant, à cause de la pénombre des locaux et dans sa précipitation, il ne trouve pas les 14 000 F laissés dans le bureau. Sans butin, les assassins tentent alors de se débarrasser du cadavre. Ils le placent dans une malle achetée plus tôt à Londres et expédient celle-ci jusque Lyon, via la ligne Paris-Marseille. À Lyon, ils récupèrent à la gare l'encombrant bagage, et louent un cabriolet pour le transporter. Lorsque la malle de 105 kg commence à devenir trop lourde pour eux et que, surtout, l'odeur de putréfaction commence à être perceptible, ils l'abandonnent sur la route de Millery. Le couple embarque ensuite pour l’Amérique[8].

Portraits des tueurs

« L'arrestation d'Eyraud ». Gravure d'Ernest Clair-Guyot. Une du Supplément littéraire illustré du Petit Parisien, 15 juin 1890.
Gabrielle Bompétard. Complainte créée par Sulbac à l'Eldorado, 1890. Couverture de la partition d'une chanson inspirée par l'affaire.

Michel Eyraud (né à Saint-Étienne, le 30 mars 1843[15]), fils de négociants, il s'est marié le 17 mars 1870, et est le père d'une fille âgée de dix-neuf ans[16]. Mari violent et volage, il a abandonné son épouse, battue et humiliée, pour embrasser la carrière d'« aventurier ». Il s'engage un temps dans l'armée et participe, en 1863, en tant que caporal de chasseurs à pied, aux combats durant l'expédition du Mexique, avant de déserter[17]. Il vit alors d'escroqueries et d'autres affaires véreuses.

Gabrielle Bompard (née en 1868[15]), sa compagne, est tout juste âgée de vingt et un ans au moment des faits. Fille d'un marchand de métaux assez aisé du Nord, petite, assez belle, elle possède un caractère déroutant, peut-être dû à une jeunesse gâchée par un père égoïste. Malgré son jeune âge, elle traîne néanmoins derrière elle une solide réputation de fille dévergondée.

Arrestation et procès

Alors qu'ils sont à San Francisco, Gabrielle Bompard quitte Eyraud et rentre en France, où elle se constitue prisonnière le . Elle nie d'abord toute participation au meurtre et accable son amant, mais elle finit par craquer et se met à tout raconter dans le détail[18]. Eyraud, pendant ce temps, poursuit sa cavale entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, vivant d'expédients, parfois d'escroqueries. En juin 1890, après avoir échappé plusieurs fois de justesse aux policiers français qui s'étaient lancés à ses trousses, il est finalement appréhendé à La Havane (Cuba) où il s'était réfugié[19].

Les deux criminels sont jugés en décembre 1890. Bien que défendu par le célèbre avocat Félix Decori, Michel Eyraud sera condamné à mort et guillotiné, place de la Roquette, le , par le bourreau Louis Deibler[20].

Maître Henri-Robert, avocat de Gabrielle Bompard, plaida que sa cliente, soumise à Eyraud au moyen de l'hypnose – pratique très en vogue à l'époque –, avait été la complice involontaire de celui-ci. C'est ce qui explique probablement un verdict plus clément pour la jeune femme, puisqu'elle s'en sort avec les circonstances atténuantes et une condamnation à vingt ans de travaux forcés, qu'elle purge à la prison de femmes de Nanterre puis à la centrale de Clermont (Oise). Elle sera finalement libérée en 1905, avant le terme de sa peine, après avoir bénéficié de plusieurs réductions de peine pour bonne conduite[21],[22]. Elle reprendra ses activités de danseuse, et son passé inspirera à son public la complainte Gabrielle Bompard[8]. Elle mourra, oubliée, au début des années 1920.

Postérité

Le commissaire Marie-François Goron (1847-1933) fait valoir ses droits à la retraite à 48 ans et écrit ses mémoires, comme ses prédécesseurs François Vidocq ou Gustave Macé, se faisant l'historien de ses propres exploits. Pendant seize ans, le public s'arrache les vingt et un livres (dont l'affaire dite de « la malle à Gouffé » parue en 1890) de ce policier « un brin fanfaron »[23].

Notes et références

  1. Chlastacz, 2009, p. 23.
  2. Après cette affaire, on aura coutume d'appeler « malles sanglantes » d'autres affaires de meurtres, où le corps de la victime a été dissimulé dans une malle. Par exemple, l'Affaire de la malle sanglante du Puits d'Enfer, ayant eu lieu en Vendée en février 1949.
  3. « Disparition d'un huissier », dans Le Petit Journal, 31 juillet 1889, p. 4, col. 2. – En ligne sur Gallica.
  4. a et b « Le crime de Millery », dans Le Petit Journal, 17 août 1889, Pour afficher « p.  », veuillez utiliser le modèle {{p.}}.4, col. 3. – En ligne sur Gallica.
  5. a b c et d Lacassagne, 1891, p. 3.
  6. Marie-François Goron, L'amour criminel. Mémoires du chef de la Sûreté de Paris à la belle époque, André Versaille éditeur, , p. 25
  7. L'affaire Gouffé
  8. a b c et d Michel de Decker, « Les polars de l'histoire de France », émission diffusée sur France Bleu.
  9. Fiche de Toussaint « Auguste » Gouffé (1840-1889) sur idref.fr.
  10. Marie-François Goron, op. cit., p. 136
  11. Marie-François Goron, L'amour criminel. Mémoires du chef de la Sûreté de Paris à la belle époque, André Versaille éditeur, , p. 26
  12. Lacassagne, 1891, p. 4.
  13. Lacassagne, 1891, p. 10-11.
  14. Marie-François Goron, L'amour criminel. Mémoires du chef de la Sûreté de Paris à la belle époque, André Versaille éditeur, , p. 236
  15. a et b L'affaire Gouffé sur Sudoc.
  16. Dans les archives secrètes de la police.
  17. Lacassagne, 1891, p. 6.
  18. Marie-François Goron, op. cit., p. 216
  19. Marie-François Goron, op. cit., p. 218
  20. Marie-François Goron, op. cit., p. 177
  21. « L'affaire Gouffé » sur le site de Denis Lochouarn
  22. « Bienvenue dans une bibliothèque sanglante… et croustillante », sur telerama.fr (consulté le 7 décembre 2010).
  23. Thomas Wieder, « "L'Amour criminel. Mémoires du chef de la sûreté de Paris à la Belle Epoque", de Marie-François Goron : grand poulet, jolie plume », sur Le Monde,


Voir aussi

Bibliographie

Filmographie

Articles connexes

Lien externe