Jean Bénabou

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Jean Bénabou
Jean Bénabou en 2015.
Jean Bénabou à Paris, en 2015.

Naissance
Rabat (Maroc français)
Décès (à 89 ans)
Paris 16e (France)
Nationalité Français
Résidence France
Domaines Mathématiques, théorie des catégories
Institutions CNRS, Université de Rennes, Université Paris-XIII
Diplôme Doctorat d'État de l'Université de Paris
Formation École normale supérieure (Paris)
Directeur de thèse Charles Ehresmann
Renommé pour Bicatégories, catégories fibrées, catégories enrichies, distributeurs

Jean Bénabou, né le à Rabat et mort le à Paris, est un mathématicien français. Il est l'auteur de contributions majeures à la théorie des catégories.

Biographie[modifier | modifier le code]

Jeunesse et débuts mathématiques[modifier | modifier le code]

Joseph Jean Bénabou naît le à Rabat, capitale du protectorat français au Maroc[1],[2],[3]. Il y effectue sa scolarité, jusqu'au baccalauréat[4].

En 1952, il entre à l'école normale supérieure de Paris, où il obtient l'agrégation de mathématiques en 1955 (9e). L'année suivante, il est recruté au CNRS[2]. En 1963, il quitte le CNRS pour l'université de Rennes, où il est nommé chargé d'enseignement[5],[4].

Des années 60 en ébullition[modifier | modifier le code]

Dès sa sortie de l'ENS, Bénabou travaille sous la direction de Charles Ehresmann, l'un des fondateurs du groupe Bourbaki. Il s'intéresse d'abord à certains treillis issus de la topologie[6],[7] puis à la théorie des topos de Grothendieck et Giraud, qui le mène à se pencher sur la théorie des catégories[2]. Il introduit dans ce domaine plusieurs concepts qui deviendront centraux, comme les catégories monoïdales ou les catégories enrichies, et publie notamment une série de quatre articles dans les comptes-rendus de l'Académie des sciences[2],[8],[9],[10],[11].

En 1965, il peine à terminer sa thèse d'État, pour laquelle il envisage de nombreux développements. Claude Chevalley, à qui il présente ses travaux, le convainc que son premier chapitre constitue une thèse suffisante[4]. Intitulée Structures algébriques dans les catégories, il la soutient en 1966 à l'université de Paris devant un jury présidé par Henri Cartan[2],[12],[13].

En 1966-1967, il est invité par Saunders Mac Lane à l'université de Chicago, où il poursuit ses travaux en introduisant les notions de bicatégorie et de distributeur[2],[14].

De retour en France, Bénabou travaille sur la descente (en), notamment avec Jacques Roubaud. Ensemble, ils démontrent un théorème (connu comme « théorème de Bénabou-Roubaud ») qui ouvre d'importantes perspectives dans le domaine[15],[2],[16],[17].

Liens avec l'OuLiPo[modifier | modifier le code]

Jean Bénabou à son domicile parisien, en 2019.

Pendant ces années, Bénabou est proche de l'OuLiPo. Son cousin, l'historien Marcel Bénabou, est membre du groupe littéraire et en deviendra le « secrétaire définitivement provisoire »[4],[18]. Il se lie également d'amitié avec le mathématicien et poète Jacques Roubaud, qui est l'un de ses collègues lors de son passage à Rennes. Les deux hommes partagent leur passion pour la théorie des catégories, et Roubaud citera régulièrement Bénabou dans son œuvre littéraire[4],[3],[19].

En 1969, Bénabou apparaît même brièvement dans La Disparition de Georges Perec, dans un passage vraisemblablement dû à Roubaud pastichant un texte mathématique[20] :

«  Or voici qu’il y a huit mois Kan, travaillant sur un adjoint à lui (...) montra par induction, croit-on, (...) la Proposition : Soit G soit H soit K (H ⊂G, G ⊃K) trois magmas (nous suivons Kurosh) où l’on a (...) ; si H, K n’ont qu’un individu commun H ∩ K = Las ! Kan mourut avant d’avoir fini son job. Donc à la fin, l’on n’a toujours pas la solution (1).

(1) Il paraîtrait, dit-on, qu’Ibn Abbou (son cousin plutôt) aurait la solution, mais s’il la connaît, à coup sûr il la tait ! »

En 1987-88, Bénabou publie une série d'articles dans les Cahiers de poétique comparée, dirigés notamment par Roubaud[4].

Le professeur et « son » séminaire[modifier | modifier le code]

À partir de 1969, Bénabou organise un séminaire de théorie des catégories, à Jussieu puis à l'Institut Henri-Poincaré. Surnommé « séminaire Bénabou », ce séminaire sera pendant plus de trente ans un lieu d'intenses échanges scientifiques[21],[2],[4].

Nommé professeur à l'université Paris-XIII, Bénabou poursuit ses travaux en s'intéressant aux topos, à la logique catégorique (en) et aux catégories fibrées (en)[2]. Il développe une approche singulière de ces dernières, publiant plusieurs articles sur la question et donnant en 1980 à Louvain-la-Neuve un cours qui fera date[22],[23],[24],[2],[25],[26].

À cette période, il dirige également plusieurs thèses, notamment celles de Sabah Al Fakir en 1973[27], Brigitte Lesaffre en 1974[26], Jean Celeyrette en 1975[28], Michel Coste et Yves Diers en 1977[12],[26], Marie-Françoise Roy en 1980[12], Jacques Penon en 1985[26] et Dominique Bourn en 1990[29].

Tombe de Jean Benabou au cimetière du Père-Lachaise (division 1).

En 1992, Bénabou prend sa retraite[30]. Il conserve néanmoins une activité scientifique, et publie encore plusieurs travaux sur les topos et les fibrations, entre autres aux côtés de Thomas Streicher (en)[31],[32],[33],[34],[35]. Il continue également à organiser son séminaire jusqu'en 2001[2], et donne des exposés jusqu'à la fin de sa vie[36].

Mort[modifier | modifier le code]

Il meurt à Paris le , à l'âge de 89 ans. Ses funérailles ont lieu quelques jours plus tard au cimetière du Père-Lachaise[1],[37], où il est inhumé (division 1, caveau Adam-Braun).

Travaux et influence[modifier | modifier le code]

Contributions à la théorie des catégories[modifier | modifier le code]

Jean Bénabou a significativement contribué au développement de la théorie des catégories, qu'il a participé à diffuser en France à la suite de Grothendieck et d'Ehresmann, notamment pendant les trois décennies de « son » séminaire (1969-2001)[2],[26].

Il a étudié plusieurs concepts aujourd'hui centraux dans la théorie, en particulier :

Il est également à l'origine du nom des monades[46],[47],[48].

Une œuvre écrite très parcellaire[modifier | modifier le code]

L'étendue des travaux de Bénabou est néanmoins difficile à décrire. En effet, son perfectionnisme, sa recherche de l'élégance et de la généralité l'ont souvent poussé à retravailler ses résultats et à en retarder la publication, de sorte que ses travaux publiés sont très rares et parcellaires[4],[26]. À l'inverse, la transmission orale prend une place importante dans la diffusion de ses contributions : Bénabou, décrit comme un orateur remarquable, donne toute sa vie de nombreux exposés et plusieurs cours où il présente ses travaux[2],[26].

Ainsi son approche des catégories fibrées, qui est l'une de ses principales lignes de recherche, n'a longtemps été formalisée que dans les notes prises par Jean-Roger Roisin d'après un cours de Bénabou à Louvain-la-Neuve en 1980[22],[26]. Une version plus avancée de ces travaux est à nouveau diffusée comme notes de cours par Thomas Streicher en 1999 (sous le titre Fibered categories à la Jean Bénabou), puis étendue à partir de 2018[25]. Sa généralisation des catégories fibrées aux « catégories feuilletées », débutée en 1984 et poursuivie jusqu'à la fin de sa vie, n'est quant à elle publiée que via l'enregistrement d'un exposé en 2012, et via un échange de courriers électroniques en 2014 sur une liste de diffusion[26],[44],[49],[50].

À sa mort, Jean Bénabou laisse de nombreux manuscrits mathématiques non publiés. Son fils Roland manifeste le souhait d'en faire don à une bibliothèque universitaire[26].

Conflits d'attribution et héritage[modifier | modifier le code]

L'absence de publication ou la publication tardive (et parfois en langue française) des travaux de Bénabou, ainsi que son éloignement de l'école nord-américaine dominante en théorie des catégories, ont parfois jeté la confusion sur la paternité de ses résultats. Ainsi en va-t-il de l'invention des catégories monoïdales (également attribuée à Mac Lane[9]), de celle des catégories enrichies (attribuée à tort à Eilenberg et Kelly[26]) ou de ses premiers travaux sur les catégories fibrées (éclipsés par ceux de Paré et Schumacher sur les catégories indexées, adoptant une approche concurrente[26]). Jacques Roubaud rapporte en outre le plagiat, par un mathématicien qu'il ne nomme pas, de travaux exposés par Bénabou à Oberwolfach[4].

Plus généralement, une part importante des travaux de Bénabou reste méconnue faute de publication, notamment ses contributions à l'étude des catégories fibrées et les travaux de ses dernières décennies d'activité[26].

Cette situation est particulièrement mal vécue par Bénabou, qui voit en elle une volonté d'invisibilisation de ses contributions de la part de l'école nord-américaine, et réagit parfois de manière violente et excessive[4],[26]. En 2007, il lance une virulente controverse suite à l'attribution erronée du théorème de Bénabou-Roubaud à John Beck (en) par Peter Johnstone (en), qu'il accuse d'avoir omis plusieurs citations de lui-même et de son doctorant Jean Celeyrette dans Sketches of an Elephant[4],[17],[51],[52].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Insee, « Extrait de l'acte de décès de Joseph Jean Bénabou », sur MatchID
  2. a b c d e f g h i j k l m n o p q r et s (en-US) « Category Theory Yesterday Today (and Tomorrow?) : A Colloquium in Honour of Jean Benabou », sur Archive for Mathematical Sciences & Philosophy (consulté le )
  3. a et b Jacques Roubaud, Mathématique récit, Éditions du Seuil, (ISBN 978-2-02-101513-3 et 2-02-101513-0, OCLC 937895474, lire en ligne)
  4. a b c d e f g h i j et k Jacques Roubaud, « Esquisse d’un portrait de Jean Bénabou, catégoricien », sur Images des mathématiques, CNRS, (consulté le )
  5. D. Couty, « Friendly views on Claude Chevalley », arXiv:2201.13054 [math],‎ (lire en ligne, consulté le )
  6. Jean Bénabou, « Treillis locaux », Séminaire Dubreil. Algèbre et théorie des nombres, vol. 11, no 1,‎ 1957-1958 (lire en ligne Accès libre [PDF])
  7. Jean Bénabou, « Treillis locaux et paratopologies », Séminaire Ehresmann. Topologie et géométrie différentielle, vol. 1,‎ 1957-1958 (lire en ligne Accès libre [PDF])
  8. a et b Jean Bénabou, « Catégories avec multiplication », Comptes-rendus de l'Académie des sciences, vol. 256,‎ , p. 1887-1890 (lire en ligne Accès libre)
  9. a b et c (en) « Monoidal category », sur nLab (consulté le )
  10. a et b Jean Bénabou, « Catégories relatives », Comptes-rendus de l'Académie des sciences, vol. 260, no 4,‎ , p. 3824-3827 (lire en ligne Accès libre)
  11. a et b « Enriched category », sur nLab (consulté le )
  12. a b et c « Jean Bénabou », sur The Mathematics Genealogy Project (consulté le )
  13. Jean Bénabou, « Structures algébriques dans les catégories », Cahiers de topologie et géométrie différentielle catégoriques, vol. 10, no 1,‎ (lire en ligne Accès libre [PDF])
  14. a b et c Jean Bénabou, « Introduction to bicategories », dans Reports of the Midwest Category Seminar, vol. 47, Springer Berlin Heidelberg, (ISBN 978-3-540-03918-1, DOI 10.1007/bfb0074299, lire en ligne), p. 1–77
  15. a et b Jean Bénabou et Jacques Roubaud, « Monades et descente », Comptes-rendus de l'Académie des sciences, vol. 270,‎ , p. 96-98 (lire en ligne Accès libre)
  16. (en) « Bénabou-Roubaud theorem », sur nLab (consulté le )
  17. a et b (en) « Beck’s theorem vs. Benabou-Roubaud », sur Mathlight's Blog, (consulté le )
  18. « Marcel Bénabou », sur Oulipo.net, (consulté le )
  19. Jacques Roubaud, Impératif catégorique, Paris, Seuil, , 274 p. (ISBN 978-2-02-091242-6)
  20. Marc Parayre, « Traces directes ou indirectes de Jacques Roubaud dans La Disparition de Georges Perec », sur Les Cahiers Jacques Roubaud, (consulté le )
  21. Gaël Donneger, « Fonds de l'UER Mathématiques, 1970-1980 », Répertoire d'archives de l'université Paris 7 Diderot, sur yumpu.com (consulté le )
  22. a et b Jean-Roger Roisin, Les catégories fibrées, d'après un cours de J. Bénabou, Institut de mathématique pure et appliquée, Université catholique de Louvain,
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  25. a et b Thomas Streicher, « Fibered Categories a la Jean Benabou », arXiv:1801.02927 [math],‎ (lire en ligne, consulté le )
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  28. Jean Celeyrette, Catégories internes et fibrations (Thèse de doctorat), Villetaneuse, Université Paris-Nord, (OCLC 490098219)
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  32. (en) Jean Bénabou et Bruno Loiseau, « Orbits and monoids in a topos », Journal of Pure and Applied Algebra, vol. 92, no 1,‎ , p. 29–54 (DOI 10.1016/0022-4049(94)90045-0, lire en ligne, consulté le )
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  37. « Hommage à Jean Bénabou (1932 - 2022) », sur CLE = Catégories, Logiques, Etc... (consulté le )
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  48. (en) John Baez, « Week 200 », sur This Week's Finds in Mathematical Physics, (consulté le )
  49. Jean Bénabou, « Foncteurs cartésiens et catégories feuilletées » [vidéo], Journée René Guitart, (consulté le )
  50. (en) Jean Bénabou, A brief survey of cartesian functors, Archive of the categories mailing list, (lire en ligne)
  51. (en) Jean Bénabou, « References », sur Archives of the categories list, (consulté le )
  52. (en) Jean Bénabou, « References », sur Archive of the categories list, (consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]