Gravure sur bois

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Bloc de bois gravé pour imprimer du textile, une technique venue de Chine, et connue depuis l'Antiquité.
Gravure d’un bloc de bois

La gravure sur bois ou xylogravure[1], est un procédé de gravure en taille d'épargne sur un support en bois. Il s'agit peut-être de la plus ancienne technique d'impression.

La xylogravure désigne l'action de graver un dessin ou un texte sur une planche de « bois de fil » (coupe longitudinale) ou sur « bois debout » (coupe transversale)[2], généralement à l'aide d'une gouge ou un burin. On l'appelle aussi xylographie, qui a le sens étymologique d'« écriture sur bois » et se rapporte aussi bien à la technique dont tous les caractères, non mobiles, sont gravés sur la plaque, qu'à l'estampe ainsi obtenue après impression[3], mais l'usage est de réserver ce terme aux gravures en feuilles, c'est-à-dire aux pages entières obtenues par gravure de texte et/ou d'image sur un même support de bois, et non aux gravures qui interviennent en tant qu'illustrations rajoutées dans des textes imprimés. On rencontre aussi le terme de xyloglyphie, trait gravé en creux dans le bois[4], qui s'applique plus particulièrement aux lettres gravées dans le bois pour les affiches[5].

Le principe

La xylographie orientale

Livre aux pages jaunies, imprimées de signes chinois à l'encre noire
Livre chinois imprimé au XVIIIe siècle à l'aide de planches gravées en taille d'épargne.

La xylographie a été pratiquée dès le VIIe siècle en Chine, puis en Corée et au Japon.

Cette technique de taille d'épargne (l'encre se dépose sur les reliefs laissés) permet d'obtenir facilement et à moindre coût des livres en petites séries, à la demande, puisque les plaques de bois sont gravées rapidement - y compris par des illettrés - et qu'elles peuvent être conservées pendant longtemps, réutilisées ultérieurement ou corrigées par incrustation de pièces de bois[6].

Les débuts de la gravure sur bois en Occident

Albrecht Dürer, Les Cavaliers de l'Apocalypse (1497-1498), gravure sur bois.

Le plus ancien bois gravé connu à ce jour en Occident est le bois Protat, découvert fin 1899 près de l'abbaye de La Ferté-sur-Grosne (Saône-et-Loire). Une face, bien conservée, représente un détail d'une scène de La Crucifixion ; le revers concerne, quant à lui, L'Annonciation. Selon toute vraisemblance, ce bois retrouvé ne représente qu'un tiers ou un quart de la totalité de l'œuvre, qui était très probablement destinée à imprimer sur tissu. Jules Protat (1852-1906), imprimeur et collectionneur mâconnais qui fit cette découverte et lui donna son nom, en tira une épreuve qu'il montra à l'occasion de la rétrospective de la typographie, dans le cadre de l'Exposition universelle de Paris. Puis il la présenta à Henri Bouchot, alors conservateur du cabinet des estampes à la Bibliothèque nationale, qui entreprit des recherches lui permettant de dater l'objet aux environs de 1370, et lui consacra un livre[7]. Le bois Protat est resté un siècle dans la famille de son inventeur, avant d'être acquis en dation par le département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France. Aujourd'hui, la bibliographie spécialisée est revenue sur la datation très précoce de Bouchot et s'accorde à considérer que le bois Protat date du début du XVe siècle.

La méthode d'origine de gravure sur bois fut développée vers 1400. Elle est plus précisément qualifiée de coupe de bois, parce qu'elle utilise un couteau comme outil principal, outre les outils de gravure classique (gouges) : l'esquisse du dessin à graver est inscrite à l'aide d'un couteau sur le côté dressé lisse du bois et l'excès de surface du bloc de bois, hors des zones d'impression, est ensuite retiré. Cela laisse l'ensemble des surfaces de bois « en épargne » sur la face du bloc. Pour faire une empreinte de cette gravure, de l'encre est appliquée sur le dessin en relief. Finalement, une feuille de papier (ou d'une autre matière) est pressée fermement contre le bois et frottée pour assurer que toutes les surfaces encrées s'impriment. Cette méthode s'est conservée en Orient pour l'estampe. En Occident, la mise au point par Gutenberg de la presse typographique à imprimer a conduit à utiliser celle-ci pour imprimer les gravures. La gravure sur bois étant un procédé d'impression en relief, comme la typographie, il est possible d'imprimer en même temps le texte et l'image (tandis qu'avec d'autres procédés, gravure sur cuivre ou lithographie, on devait employer deux systèmes d'impression différents et donc placer les illustrations en hors-texte).

Les gravures sur bois, dès l'origine, ont des sujets religieux, puis représentent des signes astrologiques, des proverbes, des maximes morales, les unes comme les autres jouant certainement un rôle de protection, enfin une multitude de thèmes populaires. Les gravures sont largement diffusées par des colporteurs et « montreurs d'images ». En outre, les dominotiers utilisent la gravure pour multiplier diverses impressions décoratives sur papier, sur tissu, et, surtout, les cartiers pour les jeux de cartes. L'impression se fait en noir, la couleur étant ensuite appliquée manuellement ou au moyen de pochoirs, plus rarement en utilisant des impressions successives de bois gravés (un pour chaque couleur). Cette technique d'impression en couleurs faisant intervenir le bois n'apparaît en Allemagne que vers 1508-1510 avec Jost de Negker ou Hans Baldung Grien Hans Baldung et en Italie qu'en 1516 avec Ugo da Carpi à Venise. Cette technique s'appelle gravure en camaïeu ou pour les estampes italiennes, chiaroscuro. Elle est développée pour donner à la gravure un aspect de dessin.

La gravure sur bois ne cesse pas d'être pratiquée par l'imagerie populaire mais, à partir du XVIIe siècle, elle est concurrencée par les techniques de gravure sur cuivre, burin puis eau-forte, qui offrent une plus grande finesse de traits et des possibilités beaucoup plus étendues, puis au XIXe par la lithographie.

La gravure sur bois de fil permet de très nombreux tirages. Jean-Michel Papillon dans son Traité historique et technique sur la gravure en bois daté de 1766 (l'expression « gravure en bois » est une autre manière d'appeler ainsi cette technique. C'est en tous les cas ainsi que les graveurs spécialisés aux époques anciennes la désignaient) parle ainsi d'une affiche que son grand-père imprimait déjà, que son père continuait d'imprimer jusqu'à lui, si bien que Jean-Michel Papillon peut ainsi déclarer que « maintenant, en 1761, cette planche a tiré plus d’un million d’exemplaire, et qu’elle n’a, pour ainsi dire, d’autre défaut considérable, qu’une fente qui s’est faite à la planche dans toute sa longueur, ce qui n’empêche pas qu’elle serve toujours ».

Renaissance de la gravure sur bois

La gravure sur bois de bout[8]

Thomas Bewick, illustration pour History of British Birds (1847), gravure sur bois de bout.

La technique de la gravure sur bois a été redéveloppée, environ 350 ans plus tard, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle avec les travaux de Thomas Bewick. Bewick réalisait généralement ses gravures dans des bois (en général, du buis) plus durs que ceux normalement utilisés et gravait le bout d'un bloc plutôt que le côté, d'où le nom donné à cette technique, la « gravure sur bois de bout »[9], le fil du bois étant perpendiculaire à la surface à graver, il n'oppose plus la direction de ses fibres, comme dans le bois de fil dans la gravure sur bois traditionnelle. Trouvant le couteau inadapté pour travailler le grain des bois plus durs, Bewick utilisait l'outil de gravure utilisé pour le cuivre, le burin, ou la gouge qui possède un écartement en V. Graver le bois de cette manière produisait des images aux détails beaucoup plus fins que la gravure sur bois de fil, et assez proches de celles produites en gravant sur les plaques de cuivre. Mais, contrairement aux gravures sur plaques de cuivre qui se détérioraient rapidement et qui étaient surtout difficiles à encrer, des milliers de copies pouvaient être imprimées en utilisant des blocs de bois gravés. Puisque les gravures sur bois utilisent l'empreinte en relief, alors que les gravures sur métal utilisent la technique de taille-douce (impression en creux), elles pouvaient être utilisées sur des presses conventionnelles, qui avaient elles-mêmes connu des progrès mécaniques rapides lors du premier quart du XIXe siècle. Suite à l'innovation de Bewick et aux progrès de la presse, les illustrations d'art, les paysages, les processus techniques, les personnages célèbres, les territoires étrangers et de nombreux autres sujets se sont répandus.

Gustave Doré, La Bible (1866), illustration Création de la lumière, gravée sur bois de bout par Héliodore Pisan.

Les innovations de Bewick furent reprises et améliorées par un groupe important de graveurs sur bois professionnels, chargés presque exclusivement, non de créer leurs propres œuvres, mais d'interpréter en gravure les dessins originaux des illustrateurs. En 1817, l'imprimeur Firmin Didot fait venir en France un spécialiste de la gravure anglaise, Charles Thompson. Trois livres illustrés avec ses bois sont publiés : un Rabelais (1820), La Fontaine (1826) et Bérenger (1827). À la suite de Thompson, on voit apparaître des graveurs français, Louis-Henri Brévière (1797-1869), Lavoignat, John Andrew, Jean Best et Isidore Leloir (l'Atelier ABL), Porret… Hippolyte Lavoignat incarne bientôt une première école française du bois de bout. Il sera suivi par Héliodore Pisan qui, lui, introduit une gravure de teinte, parvenant à rendre les nuances et les demi-teintes d'un lavis, ce qui permettra le parfait rendu des illustrations de Gustave Doré. Les travaux célèbres de Doré sont ainsi le résultat de la collaboration entre Doré et de talentueux graveurs sur bois : outre Pisan, François Pannemaker, Jacques Adrien Lavieille, Henri Théophile Hildibrand, Louis-Henri Brévière, Ernest Boetzel, Pierdon, Maurand, Hébert, E. Deschamps, Dumont, Delduc, Fagnon, et bien d'autres[10].

L'illustrateur dessine directement sur le bloc de bois, le graveur n'ayant plus qu'à intervenir en interprétant avec sa technique propre les différentes nuances. Il arrive souvent qu'une gravure de grand format soit réalisée sur des morceaux séparés, chacun confié à un graveur différent, les blocs étant ensuite assemblés et la gravure terminée par le graveur « chef d’équipe ». On en vient, pour nuancer la profondeur des noirs, à intercaler entre la platine qui assure l'impression et la feuille de papier, un habillage de carton creusé ou renforcé par du papier collé, de manière à ce que la pression soit plus forte aux endroits de la gravure doit être plus noire, ou plus faible dans les zones claires. Cette pratique s'appelle en France la mise en train. Thomas Bewick, déjà, avait mis au point une technique similaire en abaissant légèrement la hauteur du bois dans les zones les plus claires. À la fin du XIXe siècle, on interprète de la même façon des photographies et l'outillage des graveurs est extrêmement perfectionné (échoppes rayées ou vélos permettant de graver des traits parallèles, et même des machines permettant de faciliter le travail). Pour assurer les très grands tirages de la presse (jusqu'à 100 000 exemplaires), il est nécessaire de multiplier les formes imprimantes : les bois originaux sont moulés dans du plâtre, et ces empreintes reçoivent un alliage de plomb typographique pour donner des clichés ou stéréotypes. Les procédés photomécaniques (similigravure) mettent progressivement fin à la gravure de reproduction. Une technique proche subsistera, appelée en France trait anglais, qui n'est plus de la gravure, mais du dessin sur carte à gratter, utilisé dans la publicité et l'illustration de presse tant qu'il sera nécessaire de pallier la faible qualité de la similigravure et des papiers des journaux.

Renaissance de la gravure sur bois de fil

Félix Valloton, La Nuit (1896), gravure sur bois de fil.

La fin du XIXe siècle voit la fin de la gravure sur bois de bout, définitivement supplantée par la photographie et ses dérivés, comme la similigravure. La virtuosité technique des graveurs a mené aux excès de la gravure de teinte, qui a perdu la fraîcheur et la spontanéité de la gravure sur bois originelle. Des graveurs artistes comme Auguste Lepère reviennent à une gravure sur bois de bout créative, mais ils demeurent des cas isolés. Paul Gauguin travaille encore le bois de bout au burin, mais évidemment dans un esprit radicalement différent. Les artistes préfèrent revenir à la gravure sur bois de fil, renouant avec les aplats francs et la simplicité, comme Félix Vallotton. La technique du bois de fil séduit par ses qualités expressives. Le peintre Edvard Munch emploie notamment un procédé de plaques découpées et assemblées comme un puzzle, pour expérimenter la polychromie et reproduire une même œuvre dans différents tons. Les expressionnistes allemands vont également être séduits par l'aspect organique et spontané de la technique.

La gravure sur bois est maintenant utilisée en tant que discipline artistique, et plus rarement pour créer des couvertures de livres, des éditions limitées pour les beaux-arts, des illustrations de livres et des maquettes commerciales.

Graveurs sur bois occidentaux célèbres

Bibliographie

En français

  • Nouvelles de l'estampe, no 185-186, « La gravure sur bois de 1400 à nos jours », Bibliothèque nationale de France, Paris, 2002-2003
  • Rémi Blachon, La Gravure sur bois au XIXe siècle, l'âge du bois debout, Paris, Les Éditions de l'Amateur, 2001 (ISBN 2-85917-332-3)
  • Heinrich Rumpel, La Gravure sur bois, Genève, Éditions de Bonvent, 1972
  • Louis Dimier, « Le bois d'illustration du XIXe siècle », in revue Le Dessin, p. 431-443, ill., no 8, février 1936
  • Henri Bouchot, Un ancêtre de la gravure sur bois, Librairie centrale des beaux-arts, Paris, 1902
  • Nicole Rigal, préface Jean Grosjean, Cours de Gravure, Éditions De Vecchi, 1997-2003

En anglais

Filmographie

  • 1999 : Christian Richard, La Gravure sur bois, 26 min., CRDP Aquitaine

Notes

  1. La Gravure en relief, sur le site du Centre de la Gravure et de l'Image imprimée de la Fédération Wallonie-Bruxelles, consulté le 30 mars 2014
  2. La Gravure en relief, sur le site du Centre de la Gravure et de l'Image imprimée de la Fédération Wallonie-Bruxelles, consulté le 30 mars 2014
  3. Informations lexicographiques et étymologiques de « xylographie » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales
  4. Informations lexicographiques et étymologiques de « glyphe » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales
  5. Informations lexicographiques et étymologiques de « xyloglyphie » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales
  6. Xylographie, article de la Bibliothèque nationale de France, consulté le 1er avril 2014
  7. Henri Bouchot, Un ancêtre de la gravure sur bois, Librairie centrale des beaux-arts, Paris, 1902.
  8. Ségolène Le Men, « Bois de bout, gravure », article sur l'Encyclopædia Universalis en ligne.
  9. Parfois improprement appelée « gravure sur bois debout ».
  10. Henri Leblanc, dans son Catalogue raisonné de l'œuvre de Gustave Doré, a recensé environ 160 graveurs pour ce seul artiste.

Voir aussi

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