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Ski de pente raide

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Ski dans le couloir Jager au mont Blanc du Tacul. Une pente très difficile avec des inclinaisons supérieures à 50°, cotée 5.4[1].

Le ski de pente raide, ou ski extrême, est une discipline du ski qui conjugue alpinisme et ski de randonnée et se pratique dans un couloir ou sur une pente, généralement au départ d'un sommet que l'on atteint après une ascension à pied ou à ski en mettant parfois en œuvre du matériel d'alpinisme (piolets, crampons, cordes). Les pentes sont définies par leur raideur, sans que l'on puisse fixer un seuil exact au-delà duquel une pente est considérée comme raide. La qualification d'une pente raide dépend de son inclinaison, en général supérieure ou égale à 50° sur certaines portions[2], mais aussi de sa longueur, de son engagement (éloignement, possibilités d'échappatoires ou secours) et de son exposition aux dangers (forte probabilité de mort en cas de chute, risque d'avalanche ou chute de sérac).

Le ski de pente raide, discipline extrême historique, est parfois confondu avec le ski freeride, une pratique du ski alpin hors-piste.

Description

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La notion de « ski extrême » est de plus en plus délaissée pour celle de « pente raide ». Plusieurs raisons, notamment liées à l'évolution du matériel, l'expliquent :

  • l'amélioration des skis a rendu plus facile la descente des pentes difficiles[3] ;
  • l'amélioration du matériel d'alpinisme (crampons, piolets) a permis à de plus en plus de skieurs de se lancer dans l'ascension de pentes autrefois réservées à des alpinistes chevronnés[4] ;
  • l'amélioration des prévisions météorologiques et la création de portails qui répertorient les sorties réalisées ont facilité l'accès aux informations cruciales avant de se lancer (danger d'avalanche, image récente des conditions, etc.)[5] ;
  • la différenciation avec les disciplines de ski modernes, davantage médiatisées et sponsorisées, dites « extrêmes » par effet de mode (freeride, freestyle, backcountry, etc.) mais pratiquées toutefois sur des terrains moins exposés[6].

Il semble que l'on puisse conserver le terme de ski extrême pour évoquer des pentes dépassant une certaine cotation (5.4) et un certain engagement (E4). Ces pentes sont généralement très peu fréquentées par les skieurs (plus souvent par les alpinistes), pour de multiples raisons : elles sont raides, rarement en conditions ou difficiles d'accès, ou comportent des risques objectifs très élevés (chute de séracs, dry skiing nécessaire...) et elles exigent un solide équilibre psychique. Des exemples combinent parfois plusieurs de ces caractéristiques : la face Est de la Blanche de Peuterey (rarement en condition, difficile d'accès), le Linceul aux Grandes Jorasses (risques objectifs très élevés, raideur), ou les montagnes dépassant 8 000 m (isolement). Le ski de pente raide semble faire les frais d'une utilisation abusive et galvaudée du terme « extrême » souvent employé pour qualifier des disciplines modernes qui se pratiquent sur des sites aménagés dans un cadre accueillant où l'isolement est quasiment nul (domaine skiable, présence de spectateurs, d'hélicoptères ou de drones, animations, etc.).

Aiguille d'Argentière, avec le glacier du Milieu (au centre), skié en 1937.

La pratique du ski de pente raide a émergé dans les Alpes. Une des descentes les plus marquantes des années 1930 est celle du Fuscherkarkopf, réalisée en 1935 par Peter Schindelmeister et Fritz Krügler, motivés par la seule difficulté technique. Auparavant, en 1926, le guide français Armand Charlet avait descendu une partie du glacier d'Envers du Plan (Chamonix) sur des skis de 1,50 m[7].

En 1937, Émile Allais descend l'aiguille d'Argentière par le glacier du Milieu, avec Maurice Lafforgue et André Tournier, ainsi que la pente nord du Dôme du Goûter avec E. Livacic. En 1953, le guide chamoniard Lionel Terray et le Canadien Bill Dunaway descendent la face nord du mont Blanc.

Après la Seconde Guerre mondiale, le développement du ski (remontées mécaniques, pistes damées) conduit à une amélioration générale du niveau technique des skieurs et participe ainsi à la baisse du niveau de difficulté de pentes considérées alors comme « extrêmes ».

Sylvain Saudan

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Durant les années 1960, le Suisse Sylvain Saudan contribua au développement et à la médiatisation de la discipline auprès du grand public. Le , il descend le couloir Spencer de l'aiguille de la Blaitière (Chamonix), avec une pente moyenne de 50° et des sections à 55°. C'est le début d'une série de premières devenues des classiques du genre : le couloir Whymper sur la face sud de l'aiguille Verte (1968), le couloir Gervasutti sur la face est du mont Blanc du Tacul (1968), le couloir Marinelli sur la face est du mont Rose (1969), la face nord de l'aiguille de Bionnassay (1969), la face nord-ouest de l'Eiger (1970) ; en 1972, la face sud-ouest du Denali (Alaska, États-Unis), du sommet à 6 190 m jusqu'à 1 800 m, avec des inclinaisons jusqu'à 45° ; en 1977 la face est du Nun (7 135 m) ; en 1982 le Gasherbrum I (8 068 m).

Années 1970-1980

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Face nord de l'aiguille verte. Sur la gauche, le couloir Couturier descendu en 1973 par Cachat-Russet, Baud et Vallençant.

En 1971, Serge Cachat-Rosset (1948-2019) descend la face nord-est des Courtes[8]. En 1973, il descend la face nord de l'aiguille Verte par le couloir Couturier. Un dénivelé de 1 100 mètres avec une pente jusqu'à 50-55°. Héliporté jusqu'au sommet, il met environ 5 heures pour réaliser la descente. Le couloir est répété sans aide de l'hélicoptère quelques jours plus tard par Patrick Vallençant et Anselme Baud, deux des principaux skieurs extrêmes des années 1970. En 1975, Vallençant descend plusieurs couloirs du massif des Écrins : couloir nord-ouest du pic Sans Nom, couloir nord du Coup de Sabre, couloir nord du col du Diable, couloir Gravelotte de La Meije.

En 1977, Jean-Marc Boivin descend l'éperon Frendo sur l'aiguille du Midi. En 1980, il exerce une nouvelle fois son talent dans une trilogie au Cervin : descente de la face est, ascension en solo de la face nord par la voie Schmid suivie de la descente en deltaplane. L'exploit est relaté dans le reportage Aventure au Cervin, récompensé au Trento Film Festival de 1981. En 1985, il descend le couloir en Y de l'aiguille Verte (−1 000 m, 50-60°).

En Autriche

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À la fin des années 1960, les skieurs autrichiens les plus actifs sont Kurt Lapuch et Manfred Oberegger. En , ils descendent la face nord-ouest du Grosses Wiesbachhorn. En 1971, Oberegger et Albrecht Thausing répètent le ravin Pallavicini du Grossglockner, où fut tourné en 1968 le film Ski Extrem.

Le ramoneur sud-tyrolien Heini Holzer réalise chaque année plusieurs descentes raides à partir de 1970. Parmi les plus difficiles, on trouve la face nord du Piz Palü (1972), l'éperon de la Brenva au mont Blanc (1973), les faces nord du Aletschhorn et Grand Paradis (1975). Holzer disparait en 1977, en chutant dans la descente de la face nord-est du Piz Roseg.

Deux skieurs italiens se feront ensuite connaitre : Toni Valeruz et Stefano De Benedetti. Valeruz descend notamment la face est du Cervin (1975), la face nord-ouest du Gran Vernel (1979), la face nord-est de l'Eiger (1983) et la face nord-est du Civetta (1994). De Benetti descend notamment la voie normale côté Brenva du mont Blanc (1979), la face nord du Fletschhorn (1983), la face nord-ouest du Grand-Combin (4 314 m) et l'arête de l'Innomée sur la pente sud du mont Blanc.

Des années 1990 à aujourd'hui

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À partir des années 1990, la discipline se démocratise peu à peu conduisant à tous les exploits et toutes les dérives. Symptomatique de la course à l'exploit qui caractérise cette époque, figure Bruno Gouvy qui atteint 177 km/h en monoski. Il saute en parachute depuis un hélicoptère au-dessus des Drus afin de skier une pente de neige suspendue atteignable par des rappels[9]. Plus tard, en 2001, Marco Siffredi réussit le couloir Norton à l'Everest.

Selon la pratique et l'itinéraire, tant à la montée qu'à la descente, les choix techniques et les caractéristiques du ski peuvent varier. Un poids léger facilite la montée, mais un ski lourd (sans carbone) facilitera l'engagement du skieur dans la descente. La longueur sera courte (virage serré) à moyenne (meilleure stabilité). Une rigidité prononcée facilite la tenue sur les profils incurvés (goulotte), fortement inclinés ou à neige dure. Le cambre sera classique pour augmenter la surface de contact avec la neige et éviter ainsi les torsions[10].

En plus du matériel classique de ski de montagne (détecteur de victimes d'avalanches, couteaux à ski, etc.), les pratiquants se munissent du matériel d'alpinisme utile à l'ascension du sommet ou à l'accès de la zone skiable : un baudrier léger d'alpinisme, une corde de rappel (utilisée pour les rappels à ski), des crampons adaptés aux chaussures de ski, un ou deux piolets courts, casque, descendeur, etc. Le sac à dos est muni de sangles « porte-ski », facilitant le portage des skis lors de la progression à pied.

Les skieurs

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Francesco Cassardo descendant le Gasherbrum.

Skieurs connus pour avoir ouvert des descentes à ski en pente raide :

Grandes réalisations

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Dans les Alpes :

  • 1968 : couloir Gervasutti (mont Blanc du Tacul) ;
  • 1969 : couloir Marinelli (pointe Dufour) ;
  • 1969 : aiguille de Bionnassay (face nord) ;
  • 1970 : Eiger (face ouest) ;
  • 1971 : Grandes Jorasses (face sud) ;
  • 1973 : couloir Couturier et Nant Blanc à l'aiguille Verte (massif du Mont-Blanc) ;
  • 1977 : face Nord de l'aiguille du Midi (massif du Mont-Blanc) ;
  • 1973 : épaule de la face Est du Cervin (par Toni Valeruz) ;
  • 1977 : Blanche de Peuterey (massif du Mont-Blanc) ;
  • 1977 (3 juillet) : Autrichiens aux Courtes (massif du Mont-Blanc par Daniel Chauchefoin) ;
  • 1977 (11 septembre) : couloir des Italiens à la Grande Casse (massif de la Vanoise) ;
  • 1978 (mai) : couloir Mayer-Dibona à la face Ouest du Dôme de neige des Écrins (par E. Monnier) ;
  • 1978 (6 juillet) : face est Weisshorn (par Martin Burtscher et Kurt Jeschke) ;
  • 1983 (12 mai): nord-est de l'Eiger (voie Lauper par Toni Valeruz) ;
  • 1995 : Linceul aux Grandes Jorasses (massif du Mont-Blanc) ;
  • 1995 (16 juin) : face nord de l'aiguille de Triolet (massif du Mont-Blanc) ;
  • 2000 : nord du Graustock et du Tannhorn (par Marcel Steurer).

Reste du monde :

  • 1964 : Cho Oyu (descente par la voie normale) ;
  • couloir Norton (Everest) ;
  • Wickersham Wall (Denali) ;
  • 2000 : descente intégrale de l'Everest (Davo Karnicar avec oxygène) ;
  • K2 (Pakistan), par Andrzej Bargiel en 2018.

Notes et références

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  1. Mont Blanc du Tacul : Couloir Jager, camptocamp.org
  2. À titre de comparaison, en station une piste noire est inclinée à 30° maximum.
  3. « Quel ski choisir pour la pente raide ? », sur www.montagnes-magazine.com,
  4. « Le matériel de l'alpiniste (et du grimpeur) », sur www.centrefederaldedocumentation.ffcam.fr (consulté le )
  5. « Météo en montagne : mode d'emploi pour comprendre et prévoir le temps », sur www.montagnes-magazine.com,
  6. « Pratiques extrêmes et transition récréative », sur www.journals.opendition.org,
  7. François Labande, Ski de randonnée Haute-Savoie • Mont Blanc: 170 itinéraires de ski alpinisme, Olizane, 2015 (ISBN 978-2880864354) [lire en ligne]
  8. (en) Roger Frison-Roche, A History of Mountain Climbing, , 335 p. (ISBN 978-2-08-013622-0, lire en ligne).
  9. « Bruno Gouvy : folie aux Drus », sur alpinemag
  10. « Pente raide : Matériel et usages : skis, fixations et chaussures », sur www.montagnes.magazine.com,

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Bibliographie

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  • Dominique Potard, Skieurs du ciel : une histoire du ski extrême, Chamonix, Guérin, , 301 p. (ISBN 978-2-35221-063-4)