Républicanisme

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Le républicanisme est une idéologie politique selon laquelle l'objectif d'un État et le sens même de son existence comme de ses décisions doivent être le bien commun (en latin, res publica : « la chose publique »). Selon le républicanisme, les détenteurs du pouvoir doivent être nommés par d'autres moyens que l'hérédité, c'est-à-dire être élus par le peuple ou par une partie de celui-ci. La notion de souveraineté populaire découle donc en partie de cette idéologie, mais elle ne lui est pas nécessairement attachée.

La notion de « république » remonte à l'Antiquité grecque et romaine, et l'idéologie républicaine moderne a pris des formes légèrement différentes selon qu'elle a été développée aux États-Unis, en France, ou en Irlande[1]. À l'époque moderne, le républicanisme s'oppose à d'autres idéologies politiques telles que le monarchisme, l'autoritarisme ou le despotisme. Dans les débats contemporains, c'est principalement au libéralisme politique qu'il s'oppose.

Le républicanisme dans l'histoire

Dans sa version française, développée en particulier sous la plume de Rousseau, il défend le principe de souveraineté populaire et de participation populaire. Au XVIIIe siècle, il s'oppose à la souveraineté absolue, puis, après la tentative d'évasion de Louis XVI arrêté à Varennes, il s'oppose directement à la monarchie. Il perdra de la vitesse au début du XIXe siècle avec l'entrée dans l'industrialisation où on estimera que les contraintes "éthiques" du républicanisme ne sont plus d'actualité avec la recherche accrue du profit. Cependant, au milieu du XXe siècle, il intègre une perspective individualiste, c'est-à-dire qu'il présume que les individus recherchent leur bonheur plutôt que la participation politique pour elle-même, et se renouvèle de façon à trouver pleinement sa place dans la pensée politique moderne et contemporaine[2].

Par conséquent, outre les penseurs historiques reconnus comme appartenant au républicanisme : Machiavel (Discours sur la Première Décade de Tite Live), Harrington (Commonwealth of Oceana) ou les penseurs de la Révolution française, actuellement l'Irlandais Philip Pettit, l'Anglais Quentin Skinner, les italiens Maurizio Viroli, Sauro Mattarelli ou le Français Jean-Fabien Spitz appartiennent à ce courant. Le républicanisme contemporain peut prendre des voies relativement diverses. Ces diverses voies sont incarnées par Hannah Arendt, Michael Sandel, Charles Taylor, Iseult Honohan, Philip Pettit, John Maynor, entre autres.

L'histoire du républicanisme a été profondément révisée depuis les années 1970 et les travaux de J. G. A. Pocock et Quentin Skinner, qui en retracent le parcours depuis l'Antiquité jusqu'au XVIIIe siècle, en passant par l'Italie de la Renaissance et l'Angleterre du XVIIe siècle. En 2007, Paul Baquiast et Emmanuel Dupuy, appuyés sur une équipe internationale d'une trentaine d'universitaires et d'acteurs engagés, ont établi une photographie de l'idée républicaine en Europe et dans le monde -[3]


Le républicanisme aujourd'hui

Républicanisme et libéralisme

En règle générale, dans les débats de philosophie politique contemporaine, on peut dire qu'il s'oppose, parfois frontalement, parfois dans un rapport plus correctif, au libéralisme politique. En effet, le libéralisme politique défend une philosophie du sujet rationnel, "désengagé" de ses appartenances héritées, et demande que ce sujet soit libre, c'est-à-dire, pour le libéralisme, qu'il ne subisse pas d'interférence quand il use de sa raison pour faire des choix n'engageant que son mode de vie. Le rôle du droit et de l'État est de préserver cette liberté, considérant qu'il existe un espace individuel sur lequel l'espace social ne doit avoir aucun pouvoir.

Le républicanisme pour sa part comprend le sujet et sa liberté différemment. Il fait une place le plus souvent aux caractéristiques sociales des individus (Charles Taylor, Philip Pettit, John Maynor), comme son statut professionnel, son genre, sa culture - mais pas toujours (Hannah Arendt). Puis il pose la non-domination comme définition du principe de liberté. Pour lui, il faut jouir d'un statut social qui assure au citoyen une indépendance à l'égard d'autrui : « Pour faire un républicain, il faut prendre l'être humain si petit et si humble qu'il soit, un enfant, un adolescent, une jeune fille ; il faut prendre l'homme le plus inculte, le travailleur le plus accablé par l'excès de travail, et lui donner l'idée qu'il faut penser par lui-même, qu'il ne doit ni foi ni obéissance à personne. » Ferdinand Buisson, 1887.

Le républicanisme reconnaît un rôle essentiel à l'État comme garant de la non-domination. Il pose, en effet, qu'une règle sociale (loi) peut être génératrice de liberté (liberté de réunion et liberté de la presse acquises grâce à la loi de 1881). En ce sens, il distingue entre les interférences, ce que le libéralisme ne fait pas : il y a des interférences légitimes (comme celles de la loi, lorsque celle-ci vise à assurer la non-domination), et des interférences arbitraires, qui doivent être combattues parce qu'elles sont arbitraires, et non parce qu'elles interfèrent. Il définit un état contrôlé par ses citoyens et où la loi émane d'eux, à travers leurs représentants. L'électeur a pour « devoir » d'essayer de sélectionner les candidats aux élections en fonction, non pas de son intérêt personnel, mais en fonction de leurs aptitudes à défendre le bien commun. Les gouvernants, quant à eux, dans cette philosophie, doivent prendre des décisions visant le bien commun, l'intérêt général. S'il y a divergence sur ce bien commun, il faut alors en débattre. Ce courant est donc empreint d'exigences éthiques.

Dans le débat politique contemporain, le philosophe Rawls, qui est un penseur majeur d'un certain libéralisme politique (c'est le titre de son deuxième opus magistral), s'est rapproché d'une certaine voie républicaine, qu'il appelle le « républicanisme politique », et qui insiste moins sur les valeurs politiques communes pour préférer constituer la non-domination comme la seule « chose publique » (res publica), le seul "bien commun" (chez Pettit en particulier). Sa théorie de la justice se rapproche des valeurs républicaines. Les auteurs varient cependant sur des points tels que la laïcité, le fédéralisme, ou la forme de la République.

Le républicanisme français

Dans le paysage politique français, la quasi-totalité des partis ou mouvements font référence à la république sociale, après la faillite de l'État soviétique et l'échec du "socialisme réel" : le Mouvement républicain et citoyen de Jean-Pierre Chevènement, une frange du Parti radical de gauche, le Parti de gauche fondé par l'ex-socialiste Jean-Luc Mélenchon, l'aile gauche du PS d'Arnaud Montebourg par exemple. Mais la droite également, pour se distinguer de la droite nationaliste, se qualifie souvent de "droite républicaine". Ce partage apparent recouvre une assez grande confusion philosophique et théorique. On trouve au sein de ces mouvements des références au républicanisme, souvent teinté d'autres valeurs : gaullisme social, socialisme, radicalisme… Pour ne pas verser dans des amalgames (libéralisme politique, multiculturalisme, universalisme républicain, autoritarisme républicain, communautarisme, politique des identités, ...), la philosophie politique contemporaine offre de nombreuses et précieuses ressources.

Certains philosophes comme Denis Collin[4] effectuent une synthèse entre ce courant et un marxisme critique. Le triptyque Liberté, Égalité, Fraternité (ou communauté chez Pettit) découle pour les philosophes de ce courant de la définition de la Liberté comme non-domination. L'égalité devient alors la garantie d'une absence d'arbitraire, qui permet la liberté.

On peut lire une application de cette définition à des débats concrets de la société française (la loi de mars 2004 sur le port des signes religieux à l'école, la parité, les revendications d'identité régionale, l'école...) dans La République et ses démons. Essais de républicanisme appliqué[5].

Dates importantes de la République française

Le républicanisme québécois

Depuis quelques années, l’étude du républicanisme au Québec a connu une renaissance, à la faveur de travaux qui ont mis en lumière l’existence d’une tradition qui, si cachée qu’elle fût, n’en a pas moins décliné l’idée de république tout au long des XIXe et XXe siècles. Ces travaux ont repris pour une large part les schémas d’analyse de l’école historique inaugurée par John G.A. Pocock et Quentin Skinner. Il apparaît maintenant clair, grâce aux travaux de l’historien Louis-Georges Harvey[6] et du sociologue Stéphane Kelly[7], que les élites du Bas-Canada qui tentèrent de se trouver une place dans le gouvernement colonial puis de se rebeller contre lui entre 1819 et 1840 ont emprunté à l’imaginaire et aux arguments du Country party en Grande-Bretagne et des révolutionnaires américains. Bien que le projet politique des Patriotes ait échoué en 1837-38, leur discours républicain a survécu à la répression coloniale et à l’hégémonie de l’Église catholique et continué d’imprégner, sous des appellations et des mouvements divers, les débats politiques au Bas-Canada, puis au Québec jusqu’au début de la Révolution dite « tranquille », que l’on situe au début des années 1960[8]. Ce renouveau de l'étude du républicanisme au Québec permet d'interroger autrement l'histoire politique du Québec et le développement des idéologies, en rompant avec les vieux schémas qui divisaient les idées suivant les oppositions tradition/modernité ou libéralisme/conservatisme. Ce renouveau permet notamment de rejeter l'application au Canada français de la théorie du fragment, inspirée de l'Américain Louis Hartz, qui lie l'essor des idéologies dans une société à son contexte colonial, suivant qu'il fut absolutiste ou déjà acquis au libéralisme. Ainsi, plusieurs générations d'historiens n'ont eu de cesse de voir dans la Nouvelle-France un régime absolutiste et féodal, qui prédisposait mal les Canadiens français à bien user des institutions démocratiques. Une relecture républicaine de l'histoire de la Nouvelle-France permet au contraire d'y déceler un régime assez proche de l'idéal français de la monarchie tempérée doublé d'un espace social de libertés assez étonnant pour l'époque[9]. Outre l'étude de l'histoire du régime français, le renouveau de l'étude du républicanisme a ouvert d'autres pistes d'analyse : l'inscription du Québec dans un monde atlantique de discours politique[10], la genèse de l'idée de constitution[11], la culture du citoyen-soldat[12] et le rapport des intellectuels québécois au libéralisme français au début du XXe siècle[13]. Le juriste et politologue Marc Chevrier s'est employé a esquisser les traits d'une République à la québécoise à fonder en retraçant dans l'histoire politique du Québec les bases d'une tradition bien ancrée, mais pourtant oubliée[14]. Le politologue Danic Parenteau a tenté de montré qu'il existe une "pratique sociale d'inspiration républicaine fort répandue et enracinée dans l'imaginaire collectif québécois[15]", même si celle-ci n'a jamais été pleinement assumée par les Québécois eux-même. Par ailleurs, cet intérêt nouveau pour l'idée de république au Québec a alimenté la réflexion sur l'avenir politique du Québec et notamment sur l'adoption d'une véritable constitution écrite d'un État ou d'une République du Québec[16].

Le républicanisme irlandais

Le Fianna Fáil, parti au pouvoir en République d'Irlande, se considère comme parti républicain, dans le sens où il est pour l'unité de l'Irlande.

Notes et références

  1. (en) Philip Pettit, The Tree of Liberty: Republicanism, American, French and Irish, Field Day Review, Vol. 1, pp. 29-41
  2. Jean-Fabien Spitz, Le Moment républicain
  3. La république universelle, 2 volumes (Sous la direction de Paul Baquiast et Emmanuel Dupuy), L'Harmattan, 2007
  4. Denis Collin, Revive la République, Armand Colin, 2005
  5. La République et ses démons. Essais de républicanisme appliqué, éditions Ère, 2007
  6. Le Printemps de l'Amérique française, Montréal, Boréal, 2005
  7. La petite loterie, Montréal, Boréal, 1997
  8. Marc Chevrier, « L’idée républicaine au Québec et au Canada français – les avatars d’une tradition cachée – », dans Paul Baquiast et Emmanuel Dupuy (dir.), L’idée républicaine dans le monde XVIIIe/XXIe siècles, Volume 2, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 31-64
  9. Marc Chevrier, "La république néo-française", Bulletin d'histoire politique, vol. 17, no 3, 2009, p.29-58
  10. Linda Cardinal, "Le Québec et le monde atlantique", Bulletin d'histoire politique, vol. 17 no 3, 2009, p. 17-28
  11. Louis-George Harvey, "Les Patriotes, le républicanisme et la constitution québécoise", Bulletin d'histoire politique, vol. 17 no 3, 2009, p. 59-78
  12. Samuel Trudeau, "L'expérience républicaine de la guerre, de l'hoplite au désarmement québécois", Bulletin d'histoire politique, vol. 17, no 3, 2009, p. 79-92
  13. Charles-Philippe Courtois, "Le républicanisme au Québec au début du XXe siècle : Les cas de figure de Wilfrid Gascon, Olivar Asselin et Ève Ciré-Côté", Bulletin d'histoire politique, vol. 17, no 3, 2009, p. 93-120
  14. Marc Chevrier, la République québécoise. Hommages à une idée suspecte, Montréal, Boréal, , 454 pages (ISBN 978-2-7646-2183-7)
  15. Danic Parenteau, Précis républicain à l'usage des Québécois, Montréal, Fides, , 147 pages (ISBN 978-2-7621-3750-7)
  16. Voir Marc Chevrier, "La République du Québec et sa constitution", Argument, vol. 10, no 1, 2007-2008, p. 127-161; André Binette, "Aspects juridiques de la fondation de la République du Québec, Bulletin d'histoire politique, vol. 17, no 3, 2009, p. 121-137.

Annexes

Articles connexes

Liens externes