Première cohabitation

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Première cohabitation
François Mitterrand
Président de la République
Jacques Chirac
Premier ministre
PS RPR
Deuxième cohabitation
Troisième cohabitation

La première cohabitation est une période de l'histoire politique française qui a lieu de mars 1986 à mai 1988. Elle se caractérise par une situation institutionnelle inédite : alors que le socialiste François Mitterrand est président de la République depuis 1981, les élections législatives de mars 1986 portent à l'Assemblée nationale une majorité de droite. François Mitterrand nomme alors Jacques Chirac, président du RPR, au poste de Premier ministre. C'est la première fois sous la Ve République que doivent coexister un président de la République et un premier ministre de tendances politiques divergentes.

Cette cohabitation, dont l'éventualité n'est pas explicitement prévue par les institutions de la Ve république, est considérée comme « réussie » mais parfois « crispée »[1]. Elle conduit à une nouvelle définition du rôle du président, qui se voit réduit à une figure arbitrale et symbolique, tandis que le Premier ministre devient de fait le chef de l'exécutif.

Contexte

L'ambiguïté institutionnelle

Une cohabitation anticipée

À partir de 1983, la majorité socialiste portée au pouvoir en 1981 essuie une série d'échecs lors des élections municipales de 1983, européennes de 1984 et cantonales de 1985. Ce désaveu populaire résulte en grande partie de l'inefficacité apparente du gouvernement face à la montée du chômage. Aussi, les socialistes s'attendent-ils à un vote de sanction aux élections législatives de mars 1986. Le mandat de François Mitterrand, élu pour sept ans, n'expire, lui, qu'en 1988, ce qui laisse imaginer la confrontation d'un président et d'une majorité politiquement opposés.

Dès 1983, des personnalités politiques telles que Valéry Giscard-d'Estaing ou Édouard Balladur avaient fait l'hypothèse de la cohabitation et affirmaient qu'elle n'était en rien incompatible avec la constitution de 1958. Seul Raymond Barre avait notablement souhaité dans une pareille situation la démission de François Mitterrand, craignant pour la stabilité des institutions. En ce qui concerne le président, Mitterrand laisse planer le doute quant à ses intentions, affirmant le ne pas vouloir être « un président au rabais » mais se réfère dans le même temps à la constitution qui ne prévoit en aucun cas la démission du président de la République, lequel n'est pas responsable devant le parlement.

Par la loi du , le gouvernement de Laurent Fabius rebat cependant les cartes en adoptant le mode de scrutin proportionnel qui doit permettre à la gauche d'éviter la déroute, tout en affaiblissant la droite par l'entrée au Palais Bourbon de députés d'extrême-droite du Front national. Mais l'éventualité d'une cohabitation entre un président de gauche et un exécutif de droite est dorénavant envisagée par tous les responsables politiques[2].

Élections législatives de 1986 et formation du gouvernement Chirac II

Comme prévu, les élections législatives de sanctionnent le pouvoir socialiste et voient une victoire de la coalition RPR-UDF qui recueille 43,9 % des voix. Le scrutin proportionnel permet toutefois aux socialistes de sauver la face en obtenant 31 % des suffrages. Dans ce contexte, le président Mitterrand conserve une certaine légitimité et refuse donc de quitter le pouvoir, considérant la Constitution de la Ve République assez flexible pour qu'un président et un Premier ministre de bords politiques opposés cohabitent. La victoire de la droite est par ailleurs incomplète puisqu'elle ne dispose que d'une courte majorité absolue, d'autant plus que les 35 députés du Front national demeurent dans l'opposition.

François Mitterrand nomme ainsi Jacques Chirac, tête de file du RPR sorti vainqueur des législatives, Premier ministre. Il espère ainsi le fatiguer et rendre son parti impopulaire en vue de l'élection présidentielle de 1988.

Rapports entre l'Élysée et Matignon

Relations conflictuelles

Durant cette période de cohabitation, il y a parfois des moments de tension entre les deux têtes de l'exécutif, notamment en matière de politique extérieure et sur certains dossiers de politique intérieure. Dès la formation du gouvernement, François Mitterrand s'oppose à la nomination de certains ministres, parmi lesquels Jean Lecanuet[3] (pour le porte-feuille des Affaires étrangères), François Léotard, (pour la Défense nationale) et Étienne Dailly (pour la Justice). En effet, la Constitution de la Ve République donne des pouvoirs constitutionnels propres au Président en ces matières (en vertu des articles 13, 14 et 15)[4]. À l'inverse, dans les autres domaines relevant du Premier ministre, François Mitterrand nomme les 42 personnalités proposées par Jacques Chirac[1]. De même, il s'abstient de critiquer le gouvernement à l'automne 1986, quand celui-ci fait face à une période politique difficile marquée par l'attentat de la rue de Rennes à Paris et les mouvements sociaux contre la loi Devaquet.

Le président refuse par la suite de signer des ordonnances (celles sur les privatisations, sur le découpage électoral ou sur l'aménagement du temps de travail), déclenchant ainsi une controverse constitutionnelle à ce propos. Cependant, un certain équilibre institutionnel est trouvé, et la première cohabitation établit des règles non écrites qui seront respectées lors des cohabitations suivantes, permettant aux institutions de fonctionner et à la France de continuer de parler d'une seule voix sur la scène internationale. L'exemple le plus frappant des compromis qui sont trouvés concerne les conférences de presse à la suite des sommets internationaux, où François Mitterrand prétend d'abord parler seul au nom de la France ; après les protestations de Jacques Chirac, il est convenu que les conférences de presse se feraient en commun et que le président de la République et le Premier ministre répondraient à tour de rôle aux questions des journalistes.

Coopération et communauté de vues

Le président Mitterrand avait pourtant d'autres choix qu'il tient des pouvoirs dispensés de contreseing qui sont les siens et de son rôle d'arbitre : soit celui d'user de la liberté que lui donne l'article 8 alinéa 1 de la constitution pour nommer un Premier ministre de son bord, voire un centriste de compromis, « acceptable » par une partie de la nouvelle majorité parlementaire et d'attendre un éventuel renversement du gouvernement pour aviser ; soit celui de décider immédiatement une dissolution pour mettre les électeurs devant leur choix contradictoire et espérer ainsi une majorité parlementaire favorable, ce qui dans le cas contraire l'aurait immanquablement conduit cette fois à se soumettre en désignant un Premier ministre conforme aux vœux des électeurs.

Le président Mitterrand refusa, dès les premières semaines, cette attitude de confrontation en nommant directement le chef de la nouvelle majorité parlementaire. Le , Le président délivre un message au Parlement par la voix de Jacques Chaban-Delmas, par lequel il adopte la position du « repli arbitral ». C'est le fameux discours surnommé "La constitution, rien que la constitution, toute la constitution"[5]. Peut-être faut-il voir là le mauvais souvenir laissé par la crise du 16 mai 1877 provoquée par Patrice de Mac Mahon dans les débuts de la Troisième République, qui symbolise la résistance vaine à une majorité parlementaire du bord politique opposé[6]. Sans doute le président avait-il le désir d'inscrire la gouvernance de gauche dans la tradition républicaine, tout en « usant » son principal adversaire politique.

Politiques menées

Sur le plan intérieur

Au niveau extérieur

Fin de la cohabitation

Le second tour de l'élection présidentielle de 1988 voit l'affrontement de François Mitterrand et Jacques Chirac, après l'élimination du candidat centriste Raymond Barre. Pour la première fois, un président et un Premier ministre se retrouvent adversaires lors d'un scrutin national.

Le débat télévisé de l'entre-deux-tours est marqué par une ultime humiliation. Jacques Chirac affirme à Mitterrand : « Ce soir, je ne suis pas le Premier ministre et vous n'êtes pas le président de la République. Nous sommes deux candidats, à égalité. […] Vous me permettrez donc de vous appeler Monsieur Mitterrand » ; le chef de l'État répond alors avec sarcasme : « Mais vous avez tout à fait raison, monsieur le Premier ministre ».

Le , le président sortant est réélu avec 54,02 % des voix. Sa stratégie d'épuisement de l'exécutif a fonctionné et lui a permis de revenir en grâce aux dépens de Jacques Chirac. Fort de cette légitimité retrouvée, Mitterrand nomme Michel Rocard à Matignon et décide de dissoudre l'Assemblée nationale. Dans la foulée, les élections législatives de donnent une majorité relative au PS avec 275 sièges, tandis que l'alliance RPR-UDF n'en recueille plus que 271 : c'est la fin de la première cohabitation.

Notes et références

  1. a et b Gilles Champagne, L'essentiel du droit constitutionnel (T. 2 Les institutions de la Ve République)., Paris, Éditions Gualino, août 2016 (16e édition)., 192 p. (ISBN 978-2-297-05418-8), p. 65
  2. « Une première sous la Ve République : la cohabitation de 1986-1988 | Vie publique », sur www.vie-publique.fr (consulté le )
  3. (en) « Mitterrand Vetoes 4 Choices by Chirac for New French Cabinet », Los Angeles Times, 20 mars 1986.
  4. Constitution Française du 4 octobre 1958 : texte intégral en vigueur, Paris, Les éditions du Journal Officiel., , 70 p. (ISBN 978-2-11-010318-5), p. 12/13
  5. INA, « Message de François Mitterrand, lu par Jacques Chaban-Delmas. », sur Ina.fr, (consulté le )
  6. Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième République : 1870-1940, Paris, Éditions du Point, , 447 p. (ISBN 978-2-02-006777-5), p. 60/61

Bibliographie

  • Georges Saunier (dir.), Mitterrand, les années d'alternance. 1984-1986 et 1986-1988, éd. Nouveau Monde, 2019.
  • Gilles Champagne, L'essentiel du droit constitutionnel, (T.2 Les institutions de la Ve République), Éditions Gualino, 16e éditions. .

Voir aussi

Articles connexes