Sillages...

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Sillages…
op. 27
Couverture de partition, titre et nom d'auteur
Couverture de l'édition originale (Durand, 1913)

Genre Suite pour piano
Nb. de mouvements 3
Musique Louis Aubert
Durée approximative 22 min
Dates de composition 1908-1912
Dédicataire Jacques Durand
Création
Concert Durand, salle Érard
Paris Drapeau de la France France
Interprètes Lucien Wurmser

Sillages… op. 27, est une suite de trois pièces pour piano, composée par Louis Aubert de 1908 à 1912. L'œuvre est créée par Lucien Wurmser, le dans la salle Érard. La partition, publiée aux Éditions Durand la même année, est dédiée à Jacques Durand.

Guy Sacre, à la suite de Vladimir Jankélévitch, considère les Sillages… comme « le chef-d'œuvre pianistique d'Aubert ».

Composition[modifier | modifier le code]

Louis Aubert compose les pièces de Sillages… de 1908 à 1912[1].

Création[modifier | modifier le code]

L'œuvre est créée par Lucien Wurmser, le dans la salle Érard[2]. Le programme du concert « renseigne précieusement sur l'inspiration de chacun des trois mouvements de cette musique évocatrice[3] ».

La partition, publiée aux Éditions Durand la même année[4], est dédiée « à Jacques Durand, en témoignage d'affection[5] ». Elle est parfois présentée comme l'op. 27 de son auteur[6].

Présentation[modifier | modifier le code]

L'œuvre est en trois mouvements :

  1. « Sur le rivage ». Assez lent en mi mineur, à
    (avec de nombreux changements de mesure),
  2. « Socorry ». Très lent en la bémol majeur, à
    puis à
    , la habanera centrale à
    ,
  3. « Dans la nuit ». Vif et léger en fa dièse majeur, à
    .

La durée d'exécution est d'environ vingt-deux minutes[7],[8].

Parcours de l'œuvre[modifier | modifier le code]

I. « Sur le rivage »[modifier | modifier le code]

La première pièce, Sur le rivage, plus proche des Houles de Gabriel Dupont (La Maison dans les dunes) que d'Une barque sur l'océan de Ravel, « ne peint pas l'attirance du large, mais l'appréhension qu'il inspire » selon Guy Sacre[9].

Dans cette « mise en scène des caprices de l'océan, qui frappe les côtes de la Bretagne au Pays basque », l'interprète ressent « la stupeur face à son étendue majestueuse, où le ruissellement continu des arpèges laisse émerger très vite du ressac un thème en accords, expressif et large[3] ».

Après « un développement empli de chromatismes aux accents presque franckistes (une rareté chez Aubert !), les éléments initiaux reviennent en ordre inversé, pour conclure en mi mineur, avec d'ultimes fragments de vagues[10] ».

II. « Socorry »[modifier | modifier le code]

Cadran solaire avec l'inscription en latin Vulnerant omnes, ultima necat.
Inscription sur le cadran solaire de l'Église Saint-Vincent d'Urrugne.

Cette pièce porte, en exergue :

« Vulnerant omnes, ultima necat. »

— inscrit sur le clocher d'Urrugne, proche de Socorry[11].

Cet adage sur les heures, « inscrit sur de nombreux cadrans solaires (« Elles blessent toutes, et la dernière tue »), Aubert l'a lu sur le clocher d'Urrugne (Pays basque)[9] ». Socorry[note 1] est « le cœur battant de son triptyque[9] ». En effet, cette pièce évoque « un autre sillage, la trace laissée par la vie humaine[13] ».

Après un début « hésitant (en la bémol majeur, très lent), dont les notes tintent à la façon de cloches lourdes », un rythme de habanera « s'affirme, peu à peu (en mi bémol) et désormais, entre fougue et nonchalance, ne va plus qu'en augmentant, retrouvant pour finir la tonalité initiale de la bémol. Ce tableau d'une vie grouillante, tragique par son paradoxe, poignant par ses violentes couleurs, ses harmonies troubles et bitonales, se fige brusquement sur un point d'orgue. Et la fin, estompée, n'évoque plus que le glas[14] ».

Michel Dimitri Calvocoressi admire cette pièce « où tournoie un rythme de danse basque, superbe d'allure et riche d'émotion [15] ».

Vladimir Jankélévitch, analysant l'importance et le caractère de la danse dans l'œuvre de Ravel[16], insiste sur « la cubaine habanera, c'est-à-dire le tango andalou que Bizet, Saint-Saëns, Chabrier, Laparra et Louis Aubert ont rendue célèbre[16] ». Cette pièce centrale de Sillages... et la suivante[2] annoncent la Habanera qu'il compose après la première Guerre mondiale[17].

III. « Dans la nuit »[modifier | modifier le code]

Dans la nuit, en fa dièse majeur, « ne doit pas seulement son titre à son homonyme des Fantasiestücke de Schumann » (op. 12, no 5, In der Nacht) : Guy Sacre y trouve, « transposées du romantisme à notre modernité, les mêmes hallucinations, que traduit une écriture étincelante : traits alternés, grands arpèges à notes répétées, allers et retours des deux mains en superpositions rythmiques. Dans ces lueurs fantomatiques palpite soudain, très doucement, le thème de la habanera de Socorry et, plus loin, répercuté d'un registre à l'autre et amplifié, monte le chant initial de Sur le rivage », culminant dans une « fin sonore et virtuose, martelée d'accords et striée de traits rapides comme l'éclair[18] ».

Avec « des sonorités aquatiques et des scintillements de lumière », cette « fantaisie onirique et fantastique » compte parmi les « meilleures pages de la musique impressionniste française[13] ».

Postérité[modifier | modifier le code]

Les Sillages… sont considérés, au début du XXIe siècle, comme « le chef-d'œuvre pianistique d'Aubert[9] ».

Accueil critique[modifier | modifier le code]

Lors de la première audition publique des trois pièces, en 1913, le critique de la S.I.M. conclut : « Échappons-nous en suivant les Sillages de Louis Aubert, fluides, ultra-modernes, et si souples, si tendrement irisés[19] ». Michel Dimitri Calvocoressi admet que, « c'est Socorry pour l'instant que je préfère. Il est possible que, devenu plus familier avec ces Sillages qui sont une œuvre de maturité d'un musicien digne de confiance et déjà éprouvé, je modifie cette opinion[15] ». Un critique américain déclare : « Je suis un grand admirateur d'Aubert. Je pense que lui et Florent Schmitt se tiennent côte à côte à la tête de la jeune école française, mais je ne comprends pas tout des compositions de ces deux hommes[20] !… »

En 1921, Louis Vuillemin consacre une monographie à Aubert, où il fait l'éloge de la partition : « Les Sillages, suite de trois grandes pièces pour piano, d'une écriture extrêmement brillante et d'une puissance évocatrice qu'il faut souligner, sont l'une des œuvres de Louis Aubert que l'on joue le plus aujourd'hui[21] ».

En 1930, René Dumesnil considère que les trois pièces de Sillages… « s'apparentent à Debussy et à Fauré, mais sans rien qui ressemble à une imitation ; simplement, l'auteur pénètre, comme il est légitime, dans le domaine dont ces deux maîtres avaient montré l'accès ; mais il y possède sa part bien à lui[22] ».

Après l'« émouvant Hommage à Gabriel Fauré », en 1922, Aubert ne compose plus pour piano : « L'instrument n'a-t-il réellement fleuri pour lui « qu'un seul jour », comme la fleur séculaire du sonnet de Heredia ? ou s'émut-il, ayant écrit ce qu'à bon droit il pouvait considérer comme un joyau du piano français, de ne l'entendre jouer qu'occasionnellement, dans l'ombre encombrante des triptyques de Ravel et de Debussy, des Estampes, des Images, de Gaspard de la nuit[23] ? »

Oubli[modifier | modifier le code]

Louis Aubert meurt en 1968[24]. En 1944, Gustave Samazeuilh oublie les Sillages… dans un aperçu de ses œuvres dont il mentionne, entre autres, les Six poèmes arabes[25]. En 1954, Louis Aguettant nomme Louis Aubert en premier parmi les « élèves de Fauré », présentés dans l'ordre alphabétique, mais ne commente aucune de ses partitions[26].

En 1987, Aubert est absent du Guide de la musique de piano réalisé sous la direction de François-René Tranchefort[note 2]. En 1993, Michel Fleury s'indigne de « l'oubli qui recouvre son œuvre, et dont témoigne une énigmatique autant que scandaleuse disparition du Dictionnaire Grove dans sa version française[28] » : « Il doit être rangé, au même titre que Charles Koechlin ou Florent Schmitt, parmi les quelques « géants » dont la redécouverte devrait permettre d'apprécier dans une plus juste perspective l'évolution de la musique française au XXe siècle[29] ».

Vladimir Jankélévitch en est désolé : « N'eût-il écrit que Sillages, les Poèmes arabes et la Sonate pour violon, Louis Aubert serait déjà l'un des plus grands musiciens français[30] ». Guy Sacre proteste également contre « la méconnaissance où l'on tient coupablement cette poignée d’œuvres admirables, [qui] ne les empêche pas de rayonner à jamais pour ceux qui les ont une fois entrevues[31] ». Les trois pièces de Sillages… en particulier, « sont tombées dans un oubli scandaleux dont quelques pianistes courageux tentent de les sortir[9] ».

Redécouverte[modifier | modifier le code]

Guy Sacre — qui place cette œuvre dans une continuité d'inspiration allant de Saint François de Paule marchant sur les flots de Liszt à Ce qu'a vu le vent d'ouest de Debussy pour « une telle force d'évocation » des « flots démontés, de la mer hurlante et tumultueuse[32] » — soutient que « dans Sillages… Aubert se réveille, prend mesure de lui-même et de son âme immense. La partition, lentement élaborée, comme toutes les œuvres chez lui qui comptent, atteste, dans son écriture pianistique éblouissante, l'imagination colorée, le trait vigoureux, le langage âpre, le sentiment profond dont il est capable[31] ».

Parmi les « pianistes courageux » salués par Guy Sacre[9], Marie-Catherine Girod puis Jean-Pierre Armengaud ont donné des interprétations de « l'un des quatre plus importants triptyques de la musique française pour piano du début du XXe siècle, en marge des deux recueils d'Images de Debussy, aux côtés de Gaspard de la nuit de Ravel, Ombres de Florent Schmitt et Le Chant de la mer de Gustave Samazeuilh[33] ».

Bibliographie[modifier | modifier le code]

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Partition[modifier | modifier le code]

Ouvrages généraux[modifier | modifier le code]

Articles et monographies[modifier | modifier le code]

Notes discographiques[modifier | modifier le code]

Discographie[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Le véritable toponyme est Notre-Dame-de-Socorri, du « Bon Secours : des marins, atteints du choléra, ont été ensevelis là, isolément, par crainte de la contagion[12] ».
  2. Le Guide de la musique de piano passe d'Arne à Auric[27].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Hugon 2015, p. 12.
  2. a et b Vuillemin 1921, p. 45.
  3. a et b Hugon 2015, p. 13.
  4. Vuillemin 1921, p. 71.
  5. Aubert 1913, p. 3.
  6. Tual 2021, p. 13.
  7. Bras 1990, p. 11.
  8. Hugon 2015, p. 3.
  9. a b c d e et f Sacre, I 1998, p. 107.
  10. Hugon 2015, p. 13-14.
  11. Aubert 1913, p. 15.
  12. Bras 1990, p. 1.
  13. a et b Hugon 2015, p. 14.
  14. Sacre, I 1998, p. 107-108.
  15. a et b Calvocoressi 1913, p. 532.
  16. a et b Jankélévitch 1956, p. 155.
  17. Vuillemin 1921, p. 58.
  18. Sacre, I 1998, p. 108.
  19. S.I.M. 1913, p. 71.
  20. Vuillemin 1921, p. 46.
  21. Vuillemin 1921, p. 44.
  22. Dumesnil 1930, p. 153-154.
  23. Sacre, I 1998, p. 105.
  24. Hugon 2015, p. 11.
  25. Samazeuilh 1944, p. 214.
  26. Aguettant 1954, p. 405-406.
  27. Tranchefort 1987, p. 13.
  28. Fleury 1993, p. 6.
  29. Fleury 1993, p. 1.
  30. Jankélévitch 1994.
  31. a et b Sacre, I 1998, p. 104.
  32. Sacre, II 1998, p. 1715.
  33. Hugon 2015, p. 12-13.
  34. Pierre Gervasoni, « Voyage en haute mer avec la pianiste Aline Piboule », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne)

Liens externes[modifier | modifier le code]