Zellige
Le zellige, zliz ou encore jelliz suivant les régions. (de l'arabe : زليج, « petite pierre polie ») est une mosaïque dont les éléments, appelés « tesselles », sont des morceaux de carreaux de faïence colorés. Ces morceaux de terre cuite émaillée sont découpés un à un et assemblés sur un lit de mortier pour former un assemblage géométrique. Le zellige, utilisé principalement pour orner des murs ou des fontaines, est un composant caractéristique de l'architecture islamique d'Afrique du nord, et de la péninsule ibérique, originaire du Maroc[1],[2],[3], et présent en Algérie en Tunisie[4],[5],[6],[7],[8] et en Andalousie. Les maisons traditionnelles en sont munies en signe décoratif[4],[9],[10], mais c'est aussi devenu le cas pour les maisons modernes.
Historique
Sans doute inspiré de la mosaïque berbère, carthaginoise, romaine puis byzantine[11],
En effet en Afrique du Nord, la présence de mosaïque est remontée à l'antiquité.
En 1896 Paul Gauckler, découvre un site de production de poterie à Uthina datant du vi - viie siècle, le site met en lumière certaines techniques de production de poterie d’Afrique du Nord, d'outils et de la céramique de construction en sigillée. Cette découverte ouvre l'hypothèse d'une présence d'artisan byzantin dans la région[4].Il existe également le site archéologique d'Utique dans le Nord de la Tunisie ou des mosaïques géométriques romaines y sont retrouvées, aujourd’hui conservé au British Museum[12].
Le zelliges tient une origine orientale, en effet il apparaît dans la grande mosquée de Kairouan en Tunisie en 862, suite a l'ordre de reconstruction, et d'ornementation de la grande mosquée donné par Ibrahim ibn al-Aghlab et ornemente le dôme qui surmonte le mihrab, et aussi la façade du minaret. Ces zelliges sont constitués de carreaux polychromatique et monochromatique. Il est aujourd’hui admis qu'une partie des carreaux (les monochromatiques) étaient produits sur place par des artisans venus de Bagdad important donc avec eux un savoir faire qui se développera par la suite et se diffusera dans le Maghreb en une déclinaison de différent style régionaux propre. Et les polychromatiques importés directement de Bagdad[13],[14],[15] leur style esthétiques étant similaire a ceux retrouver sur place ils proviennent surement des même ateliers.
Maroc
Le zellige apparaît au Maroc, au Xe siècle[1], d'abord avec des nuances de blanc et de brun. Il s'est ensuite épanoui au XIVe siècle sous la dynastie des Mérinides[16] avec, surtout, l'utilisation du vert et du jaune. Les Mérinides l'ont largement utilisé notamment à Fès et Meknès[2] qui restent les centres de cet art. Au XVIe siècle apparaît l'école de Tétouan qui pratique l'art du zellige aux tons prédominants de vert turquoise, bleu pâle, jaune, brun et blanc[10]. Le rouge ne sera utilisé qu'à partir du XVIIe siècle.
Des émaux aux teintes naturelles continuent à être utilisés au Maroc. Les techniques de fabrication ont peu évolué depuis la dynastie en question. Le zellige est un élément de l'architecture arabe-andalouse qui a su s'adapter aux styles de décoration contemporains tout en préservant un mode de fabrication artisanal.
Le zellige est utilisé pour revêtir des murs, mais aussi parfois des sols. Les carreaux utilisés ont alors une épaisseur d'environ 2 cm. On utilise parfois alors un carré d'environ 10 × 10 cm aux coins coupés pour être combiné avec un cabochon de couleur. Pour habiller les sols, on utilise également le bejmat, pavé rectangulaire d'environ 12 × 4 cm, souvent posé en chevron.
Certaines familles marocaines d'origine andalouse ont en fait leur spécialité depuis plus de sept cents ans, tels que les Megzari, qui étaient à Grenade et ont débarqué à Fès avec la Reconquista.
Images
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Détail d'un panneau de zellige, Grande Mosquée, Paris.
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Fragment de zellige de Tlemcen en Algérie datant du XIVe siècle.
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Mosaïque romaine retrouvée en Tunisie sur le site d'Utique conservé au British Museum
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Mosaïque romaine antique retrouvée en Algérie. Musée archéologique de Cherchell.
Fabrication des zelliges[17]
La première étape de la fabrication est le moulage de l'argile (mzahri en arabe). S'ensuit le calibrage et le séchage du carreau formé, puis sa première cuisson. Les carreaux, d'une dizaine de centimètres de côté, sont ensuite émaillés et cuits. Les carreaux de différentes couleurs sont ensuite découpés selon des formes géométriques définies, ce qui permet leur imbrication. Cette découpe artisanale s'effectue avec un marteau tranchant qui laisse apparaître un fin liseré de terre cuite mise à nu sur le pourtour des morceaux de carreaux découpés (tesselles). Le kassar est l'artisan chargé de tailler les carreaux en tesselles. Son marteau tranchant est nommé manqach. Après cette première découpe, l'étape suivante est le khallaç qui consiste à chanfreiner les tesselles en leur donnant des arrêtes régulières. On nomme en arabe mâalem l'artisan qui élabore les motifs géométriques, parfois d'une grande complexité. Il est en général capable de dessiner et d'assembler de mémoire les tesselles géométriques et de les encoller directement sur les murs à décorer.
Le combustible des fours traditionnels était les feuilles de palmier, les grands chardons blancs et les branches de laurier rose.
Le mâalem Alaoui au milieu du XXe siècle a révolutionné la technique de pose des zelliges. À cette époque, la faïence décorative ne se limitait plus aux espaces sacrés ou intimes mais décorait aussi les monuments publics. Le système imaginé par le mâalem permettait une pose plus rapide et plus solide. Les tesselles ne se posaient plus une à une sur les murs mais par panneaux entiers. À partir d'un tracé sur le sol, on pose les zelliges à l'envers sur du savon noir, on les asperge de stuc mélangé avec de l'eau. On les recouvre ensuite d'une épaisse couche de mortier qui tient le tout. Les commandes royales ont permis de donner un nouveau souffle à l'artisanat du zellige (le mausolée Mohammed-V à Rabat et la mosquée Hassan-II à Casablanca.
L'acheminement de l'argile à l'atelier se fait avec des doubles couffes chargées à dos d'âne. Les artisans concassent les blocs d'argile et les mettent à détremper dans les bassins creusés à même le sol de la cour. L'artisan descend dans la fosse et triture l'argile avec ses mains pour faire pénétrer l'eau. La pâte obtenue est égouttée sur les bords de la fosse puis reléguée en masse dans un coin de l'atelier. Quand elle est égouttée, l'argile est étalée sur les terrasses pour le séchage au soleil pendant les mois d'été. Pendant l'hiver, les employés émaillent, cuisent et découpent les carreaux.
Différentes couleurs des zelliges
Aujourd'hui, la palette des couleurs du zellige s'est singulièrement enrichie de couleurs vives qui permettent de multiplier les compositions à l'infini.
L'émail de fond de couleur blanche est obtenu en enduisant les pièces cuites une première fois avec de la calcine (khfîf) et du sable siliceux en suspension dans de l'eau. La calcine est un mélange d'étain (15 parties) et de plomb (100 parties) calciné au four pour obtenir des oxydes, puis broyé au moulin des faïenciers.
Pour un blanc plus pur, le taux d'étain est augmenté.
Le bleu est obtenu avec de la poudre de smalt (brâya, 'elja) importée de l'étranger. C'est une couleur artificielle fabriquée en fondant de l'arséniure de cobalt naturel, préalablement grillé pour donner un oxyde de cobalt, avec du quartz et de la potasse. Aujourd'hui, le smalt est importé pour avoir une couleur plus vive que le minerai de cobalt du Sud marocain.
Le brun est obtenu au moyen de minerais locaux de fer oligiste ou de manganèse (moghnâsîya kahla). Selon la présence ou non du manganèse, il peut présenter des teintes violacées ou se rapprocher du noir.
Le jaune est issu de minerais de fer locaux du groupe de la limonite ou avec de la stibine (sulfure d'antimoine naturel).
Le vert est le résultat de l'ajout à l'émail blanc de l'oxyde de cuivre préparé par les faïenciers à partir de débris de cuivre rouge achetés aux dinandiers ou de chalcosine (sulfure de cuivre naturel).
Le rouge et l'orange sont les nouvelles couleurs réalisées avec des pigments de synthèse importés que l'on a commencé à utiliser au Maroc au XVIIe siècle.
Signification des zelliges
Le mâalem, le maître d'œuvre réunit ces différentes formes géométriques selon un schéma qui obéit à des règles précises de construction selon la tradition.
Les dessins géométriques ou les motifs floraux répétés à l'infini s'agencent avec des ornements épigraphiques écrits en caractères cursifs ou coufiques, excisés pour former de véritables tapis minéraux d'une grande harmonie de formes ou de couleurs. Les entrelacs géométriques se déroulent à partir d'une étoile centrale (testîr), les formes végétales (tourik), rinceaux, acanthes ou palmettes s'entrecroisent pour remplir les espaces vides ou créer des frises et des encadrements. L'entrelacs islamique se construit sur la base d'une ou plusieurs figures régulières pouvant être situées dans un cercle et se développe en s'épanouissant autour du centre, créant un polygone étoilé, les proportions de la figure de base se répercutant sur la construction mosaïque générale.
Cette œuvre universelle s'adresse à tous, sans distinction de langue ou de culture. Il ne s'agit pas de raconter une histoire, ni d'exprimer des sentiments, ni d'imiter la nature. Les dessins des zelliges sont toujours issus de calculs mathématiques.
Par la force de leur abstraction, ils réussissent à créer un ordre numérique établi inexorablement et un environnement purement formel dans des espaces protégés (demeures, palais, édifices religieux) s'opposant ainsi au chaos du monde extérieur et créant un profond sentiment de calme.
L'harmonie se résume à l'unité dans la multiplicité (al-wahda fil-kuthra), ce précepte servant de base pour la croyance monothéiste ou pour l'art abstrait musulman. L'art du zellige se traduisant par une répétition à l'infini de formes géométriques qui incitent ainsi à la méditation. Le rendu hypnotique de ses motifs fait écho à la grandeur infinie de Dieu. L'art du zellige se conforme et reflète chacun des principes de la foi.
Cette construction d'un univers abstrait fait de formes, de couleurs et de rythmes est aussi une incantation à la gloire de la beauté de l'univers.
Différentes utilisations du zellige
Les faïences émaillées à l'extérieur sont la forme la plus répandue de la céramique marocaine. Les plus anciennes céramiques décorées sont les frises en terre cuite, émaillées qui ornent à Fès les mosquées Karaouyine et celles des Andalous (XIe siècle) et à Marrakech les minarets de la Koutoubia et de la mosquée de la Kasbah au XIIe siècle par les souverains almohades.
Aujourd'hui, les zelliges sont sortis de l'espace architectural pour investir les écrans de télévision sous forme de logo, servir de décoration pour les publicités avec des rosaces ou des frises, pour la vaisselle et l'ameublement.
Hadj Hassan a inventé une fontaine murale avec des maîtres faïenciers de Fès en fixant les faïences sur des résines souples permettant d'alléger les panneaux. Quand les frises sont sèches, Hadj Hassan les stocke sous forme de rouleaux. Cette innovation a permis de faciliter le stockage, d'éviter la casse lors du transport et l'adaptation de panneaux souples sur n'importe quelle surface à décorer. Les zelliges ont été aussi utilisés pour la mode : des mannequins ont porté des modèles de djellabas, de caftans ou de jeans brodés de motifs géométriques élégants.
En peinture, Matisse a commencé sa collection de carreaux nasrides et a réalisé ses premières gouaches découpées (les Nasrides sont les princes andalous vivant à Grenade au XIVe siècle et les zelliges de Fès sont les héritiers des faïences nasrides).
Des peintres marocains ou étrangers ont intégré la marqueterie de faïence dans leurs œuvres.
Notes et références
- Jean Constant, Hyperbolae : Open curves, Hermay NM, , 47 p. (lire en ligne).
- « Zellige », sur HiSoUR Art Culture Histoire, (consulté le ).
- L'Islam, l'art et la géométrie, Roger Bastien, (lire en ligne).
- Dridi, Faouzia (1968-....). Auteur., L'atelier d'Uthina (Oudhna Tunisie) : étude d'une production de céramique de l'antiquité tardive, Atelier national de reproduction des Thèses, (OCLC 494637903, lire en ligne)
- Institut du monde arabe, Musée des Augustins et Maʻhad al-Waṭanī lil-Turāth, Couleurs de Tunisie : 25 siècles de céramique : Institut du monde arabe, Paris, 13 décembre 1994-26 mars 1995 [et] Musée des Augustins, Toulouse, 24 avril-31 juillet 1995, Mairie de Toulouse, (ISBN 2-87660-162-1, 978-2-87660-162-8 et 2-906062-74-X, OCLC 33403179, lire en ligne)
- A. Ben Amara, Max Schvoerer, Abdelaziz Daoulatli et Mourad Rammah, « "Jaune de Raqqada" et autres couleurs de céramiques glaçurées Aghlabides de Tunisie (IXe-Xe siècles) », Revue d'Archéométrie, vol. 25, no 1, , p. 179–186 (ISSN 0399-1237, DOI 10.3406/arsci.2001.1013, lire en ligne, consulté le )
- Álvarez Dopico, Clara-Ilham Verfasser., [Rezension von: Un siècle de céramique d'art en Tunisie : les fils de J. Chemla, Tunis (OCLC 1038736293, lire en ligne)
- Mansour, Guillemette, author., Carreaux de lumiere : l'art du jelliz en Tunisie = Enamelled tiles : the art of jelliz in Tunisia (ISBN 978-9938-936-02-5 et 9938-936-02-4, OCLC 1046657987, lire en ligne)
- Voir Bibliographie : Maroc.
- L'Islam, l'art et la géométrie, Roger Bastien (lire en ligne), p. 3.
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- Sebag, Paul, 1919-2004., La Grande mosquée de Kairouan, "Nouvel observateur, (OCLC 461783870, lire en ligne)
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- Ayed Benamara, Max Schvoerer, Mustapha Haddad et Aomar Akerraz, « Recherche d'indices sur les techniques de fabrication de zelliges du XIVe siècle (Chellah, Maroc) », Revue d'archéométrie, vol. 27, no 1, , p. 103-113 (DOI 10.3406/arsci.2003.1046, lire en ligne, consulté le ).
Annexes
Bibliographie
Maroc
- Roger Bastien, Islam, géométrie et architecture, Raleigh, Lulu.com, 291 p. (ISBN 978-1-4461-5609-4 et 1-4461-5609-5) [aperçu en ligne] — L'art du zellige au Maroc est régulièrement abordé dans cet ouvrage d'un enseignant.
- Ayed Benamara, Max Schvoerer, Mustapha Haddad et Aomar Akerraz, « Recherche d'indices sur les techniques de fabrication de zelliges du XIVe siècle (Chellah, Maroc) », Revue d'archéométrie, no 27, , p. 103-113 (lire en ligne).
- Maroc (trad. Sophie Brun et Sophie Paris), Paris, Guides Gallimard, coll. « Bibliothèque du voyageur », , 368 p. (ISBN 978-2-87009-686-4 et 2-87009-686-0, OCLC 493066047, lire en ligne), ?.[réf. incomplète]
- Gabriel Camps, Éliane Lenoir et Maurice Lenoir, L'ABCdaire du Maroc, Paris, Paris musées/Flammarion, coll. « L'ABCdaire [Série Archéologie et civilisations] » (no 85), , 120 p. (ISBN 2-87900-484-5, 9782879004846 et 2080126741, OCLC 421784208), ?[réf. incomplète]
- Nadia Ben Moussa (ill. Mireille Goëttel), Raconte-moi le zellige, Casablanca, La Croisée des chemins, coll. « Raconte-moi », , 92 p. (ISBN 9981-896-50-0 et 9789981896505, OCLC 166647430)
- Museum with No Frontiers, « Le zellige », dans Le Maroc andalou : à la découverte d'un art de vivre, Casablanca/Aix-en-Provence, Eddif/Édisud, coll. « Arte islamica nel Mediterraneo », , 263 p. (ISBN 9981090549, 9789981090545, 2744901652 et 9782744901652, OCLC 44746592), ? [début du chapitre en ligne].
Articles connexes
Liens externes
- « Zellige », sur BDLP-Maroc, Québec, Université Laval (consulté le ) — Définition, variantes graphiques, citations, commentaire et renvois linguistiques, origine du terme et français de référence.
- « Histoire du zellige marocain », sur zellige.info (consulté le ).
- (en) « Document pédagogique sur le zellige réalisé par le Metropolitan Museum of Art de New York » [PDF], sur ekladata.com (consulté le ).
- (en) « Le motif géométrique dans l'art islamique », sur patterninislamicart.com (consulté le ).