L'Animal que donc je suis

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L'Animal que donc je suis
Auteur Jacques Derrida
Pays France
Genre Philosophie
Éditeur Galilée
Collection La philosophie en effet
Date de parution 2006
Nombre de pages 218
ISBN 2718606932, 9782718606934[à vérifier : ISBN invalide]

L'Animal que donc je suis est un livre du philosophe Jacques Derrida publié en 2006 aux éditions Galilée.

Le livre

L'Animal que donc je suis est le dernier livre publié par Derrida à titre posthume. Ce livre a été édité par Marie Louise Mallet à partir de textes et d’enregistrements de conférences données à Cerisy.

Le livre est séparé en quatre chapitres : son premier chapitre, «L'animal que donc je suis», qui donne son titre à l'ensemble (et qui fait entendre tant le verbe être que le verbe suivre), est connu : il est paru dans le recueil des actes du colloque de Cerisy, L'Animal autobiographique[1]. Le troisième, «Et si l'animal répondait ?», a été insérée dans le Cahier de l'Herne consacré au philosophe[2]. Le deuxième et le quatrième chapitre (la transcription de l'enregistrement sur Heidegger), sans titres, sont inédits[3].

Le thème du livre est le statut de l’animal dans la philosophie moderne et contemporaine. Derrida y examine successivement les œuvres de Descartes, Kant, Levinas, Lacan et Heidegger.

L'analyse

L'« animalité » est pour le philosophe une question délicate et centrale de la déconstruction et de son œuvre[4], ne serait-ce parce qu'elle met en jeu l'hypothétique « propre de l'homme[4] » construit par la métaphysique et la théologie occidentales au cours des derniers siècles ; le terme « animal », au singulier, est rejeté par Derrida dans sa généralité, – parce qu'il est une « simplification conceptuelle » vue comme un premier geste de « répression violente » à l'égard des animaux de la part des hommes, et qui consiste à faire une césure totale entre l'humanité et l'animalité, et un regroupement tout aussi injustifié entre des animaux qui demeurent des vivants radicalements différents les uns des autres, d'une espèce à une autre[4] :

« Chaque fois que « on » dit « L'Animal », chaque fois que le philosophe, ou n'importe qui, dit au singulier et sans plus « L'Animal », en prétendant désigner ainsi tout vivant qui ne serait pas l'homme (...), eh bien, chaque fois, le sujet de cette phrase, ce « on », ce « je » dit une bêtise. Il avoue sans avouer, il déclare, comme un mal se déclare à travers un symptôme, il donne à diagnostiquer un « je dis une bêtise ». Et ce « je dis une bêtise » devrait confirmer non seulement l'animalité qu'il dénie mais sa participation engagée, continuée, organisée à une véritable guerre des espèces. »

— L'animal que donc je suis, Jacques Derrida. p.54

L'animal que donc je suis est d'ailleurs le dernier ouvrage de Jacques Derrida, publié à titre posthume et édité par Marie Louise Mallet à partir de textes, d’enregistrements de conférences. Il y conduit une critique de la pensée de Descartes, de Kant, Lévinas, Lacan et Heidegger, et y rappelle la question du philosophe anglais Jeremy Bentham, qu'il considère essentielle, au sujet des animaux : « peuvent-ils souffrir ? » (qui revient à dire, pour Derrida « Peuvent-ils ne pas pouvoir ? (...) Pouvoir souffrir n'est plus un pouvoir, c'est une possibilité sans pouvoir, une possibilité de l'impossible[5] ») :

« « Can they suffer ? », la réponse ne fait aucun doute. Elle n'a d'ailleurs jamais laissé aucun doute ; c'est pourquoi l'expérience que nous en avons n'est pas même indubitable : elle précède l'indubitable, elle est plus vieille que lui. Point de doute, non plus, pour la possibilité, alors, en nous, d'un élan de compassion, même s'il est ensuite méconnu, refoulé ou dénié, tenu en respect. Devant l' indéniable de cette réponse, (oui, ils souffrent, comme nous qui souffrons pour eux et avec eux), devant cette réponse qui précède toute autre question, la problématique change de sol et socle.(...) Les deux siècles auxquels je me réfère un peu grossièrement pour situer notre présent à cet égard, ce sont les deux siècles d'une lutte inégale, d'une guerre en cours et dont l'inégalité pourrait un jour s'inverser, entre, d'une part, ceux qui violent non seulement la vie animale mais jusqu'à ce sentiment de compassion et, d'autre part, ceux qui en appellent au témoignage irrécusable de cette pitié[5]. »

— L'animal que donc je suis, Jacques Derrida. p.50

Derrida voit dans les rapports de l'homme avec l'animal une « guerre » qu'il faut désormais penser[5], du fait même des « proportions sans précédent de cet assujettissement de l'animal[5] » né « de la violence industrielle, mécanique, chimique, hormonale, génétique, à laquelle l'homme soumet depuis deux siècles la vie animale[5] », violence à l'encontre des animaux comparée par le philosophe à la Shoah, même si :

« De la figure du génocide il ne faudrait ni abuser ni s'acquitter trop vite. Car elle se complique ici : l'anéantissement des espèces, certes, serait à l'œuvre, mais il passerait par l'organisation et l'exploitation d'une survie artificielle, infernale, virtuellement interminable, dans des conditions que des hommes du passé auraient jugées monstrueuses, hors de toutes les normes supposées de la vie propre aux animaux ainsi exterminés dans leur survivance ou dans leur surpeuplement même[5]. »

— L'animal que donc je suis, Jacques Derrida. p. 46

Le philosophe affirme que cet « assujettissement sans précédent de l'animal » a été finalisé conceptuellement par l'idéalisme transcendantal qui désire la maîtrise totale de la nature et de l'« animal » par l'homme et à ses seuls fins, et, s'appuyant sur l'œuvre de Theodor W. Adorno, fait valoir la « fascisation du sujet » par la haine ontologique de l'« animal » kantien :

« Pour un système idéaliste, les animaux jouent virtuellement le même rôle que les Juifs pour un système fasciste, dit-il [Théodor W. Adorno »

— Adorno]. Les animaux seraient les Juifs des idéalistes qui ne seraient ainsi que des fascistes virtuels. Et ce fascisme commence quand on insulte un animal, voire l'animal dans l'homme. L'idéalisme authentique consiste à insulter l'animal dans l'homme ou à traiter un homme d'animal. (...) Adorno ne va pas jusqu'à dire que l'idéaliste insulte l'animal, mais il insulte le matérialiste ou il insulte l'homme en le traitant d'animal, ce qui implique que « animal » est une insulte., L'animal que donc je suis, Jacques Derrida.

La haine idéaliste à l'encontre des animaux (ou plutôt de l'« animal »), correspond pour Derrida au schème d'une même logique, celle de la « haine du Juif (...) haine de la féminité, voire de l'enfance[5] ». Prenant appui sur ce dévoilement de la haine de l'« animal » par l'idéalisme, Kant, Jacques Derrida critique d'ailleurs tous les sous-entendus qui attaque « la remise en cause de l'axiomatique humaniste au sujet de l'animal », citant la philosophe Elisabeth de Fontenay (préface aux Trois traités pour les animaux de Plutarque) :

« Manque de chance pour ceux qui n'évoquent la Summa Injuria [allusion à une improbable zoophilie nazie et au soi-disant végétarianisme hitlérien] que pour mieux se moquer de la pitié envers la souffrance anonyme et muette, il se trouve que de très grands écrivains et penseurs juifs de ce siècle auront été obsédés par la question animale : Kafka, Singer, Canetti, Horkheimer, Adorno. Ils auront, par l'insistance de son inscription dans leurs œuvres, contribué à interroger l'humanisme rationaliste et le bien-fondé de sa décision. Des victimes de catastrophes historiques ont en effet pressenti dans les animaux d'autres victimes, comparables jusqu'à un certain point à eux-mêmes et aux leurs. »

— L'animal que donc je suis, Jacques Derrida.

Ainsi, Jacques Derrida insiste sur les « proportions sans précédent de cet assujettissement de l'animal »[5] né « de la violence industrielle, mécanique, chimique, hormonale, génétique, à laquelle l'homme soumet depuis deux siècles la vie animale »[5], violence à l'encontre des animaux comparée par le philosophe à la Shoah (génocide qui tient son caractère « exceptionnel » du fait qu'il est aujourd'hui encore le seul de type industriel[6]) :

« De quelque façon qu'on l'interprète, quelque conséquence pratique, technique, scientifique, juridique, éthique, ou politique qu'on en tire, personne aujourd'hui ne peut nier cet événement, à savoir les proportions sans précédent de cet assujettissement de l'animal. (...) Personne ne peut plus nier sérieusement et longtemps que les hommes font tout ce qu'ils peuvent pour dissimuler ou pour se dissimuler cette cruauté, pour organiser à l'échelle mondiale l'oubli ou la méconnaissance de cette violence que certains pourraient comparer aux pires génocides (il y a aussi des génocides d'animaux : le nombre des espèces en voie de disparition du fait de l'homme est à couper le souffle). De la figure du génocide il ne faudrait ni abuser ni s'acquitter trop vite. Car elle se complique ici : l'anéantissement des espèces, certes, serait à l'œuvre, mais il passerait par l'organisation et l'exploitation d'une survie artificielle, infernale, virtuellement interminable, dans des conditions que des hommes du passé auraient jugées monstrueuses, hors de toutes les normes supposées de la vie propre aux animaux ainsi exterminés dans leur survivance ou dans leur surpeuplement même. Comme si, par exemple, au lieu de jeter un peuple dans des fours crématoires et dans des chambres à gaz, des médecins ou des généticiens (par exemple nazis) avaient décidé d'organiser par insémination artificielle la surproduction et la surgénération de Juifs, de Tziganes et d'homosexuels qui, toujours plus nombreux et plus nourris, aurait été destinés, en nombre toujours croissant, au même enfer, celui de l'expérimentation génétique imposée, de l'extermination par le gaz et par le feu. Dans les mêmes abattoirs. (...) Si elles sont « pathétiques », ces images, c'est aussi qu'elles ouvrent pathétiquement l'immense question du pathos et du pathologique, justement, de la souffrance, de la pitié et de la compassion. Car ce qui arrive, depuis deux siècles, c'est une nouvelle épreuve de cette compassion. »

— Jacques Derrida, L'Animal que donc je suis.

Enfin, si Jacques Derrida conçoit la question de l'« animal » comme une réponse à la question du propre de l'« homme », il met ainsi en doute la capacité à ce dernier d'être en droit de se faire valoir toujours aux dépens de l'« animal », alors qu'il semble bien que ce réflexe conceptuel soit, par essence, un préjugé, et non le fruit d'un raisonnement philosophique garant de ce droit :

« Il ne s'agit pas seulement de demander si on a le droit de refuser tel ou tel pouvoir à l'animal (parole, raison, expérience de la mort, deuil, culture, institution, technique, vêtement, mensonge, feinte de la feinte, effacement de la trace, don, rire, pleur, respect, etc. – la liste est nécessairement indéfinie, et la plus puissante tradition philosophique dans laquelle nous vivons a refusé tout cela à l'« animal »), il s'agit aussi de se demander si ce qui s'appelle l'homme a le droit d'attribuer en toute rigueur à l'homme, de s'attribuer, donc, ce qu'il refuse à l'animal, et s'il en a jamais le concept pur, rigoureux, indivisible, en tant que tel. »

— L'animal que donc je suis (p. 185), Jacques Derrida.

La philosophe développe la nécessité philosophique d'un nouveau genre en son sein, « la philosophie animalière », considérant que si la question de l'« animal » a été fuie (ou ignorée) pendant des siècles par les philosophes, elle doit devenir centrale et incontournable, afin que le discours philosophique puisse encore se revendiquer du domaine de la pensée humaine :

« L'animal nous regarde et nous sommes nus devant lui. Et penser commence peut-être là. »

— L'animal que donc je suis (p. 50), Jacques Derrida.

Notes et références

  1. Marie-Louise Mallet (dir.), L'Animal autobiographique, Paris, Galilée, , 576 p.
  2. Marie-Louise Mallet et Ginette Michaud (dir.), Cahier de l'Herne. Jacques Derrida, Paris, L'Herne,
  3. Derrida, foi d'animal, Liberation Mars 2006
  4. a b et c http://www.youtube.com/watch?v=Ry49Jr0TFjk
  5. a b c d e f g h et i Jacques Derrida, L'animal que donc je suis, Paris, Galilée,
  6. Le silence des bêtes, Elisabeth de Fontenay, Faillard.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes