Haydar Amoli
Haydar Amoli est un philosophe chiite du XIVe siècle mort en 1385 ou 1408. Principal disciple et critique chiite d'Ibn Arabi, selon Henry Corbin, Haydar Amoli est, par son intégration d'Ibn Arabi à la gnose chiite, la figure principale qui, au XIVe siècle a préparé l'éclosion de l'école d'Ispahan. L'enseignement d'Haydar tourne autour de deux thèses essentielles :
L'ésotérisme de l'Islam
La première considère le chiisme duodécimain comme l'ésotérisme de l'Islam et comme Islam intégral. Selon cette thèse, le chiisme repose sur l'équilibre entre charia (loi islamique), haqiqa (la vérité spirituelle) et tariqa (la voie qui permet d'atteindre la vérité). Surtout, la haqiqa y est considérée comme l'ésotérique de la charia.
Selon la seconde thèse, les soufis sont considérés comme les vrais chiites et réciproquement les vrais chiites (ceux qui ne se contentent pas de la charia) sont de véritables soufis. En affirmant ceci, Haydar souhaitait mettre fin à la lutte fratricide qui opposait soufisme et chiisme. Toutefois, Haydar Amoli a conscience de leurs différences et sa thèse contient un aspect critique. Si les soufis sont dépositaires de la haqiqa, certains d'entre eux refusent la charia, ce qui les conduit à des extravagances qui les vouent aux persécutions des littéralistes et des légalistes. D'autre part, leur dédain de la figure de l'imam à laquelle ils substituent celle du shaykh qui ne possède pas le même degré de légitimité les conduit à de graves errances.
La critique d'Ibn Arabi
Ainsi, malgré son admiration pour Ibn Arabi, Haydar n'hésite pas à critiquer fortement la doctrine du shaykh selon laquelle Jésus serait le sceau de la walayat universelle, ce qui est inadmissible pour un chiite duodécimain selon qui le sceau de la walayat ne peut être que le 12e imam, présentement occulté.
Au-delà de ces critiques, Haydar Amoli souhaitait que les soufis prennent conscience de leur filiation chiite, car pour lui, les soufis sont des chiites qui ont oublié ou méconnu leur véritable origine.
Le Tawhid ontologique
On doit encore à Haydar, l'approfondissement décisif de la notion de « Tawhid ontologique ». Inspiré de la métaphysique d'Ibn Arabi, le Tawhid ontologique, dans la terminologie d'Haydar, s'oppose au « Tawhid théologique » des théologiens orthodoxes et des exotéristes. Tandis que ce dernier se fonde exclusivement sur la profession de foi, (« Lâ Ilâha illâ Allâh » ) « Il n'y a de dieu que Dieu », le premier s'énonce ainsi : « Laysa fî l'wojûd siwâ Allah » ; « il n'y a dans l'être que Dieu. » C'est la thèse des théosophes mystiques, des ésotéristes de l'Islam qui fonde l'Unité/Unicité (Tawhid) dans l'être (divin), établissant l'équation : l'Un = l'Être. Elle a toujours été combattue par les théologiens qui ne voient là qu'un banal panthéisme. Mais son but est plus noble. Il s'agit de donner un fondement ontologique au pluralisme métaphysique des étants, des existants. Si Dieu est l'Acte pur d'être, le Seul Être fait être, il met en existence les existants multiples, car en dehors de l'être, il n'y a que le néant. Selon Haydar, l'acte d'être pur signifie que le Seigneur en tant que créateur est « l'Agent actif absolu » et que l'Univers est le « réceptacle absolu ». Ce que l'univers reçoit et qui est en lui l'agent, c'est la multiplicité des Noms, des attributs divins qui informent la création. Autrement dit, toute multiplicité est toujours nécesseirement théophanique à des degrés divers. La consistance ontologique de la multiplicité se trouve fondée et assurée. Et l'illusion qui consiste à croire que tout est illusion est dénoncée comme la dernière et la pire de toute. Haydar vise ici l'attitude et les doctrines de certains soufis obnubilés par le néant divin qui nihilise l'univers et détruit les bases de la religion (puisque selon eux, la création, le paradis, l'enfer, la résurrection sont des illusions). Finalement, l'ontologie intégrale d'Haydar Âmolî renvoie dos à dos les théologiens dogmatiques qui idolâtrent Dieu sans le connaître et les mystiques qui (oh ! folie) veulent s'anéantir en lui.
En synthétisant la théosophie d'Ibn Arabi et celle du chiisme duodécimain, l'œuvre d'Haydar a exercé une influence féconde sur ses deux courants en en montrant la profonde concordance interne.
Haydar a également contribué à l'identification du 12e imam, l'Imam caché avec le Paraclet annoncé dans l'Évangile de Saint Jean. Cette identification correspond, dans le chiisme duodécimain, à la révélation du sens spirituel du cycle de la prophétie, c’est-à-dire à la fin de l'occultation présente et au règne de la Walayat éternelle (la religion en vérité et en esprit). Cette identification a une connexion profonde avec l'annonce du règne du Saint Esprit et de l'Évangile éternel prophétisé en occident par Joachim de Flore.
Œuvres principales
En français :
- Le Texte des Textes, prolégomènes du Commentaire des « Fosûs » d'Ibn Arabi. Traduit et édité par H. Corbin, en coll. avec Osman Yahyâ. Bibliothèque iranienne, vol. 22, Adrien-Maisonneuve, 1969/75.
- La Philosophie Shi'ite. 1.Somme des doctrines ésotériques. 2.Traité de la connaissance de l'être, introduction et notes d'Henry Corbin et Osman Yahyâ, Bibliothèque iranienne, vol. 16, Adrien-Maisonneuve,1969, 2e éd. 1989.
Bibliographie
- Henry Corbin, En Islam iranien, Livre IV, 1er ch., Haydar Âmolî, théologien shî'ite du soufisme pp 149-213, Gallimard, 1972.