Aller au contenu

Mode LGBT

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Marche pour les 30 ans d'Act-Up New York, en 2017. Le manifestant porte plusieurs marqueurs de la mode LGBT : le badge politique[o 1], le slogan Silence=Death[o 1], le piercing au septum[1], et la tenue cuir[2].

La mode LGBT, aussi appelée mode queer, correspond à l'ensemble des vêtements portés par les personnes LGBT et reconnus par elles comme étant un signe culturel spécifique.

Périmètre

[modifier | modifier le code]

L'historienne Eleanor Medhurst définit la mode lesbienne comme l'ensemble des tenues reconnues comme lesbiennes par les intéressées ; elle y inclut ainsi les personnes bisexuelles proches de l'expérience lesbienne ou celles dont le style a servi d'inspiration ou résonne avec l'expérience lesbienne[o 2].

Pour Clare Lomas, Peter McNeil et Sally Gray, la mode LGBT se caractérise non pas uniquement par un ensemble de messages codés par le port de vêtement, mais aussi par une manière unique de lire et comprendre l'habillement[u 1].

L'appellation « mode queer » est polysémique : elle peut à la fois être utilisée comme synonyme de mode LGBT, ou avoir un sens plus restreint et signifier les tenues androgynes des personnes non binaires et genderqueer[p 1].

Pour la conservatrice du Fashion Institute of Technology Valerie Steele, une mode LGBT ne peut exister que lorsque la sexualité est pensée comme une identité de l'individu qu'il partage avec une communauté et non plus uniquement comme un ensemble d'actes[o 3]. Elle fait ainsi remonter la mode LGBT à une double origine, celle des cultures où des personnes AMAB ont exclusivement des relations sexuelles avec des hommes en prenant le rôle passif, constituant ou pas un troisième genre, et les communautés d'hommes homosexuels existant dans des villes italiennes dès la Renaissance et dans les autres villes européennes dès le XVIIIe siècle[o 3].

Pour Eleanor Medhurst, adopter un point de vue queer et spécifiquement lesbien implique de dresser des parallèles entre les pratiques d'habillement du passé et celles de lesbiennes du XXIe siècle : pour elle, Christine de Suède, avec ses habits mêlant féminin et masculin d'une manière novatrice, fait partie de l'histoire de la mode lesbienne[o 4].

Communautés anglaises du XVIIIe siècle

[modifier | modifier le code]
Caricature de 1774 par Samuel Hieronymus Grimm représentant un père découvrant le style macaroni de son fils et conservée au British Museum

Plusieurs communautés homosexuelles anglaises existent au cours du XVIIIe siècle, avec chacune leurs tenues spécifiques. La plus importante est celle des « sodomites efféminés », les « mollies », violemment persécutées dans les années 1720, qui pratiquent le travestissement : robes, parures de tête, chaussures à fin lacets, mais aussi tenues de laitière ou de bergère, gilets et jupons[o 3]. Le second groupe est les « macaronis », à l'apparence androgyne et dandy[o 3]. La troisième communauté est celle des modistes : jusqu'alors exclusivement féminine, la profession se masculinise au XVIIIe siècle et est surtout réalisée par des hommes homosexuels qui voient là une double opportunité d'être en communauté et de pouvoir plus librement pratiquer le travestissement[o 3].

Le milieu du XVIIIe siècle est d'ailleurs un moment charnière dans le vêtement masculin de la haute société : les tenues colorées, les broderies florales et la dentelle, qui étaient alors tout à faite conformes dans le genre, deviennent des marqueurs d'efféminement et d'homosexualité tandis que le vêtement masculin se fait plus sobre et plus sombre[o 3].

À partir des années 1770, le vêtement masculinisé devient un marqueur des petites communautés lesbiennes qui commencent à se former[o 3].

XIXe siècle

[modifier | modifier le code]

Au XIXe siècle, Anne Lister reprend dans sa tenue des expressions déjà expérimentées par Christine de Suède au XVIIe siècle, à savoir la superposition de marqueurs masculins (tons noirs) et féminins (coupe et matière des tenues), créant un vocabulaire vestimentaire novateur[o 4].

La tenue d'Anne Lister est un équilibre subtil entre, d'une part, respecter suffisamment les conventions sociales afin de continuer à être perçue comme une femme respectable et ainsi avoir la liberté de vivre comme elle l'entend, notamment en cohabitant avec son amante Ann Walker, et, d'autre part, être visiblement lesbienne[o 4]. Eleanor Medhust la voit comme une butch avant l'heure, « possédant une masculinité qui ne cherche pas à passer pour celle d'un homme »[o 4].

Pratiques populaires

[modifier | modifier le code]

Badges politiques

[modifier | modifier le code]
Badges des marches des fiertés 1990 et 1991 de Liverpool

Dans les années 1960, les mouvements gays et lesbiens naissants créent la pratique de portée des badges politiques. Ceux-ci répondent au double besoin d'être facilement identifiables pour les personnes partageant les mêmes codes, permettant de créer des connivences, et invisibles aux autres, protégeant ainsi de l'homophobie : ainsi, lors de l'Eastern Regional Conference of Homophile Organizations de 1865, beaucoup de personnes portent des badges avec la mention « ECHO »[o 1]. La petite taille des badges politiques permet aussi que les messages plus radicaux et directs puissent être facilement cachés[o 1].

Les t-shirts à message politique se développent durant la seconde moitié du XXe siècle, sous notamment la volonté de groupes d'activistes de développer une identité visuelle forte[o 1].

En 1970, en réaction aux propos lesbophobes de la féministe Betty Friedan qui cherche à exclure les lesbiennes du Second Congress to Unite Women, arguant que celles-ci sont un danger pour le féminisme et parlant de « menace mauve »[o 1], des lesbiennes forment le groupe Lavender Menace[o 1]. Leur première action consiste en l'achat d'un lot de t-shirts blancs, dans une taille unique pour limiter les coûts, qu'elles teignent en violet dans la baignoire de l'une des leurs[o 1]. Elles cachent ces t-shirts sous leurs vestes en se rendant au Second Congress to Unite Women, puis les montrent fièrement alors qu'elles montent sur scène et invitent les participantes à les rejoindre[o 1].

Dans les années 1990, les Lesbian Avengers cherchent à lutter contre l'invisibilisation des lesbiennes via l'organisation des Dyke March, mais aussi des visuels puissants, dont leurs t-shirts : le nom de l'organisation entourant une bombe stylisée[o 1]. L'attitude, volontairement provocante, vise à montrer la violence de la lesbophobie et à rendre plus inconfortable le soutien passif à l'homophobie[o 1].

Cette visibilité devient un enjeu encore plus important durant la pandémie de sida, où la visibilité est une question de survie[o 1]. L'exemple le plus marquant est le slogan Silence = Mort, repris sur de nombreux t-shirts de marche des fiertés, en particulier à la fin des années 1980 et durant les années 1990[o 1].

Par communauté

[modifier | modifier le code]

Mode lesbienne

[modifier | modifier le code]
Collection House of Pleasures de Jean-Paul Gaultier reprenant des codes de la marine et exposée au Kunsthal.

Le marcel, d'abord vêtement de travail ouvrier, devient symbole iconographique gay, en particulier sous l'influence de Jean Genet et Tom of Finland, pour ensuite devenir emblème de virilité tant hétérosexuelle qu'homosexuelle lorsque Bruce Willis pose en marcel dans une publicité Calvin Klein dans les années 1990[o 5]. Plus généralement, de nombreux symboles vestimentaires de la masculinité, sont détournés dans une optique érotique tout au long du XXe siècle : le tricot de marin rayé, signature de Jean-Paul Gaultier ; le Perfecto, la casquette de cuir et le chaps ; les tatouages de Hells Angels ; les tenues militaires ou le style baggy des rappeurs[o 5]. Ces détournements, qui ciblent souvent les groupes homophobes ou perçus comme tels, ne font pas toujours l'unanimité, en particulier lorsqu'il s'agit de reprises d'iconographies nazies[o 5].

Haute couture

[modifier | modifier le code]
Kenzō Takada en 2017.

L'industrie de la mode, en particulier de la haute couture, est un domaine très fortement associé à l'homosexualité masculine en raison du grand nombre de couples d'hommes ou d'hommes gays : Giorgio Armani, Gianni Versace, le couple Dolce & Gabbana, Marc Jacobs, les jumeaux Caten, le couple Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, Karl Lagerfeld, John Galliano, Jean-Paul Gaultier, Tom Ford, Thierry Mugler, Claude Montana, Stefano Pilati, Alexander McQueen, Jean-Claude Jitrois, Azzedine Alaïa, ou Kenzo[o 6]. Pour le collectif français LGBTQ et féministe des Ailes sur un tracteur, cette prépondérance s'explique par la liberté associée à l'homosexualité : en se libérant des contraintes virilistes qui pèsent sur les hommes hétérosexuels, les créateurs homosexuels ont pu très tôt s'emparer des codes vestimentaires tant masculins et féminins, et ainsi avoir un plus grand panel de sources pour exprimer leur créativité[o 6]. Les journalistes de mode hétérosexuelle Anne Boulay et Marie Colmant avancent quant à elles un rapport particulier entre les créateurs gays et les femmes hétérosexuelles, empreint d'un rapport de séduction non consommé qui amène les stylistes à avoir une compréhension fine de la féminité sensuelle et affirmée, souvent inspirée d'un rapport personnel avec une muse : Loulou de la Falaise pour Yves Saint Laurent, Farida Khelfa pour Azzedine Alaïa, Inès de la Fressange pour Karl Lagerfeld ou Frédérique Lorca pour Jean-Paul Gauthier[o 5].

Ce jeu avec la féminité met parfois ces mêmes journalistes mal à l'aise, par exemple lorsque Thierry Mugler fait défiler des femmes trans et des hommes travestis pour sa collection de prêt-à-porter féminin du début des années 1990[o 5]. Elles avancent enfin qu'une autre des caractéristiques des créateurs de mode gays est le registre masculin-féminin et androgyne, citant pêle-mêle les costumes trois pièces d'Yves Saint Laurent des années 1960, la mode japonaise asexuée des années 2000, le style glam rock de David Bowie, le travail d'Hedi Slimane, ou les vêtements inspirés par le style de Marlène Dietrich ou de Leslie Winer (en)[o 5].

La mannequin Andreja Pejić en 2013.

Plusieurs femmes trans comptent parmi les mannequins célèbres : la pionnière, April Ashley, qui est aussi intersexe, est outée à son insu en 1961, ce qui met fin à sa carrière dans la mode[p 2]. En 2014, la mannequin Andreja Pejić, qui s'était fait connaître en tant que mannequin homme au physique androgyne, annonce sa transition de genre, ce qui ne l'empêche pas de poursuivre sa carrière[p 3]. La présence de mannequins trans sur les podiums est beaucoup plus normalisée dans les années 2020, avec les carrières de Hunter Schafer, Teddy Quinlivan (en), Hari Nef, Nathan Westling (en), Juliana Huxtable, Lea T, Carmen Carrera ou Geena Rocero[p 4].

Références

[modifier | modifier le code]
  1. a b c d e f g h i j k l et m (en) Eleanor Medhurst, « T-shirts - the billboards of the body », dans Unsuitable: a history of lesbian fashion,
  2. (en) Eleanor Medhurst, « Introduction », dans Unsuitable: a history of lesbian fashion,
  3. a b c d e f et g (en) Valerie Steele, « A queer history of fashion: from the closet to the catwalk », dans A queer history of fashion: from the closet to the catwalk,
  4. a b c d e et f (en) Eleanor Medhurst, « Anne Lister : Diary and Dresses », dans Unsuitable: a history of lesbian fashion,
  5. a b c d e et f Anne Boulay et Marie Colmant, « Mode », dans Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, (ISBN 2-03-505164-9 et 978-2-03-505164-6, OCLC 300482574).
  6. a et b « Tous les stylistes célèbres sont-ils homosexuels ? », dans Queer sais-je? (version lesbienne) : connaissez-vous bien la culture lesbienne, gay, trans, queer et féministe?, Des ailes sur un tracteur, (ISBN 978-1-326-20341-2 et 1-326-20341-X, OCLC 967876906).

Publications universitaires

[modifier | modifier le code]
  1. (en) William J. F. Keenan, « Book Review: Giorgio Riello and Peter McNeil (eds) Shoes: A History from Sandals to Sneakers Berg, Oxford and New York, 2006 ISBN: 978—1—85420—443—3 », Cultural Sociology, vol. 1, no 3,‎ , p. 435–439 (ISSN 1749-9755 et 1749-9763, DOI 10.1177/17499755070010030705, lire en ligne, consulté le )
  1. (en) « Queer Fashion Is Not A Trend, 'It's A Social Movement' », sur HuffPost, (consulté le ).
  2. « April Ashley interview: Britain's first transsexual », sur www.telegraph.co.uk (consulté le ).
  3. (en) « Andrej Pejic Comes Out as Trans Woman », sur www.out.com (consulté le ).
  4. « 9 mannequins transgenres, véritable vent de fraîcheur dans l'industrie de la mode », sur www.lofficiel.be (consulté le ).

Autres références

[modifier | modifier le code]
  1. admin, « L'interview de Leïla Slimani : "Mon arme, c'est la plume" », sur Magazine Antidote, (consulté le )
  2. (en-GB) Edward Siddons, « Why is the gay leather scene dying? », The Guardian,‎ (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le )

Bibliographie

[modifier | modifier le code]

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Articles connexes

[modifier | modifier le code]