Carte de France en pierres précieuses
Artiste | |
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Date | |
Matériau |
pierre précieuse, pierre fine et marbre, cadre en bois de chêne (d) |
Dimensions (H × L) |
100 × 100 cm |
Localisation |
La carte de France en pierres précieuses est une œuvre produite en Russie à la fin du XIXe siècle et offerte par Nicolas II à la France. Elle est exposée à l'Exposition universelle de 1900, à Paris.
Histoire
[modifier | modifier le code]Contexte
[modifier | modifier le code]En 1896, une carte de France en relief, émaillée avec noms en sténographie sur ivoire et qui ferait un mètre de côté, est présentée à l'Exposition nationale et coloniale de Rouen et obtient une médaille de vermeil du jury[1]. La même année, le tsar Nicolas II et la tsarine Alix de Hesse-Darmstadt de Russie sont en voyage en France[2]. C'est ainsi qu'en fin d'année, Alexandre Bessières (de Pinsaguel, membre de la Société de géographie, de l'Association toulousaine de Paris et de l'Institut sténographique de France) leur offre la carte en la présentant et transmettant à Arthur Pavlovitch de Mohrenheim, l'ambassadeur de l'Empire[1],[3],[2]. Il l'accompagne d'un manuscrit richement orné renfermant l'alphabet et la méthode Duployé (en) avec l'explication des caractères écrits sur la carte. Du tsar et de la tsarine, il reçoit deux lettres officielles de remerciements datées du et du [3]. La carte ayant été « si bien appréciée à l'ambassade de Russie », il est donc probable que ce soit ce cadeau qui ait donné l'idée d'une nouvelle carte en retour[3],[2],[4]. Cette hypothèse peut qui plus est être mise en relation avec un remerciement supplémentaire du tsar survenant après la réalisation de la carte russe : le , Bessières reçoit de sa part, par l'ambassade de Russie à Paris, un étui à cigarettes en or massif orné d'un aigle bicéphal en relief semé de brillants et avec une importante pierre précieuse sur le fermoir[5].
Fabrication
[modifier | modifier le code]La production de la carte dans l'atelier lapidaire d'Iekaterinbourg en vue de l'Exposition universelle de 1900 est annoncée en [6]. D'après les informations de La Gazette de Saint-Pétersbourg (ru) en 1898, il s'agirait d'une commande du Gouvernement français[7]. C'est le spécialiste Dalina Zverev (ru) qui collecte les différents matériaux pour la fabrication de la carte[8],[9], que la presse laisse entrevoir dès le mois d'[7],[10]. À ce moment déjà, on présage « un objet de grande valeur »[10]. Deux années sont ainsi nécessaires à la confection de l'œuvre[11].
Il est à noter que, d'après le quotidien français Le Journal, « l'émeraude de Marseille, volée pendant le travail, par un ouvrier qui l'avait avalée, fut restituée dans les quarante-huit heures, par le procédé en usage dans les mines de diamants »[11]. En ce qui concerne cette dernière procédure, il est généralement question de faire un lavement (c'est-à-dire introduire du liquide dans le côlon par l'anus) qui permet de restituer la pierre[12],[13].
Cadeau diplomatique à l'Exposition universelle de 1900
[modifier | modifier le code]Présentée comme cadeau de la part du tsar Nicolas II, la carte est d'abord exposée à Iekaterinbourg pendant trois jours avec près de 15 000 personnes venant l'admirer, avant d'être tranportée à partir du vers Saint-Pétersbourg (capitale de l'Empire) par le directeur de l'atelier, Vassili Mostovenko[14],[15],[16],[17],[18]. Parvenue à Paris, elle est ainsi remise le par le prince Lev Ouroussov, ambassadeur de Russie, à Émile Loubet, président de la République française qui s'y rend avec Alexandre Millerand et Théophile Delcassé[16],[17],[18],[19]. Le lendemain matin, elle est placée dans le pavillon russe de l'Exposition universelle de 1900 et dès le début, on la voit comme « un des “clous” de l'Exposition »[18],[20],[21]. C'est dans le salon du tsar, la première pièce du palais russe, un environnement richement décoré de tapis et de tentures, qu'est exhibée cet objet d'art sous un dais de drapeaux entrelacés et sur un lit d'hermine[20] ; elle s'inscrit au fond de la partie aux voûtes ogivales enluminées de dessins[22]. Cette année, on l'estime à plus de quatre millions de francs[2] — soit l'équivalent de plus de 17 millions d'euros en 2022 d'après le convertisseur de l'INSEE[23] —, la seule émeraude représentant Marseille, par exemple, étant estimée à 18 000 roubles d'époque[18]. Elle s'inscrit ainsi avec un pavillon déjà particulièrement luxueux et proposant une grande collection de bijouterie[24] : des « preuves matérielles des récentes réussites techniques et technologiques de la Russie »[25].
Le , le président Loubet visite les pavillons étrangers : en s'arrêtant à la section russe, il est accueilli par le prince Viatcheslav Tenichev (ru), l'occasion pour le chef d'État français de contempler une fois de plus la fameuse carte[26]. À son tour, Serge Witte, ministre des Finances de l'Empire russe, en voyage officiel à Paris depuis le et qui visite l'Exposition le matin de son arrivée puis toute la journée du , y repasse dans la matinée du et, d'après Le Figaro, il s'est alors « longuement arrêté aux vitrines des bijoutiers russes, devant la carte de France en pierres précieuses [...] »[27],[28],[29],[30].
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Carte dans son cadre tel qu'installée à l'Exposition universelle, photographiée par les frères Neurdein.
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Visiteurs s'arrêtant devant la carte à l'Exposition universelle. Reproduction d'une photographie parue en une de La Vie illustrée en date du .
La carte reçoit un accueil très favorable par la presse française avec de multiples éloges[3].
Installations après l'Exposition universelle
[modifier | modifier le code]En , on projette de donner la carte à la Ville de Paris pour être exposée à l'Hôtel de Ville ou au musée Galliera[2]. Elle est finalement placée, vers la fin de l'année ou au début de 1901, au musée du Louvre comme ce qui a été prévu dès , au milieu de la salle qui abrite le portrait de Louis XIII[17],[31]. Depuis faisant partie des collections du château de Compiègne, elle figure notamment à l'exposition « Un Tsar à Compiègne. Nicolas II, 1901 », organisée du au et regroupant de nombreux objets impériaux, un événement qui rencontre un certain succès[32],[33],[34].
Structure
[modifier | modifier le code]La carte, placée sur une plaque de marbre, se présente comme un carré d'un mètre de côté (soit environ 1,5 archine dans le système russe d'unités)[16],[17],[18]. Elle est montée sous verre dans un massif panneau de chêne sculpté, mesurant 3,2 mètres de hauteur sur 1,8 de longueur[31],[32]. Deux plaques de cuivre l'accompagnent avec les inscriptions respectives : « Don du gouvernement russe, 1900 » et « Carte de France executée par les soins et sous la direction de S. E. l'ingénieur de Mostovenko, à la manufacture impériale de taille de pierres dures d'Ekaterinbourg (Russie). »[31]. Dans la carte elle-même, chaque département est taillé dans un matériau particulier provenant de l'Oural et les grandes villes sont figurés par des clous de pierres précieuses (106 au total)[17],[18].
La polychromie des départements contraste avec les pays frontaliers qui sont taillés dans une pierre grise monochromatique. On peut noter que la légende « Allemagne » est placée du côté de la rive droite du Rhin et l'Alsace-Lorraine — cédée à l'Empire allemand à la suite du traité de Francfort de 1871 — est taillée à part : le tsar n'aurait pu non plus aller jusqu'à une confrontation diplomatique avec le voisin allemand en présentant cet espace sous une couleur différente comme le font les manuels scolaires français d'alors, mais la carte assume une ambigüité certaine faisant un clin d'œil aux velléités revanchistes[35]. Parallèlement, des visiteurs font expriment leur regret de ne pas voir des pierres supplémentaires pour certaines villes. Fondamentalement même, l'absence de la Corse sur la carte se fait remarquer, l'intention d'une telle omission faisant l'objet d'interrogations que l'on peut retrouver dès 1900[11],[36],[37],[38] ; le quotidien Le Petit Bastiais aurait reçu comme réponse « c'est un oubli de l'artiste »[36]. L'Aurore relate quelques années plus tard, qu'« interrogés sur les raisons de cette omission, les géographes russes ont répondu que des raisons de “symétrie” les avaient forcés à supprimer la Corse »[39].
À propos de cette pièce de collection, le cartel au musée de Compiègne indique :
« La variété des pierres utilisées et la qualité du travail témoignent de la virtuosité des centres d'art lapidaire russes d'où sortaient, depuis le début du XIXe siècle, un grand nombre d'objets luxueux en pierre dure, objets décoratifs ou cadeaux diplomatiques. »[40]
— Musée du château de Compiègne
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Matériau | Éléments | Références |
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Rubis | Paris | [41] |
Tourmaline | 55 villes (ou 35) dont Lyon | [16],[41],[42] |
Améthyste | 21 villes dont Angers, Grenoble, Rennes et Toulouse | [16],[41] |
Saphir | Rouen (1 9⁄16 ct) | [16],[41],[42] |
Émeraude | Marseille (3 5⁄8 ct), Le Havre | [16],[41],[42] |
Héliodore (béryl) | Nantes | [16],[41],[42] |
Chrysobéryl | Toulon (2 1⁄4 ct) | [16],[41],[42] |
Alexandrite | Cherbourg | [16],[41],[42] |
Quartz | 38 villes | [16],[41] |
Hyacinthe | Quelques villes dont Nice | [16],[41],[42] |
Phénacite | Lille | [16],[42] |
Péridot | Reims | [16],[42] |
Aigue-marine | Bordeaux | [16],[42] |
Jaspe rouge | Ille-et-Vilaine, Seine | [41] |
Conglomérats | Loire-Atlantique (Loire-Inférieure jusqu'en 1957), Mayenne et Sarthe | [41] |
Conglomérat calcaire | Eure-et-Loir | [41] |
Roche détritique | Seine-et-Oise | [41] |
Pegmatite graphique (probablement) | Maine-et-Loire | [41] |
Marbre gris clair | Mers | [41] |
Or | Dénominations et anneaux sertissant chaque gemme | [16],[41],[42] |
Platine | Fleuves | [16],[41],[42] |
Réception
[modifier | modifier le code]Un article publié en dans plusieurs journaux étatsuniens comme The Worthington Advance (Worthington)[43], The Commonwealth (Greenwood)[44] ou The News-Herald (Hillsboro)[45] insère le commentaire suivant :
« Perhaps extravagance never reached a higher tide mark than when that idea resolved itself into a reality. »
« L’extravagance n’a certainement jamais atteint un niveau plus élevé que lorsque cette idée s’est transformée en réalité. »
Un hebdomadaire néozélandais, l'Otago Witness (en), poursuit dans cette réflexion critique[46] :
« And it so ugly, so vulgar—if gems can ever be vulgar! How the Emperor of All the Russias could have imagined such a bit of costly uselessness puzzles one to conceive. »
« Et c’est si laid, si vulgaire — si jamais des pierres précieuses pouvaient être vulgaires ! Comment l’Empereur de toutes les Russies a-t-il pu imaginer une telle inutilité coûteuse qui laisse perplexe à concevoir. »
Références
[modifier | modifier le code]- « Un cadeau au tsar », Le Télégramme, vol. 3, no 740, , p. 1/4 (lire en ligne , consulté le )
- « À travers Paris », Le Figaro, vol. 46, no 305, , p. 1/6 (lire en ligne , consulté le )
- « À propos de la carte du tsar », L'Événement, vol. 29, no 10421, , p. 2/4 (lire en ligne , consulté le )
- « Dans les départements », La Presse, vol. 68, no 3148, , p. 4/4 (lire en ligne , consulté le )
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- (ru) « Карта Франціи » [« Carte de France »], Le Feuillet de Saint-Pétersbourg, vol. 34, no 59, , p. 2/4 (lire en ligne , consulté le )
- (ru) « Географическая карта изъ уральскихъ минераловъ » [« Carte géographique faite de minéraux de l'Oural »], Le Feuillet de Saint-Pétersbourg, vol. 35, no 101, , p. 2/4 (lire en ligne , consulté le )
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- (ru) « На лету » [« À la volée »], Le Feuillet de Saint-Pétersbourg, vol. 36, no 137, , p. 3/4 (lire en ligne , consulté le )
- Georges Touchard-Lafosse, Chroniques de l’Œil-de-Bœuf, des petits appartements de la cour et des salons de Paris sous Louis XIV, la Régence, Louis XV, et Louis XVI, t. 2, Paris, Barba, (1re éd. 1800), 545 p. (lire en ligne ), p. 459
- « Hommes et choses. Cinquante mille dollars », La Dépêche, vol. 55, no 20300, , p. 1/8 (lire en ligne , consulté le )
- (ru) « Екатеринбургъ », Novoïé Vrémia, no 8615, , p. 2/6 (lire en ligne , consulté le )
- (ru) « Хроника », Novoïé Vrémia, no 8621, , p. 5/11 (lire en ligne , consulté le )
- (ru) « Карта Франціи », Novoïé Vrémia, no 8623, , p. 4/8 (lire en ligne , consulté le )
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- « À l'exposition russe », Le Matin, vol. 17, no 5897, , p. 1/6 (lire en ligne , consulté le )
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Bibliographie
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- [Boudrina et Borovkova 2015] (ru) Loudmila Boudrina et Natalia Borovkova, « Роскошная оправа для драгоценного дара: шкаф-витрина для карты Франции на Всемирной выставке в Париже в 1900 г. » [« Un cadre luxueux pour un cadeau précieux : un placard-vitrine pour une carte de France à l'Exposition universelle de Paris en 1900 »], Actualités de l'Université fédérale de l'Oural, 2e série, no 1, , p. 92-98 (lire en ligne , consulté le )
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- [Boudrina 2022] (ru) Loudmila Boudrina, « Резной камень в русско-французских взаимоотношениях: история явления в двух картах [« La pierre taillée dans les relations russo-françaises : l'histoire du phénomène en deux cartes »] », dans Ioulia Galkina, A. Verchinine, K. Bespalova, 130 лет франко-русскому альянсу : проблемы и вызовы двустороннего сотрудничества [« Les 130 ans de l'alliance franco-russe : les problèmes et défis de la coopération bilatérale »], Saint-Pétersbourg, Nestor-Istoria, , 204 p. (ISBN 978-5-4469-1998-7, lire en ligne), p. 171-182
- [Heffernan 2002] (en) Michael Heffernan, « The Politics of the Map in the Early Twentieth Century », Cartography and Geographic Information Science (en), vol. 29, no 3, , p. 207–226 (ISSN 1523-0406 et 1545-0465, DOI 10.1559/152304002782008512, lire en ligne, consulté le )
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- [Langlois 2016] Cyril Langlois, « Une France de pierre, vitrine des richesses minérales de la Russie », Planet Terre, Lyon, ENS de Lyon, (ISSN 2552-9250, lire en ligne , consulté le )
Annexes
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
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