La Belle et la Bête (film, 1946)

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La Belle et la Bête

Réalisation Jean Cocteau
Scénario Jean Cocteau
Acteurs principaux
Sociétés de production DisCina
Pays de production Drapeau de la France France
Genre fantastique
Durée 96 min (1 h 36)
Sortie 1946

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

La Belle et la Bête est un film fantastique, réalisé par Jean Cocteau, sorti sur les écrans à Paris le 29 octobre 1946[1]. Il s'inspire du conte de fées du même nom.

Résumé

À la campagne vit un marchand au bord de la faillite avec ses quatre enfants : un fils, Ludovic (Michel Auclair), et trois filles, Félicie (Mila Parély), Adélaïde (Nane Germon) et Belle (Josette Day), cette dernière étant courtisée par Avenant, un ami de son frère. Deux de ces filles sont ignobles, égoïstes et ont un mauvais caractère ; elles traitent leur sœur, Belle, comme une domestique. Cocteau tire parfois le récit vers la farce, par exemple lorsque les canards caquetants adressent un commentaire destiné aux sœurs de Belle. À ce moment-là le conte de fées évoque Cendrillon.

Un jour, le père part en voyage d'affaires ; avant de s'en aller, il promet à ses filles de leur rapporter des cadeaux. Pour Félicie et Adélaïde un perroquet, un singe, ainsi qu'une tonne d'artifices et de bijoux, et pour Belle une jolie rose. En route, il s'égare dans une forêt où il trouve un château étrange et majestueux ; après y avoir passé la nuit et y avoir soupé, il remarque une rose qu'il décide de prendre pour Belle. C'est au moment où il la cueille qu'apparaît le propriétaire du château (Jean Marais), un monstre doté de pouvoirs magiques, à l'aspect mi-humain mi-animal. Le châtelain condamne le marchand à mort, à moins que ce dernier ne lui donne une de ses filles. Belle accepte de se sacrifier et s'en va vers le château. Son voyage est filmé dans un mouvement lent qui lui donne un caractère onirique. Quand elle voit la Bête, elle commence par s'évanouir, mais au fil du temps passé avec lui, elle en vient à l'aimer. Elle passe outre les apparences et découvre l'homme derrière la Bête. Elle devine l'âme pure qui se cache derrière sa laideur et la sincérité de son amour permet de rendre à la Bête, son apparence humaine : un beau prince qui veut l'épouser. Ce dernier possède étrangement les traits d'Avenant tandis que celui-ci, tué à cause de sa cupidité, a pris ceux de la Bête.

Dans ce film, il y a deux mondes différents : d'une part la maison bourgeoise et ordinaire du marchand, et d'autre part le château enchanté de la Bête où tout est possible. C'est la forêt mystérieuse qui relie ces deux mondes. À l'intérieur du château et autour de lui, les chandeliers, les jardins et les cariatides sont vivants. Pendant le film, la bête dévoile cinq fils conducteurs qui sont des objets magiques dont certains ont été empruntés au conte de fées de Madame Leprince de Beaumont : la rose, une clé en or, un gant, le miroir et vient enfin le cheval blanc, « le Magnifique ». À la fin, ces deux mondes finissent par se réunir. La chambre de Belle se trouve dans la chambre de son père - mais aussi dans sa chambre au château. La belle est sauvée lorsque Avenant meurt sous la forme de la bête, et que les deux personnages se fondent en un seul.

Cocteau a modifié la fin du conte de fées où une fée bienfaisante intervenait dans le rêve de Belle, pour récompenser les bons et punir les méchants. Il a omis la fée et terminé le film sur ces répliques :

« Vous ressemblez à quelqu'un que j'ai connu autrefois…
« Cela vous gêne-t-il ? »
« Oui….(puis avec un visage radieux) Non ! »

Dans le film, la transformation initiale du Prince en Bête est expliquée par le fait que ses parents ne croyaient pas aux fées, lesquelles ont puni les parents en transformant leur fils.

Interprétation

L'histoire a tout du « roman d'apprentissage ». La Belle refuse au départ de grandir, de se séparer de son père et d'avouer son amour à Avenant. Son père refuse de la laisser grandir. Ses deux sœurs et son frère vivent de façon égoïste et sans faire d'efforts. La Bête cherche l'amour pour se délivrer de son maléfice. La Belle goûte peu à peu à la vie fortunée avec la Bête, dont seule l'apparence la tient à distance. Alors qu'Avenant et Ludovic (le frère de la Belle) sont chez la Bête pour la voler et la tuer (dans le cas d'Avenant, également pour délivrer la Belle), envoyés « à la mort » par les deux sœurs, elles-mêmes avides de richesses, Avenant est abattu d'une flèche par la statue de Diane et se change en Bête. On comprend que c'est son tour d’être une Bête, tandis que la Bête redevient un prince, volant au passage par magie l'apparence d'Avenant.

Le film se termine abruptement avec l'envol de l'ex-Bête et de la Belle, mais on peut imaginer sans peine ce qui arrive aux autres personnages : la Belle épouse la Bête, les sœurs et le père deviennent riches (pour le cas des sœurs, c'est moins sûr, car les richesses qu'elles touchent deviennent des choses hideuses) , Ludovic soit est tué par la bête (Avenant) - mais c'est peu probable car le dernier plan montre la bête morte - soit s'enfuit dans la forêt et disparaît. Ses chances de retrouver son chemin vivant paraissent minces, à moins que le magnifique ne le ramène, s'il se souvient de la formule, ce qui ne semble pas être le cas. Les sœurs se sentiront, peut-être, un peu responsables. La Belle, elle, semble avoir fait le choix de « ne pas être gênée » par toute cette magie et ces maléfices, pour son propre bénéfice. Elle sacrifie donc son véritable amour (Avenant) à son apparence, et à la Bête. On peut ainsi se demander si - à l'exception d'Avenant, héroïque par amour - tous ne sont pas des bêtes.

Fiche technique

Distribution

Production

L'élaboration du film

Juste après la Deuxième Guerre mondiale, Jean Marais a proposé à Jean Cocteau de faire un film qui se baserait sur deux œuvres du XVIIe siècle et XVIIIe siècle. L'une, dont le titre et la majeure partie du contenu narratif, est le conte de fées de Madame Leprince de Beaumont, publié pour la première fois dans l'anthologie Le Magasin des Enfants, ou Dialogues entre une sage gouvernante et ses élèves à Londres en 1757 et que Cocteau avait déjà pensé avant la guerre à adapter pour le théâtre ou pour un pantomime. La seconde source narrative du film est aussi un conte de fées : La Chatte blanche de Madame Marie-Catherine d'Aulnoy, publié quelque soixante ans auparavant dans une des premières anthologies du genre des Kunstmärchen (contes littéraires) imprimées en France : Les Contes des Fées, Paris, 1697-1698. De ce conte, un seul motif évocateur se trouve dans le film : les domestiques, ayant été transformés par magie, en sont réduits à leur seuls bras et mains, encore prêts à servir.

Cocteau a trouvé l'idée excellente : non seulement elle coïncidait avec les rêves qu'il avait eus dans son enfance, mais elle lui offrait une nouvelle possibilité cinématographique : mettre en scène des contes de fées. À première vue ce film est différent du précédent pour lequel Cocteau avait écrit le script et qu'il avait dirigé, mais tous les deux travaillent sur des mythes et créent une ambiance d'une beauté qui dérange. Dans son esprit le film reste fidèle à ces deux contes de fées mentionnées, mais la mise en image est de Cocteau et de personne d'autre. Il a ouvert une voie qu'emprunteront après lui des metteurs en scène, comme Ingmar Bergman, François Truffaut et Vincente Minnelli. L'œuvre d'Alexandre Arnoux, La belle et la bête, pièce de théâtre publiée en 1913 en Belgique, aurait aussi inspiré ce film[2]. L'intrigue du film est plus proche de cette pièce que du conte original, notamment dans la mise en situation de l'intrigue, l'absence de la fée, etc.

Cocteau devait initialement cosigner le film avec Marcel Pagnol et s'était associé à la Gaumont qui se désengagea en 1944 alors que Pagnol avait rompu son contrat car il venait de quitter sa compagne Josette Day, rôle principal du film, pour l'actrice Jacqueline Bouvier[3].

Distribution des rôles

Dans les rôles principaux, Josette Day est la Belle, Michel Auclair son frère, Ludovic, et Jean Marais interprète trois personnages : Avenant, la Bête et le Prince.

Le maquillage de la bête

Au départ, Jean Marais avait pensé à une tête de cerf. Il semble qu'en faisant cette proposition, il se souvenait d'un détail dans La Chatte blanche, où le heurtoir à la porte du château magique de la Chatte Blanche/la princesse est en forme d'un pied de biche ou chevrette. Cette proposition suivait les lignes narratives de ce conte de fées, et aurait eu évoqué aussi de loin le mythe de Cernunnos, dieu celtique des bois à tête de cerf ; mais Jean Cocteau pensait que les spectateurs trouveraient une telle tête ridicule pour une bête féroce et dangereuse. Moulouk, le chien de Jean Marais servit de modèle pour le visage de la bête.

Il fallait environ trois heures pour fixer le masque de la bête, et une heure pour chaque griffe. Les dents du monstre étaient accrochées à celles de l'acteur par de petits crochets, ce qui n'était pas très pratique pour manger. La "bête carnivore" se nourrissait donc essentiellement de nourriture en bouillie (on peut lire ces témoignages de Jean Marais dans l'autobiographie qu'il a rédigée).

Équipe technique

Georges Auric était le responsable de la musique, et Henri Alekan directeur de la photographie. Le décorateur Christian Bérard et Lucien Carré assuraient la direction artistique.

Cocteau confia la réalisation des costumes à la maison Paquin et Pierre Cardin qui s'attella avec bonheur à cette entreprise, endossant même le rôle et le costume de Jean Marais à plusieurs reprises[4].

Lieux de tournage

Les scènes extérieures ont notamment été tournées :

Les scènes en studios ont été tournées :

La réalisation

Le tournage du film qui débute le 27 août 1945 a dû être interrompu car Cocteau est tombé malade, souffrant, entre autres maux, de maladies d'origine allergique (impétigo, eczéma généralisé, furonculose, urticaire géant, dermite, anthrax, lymphangite, phlegmon). L'état de Jean Marais laisse aussi à désirer : il souffre d'un furoncle à l'intérieur de la cuisse, son masque lui provoque un eczéma au visage[5].

Beaucoup de règles se sont vues brisées au cours de la réalisation de ce film, la musique d'Auric rompait les effets visuels plutôt qu'elle ne les soulignait. La cinématographie d'Alekan n'est pas conventionnelle, mais précise et claire - presque comme dans un documentaire. Le film a été tourné dans la campagne française, dans un environnement qui rend crédible non seulement la maison de la Belle et de sa famille, mais aussi le château de la Bête.

Dans son travail Cocteau a laissé jouer à la morale un rôle, un rôle soumis à la magie, au symbolisme, au surréalisme et à la psychanalyse. Le rôle de la Bête il l'a donné à un acteur qui était considéré alors comme l'homme le plus beau du monde, Jean Marais. Celui-ci interprète un rôle triple : la Bête, le soupirant de la Belle (Avenant) et le prince. En outre, il y a aussi dans le mur des bras d'homme qui en sortent et portent des chandeliers, ainsi que des cariatides dont les yeux bougent et une fumée qui s'exhale. Cocteau a placé aussi dans le film des talismans et des jardins enchantés.

Le film cherche à faire naître un sentiment de magie et d'ensorcellement. La technique cinématographique et les décors se réfèrent aux illustrations et aux gravures de Gustave Doré et, dans les scènes de ferme, aux tableaux de Johannes Vermeer[6]. L'utilisation des images par Cocteau a fait s'affronter les experts pour savoir si les significations cachées s'expliquaient par Jung ou par le surréalisme.

Le film dure environ 96 minutes, et il est le premier que Jean Cocteau a écrit et mis en scène depuis Le Sang d'un poète. Cocteau montre ici combien il est difficile de séparer le rêve de la réalité.

Le générique lance un clin d’œil vers l'enfance puisqu'ici le générique avec les comédiens et les autres collaborateurs s'écrit sous nos yeux à la craie sur un tableau noir.

Réception

Après avoir délaissé le cinéma pendant quelques années au profit du théâtre et de la poésie, Jean Cocteau reprend la réalisation en 1943 avec L'Éternel Retour dont il a écrit « le récit et les paroles ». Il reprend dans La Belle et la Bête, en 1946, son interprète favori, Jean Marais, en une adaptation qui ne perd rien de sa mythologie personnelle. Il fait lui-même la mise en scène. Le film sort à Paris le 29 octobre 1946 sur les Champs-Elysées, au cinéma Le Colisée, et sur Les Grands Boulevards au cinéma La Madeleine[7]. Et contre toute attente, à l'heure du succès du réalisme, le film fait un triomphe[8].

Le film est classé 16e du box-office en 1946 avec 3.8 millions d'entrées[9].

Récompenses

Restaurations du film

Le film a fait l'objet de plusieurs restaurations entre 1995 et 2013. La première restauration fut réalisée pour le centenaire du cinéma, par le centre national de l'audiovisuel du Luxembourg sous l'égide de la CLT-UFA, détentrice des droits du film, et sous la direction d'Henri Alekan. Cette restauration photochimique à partir du négatif nitrate original, consistait à nettoyer le film qui avait subi des détériorations dues à l'âge, et à réparer les perforations. Une copie sur négatif 35 mm en fut tirée, qui servit de base pour le master numérique qui fut utilisé pour les éditions DVD à partir de 2003[10]. En 2005 Studio Canal fait faire une restauration numérique à partir d'une copie du négatif, par la société Full Image, qui consistait à la nettoyer de nombreux défauts de l'image et de problèmes de luminosité, afin d'en tirer un master pour l'exploitation en DVD et en HD DVD[11]. En 2013 le SNC, la Cinémathèque française et le fonds Culturel franco-américain, dirigent une nouvelle restauration à partir de deux versions du film, un marron nitrate conservé à la Cinémathèque française et un marron à densité fixe provenant d'Allemagne. La numérisation a consisté à étalonner les images afin d'en restituer la gamme d'origine, et à combler les 843 photogrammes manquants. La copie restaurée a ensuite été scannée à très haute résolution en 5K[12].

Influences et inspirations

Jusqu'à un certain point, il a été une source d'inspiration pour le dessin animé des studios Disney (1991)[réf. nécessaire].

En 1995, Philip Glass a composé un opéra à partir de ce film. La version originale a été jouée sur la scène par des musiciens et des chanteurs, pendant qu'une version restaurée et sous-titrée du film était montrée derrière eux sur un écran. La Belle était la Mezzo-soprano Janice Felty.

En 2013, Ethery Pagava a créé un ballet influencé par le film de Cocteau. La Belle était la ballerine Ana Pinto, la Bête étant interprétée par le danseur Mikhaïl Avakov.

Notes et références

  1. Thomas Grömling, Analyse du film - La belle et la Bête de Jean Cocteau, GRIN Verlag, , p. 5
  2. http://www.netprovence.com/tourisme/departement/04/digne/circuit3.htm
  3. Philippe Azoury, Jean-Marc Lalanne, Cocteau et le cinéma. Désordres, Cahiers du Cinéma, , p. 48
  4. Carole Weisweiller, Patrick Renaudot, Jean Marais, le bien-aimé, Rocher, , p. 354
  5. Francis Ramirez, Christian Rolot, Jean Cocteau : l'œil architecte, ACR Édition, , p. 232
  6. "Nouer ensemble le style de Ver Meer et celui des illustrations de Gustave Doré dans le grand livre à couverture rouge et or des Contes de Perrault" COCTEAU Jean, La Belle et la Bête, journal d'un film, Éditions du Rocher, 1958
  7. Laurent Creton, Frédéric Berthet, Histoire économique du cinéma français. Production et financement (1940-1959), CNRS Editions, , p. 112
  8. Les Films-clés du cinéma de Claude Beylie, éditions Borda (ISBN 2-04-016356-5)
  9. Frédéric Gimello-Mesplomb, L'invention d'un genre : le cinéma fantastique français, L'Harmattan, , p. 93
  10. Criterion Collection / La Belle et la bête sur blu-ray.com.
  11. Communiqué de Full Image
  12. Dossier de la Cinémathèque française

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean Cocteau La Belle et la Bête, journal d'un film édition du Rocher 1958
  • Gérard Lenne, Le Cinéma fantastique et ses mythologies édition du Cerf 1970
  • L'avant-Scène cinéma, numéro spécial 188-189 La Belle et la Bête Avant Scène juillet 1973
  • Robert Hammond et Henri Alekan (photographies et commentaires d'), La belle et la bête de Jean Cocteau édition du Collectionneur 1992 (ISBN 2-909450-09-0)
    préface de Jean Marais, postface de Mila Parely
  • Dominique Marny, La Belle et la Bête, Les coulisses du tournage édition Le Pré aux Clercs 2005 (ISBN 2842282248)
  • Marie-Cathérine d'Aulnoy, La Chatte blanche, dans : Les Contes des Fées, Paris 1697-1698, publié en allemand dans : Französische Märchen, Auswahl und Einleitung von Jack Zipes, Frankfurt/Main, Verlag Zweitausendeins, Lizenausgabe des Insel-Verlages, Mainz/Leipzig 1991, S. 123-156.
  • Jeanne-Marie Le Prince de Beaumont, La Belle et la bête, dans : Le Magasin des Enfants, ou Dialogues entre une sage gouvernante et ses élèves, London 1757, publiée en Allemand dans : Französische Märchen, Auswahl und Einleitung von Jack Zipes, Frankfurt/Main, Verlag Zweitausendeins, Lizenausgabe des Insel-Verlages, Mainz/Leipzig 1991, S. 321-336.

Article connexe

Liens externes