Croix (christianisme)

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Symboles de croix chrétiennes.

La croix chrétienne est le principal symbole du christianisme. Considérée de nos jours comme l'image du gibet de la crucifixion du Christ, sa symbolique est plus ancienne, et a probablement commencé par l'usage du signe de croix.

C'est à partir du IVe siècle que la croix devient emblème et symbole chrétiens, adoptée — selon la tradition — par l'empereur Constantin le Grand sous forme du chrisme (). C'est à cette époque et après l'invention de la relique de la Vraie Croix par la mère de l'empereur que débute son culte. Au cours des IVe et Ve siècles, ce symbole commence d'orner les édifices religieux. À partir du VIe siècle, la croix est régulièrement associée aux représentations du Christ.

Histoire

Un symbole universel

L’image de la croix est antérieure de plusieurs siècles à Jésus de Nazareth. Julien Ries rappelle son caractère universel : on la retrouve entre autres dans les civilisations mésopotamiennes, élamites, amérindiennes[1]... Elle n'a pas obligatoirement une fonction religieuse : aujourd'hui encore, la croix peut aussi servir de signature à des illettrés[1].

Signe du tav

La croix en forme de tau grec toujours utilisée par les franciscains est également une référence au passage (9:4-6) d'Ézéchiel

Le geste de tracer un signe de croix sur le front est un des rites chrétiens les plus anciens. Utilisé lors du baptême, ou tracé usuellement en symbole de protection, il se réfère à une prophétie du livre d'Ézéchiel (9:4-6) : « Passe par le milieu de la ville, et marque d'un tav le front des hommes »[2]. Les 144 000 élus mentionnés dans l'Apocalypse[Note 1] portent également au front un signe marquant leur consécration à Dieu, probablement en référence au signe tav d’Ézéchiel[2].

Le tav est la dernière lettre de l'alphabet hébreu qui, dans sa forme archaïque stabilisée, est représentée par une croix debout (+) ou couchée (x)[3], une forme qui encore en usage à l'époque de Jésus de Nazareth[2],[4] au moins partiellement[5]. Comme l'oméga grec, il représente Dieu ou le Nom de Dieu. L'usage du tav comme symbole d'appartenance à la communauté messianique semble avoir déjà été utilisé comme marque distinctive par les esséniens [6].

Pour les premiers chrétiens, être marqué d'un tav au front équivaut à être marqué d'une croix : quand, par exemple, l'auteur du Pasteur d'Hermas parle de « porter le Nom de Dieu », il signifie « être marqué au front du tav », donc du signe de la croix ou, autrement dit, être baptisé[2]. Cela laisse supposer que le tav était lié au nom même de Jésus-Christ, incarnation de la Parole de Dieu[2]. Il est attesté par Tertullien comme une pratique rituelle habituelle pour les chrétiens aux alentours du début du IIIe siècle[7], est rangé par les romains paganistes au rang des pratiques magiques[8].

Les premiers symboles chrétiens

Crucifié à tête d'âne, graffito d'Alexamenos, IIIe siècle, conservé au Musée du Palatin

La croix du supplice, image d'une mort humiliante, n'appartient pas aux premiers symboles du christianisme[9]. D'une manière générale, avant le IIIe siècle, les premiers chrétiens n'usent que de quelques symboles figurés comme la lyre, l'ancre de marine, un bateau au vent, l'orante[Note 2], le criophore[Note 3], la colombe ou le poisson[10]. Ce dernier symbole s'écrit en grec IXΘYΣ, « ichthus » constituant les premières lettres de l'expression Iêsous Christos Theou Uios Sôtêr, c’est-à-dire « Jésus Christ, Fils de Dieu Sauveur »[10]. On trouve également l'usage de symboles issus de l'iconographie romaine, comme la palme ou le laurier[11].

La croix est utilisée dès le début par les adversaires des chrétiens pour les tourner en dérision : exposé au musée du Palatin, le graffito d'Alexamenos, datant du IIIe siècle, représente un âne crucifié surplombant la mention « Alexamenos adore Dieu ». Il s'agit à ce jour — et paradoxalement — de la plus ancienne représentation de la Crucifixion[12].

La Croix nue

Anastasis, vers 350, Musée Pio Cristiano

C'est à partir du IVe siècle que la croix devient emblème et symbole de la chrétienté, adopté - suivant la tradition chrétienne - par l'empereur Constantin à travers le chrisme. C'est à partir de cette époque et l'invention de la relique de la Vraie Croix par la mère de l'empereur que son culte se répand (signe sur les vêtements, les maisons, les sarcophages, les pièces de monnaie, tatouages aux vertus propitiatoires ou protectrices[13]) et, au cours des IVe et Ve siècles, elle commence progressivement à orner les édifices religieux[7] : si Constantin et sa famille ne sont pas les promoteurs d'une impulsion iconographique, ils le sont par contre d'une architecture cultuelle qui, parmi d'autres ouvrages, voit s'édifier la basilique Sainte-Croix-de-Jérusalem à Rome[14].

J. Hall écrit : « Après la reconnaissance de la chrétienté par Constantin le Grand, les chrétiens ne craignent plus les persécutions et, encore plus à partir du Ve siècle, la croix commence à être représentée sur des sarcophages [cercueils de pierre], des lampes, des coffrets et d’autres objets »[15]. La plus ancienne attestation de « Croix-Trophée » figure sur un sarcophage daté de 340-350 conservé au Musée Pio Cristiano[16].

Théodose II en l'an 427 interdit de figurer la Croix sur le sol. Elle doit être figurée dans les portions les plus honorables des édifices de culte. L'interdiction est maintenue sous le règne de Valentinien III (419-455), mais elle est ignorée dans les églises de Palestine au Ve siècle et VIe siècle, où l'on retrouve des croix en mosaïque de pavement[17].

Au Monastère de Ghélati en Géorgie, la Croix est représentée portée par les anges, c'est L'Ascension ou l'Élévation de La Croix. On retrouve cette élévation dans l'église de la Vierge du Monastère d'Oudabno près de Tchokhataouri. Cette représentation est très fréquente dans les églises géorgiennes.

Dans les églises arméniennes, la nature divine du Christ est mise en avant, ce qui a pour conséquence la non-représentation de sa mort. La Croix sculptée apparaît souvent dans la partie supérieure des coupoles du VIIe siècle comme dans l'Église d'Odzoun, celle de Mastara et de Sainte-Hripsimé, ainsi que sur les khatchkars ou stèles funéraires.

Dans une absidiole de l'Église Saint-Étienne-le-Rond à Rome, on peut voir une mosaïque du VIIe siècle, dans laquelle la tête du Christ est représentée, mais située dans un médaillon au-dessus d'une Croix vide[17].

Premières représentations du Christ en Croix

Sur la porte en bois de l'Église Sainte-Sabine de Rome (Ve siècle), la crucifixion à l'angle supérieur gauche, serait l'exemple le plus ancien d'une telle représentation[18]. Devant une muraille rappelant Jérusalem, un Christ athlétique, vêtu du subligaculum, est entouré des deux larrons au visage imberbe. « Les croix sont étrangement absentes. Le visage du Christ est de type syro-palestinien, barbu, entouré d'une longue chevelure. Les bras ont la position de l'orant… Les paumes des mains tournées vers le spectateur font voir la tête arrondie des clous... Les pieds des trois crucifiés reposent sur l'encadrement du bas et ne sont pas cloués[19] »

À partir du VIe siècle, la croix est régulièrement associée aux représentations du Christ[7].

Dans la Cathédrale Saint-Just-et-Saint-Pasteur de Narbonne, primitivement dédiée à Saint-Genès, une peinture, probablement d'origine orientale, montre un christ imberbe, ceint seulement du subligaculum, pagne d'athlète typique de l'Antiquité romaine. Cette figure du crucifié quasi nu, de type hellénistique, va disparaitre au cours du VIe siècle. Grégoire de Tours raconte en 593 dans son De Gloria Martyrium que le Christ apparut en songe par trois fois à un prêtre nommé Basil, pour en dénoncer la nudité et le menacer de mort s'il ne la couvrait pas. Dans les représentations postérieures, comme celles des évangiles de Rabula, il est revêtu le plus souvent d'un colobium (tunique longue)[20].

Au cours du Moyen Âge, il y eut débat car l'Évangile selon Jean dit que les soldats romains se partagent la tunique du Christ (Jean, 19, 23-24). Les artistes à partir du VIIIe siècle délaissent progressivement le colobium au profit du périzonium qui s'impose vers le XIe siècle, créant différents styles de drapés[21]


Sens symbolique

Signe de croix

Dès l'époque de Tertullien, le fait de tracer une croix sur le front, en guise de protection et en signe d'appartenance à la communauté chrétienne, a une valeur rituelle[Note 4].

Initialement tracé sur le front avec le pouce, ce geste a évolué au fil du temps et des schismes qui ont séparé les Églises chrétiennes.

Il reste le signe d'affirmation des chrétiens orthodoxes et catholiques lorsqu'ils l'esquissent sur leur corps. Pour les catholiques, ce geste, répété au cours de chaque messe, équivaut à une profession de foi qui symbolise leur appartenance au « corps du Christ » qu'est l'Église. Les liturgies orthodoxes sont ponctuées de nombreux signes de croix qui s'effectuent de droite à gauche et non de gauche à droite comme chez les latins.

En ce qui concerne les Églises protestantes, les courants issus de la Réforme l'utilisent avec parcimonie. Son usage est plus répandu dans les courants luthériens et anglicans High Church.

Représentations

Il existe de nombreuses sortes de croix : grecque, latine, celtique, potencée, gemmée…

La croix latine est souvent utilisé sur les bâtiments ou dans la salle de rencontre des églises chrétiennes évangéliques. Elle apparaît également sur les logos d'églises. Elle est un rappel du sacrifice de Jésus mais l'image en tant que telle, n'a pas valeur spirituelle et n'est pas nécessaire à la prière.

Dans l'Église catholique la croix latine est aussi utilisée comme base du crucifix. La messe ne peut avoir lieu que si un crucifix est présent sur ou à côté de l'autel. La croix est portée lors des pèlerinages, des rassemblements et des cérémonies religieuses.

Dans l'Église orthodoxe c'est la croix grecque qui est la plus représentée. En particulier chez les Serbes et les Russes, on ajoute une barre horizontale en bas de la barre verticale. Cette barre symbolise le lien entre les pécheurs et le Christ sauveur. Elle est penchée vers la gauche (côté du mauvais larron qui n'est pas sauvé), son côté droit étant plus haut (côté du bon larron sauvé par le Christ). La croix arménienne représentée dans les monuments a une forme fleurée, et est nommée khatchkar.

Parmi les diverses variantes de croix chrétiennes, on dénombre :

Crucifix

Crucifix d'église

Le crucifix est une croix portant le corps du Christ après sa mort, montrant les plaies aux mains, aux pieds et au flanc. Chez les protestants, la croix huguenote est représentée sans le corps du Christ, car elle symbolise la résurrection, et non la mort du Christ.



Plan d'église

Cathédrale de Salisbury

Jusqu'au IVe siècle, l'architecture des églises chrétiennes reste rudimentaire et ne suit pas de schéma défini. Avec l'avènement officiel du christianisme, les constructions adoptent le plan basilical rectangulaire des édifices civils de l'Empire, puis évolue de plus en plus vers la forme de la croix[22].

La forme de croix latine est fréquente dans l'architecture des églises et chapelles catholiques. L’empreinte de l’édifice au sol reprend le schéma rectangulaire du plan basilical tout en l'adaptant au tracé de la croix : la nef correspond à la poutre verticale, le transept à la traverse, le chœur à l'intersection.

L'église à croix inscrite est la forme architecturale qui a dominé dans l'Empire byzantin. Les premières églises à croix inscrite furent probablement construites au VIIIe siècle et la forme est toujours en utilisation dans l'Église orthodoxe.

Notes et références

Notes

  1. Apocalypse, I, 4
  2. Personnage généralement féminin représenté en prière
  3. « Porteur d'un bélier »
  4. Tertullien écrit : « À chaque pas, à chaque mouvement, en rentrant et en sortant, en revêtant nos vêtements ou en mettant nos chaussures, au bain, à table, quand on allume les lampes, en nous couchant, en nous asseyant, à toute occupation, nous marquons nos fronts du signe de la croix. » De corona mil., c. III.

Références

  1. a et b « The cross is everywhere : in pre-vedic civilization ; in the Elamite world and Mesopotamian iconography, in the vast area of Aryan migrations and the cultures to which they gave birth, in China, in pre-Colombian and American Indian civilizations, among nonliterate people who are our contemporaries » , Julien Ries, « Cross » dans Mircea Eliade, The Encyclopedia of Religion , t. 4, 1987, col.155-65
  2. a b c d et e Pierre Erny, Le signe de la croix : Histoire, ethnologie et symbolique d'un geste « total », éd. L'Harmattan, 2007, p. 54-56
  3. (en)Nancy R. Bowen, Abingdon Old Testament Commentaries : Ezekiel, éd. Abingdon Press, 2011, p.50
  4. voir aussi (en) Maurice Dilasser, article « The Sign of the Cross » dans The Symbols of the Church, éd. Liturgical Press, 1999, p. 21
  5. voir notamment pour cette forme le manuscrit 4Q186 de Qumrân, daté entre 30 av. J.-C. et 20 après ; cf. David W. Chapman, Ancient Jewish and Christian Perceptions of Crucifixion, éd. Mohr Siebeck, 2008, p.180 et, pour la datation, Mladen Popović, « 4Q186. 4QZodiacal Physiognomy. A Full Edition », dans G.J. Brooke et J. Høgenhaven (éds.), The Mermaid and the Partridge : Essays from the Copenhagen Conference on Revising Texts from Cave Four éd. Brill, 2011, p.230 ; voir aussi à ce sujet Mireille Hadas-Lebel, Histoire de la langue hébraïque, Presses Orientalistes de France, 1986, p. 25-31
  6. Jean Daniélou, Les symboles chrétiens primitifs, Seuil, , p. 147
  7. a b et c Philipp A. Cunningham, « Cross/crucifix » dans Edward Kessler et Neil Wenborn (dirs), A Dictionary of Jewish-Christian Relations, éd. Cambridge University Press, 2005, p.113-114
  8. Paul Hartog, « Greco-roman Understanding of Christianity », dans D. Jeffrey Bingham (éd.), The Routledge Companion to Early Christian Thought, p.60
  9. Michael Gough, dans Marcel Brion (dir.) La Grèce et Rome, éd. Imprimerie des arts et manufactures, 1974, p.364
  10. a et b Simon Claude Mimouni et Pierre Maraval, Le Christianisme des origines à Constantin, éd. P.U.F., 2007, p. 454
  11. Michael Gough, dans Marcel Brion (dir.), La Grèce et Rome, éd. Imprimerie des arts et manufactures, 1974, p. 371
  12. Michael Gough, in La Grèce et Rome, op. cit., p. 364. Michael Gough indique que « Alexamenos était sans doute un esclave, que ses compagnons raillaient parce qu'il était chrétien ».
  13. (de) Peter Stockmeier, Theologie und Kult des Kreuzes bei Johannes Chrysostomus : Ein Beitrag zum Verständnis des Kreuzes im 4. Jahrhundert, Paulinus-Verlag, , p. 212-217
  14. François Boepfslug, Dieu et ses images : Une histoire de l’Éternel dans l'art, éd. Bayard, 2011, p.79
  15. J. Hall, Dictionary of Subjects & Symbols in Art.
  16. François Boepfslug, Dieu et ses images : Une histoire de l’Éternel dans l'art, éd. Bayard, 2011, p.76
  17. a et b François Boespflug, La Crucifixion dans l’art : Un sujet planétaire, Bayard Editions, , 559 p. (ISBN 978-2-227-49502-9), p. 33 et 70-71
  18. (en) Mary Joan Winn Leith, Allyson Everingham Sheckler, « The Crucifixion Conundrum and the Santa Sabina Doors », Harvard Theological Review, vol. 103, no 1,‎ , p. 67–88 (DOI 10.1017/S0017816009990319).
  19. Jacques de Landsberg, L'art en croix : le thème de la crucifixion dans l'histoire de l'art, Renaissance du Livre, , p. 51.
  20. François Boespflug, La Crucifixion dans l’art : Un sujet planétaire, Bayard Editions, , 559 p. (ISBN 978-2-227-49502-9), p. 74
  21. Paul Thoby, Le crucifix des origines au Concile de Trente: étude iconographique, Bellanger, , p. 11.
  22. Michael Gough, in La Grèce et Rome, op. cit., p. 359 sq.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • (en) David W. Chapman, Ancient Jewish and Christian perceptions of crucifixion, éd. Mohr Siebeck, 2008, extraits en ligne
  • Pierre Erny, Le signe de la croix : Histoire, ethnologie et symbolique d'un geste « total », éd. L'Harmattan, 2007, recension en ligne
  • Jean-Marc Prieur, La Croix : représentations théologiques et symboliques, Labor et Fides, 2004
  • Jérôme Cottin, Jésus-Christ en écriture d'images : premières représentations chrétiennes, Labor et Fides, 1990
  • Marcel Brion (dir.), La Grèce et Rome, Imprimerie des arts et manufactures, 1974