Vêpres siciliennes

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Les Vêpres siciliennes (1846), par Francesco Hayez.

Les « Vêpres siciliennes » sont un soulèvement et une révolte populaires de l'île de Sicile contre la domination féodale du roi français Charles d'Anjou, survenu à Palerme et Corleone, le , le mardi de Pâques. À la suite de ce soulèvement et du massacre des Français, les Siciliens se libèrent de la tutelle angevine en reconnaissant le roi Pierre III d'Aragon roi de Sicile[1]. L'événement est donc à la fois un moment clef de l'histoire nationale sicilienne et un tournant géopolitique.

Contexte

Le contexte italien est celui de la lutte entre les partisans du pape et de l'empereur : les partis des guelfes (guelfi, pour le pape) et des gibelins (ghibellini, pour l'empereur) se cristallisent à cette occasion.

La situation sicilienne était complexe depuis la mort en 1250 de l'empereur Frédéric II de Hohenstaufen, roi de Sicile et ennemi déclaré de la papauté. Son fils Conrad IV lui succède mais meurt en 1254. Le pape Innocent IV, suzerain nominal de Sicile, veut profiter de la minorité de son fils Conradin pour évincer les Hohenstaufen d'Italie. Le régent de Conradin, Manfred de Hohenstaufen, fils bâtard de Frédéric II, se proclame roi en 1258 au détriment de son neveu. Il est alors excommunié et privé de son royaume par le pape, qui cherche un nouveau prétendant à faire valoir pour abattre la « race de vipères » que représente pour le pouvoir pontifical la famille de Hohenstaufen. En 1266 c'est le comte Charles d'Anjou, frère du roi de France Louis IX (« Saint Louis ») qui est investi par le pape du royaume de Sicile. Il envahit le Sud de la péninsule italienne et tue Manfred à la bataille de Bénévent le . Il doit faire face par la suite aux attaques de Conradin, dorénavant assez âgé pour faire valoir ses droits. Toutefois ce dernier est vaincu et fait prisonnier en 1268 à la suite de la bataille de Tagliacozzo. Le 29 octobre, après un procès pour trahison, il est décapité à Naples.

Dès lors, fort de l'appui du pape et de ses victoires militaires, Charles d'Anjou nourrit des projets plus vastes de croisade : il achète le titre de roi de Jérusalem (1277), fait occuper Saint-Jean-d'Acre, tête de pont franque en Terre Sainte, et veut contraindre les Byzantins à l'union religieuse. Pour cela, il prépare une expédition contre l'Empire byzantin pour le printemps 1283 et masse sa flotte à Messine.

La mort du dernier des Hohenstaufen et les exactions des seigneurs français de la suite de Charles d'Anjou, peu au fait des institutions particulières de la Sicile, entraînent dans l'aristocratie et les classes urbaines siciliennes un rejet des Français qui se traduit par la préparation d'une révolte. L'un des souverains les plus intéressés par la Sicile est alors le roi Pierre III d'Aragon, qui avait épousé en 1262 Constance de Sicile, fille de Manfred. S'il n'encourage pas la révolte, il est probable qu'il ne fait rien pour l'empêcher. L'empereur byzantin Michel VIII Paléologue, inquiet des visées sur l'Orient qu'entretient Charles d'Anjou, est également contacté par des émissaires siciliens. Début 1282 une flotte de cent quatre-vingts vaisseaux part de Collioure et de Valence[2]. Elle est destinée à punir l'émir de Tunis du non-versement de son tribut à l'Aragon, mais il est probable que le roi Pierre ait également un projet sicilien[3].

Le soulèvement et l'intervention aragonaise

Le soulèvement des « Vêpres siciliennes » débute le 30 ou à Palerme avant de s'étendre progressivement à toute la Sicile, jusqu'au soulèvement de Messine le 28 avril. La tradition retient que le lundi de Pâques à l’heure des vêpres, au son des cloches, se déclenche un massacre des troupes de Charles d’Anjou à Palerme et de la plupart des Français. En fait, aucune source de l'époque ne permet de confirmer la date exacte ou l'heure du soulèvement, et l'expression « Vêpres siciliennes » n'apparut qu'au début du XVIe siècle[4].

À en suivre les chroniques du temps, le 31 mars, mardi de Pâques, on assiste à un pèlerinage habituel des familles palermitaines de la porte Sainte-Agathe à l'église du Saint-Esprit (Santo Spirito) hors les murs ; on constate la présence oppressive des soldats français. Le prétexte à l'embrasement n'est pas clair : l'indélicate recherche d'armes sur les jeunes gens et sur les femmes — certaines chroniques évoquent l'offense particulière faite à une jeune fille sur son intimité — ou une pierre lancée par des enfants insultés par les Français ? Dans tous les cas l'étincelle est une atteinte à l'honneur. La réaction se fait violente, les Français ainsi que le personnel administratif amalfitain sont alors traqués et massacrés. Les artisans palermitains mettent en place une éphémère commune avant d'être rejoints par les habitants de Corleone. Le , l’héritier le plus proche de Manfred met fin à la république fédérale. Pendant quatre mois, la république avait connu une liberté aussi extraordinaire que sanglante. Seul le château de Sperlinga n’a pas participé à la rébellion de 1282 contre les soldats de Charles d’Anjou. Les documents historiques témoignent de la présence de soldats « angevins » dans le château et du fait que les habitants fournissaient de la nourriture pendant le long siège qui a duré presque 13 mois. La légende populaire raconte que les Siciliens révoltés obligeaient les étrangers à prononcer le mot « ciciru » (signifiant « pois chiche » et se prononçant « tchitchirou ») pour découvrir s’il s’agissait d’un Français[5]. Trois cent quarante années plus tard, Gianforte (Giovanni Forte) ou Giovanni Natoli (Jean de Nanteuil), noble prince descendant de la famille royale française à partir du roi Louis IX, de retour à la possession du château de Sperlinga et immédiatement en 1622, grave sur deux pierres à titre posthume sur l’arc en ogive de la première chambre du château la devise qui résume les faits de l’aide du village aux Angevins : Quod Siculis Placuit Sola Sperlinga Negavit (en français : « Ce que les Siciliens ont aimé, seulement Sperlinga l’a nié »). Finalement ces soldats, guidés par Petro de Lemannon, eurent la vie sauve et arrivèrent en Calabre où Charles d'Anjou les attendait, leur donnant des fiefs. S'agit-il d'une révolte anti-française ? Ce point semble indiscutable. Le cri des révoltés était bien « Mort aux Français ! » Faut-il pour autant, comme l'ont avancé certains auteurs, y voir l'origine historique de la Mafia et en même temps une préfiguration de la lutte de l'Italie pour sa réunification et son indépendance ? Selon eux, le cri de ralliement des insurgés aurait été « Morte Alla Francia ! Italia Aviva ! » (en français : « À mort la France ! Vive l'Italie ! »), ou bien « Morte a i francesi ! Italia Anella ! » (en français : « Mort aux Français ! Crie l'Italie ! »). Ces deux locutions constitueraient l'acronyme du mot mafia. Si les liens historiques sont réels, ces cris ayant pour acronymes « mafia » ne seraient même pas une étymologie populaire, mais bien un mythe fantaisiste.

Cette origine prétendue, souvent évoquée, ne résiste cependant guère à l'analyse. En effet, le concept d'Italie en tant que nation soumise, qui se serait, dès le Moyen Âge, soulevée contre la France en tant que nation occupante est tout à fait anachronique au XIIIe siècle, aussi bien d'ailleurs pour l'Italie que pour la France. Il s'agirait plutôt d'une explication controuvée, remontant sans doute au XIXe siècle, et pouvant satisfaire à la fois les partisans de l'unité italienne à l'époque du Risorgimento que la mafia elle-même qui se donnait à bon compte une image de défenseur du peuple contre l'occupant étranger. Au demeurant le rattachement de la Sicile, qui faisait partie du royaume de Naples, au royaume d'Italie ne remonte qu'à 1861.

Les sources présentent les Vêpres tantôt comme un complot — ainsi l'Anonyme de Messine, La conspiration de Jean Prochyta et ses références au soutien occulte de Pierre III d’Aragon et de Giovanni da Procida, médecin et jurisconsulte en exil depuis 1275 — tantôt comme un mouvement populaire (Crònica de Ramon Muntaner). Quelle que soit la réalité de ces complots — il paraît certain que Procida, alors chancelier de la couronne d'Aragon, ait noué des contacts avec les gibelins de Sicile — le mouvement fut récupéré par Pierre III d'Aragon, massivement soutenu par l'aristocratie et la bourgeoisie catalane[2].

Pierre III d'Aragon débarque à Trapani, ms, Biblioteca Vaticana.

La flotte aragono-catalane débarque à Palerme et chasse les troupes fidèles à Charles d'Anjou en dehors de l'île. Peu de Français échappent au massacre. Une exception est à signaler : Guillaume III des Porcellets, chambellan de Charles d'Anjou et membre de l'illustre maison de Provence des Porcellets, en considération de sa droiture et de sa vertu. Les émissaires siciliens apportent au roi Pierre la couronne de l'île au nom de sa femme. Il est proclamé roi le 4 septembre. Toutefois son armée n'arrive pas à mettre le pied dans la partie continentale du royaume de Sicile ; c'est le début de la division entre les royaumes de Naples et de Sicile, dont les rois prétendent tous deux au même titre de « roi de Sicile ». Le pape Martin IV, furieux de voir un héritier des Hohenstaufen remettre le pied en Italie, excommunie le roi Pierre et donne son royaume d'Aragon, dont il est également le suzerain, à Charles de Valois, fils de Philippe le Hardi, roi de France, ce qui donne lieu à la croisade d'Aragon.

Portée historique et postérité littéraire

De 1282 à 1372, puis jusqu'en 1422, la Sicile devait connaître un cycle de conflits qui épuisa la monarchie et renforça l'influence des familles gibelines. La guerre entre la maison de Barcelone et la maison capétienne commence et dure vingt ans, jusqu'à la paix de Caltabellotta (1302) où le roi de Sicile Frédéric III reconnaît les possessions angevines en Italie du Sud. Mais la paix ne fut guère solide qu'en 1373 (traité d'Aversa) : les Angevins reconnaissent la possession des Aragons sur la Sicile.

Au-delà, comme a pu le souligner Henri Bresc, les Vêpres peuvent être lues comme l'« affirmation tumultueuse de la sicilianité », la « première expression unitaire d'une population unie politiquement et bientôt culturellement ».

Littérature

Frappant les imaginations, l'événement fut utilisé par Dante (Divine Comédie, Paradis, VIII, 75), inspira à Casimir Delavigne une tragédie en cinq actes en 1819[6] et fut la source d'un roman historique d'Étienne de Lamothe-Langon : Jean de Procida ou les vêpres siciliennes (1821).

Musique

En 1855, Verdi leur consacra un opéra intitulé Les Vêpres siciliennes[7], qui avait une forte charge politique et patriotique dans le contexte d'agitation politique qui préluda au Risorgimento. La censure contraignit à transposer l'action au Portugal pour la première représentation, qui eut lieu à Parme[8].

Cinéma

Ce soulèvement populaire inspira le cinéaste italien Giorgio Pàstina qui réalisa en 1949 le film Vespro siciliano.

Horlogerie

Un épisode des Vêpres siciliennes, la défense de Messine par Dina et Clarenza le 8 août 1282, est représenté sur l'horloge astronomique de la cathédrale de cette ville.

Notes et références

  1. (fr) « Les Vêpres siciliennes », sur www.histoire-pour-tous.fr (consulté le ).
  2. a et b (fr) « Les Vêpres Siciliennes - La croisade contre les catalans (1285) », sur histoireduroussillon.free.fr (consulté le ).
  3. (fr) Sur les événements des 30 et 31 mars 1282 sur www.herodote.net, [lire en ligne].
  4. J. Théry, « Les Vêpres siciliennes », dans Trente nuits qui ont fait l'histoire, Belin, 2014, p. 94-95.
  5. Jean-Yves Frétigné, Histoire de la Sicile : des origines à nos jours, Fayard, , 477 p. (ISBN 9782213631547, lire en ligne)
  6. (fr) « Les vêpres siciliennes : tragédie en cinq actes et en vers par Casimir Delavigne (Lecture en ligne) », sur books.google.fr (consulté le ).
  7. (fr) « Les vêpres siciliennes : opéra en cinq actes par Eugène Scribe,Charles Duveyrier (extrait) », sur books.google.fr (consulté le ).
  8. J. Théry, « Les Vêpres siciliennes », dans Trente nuits qui ont fait l'histoire, Belin, 2014, p. 93.

Bibliographie

Voir aussi

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Articles connexes

Liens externes