Manifestations de 2016-2017 au Cameroun anglophone

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Manifestations de 2016-2017 au Cameroun anglophone
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Manifestation à Bamenda. Le militant Mancho Bibixy est en jaune.
Informations
Date -
Localisation Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, Drapeau du Cameroun Cameroun
Caractéristiques
Organisateurs CSCSAC, syndicats d'enseignants anglophones, séparatistes
Participants Avocats, enseignants, étudiants, minorité anglophone
Revendications Traduction en anglais des actes uniformes de l'OHADA et de la CIMA, ainsi que les règlements de la CEMAC et plusieurs textes législatifs adoptés par l'Assemblée nationale
Opposition à l'application du code civil francophone dans les juridictions anglophones
Libération des manifestants arrêtés
Opposition au déploiement d'enseignants francophones dans les écoles anglophones
Types de manifestations Manifestations, émeutes, grèves, barrages routiers, désobéissance civile
Issue Crise anglophone au Cameroun

Les manifestations de 2016-2017 au Cameroun anglophone (qu'on appelle également révolution du cercueil au Cameroun[1]), se déroulent du au dans les deux régions anglophones du Cameroun, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest.

Contexte[modifier | modifier le code]

Période coloniale[modifier | modifier le code]

Ancienne colonie allemande, le Cameroun est — après la Première Guerre mondiale — divisé par la Société des Nations (SDN) en une partie sous mandat français d'une part ; et une partie proche du Nigeria et sous mandat britannique (appelée le Cameroun méridional[2]) d'autre part.

De l'indépendance du Cameroun à la montée de l'identitarisme anglophone[modifier | modifier le code]

En 1960, le Cameroun obtient son indépendance de la France. Un an plus tard, une partie de la population anglophone se prononce — par référendum — en faveur de son rattachement au pays, tout en conservant les systèmes juridiques et éducatifs hérités de la colonisation britannique. Le fédéralisme est instauré entre 1961 et 1972, mais le président Ahmadou Ahidjo proclame une République unie en 1972. Depuis lors, un mouvement identitaire anglophone se développe — à travers le Cameroon Action Group — à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Un mouvement social fondé sur la rhétorique de la dramatisation de la condition anglophone en opposition à un État perçu comme le successeur du pouvoir colonial. Cette stratégie est accompagnée d'une diabolisation systématique des francophones. Entre 1995 et 1996, le mouvement social prend une tournure plus politique avec le Conseil national du Cameroun méridional (SCNC), dont la position sécessionniste est toujours restée claire[2].

Présidence de Paul Biya et les appels au fédéralisme ou à la sécession[modifier | modifier le code]

En 1984, la nouvelle révision constitutionnelle introduite par le président Paul Biya, en poste depuis 1982, entérine le retour à l'appellation « République du Cameroun », en abandonnant le terme « unie ». Cette décision renforce la perception des anglophones d'être délibérément marginalisés.

Dans les années 1990, plusieurs tendances s'opposent au sein de la population anglophone. Certains appellent à un retour au fédéralisme, comme le leader politique et candidat à plusieurs élections présidentielles, John Fru Ndi, fondateur du Front social démocrate (SDF) ; d'autres appellent à la sécession[2].

Déroulé[modifier | modifier le code]

Octobre 2016[modifier | modifier le code]

Le 11 octobre, les avocats des régions anglophones se sont mis en grève pour dénoncer l'inexistence, au Cameroun, d'une version anglaise des « actes uniformes » de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), et pour refuser l'application du Code civil francophone dans les juridictions des régions anglophones[3].

Novembre 2016[modifier | modifier le code]

Manifestations des avocats anglophones.

Le , des avocats anglophones se rassemblent devant la Cour d'appel de Bamenda pour annoncer la création d'un nouveau barreau spécifique à la communauté anglophone. Suite à une intervention des forces de l'ordre, les avocats décident de défiler dans les rues de la ville. Alors qu'ils tentaient de se rassembler au centre-ville, les forces de l'ordre font usage de gaz lacrymogènes pour les disperser[4].

Le , deux syndicats des enseignants anglophones, la Cameroon Teachers Trade Union et la Teachers Association of Cameroon, appellent à la grève et à la fermeture des écoles à Bamenda, pour dénoncer la « francophonisation du système éducatif anglo-saxon du Cameroun » et, en particulier, le déploiement d'enseignants francophones dans les écoles anglophones. Par ailleurs, des manifestants réclament la révocation du délégué du gouvernement et son remplacement par un maire central élu. Les manifestants protestent également contre le chômage et le manque d'investissement du gouvernement central de Yaoundé dans les régions anglophones[5].

Après plusieurs heures de manifestation, un important contingent de forces de l'ordre est déployé pour rétablir le calme. Entre-temps, des slogans antigouvernementaux sont scandés par les jeunes manifestants, qui brûlent des pneus sur la voie publique[5]. Les et , de violents heurts font trois morts[6].

Décembre 2016[modifier | modifier le code]

Début décembre, au moins quatre personnes sont tuées lorsque les forces de sécurité tirent à balles réelles en l'air et lancent des gaz lacrymogènes sur un marché[7]. En décembre, des journalistes regroupés au sein d'un « consortium des associations de journalisme du sud-ouest » dénoncent « l’anéantissement » de leur langue au profit du français[8]. Le 8 décembre, à Bamenda, des manifestants dressent des barricades et brûlent des pneus sur les routes menant à l'hôtel où se trouve la délégation du parti au pouvoir[9]. Des affrontements entre jeunes et forces de l'ordre font deux morts à Bamenda[10]. Quatre personnes sont abattues par la police lors d'une manifestation dans la région du Nord-Ouest[11].

Janvier 2017[modifier | modifier le code]

Le 9 janvier, le Consortium de la société civile anglophone du Cameroun (CSCAC) lance une « journée ville morte ». L'action est suivie dans les régions anglophones[12]. Le 16 janvier, plusieurs villes de ces régions suivent une action similaire lancée par le CSCAC[13].

Février 2017[modifier | modifier le code]

Le 10 février, une centaine de personnes manifestent devant un commissariat de police pour demander la libération de personnes arrêtées. La police ouvre le feu sur la foule, tuant deux manifestants et en blessant dix autres à Ndop[14].

Dans la nuit du 22 au 23 février, des affrontements éclatent entre des jeunes et la police à Mutengene suite à la mort d'un jeune homme de la ville, abattu par une patrouille du poste de police de la sécurité publique[15].

Septembre 2017[modifier | modifier le code]

Le 22 septembre, des milliers de personnes manifestent dans les régions anglophones pour réclamer, entre autres, la « libération des prisonniers anglophones » et l'« indépendance de la partie anglophone ». Selon des témoins contactés par Le Monde Afrique à Buéa, Bamenda et Kumbo, des policiers, des gendarmes et des camions anti-émeutes étaient stationnés dans toutes les villes. Certains policiers tirent à balles réelles sur les manifestants à plusieurs endroits. A Mamfé et Santa, trois personnes sont tuées et de nombreuses autres sont blessées[16].

Octobre 2017[modifier | modifier le code]

Le 1er octobre, Sisiku Julius Ayuk Tabe, le président autoproclamé de l'Ambazonie, déclare symboliquement l'indépendance des régions anglophones. À la suite de cette proclamation symbolique, les séparatistes tentent de manifester dans les deux régions. D'importantes forces de sécurité sont déployées. Ces dernières tirent à balles réelles sur les manifestants dans plusieurs villes, notamment Bamenda, Ndop, Kumbo et Kumba, et procèdent à des interpellations. Selon Amnesty International, dix-sept personnes sont tuées par les forces de sécurité au cours des manifestations[17].

Le 2 octobre, quelques tentatives de rassemblement sont impitoyablement dispersées par des gaz lacrymogènes et des tirs d'armes à feu à Bamenda. Plusieurs personnes sont hospitalisées à la suite d'échauffourées entre les manifestants et la police[18].

Revendications[modifier | modifier le code]

Les anglophones, qui représentent environ 20% des 22,5 millions d'habitants du Cameroun, dénoncent la remise en cause progressive du bilinguisme, pourtant garanti par la Constitution. Pour beaucoup d'entre eux, l'hégémonie du français tend à accélérer leur « marginalisation » au sein de la société. Les avocats sont les premiers à s'insurger, réclamant l'application de la common law, le système juridique anglo-saxon basé sur la jurisprudence, et non plus seulement le droit romain ou les codes écrits napoléoniens. Ils exigent également que les lois votées par l'Assemblée nationale soient traduites en anglais. Il en va de même pour les règlements de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC).

Les enseignants anglophones se sont également mis en grève pour protester contre l'utilisation croissante du français dans les classes. Ils demandent que seuls les enseignants francophones parfaitement bilingues soient autorisés à enseigner dans les régions anglophones, afin de préserver la spécificité linguistique de la région. Si les enseignants et les avocats sont en première ligne, c'est la minorité anglophone dans son ensemble qui déplore sa marginalisation administrative, politique et économique[9].

Répression du pouvoir central[modifier | modifier le code]

Coupure de l'accès à Internet[modifier | modifier le code]

La coupure d’internet — la plus longue sur le continent africain (93 jours[19]) — s'est produite dans les deux régions anglophones du Cameroun (le Nord-Ouest et le Sud-Ouest), du au . C'est une conséquence des tensions entre le pouvoir central et sa minorité linguistique. Les start-up camerounaises installées dans la « Silicon Mountain » s’en inquiètent[20].

En réaction, les Camerounais se mobilisent sur les réseaux sociaux réclamant le retour d'Internet dans les régions affectées sous le hashtag #BringBackOurInternet repris notamment par Edward Snowden[21],[22]. L'accès à Internet est rétabli dans les régions anglophones le vers 17:00 GMT[23].

Menace de sanctions contre la presse[modifier | modifier le code]

Le , le CNC, organe régulateur des médias, menace de sanctionner les entreprises de presse diffusant des discours en faveur du séparatisme ou du fédéralisme revendiqués par certains leaders de la minorité anglophone. Le , le Syndicat national des journalistes du Cameroun (SNJC), dénonce les pressions des autorités sur les médias dans le traitement des revendications anglophones[24].

Réactions nationales[modifier | modifier le code]

Le , lors de son discours de fin d'année, le président Paul Biya qualifie les grévistes de « groupe de manifestants extrémistes, manipulés et instrumentalisés »[25]. Le , le président condamne « de façon énergique tous les actes de violence, d'où qu'ils viennent, quels qu'en soient les auteurs », appelant au « dialogue »[26].

Réactions internationales[modifier | modifier le code]

  • Drapeau des Nations unies ONU : Le , le Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afrique centrale, François Louceny Fall, encourage le gouvernement camerounais à « prendre toutes les mesures qu’il jugerait appropriées, dans les meilleurs délais et dans le cadre de la loi » pour résoudre la crise des régions anglophones[27]. Le , le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, exhorte les autorités camerounaises « à promouvoir des mesures de réconciliation nationale »[28].
  • Drapeau de la France France : Le , la France se dit « préoccupée par les incidents (…) qui ont fait plusieurs victimes » et appelle « l’ensemble des acteurs » à la retenue[29].

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en-US) « The Coffin Revolution in Cameroon », sur africasacountry.com, (consulté le )
  2. a b et c « Cameroun : ce qu'il faut comprendre de la crise anglophone », sur Le Point, (consulté le )
  3. « Cameroun : les avocats anglophones en grève », BBC News Afrique,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. « Cameroun : manifestation des avocats anglophones », BBC News Afrique,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. a et b « Cameroun : à Bamenda, les anglophones se rebiffent », sur Jeune Afrique, (consulté le )
  6. « Des violentes manifestations ont éclaté à Bamenda au Cameroun », sur Voice of America, (consulté le )
  7. (en-GB) Eyong Blaise Okie, « Cameroon urged to investigate deaths amid anglophone protests », The Guardian,‎ (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le )
  8. « Cameroun : des activistes anglophones prônent la partition du pays », sur Franceinfo, (consulté le )
  9. a et b « Cameroun : pourquoi les anglophones se rebiffent », sur France 24, (consulté le )
  10. « Cameroun: affrontements meurtriers entre jeunes et policiers à Bamenda », sur RFI, (consulté le )
  11. Ouest-France, « Cameroun. La police tue quatre personnes lors d’une manifestation », sur Ouest-France.fr, (consulté le )
  12. « Cameroun: journée de mobilisation dans plusieurs villes anglophones », sur RFI, (consulté le )
  13. « Cameroun: opération ville morte dans les zones anglophones », sur RFI, (consulté le )
  14. (en) « Cameroon police kill two in protests in English-speaking northwest », Reuters,‎ (lire en ligne, consulté le )
  15. « Biya limoge un chef de la police dans la zone anglophone du Cameroun », sur VOA, (consulté le )
  16. « A Bamenda et à Buéa, les anglophones rêvent désormais de bâtir leur « Ouest-Cameroun » », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  17. « Cameroun anglophone: lourd bilan humain après la proclamation symbolique d'"indépendance" », sur Le Point, (consulté le )
  18. « Cameroun: la contestation anglophone a été étouffée, mais le malaise persiste », sur Franceinfo, (consulté le )
  19. « Cameroon-Info.Net:: Cameroun - Coupure d’internet: Le bilan sera très lourd », sur archive.wikiwix.com (consulté le )
  20. « Cameroun : 1,3 million de dollars perdus depuis la coupure d’Internet en zone anglophone – Jeune Afrique », sur JeuneAfrique.com, (consulté le )
  21. « Tech 24 - "Bring back our Internet" : le hashtag de ralliement des Camerounais », sur France 24, (consulté le )
  22. (en) « This is the future of repression. If we do not fight it there, it will happen here. #KeepItOn #BringBackOurInternet http://voanews.com/a/cameroon-cut », sur Twitter (consulté le )
  23. « Cameroun : retour de l'internet dans les régions anglophones », BBC News Afrique,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  24. « Des médias camerounais dénoncent les pressions de Yaoundé sur le traitement de la crise anglophone », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  25. « Au Cameroun, plusieurs villes anglophones font journée « ville morte » », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  26. « Cameroun : Paul Biya appelle au "dialogue" après des incidents dans les régions anglophones », sur France 24, (consulté le )
  27. « Cameroun : l’ONU exhorte le gouvernement à trouver une sortie de crise rapide », sur Jeune Afrique, (consulté le )
  28. « Cameroun : l'ONU encourage les autorités à poursuivre leurs efforts pour résoudre les griefs de la communauté anglophone | ONU Info », sur news.un.org, (consulté le )
  29. « Le Cameroun anglophone, en ébullition, compte ses morts », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )