Aïcha Goblet
Naissance | |
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Décès |
(à 78 ans) 18e arrondissement de Paris |
Nom de naissance |
Madeleine Julie Gobelet |
Pseudonyme |
Aïcha, Aisha, Ayesha, Aïcha la Noire |
Nationalité | |
Activités |
Aïcha Goblet, née Madeleine Julie Gobelet le à Renescure et morte le à Paris, est un modèle et une danseuse française, figure du Paris des années folles.
Biographie
[modifier | modifier le code]Jeunesse et famille
[modifier | modifier le code]Madeleine Julie Gobelet naît à Renescure, dans le Nord, en 1894, jumelle de son frère Henri né quelques heures avant elle[1]. Ils sont les enfants de Jules Améry Gobelet, décédé au Brésil le , et de Marthe Joseph Calin, sa veuve, ouvrière rentrée du Brésil un mois avant son accouchement. Les époux Gobelet, tous deux originaires de Renescure, étaient respectivement domestique et journalière au moment de leur mariage, en 1880[2]. Ils ont un fils, Jules Charles, né deux mois après leur union, et deux autres filles, Marie Antoinette et Marie Julienne, nées en 1885 et 1887 à Clairmarais dans le Pas-de-Calais[3].
En 1911, Madeleine est établie avec sa mère et sa sœur aînée à Nœux-les-Mines[4]. Plus tard, de nombreuses informations fausses ou difficilement vérifiables circuleront dans la presse sur sa jeunesse : ainsi, on racontera (ou elle racontera elle-même) qu'elle est née à Hazebrouck[5] ou Roubaix[6], que ses parents ont dix enfants[7], ou qu'elle a commencé comme écuyère de cirque à 6 ans[8]. Au sujet de ses origines, on dit souvent que sa mère était flamande, et parfois que son père était sud-américain[9], argentin[10] ou martiniquais[11]. En 1950, dans son livre Montparnasse, André Salmon insinue que son père était artiste dans un cirque ambulant[12]. Aïcha se décrit comme la seule femme noire de sa famille[5] et indique que son frère jumeau est « blond comme les blés »[13].
Parcours
[modifier | modifier le code]Aïcha Goblet raconte plusieurs versions de ses débuts, en 1911 : par exemple, elle est abordée dans la rue à Paris par le peintre Jules Pascin, qu'elle retrouve plus tard au café de l'Ogive[13] ; ou bien, tandis qu'elle travaille dans un cirque à Clamart, deux hommes l'accostent pour lui proposer de devenir modèle, elle accepte de se rendre au café du Dôme et y rencontre Pascin[14]. Elle devient le modèle exclusif du peintre, mais ne pose jamais nue pour lui.
Au bout d'un an, Aïcha cesse de poser pour Pascin, mais restera proche de lui jusqu'à sa mort, en 1930[14]. Elle s'émancipe de sa tutelle et, sous le nom d'Aïcha, devient une icône du quartier de Montparnasse[15], alors dominé par la grande figure d'Alice Ernestine Prin, alias « Kiki ». D'autres grands artistes de l’époque la prennent pour modèle, comme Félix Vallotton, Man Ray, Henri Matisse ou encore Moïse Kisling[16]. Aïcha apparaît le plus souvent avec un turban aux couleurs chatoyantes. Elle organise par ailleurs de nombreux débats et réunions[17], comme le « dîner Aïcha » à La Coupole[18].
En 1920, elle inspire au romancier André Salmon le personnage principal de son roman La Négresse du Sacré-Cœur[19],[20]. La même année, elle commence à travailler en tant qu'actrice et danseuse de music-hall[21]. Elle se produit notamment plusieurs pièces mises en scène par Gaston Baty, aux côtés du comédien noir Habib Benglia dont elle devient l'amie[7] : Le Simoun (1920), Haya (1922), À l'ombre du mal (1924) d'Henri-René Lenormand. En 1925, dans la pièce La Cavalière Elsa de Paul Demasy, d'après le roman de Pierre Mac Orlan[5] — et alors que la nudité n'est pas encore acceptée sur scène, en particulier pour les artistes blanches — Aïcha Goblet se montre avec un sein dénudé[19]. Selon l'historienne Sylvie Chalaye, les critiques de l'époque ne vantent d'elle que « [sa] silhouette et [sa] nudité »[21]. Tout comme pour Habib Benglia, c'est sa plastique, davantage que son jeu de scène, qui intéresse la presse et le public. En 1928, elle joue à nouveau dénudée dans Départs de Simon Gantillon, suscitant des remarques ambiguës : ainsi, si on souligne qu'elle mérite, comme les autres seconds rôles de la pièce, des éloges, on la présente comme « une mulâtresse dont la frénésie égale l’impudeur »[22] ou qui « montre ses seins avec une satisfaction évidente. »[23]
En 1926, Aïcha Goblet réside 11 bis, rue Jules-Chaplain[24]. Elle devient la compagne et le modèle du peintre Samuel Granovsky[25].
Au tournant des années 1930, sa carrière de modèle terminée, elle continue de fréquenter les cafés de Montparnasse et raconte ses souvenirs à quelques journalistes, comme Henri Broca ou Emmanuel Bourcier [26],[7],[27],[9],[8]. André Salmon la met en contact avec le directeur d'une revue auquel elle apporte un canevas de ses mémoires[12]. Salmon raconte : « Lecture faite, il invita courtoisement Aïcha à passer dans le studio attenant au bureau littéraire, et cela aux fins précises de s'y dépouiller de tout voile et poser devant l'objectif avec autant de simplicité qu'à l'atelier, sur la planche à modèle. De quoi résultèrent deux fascinants clichés. » Il ne ressort de cette entrevue qu'un court article, illustré de trois photographies de nu, publié dans Mon Paris[5].
En 1935, Aïcha Goblet joue dans une dernière pièce, Hôtel des masques d'Albert-Jean. Elle quitte le quartier de Montparnasse pour Montmartre[28], puis ne fait plus parler d'elle.
Aïcha Goblet meurt en 1972, en son domicile parisien du 100 rue Lamarck[29].
Postérité
[modifier | modifier le code]Selon Michel Fabre[Note 1], malgré l'oubli dans lequel Aïcha Goblet est retombée, elle a ouvert, à l'instar de quelques autres artistes noires comme Lucy (Julie Luce) ou D'al-Al (Simone Luce), la voie à Joséphine Baker[11].
En 2018, la villa La Fleur, musée privé polonais, présente des portraits d'Aïcha Goblet lors d'une exposition intitulée Kobiety Montparnassu (Les Femmes de Montparnasse)[17]. L'année suivante, plusieurs œuvres la représentant figurent dans l’exposition Le Modèle noir, de Géricault à Matisse au musée d'Orsay.
Modèle d'œuvres plastiques
[modifier | modifier le code](liste non exhaustive)
Peinture et dessin
[modifier | modifier le code]- Henri Hayden, Portrait d'Aïcha, 1913, huile sur toile, 80,3 x 60 cm, collection particulière[32]
- Edgar Chahine, Aïcha, 1913, gravure, tirage à 50 exemplaires, 36 x 35,7 cm[33]
- Tsugouharu Foujita, Portrait d'Aïcha, modèle de Montparnasse[34] et divers dessins, 1914[35],[36]
- Henri Matisse, Aïcha et Lorette, 1917, huile sur toile, 37,5 × 46,4 cm, collection particulière[37]
- Moïse Kisling, Portrait d'Aïcha, 1919, huile sur panneau d’acajou, 45,3 × 40,5 cm, collection particulière[37]
- Henry Ottmann, Courtisane endormie, 1920, huile sur toile, 135,5 × 174,5 cm, Paris, musée national d'Art moderne, inv. LUX.0.143 P
- Edgar Chahine, Portrait d'Aïcha, c. 1920, pastel, 35 x 27 cm, Paris, Musée arménien de France[38]
- Félix Vallotton, Aïcha, 1922, huile sur toile, 100 × 81 cm, Hambourg, Kunsthalle de Hambourg, prêt permanent de The Stiftung für die Hamburger Kunstsammlungen, inv. HK-5739[37]
- Samuel Granovsky, Nu (Aïcha), 1925, pastel sur papier, 61 × 79 cm, collection particulière[39]
- Samuel Granovsky, Nu de dos, Aïcha, 1926, pastel sur papier, 80 × 64 cm, collection particulière[40]
- Jacques Mathey, Le Modèle Aïcha, 19??, huile sur carton, 73 x 91 cm, collection particulière[41]
- Kees Van Dongen, Aïcha allongée, 19??, huile sur toile, 50,5 x 79 cm, collection particulière[42]
Photographie
[modifier | modifier le code]- Man Ray, Le Modèle Aïcha, 1922, collection particulière[43]
- Marc Vaux, Portrait d'Aïcha, 19??, Paris, Centre Pompidou-MNAM/CCI-Bibliothèque Kandinsky, fonds Marc Vaux, inv. MV2551[44]
- Marc Vaux, Portrait d'Aïcha, modèle de Montparnasse (contretype ?), 19??, Paris, Centre Pompidou-MNAM/CCI-Bibliothèque Kandinsky, inv. CRE 8.44[45]. Contretype reproduit dans Paris Montparnasse, no 7, 1929, fonds Marc Vaux, boîte Le Verrier, inv. MV 11816[46]
Sculpture
[modifier | modifier le code]- Cecil Howard, Nubienne, 1912-1913[47]
- Jeanne Tercafs, Femme malgache, ou La Mulâtresse, ou Portrait d’Aïcha Goblet, c. 1934[48]
Théâtre
[modifier | modifier le code]- 1920 : Le Simoun d'Henri-René Lenormand, mise en scène Gaston Baty, Comédie Montaigne[5]
- 1922 : Haya d'Herman Grégoire, Comédie des Champs-Élysées, mise en scène de Gaston Baty : Nyota[49]
- 1924 : À l'ombre du mal d'Henri-René Lenormand, mise en scène Gaston Baty, Studio des Champs-Elysées
- 1925 : La Cavalière Elsa de Paul Demasy, d'après le roman de Pierre Mac Orlan, studio des Champs-Élysées : La Deva[50]
- 1928 : Départs de Simon Gantillon, mise en scène de Gaston Baty, théâtre de l'Avenue
- 1935 : Hôtel des masques d'Albert-Jean, mise en scène de Gaston Baty, théâtre Montparnasse
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Emmanuel Bourcier (interview), « La Vénus de Montparnasse : Aïcha la vedette », Paris-Soir, , p. 2 (lire en ligne)
- Aïcha, « Aïcha vous parle », Mon Paris, no 8, , p. 7-9 (lire en ligne)
- André Salmon, Montparnasse, Paris, André Bonne, (lire en ligne), p. 222-228
- (en) Jill Berk Jiminez, Dictionary of Artists' Models, Routledge, , 624 p. (ISBN 978-1-135-95921-0, lire en ligne), « GOBLET, Aicha », p. 233-234
Iconographie
[modifier | modifier le code]- Albert Harlingue, Intérieur d'un café de Montparnasse (au centre, le modèle Aïcha la Noire), photographie, vers 1930, agence Roger-Viollet[51]
Documentaires
[modifier | modifier le code]- Montparnasse, d'Eugène Deslaw, 1929 (Aïcha Goblet est filmée quelques instants à la fin)[52]
- Les Heures chaudes de Montparnasse, série documentaire de Jean-Marie Drot, 1963 : épisode Pascin, l'oublié[53]
- « Interview d'Aïcha, in L'Art et les hommes : inventaire Montparnasse, émission de Jean-Louis Drot (rushes issus de la série Les Heures chaudes de Montparnasse, 12 min 33) » , n° de notice CPF86602329, sur Ina MEDIAPRO, (consulté le )
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]Références
[modifier | modifier le code]- Actes de naissance no 18 (avec mention marginale de mariage) et no 19 (avec mention marginale de décès), , Renescure, Archives départementales du Nord
- Acte de mariage no 2, , Renescure, Archives départementales du Nord
- Actes de naissance no 25, (avec mention marginale de mariage), Renescure, Archives départementales du Nord ; no 3, (avec mention marginale de mariage) ; no 3, , Clairmarais, Archives départementales du Pas-de-Calais
- Recensement de population, , Nœux-les-Mines, p. 16, Archives départementales du Pas-de-Calais
- Aïcha, « Aïcha vous parle », Mon Paris, no 8, , p. 7-9 (lire en ligne)
- « Au pays du café crème », sur Gallica, L'Intransigeant, (consulté le ), p. 5
- Henri Broca, « La princesse Aïcha et le mage Pascin », sur Gallica, Paris Montparnasse, (consulté le ), p. 17-20
- Henri Broca, « Aïcha, modèle préféré de Pascin, évoque quelques souvenirs... », sur Gallica, L'Intransigeant, (consulté le ), p. 6
- Emmanuel Bourcier, « La Vénus de Montparnasse », sur Gallica, Paris-soir, (consulté le ), p. 2
- Emmanuel Bourcier, « Sysytème D. VI Chez les modèles de Montparnasse », sur Gallica, L'Intransigeant, (consulté le ), p. 1-2
- (en) Michel Fabre, « Josephine Baker: A Century in the Spotlight », sur sfonline.barnard.edu, S&F Online, fall 2007-spring 2008 (consulté le )
- Montparnasse, Paris, André Bonne, (lire en ligne), p. 223-224
- X. de Hautecloque, « L'idole sombre ressuscite les morts », sur Gallica, Le Petit Journal, (consulté le ), p. 1 ; 5
- « Interview d'Aïcha, in L'Art et les hommes : inventaire Montparnasse, émission de Jean-Louis Drot (rushes issus de la série Les Heures chaudes de Montparnasse, 12 min 33) » , n° de notice CPF86602329, sur Ina MEDIAPRO, (consulté le )
- Henri Broca, T'en fais pas, viens à Montparnasse ! : enquête sur le Montparnasse actuel, Paris, (lire en ligne), p. 15
- Valérie Oddos, « Les artistes et la figure noire au musée d'Orsay : six modèles et leurs peintres », sur francetvinfo.fr,
- « VILLA LA FLEUR - L’art de l’école de Paris », sur lepetitjournal.com, (consulté le )
- « Le dîner Aïcha », sur Gallica, Paris Montparnasse, (consulté le ), p. 26
- Interview de Sylvie Chalaye par Doan Bui, « De la Vénus hottentote à Joséphine Baker, voyage dans l’« éroticolonialisme » » , sur L'Obs, (consulté le )
- André Salmon, La Négresse du Sacré-Coeur, Paris, Nouvelle Revue française, (lire en ligne)
- Sylvie Chalaye, Race et Théâtre : Un impensé politique, Actes Sud Théâtre, , 158 p. (ISBN 978-2-330-13138-8, lire en ligne)
- William Speth, « Le théâtre », La Revue mondiale, , p. 517 [lire en ligne]
- Étienne Rey, « Départs, spectacle en 15 tableaux de M. Simon Gantillon », Comœdia, , p. 1-2 [lire en ligne]
- Recensement de population, Paris 6e, quartier Notre-Dame des Champs, , Archives de Paris
- Gisèle Pineau, Ady, soleil noir, Philippe Rey, (ISBN 978-2-84876-810-6, lire en ligne)
- Georges Omer, « Femmes de Montparnasse. Aïcha la mûlatresse, modèle favori de tous les grands peintres », sur Gallica, Paris-midi, (consulté le )
- Jean Amoretti, « De Montmartre à Montparnasse. Les modèles sont pour le genre « pompier » », sur Gallica, L'Œuvre, (consulté le ), p. 1-2
- Marius Richard, « Mais où sont les Montparnos d'antan ? », sur Gallica, Paris-soir, (consulté le ), p. 2
- Acte de décès no 1571, , Paris 18e, Archives de Paris [lire en ligne] (vue 28/31)
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- Cecil Howard, Nubienne d'après le modèle Aïcha, réalisée par le sculpteur américain Cecil Howard en 1912-13, et présentée aux Gorham Galleries de New York en 1916, 1912-1913 - 2016 (lire en ligne)
- « Tercafs Jeanne, Femme Malgache, ou portrait d'Aïcha Goblet », sur Galerie Tourbillon, sculptures 19e, sculptures 20e, arts décoratifs, verrerie art nouveau, (consulté le )
- « Haya », sur Les Archives du Spectacle (consulté le )
- « La Cavalière Elsa », sur Les Archives du Spectacle (consulté le )
- Albert Harlingue, « Intérieur d'un café de Montparnasse » , sur Roger-Viollet (consulté le )
- « Montparnasse - Eugene Deslaw -1929. Banda sonora: Ortiz Morales & La Insostenible big band » (consulté le )
- Jean-Marie Drot, Pascin, l'oublié (lire en ligne)
Liens externes
[modifier | modifier le code]« Aicha » (présentation), sur l'Internet Movie Database