Portrait de Simonetta Vespucci

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Portrait de femme dit Simonetta Vespucci
Artiste
Date
vers 1480
Type
Huile sur bois
Dimensions (H × L)
57 × 42 cm
Mouvement
Propriétaire
No d’inventaire
PE 13
Localisation
Musée Condé, Rotonde de la galerie de peinture, Chantilly (Drapeau de la France France)
Inscription
SIMONETTA IANUENSIS VESPUCCIAVoir et modifier les données sur Wikidata

Le Portrait de Simonetta Vespucci est un tableau peint par Piero di Cosimo (1462 - 1522) et conservé au musée Condé à Chantilly (France).

Historique[modifier | modifier le code]

Commande[modifier | modifier le code]

Plusieurs noms ont été avancés pour le commanditaire de ce tableau. Il pourrait s'agir d'une commande de la famille Médicis et particulièrement de Giuliano da Sangallo, en l'honneur de Simonetta Vespucci, femme de Marco Vespucci et connue pour avoir été la maîtresse platonique de Julien de Médicis, le jeune frère de Laurent le magnifique[1]. D'autres ont proposé le nom du cousin de ce dernier, Lorenzo di Pierfrancesco de Médicis[2]. Dans une lettre du entre Piero Vespucci, beau-père de Simonetta, et Lucrezia Tornabuoni, mère de Laurent le Magnifique et de Julien, il est évoqué une image de la jeune fille. Il pourrait donc s'agir, selon Valentina Hristova, d'un cadeau fait, après la conjuration des Pazzi et l'assassinat de Julien, de la part des Vespucci aux Médicis[3].

Propriétaires[modifier | modifier le code]

Le tableau est repéré par Giorgio Vasari en 1568 dans les collections de Francesco da Sangallo, fils de Giuliano, et évoqué dans la Vie de Piero di Cosimo : il parle alors d'« une très belle tête de Cléopâtre, un aspic autour de son cou ». En 1586, les biens des Sangallo sont vendus et la famille Vespucci achète le tableau. On en retrouve la trace lors de son achat par Frédéric Reiset, conservateur au musée du Louvre, en 1841. Celui-ci signale qu'il était encore en possession des descendants des Vespucci 19 mois auparavant. En 1879, Reiset met en vente sa collection de tableaux qui est acquise par le duc d'Aumale avec entre autres Paysage aux deux nymphes de Nicolas Poussin ou l'Autoportrait à vingt-quatre ans d'Ingres. Celui-ci installe le portrait dans la rotonde à l'extrémité de la galerie de peinture. Il se trouve de nos jours à côté de la Madone de Lorette de Raphaël[4],[1].

Attributions et datation[modifier | modifier le code]

Au moment de son achat par Frédéic Reiset, le tableau est alors attribué à Antonio Pollaiuolo. En 1864, Joseph Archer Crowe (en) et Giovanni Battista Cavalcaselle proposent d'y voir la main de Sandro Botticelli[5]. Le portrait est attribué depuis 1879 à Piero di Cosimo, par l'historien de l'art italien Frizzoni[6], sans être remis en cause depuis. Le physique de la femme est rapproché du Saint-Jean-Baptiste conservé au Metropolitan Museum de New York ou des anges du retable du musée des Innocents à Florence[1],[4]. Un dessin du musée du Louvre attribué au même maître représentant un visage de femme vu de profil s'en rapproche également[7].

Il s'agit d'une œuvre de jeunesse de Piero di Cosimo. En comparant l'œuvre avec d'autres portraits exécutés à Florence à la même époque, les historiens de l'art s'accordent pour fixer sa date d'exécution au début des années 1480. La jeune fille étant décédée le de la tuberculose à 23 ans, ce portrait est probablement posthume. Selon Valentina Hristova, il pourrait dater plus précisément d'entre 1477 et 1489[4].

Description[modifier | modifier le code]

Il s'agit du portrait d'une jeune femme, représentée le visage de profil tourné vers la gauche et le buste de trois quarts, enveloppée dans un châle à motifs multicolores. Elle laisse apparaître son épaule gauche et sa poitrine dénudées. Sa chevelure blonde est dotée d'une coiffure complexe faite d'un enchevêtrement de tresses, de cordons de perles, de barrettes et de rubans[4].

Elle porte un collier constitué d'une chaine en or autour duquel s'enroule un serpent qui a longtemps été vu comme une vipère aspic. En réalité, la précision du dessin permet d'y voir plutôt une couleuvre verte et jaune, un serpent tout à fait inoffensif[8]. La chevelure contient d'ailleurs des grenats ou carbuncles (en), symboles de prudence et justice, dont on disait alors qu'ils trouvaient leur origine de la tête des serpents[7].

À l'arrière-plan, est représenté un paysage avec un arbre mort et un gros nuage noir à gauche, ce dernier étant placé derrière le visage de la jeune femme, tandis que le paysage de droite est plus serein. Sur l'inscription en bas du tableau, il est écrit : « SIMONETTA IANUENSIS VESPUCCIA » (Simonetta Vespucci la Génoise). Elle est écrite en caractères romains et en trompe-l'œil, comme s'il s'agissait d'une inscription sur un tombeau antique[4].

Analyse[modifier | modifier le code]

Analyse picturale[modifier | modifier le code]

Une analyse scientifique complète du tableau a été effectuée par le centre de recherche et de restauration des musées de France. Plusieurs éléments déterminant sur l'histoire du tableau ont pu ainsi être établis. Il a ainsi été réalisé sur une planche de peuplier, l'essence la plus fréquemment utilisée en Italie à cette époque. Ce bois étant sensible aux vrillettes, le bois s'est fragilisé et deux fentes se sont créées. Le panneau a dû être aminci et parqueté, sans doute au moment où il appartenait à Frédéric Reiset, une inscription portant son nom ayant été retrouvée à l'arrière du tableau. Les marges ont été par ailleurs légèrement recoupées. La planche a été préparée par un gesso recouvert de blanc de plomb[9].

La radiographie a permis de déterminer que le dessin du personnage est parfaitement délimité, sans aucune modification : il a sans doute été réalisé au préalable au dessin qui a ensuite été reporté sur le panneau à l'aide d'un calque. Une légère modification a été apportée sur l'une des nattes. D'autres détails ont été ajoutés dans un second temps : les perles et la chaine de la chevelure, de même que le serpent. Le paysage a lui aussi été peint en deux temps : d'abord le ciel, dont les nuages ont été légèrement modifiés, puis les architectures et les arbres, peints dessus. L'inscription a été prévue dès le début de la composition[9].

Une spectrométrie de fluorescence X et une analyse au microscope ont permis de déterminer les pigments utilisés par le peintre. Le ciel est fait d'azurite mélangé à du blanc et les nuages faits, selon les nuances, d'ocres, vermillon, jaune de plomb et d'étain. Le paysage est fait des mêmes pigments ajoutés à l'azurite. L'inscription contient du blanc de plomb et de l'ocre, souligné de laque rouge. La carnation est rendue par des rehaut de blanc de plomb, mêlé à l'ocre, auxquels sont ajoutés des ombres profondes faites de deux couches d'ocre vert au cuivre. Les lèvres sont colorées à la laque rouge, les bijoux sont faits de jaune de plomb et d'étain et le serpent composé d'ocres et de laque. Le tissu est composé d'une base de laque rouge et de blanc de plomb mélangé donnant une couleur saumon sur laquelle sont appliquées des rayures vertes, rouges et blanches[9].

Le portrait d'une femme célèbre en son temps[modifier | modifier le code]

Vasari assimile la femme à Cléopâtre et cette interprétation du tableau a longtemps prévalu. Cependant, contrairement à l'iconographie habituelle de la reine d'Égypte, le serpent ne mord pas le sein de la femme. Par ailleurs, cette représentation ne remonte qu'au XVIe siècle, alors qu'aux siècles précédents, en Italie, Cléopâtre n'est que le symbole de la cruauté et de la luxure, selon l'opinion propagée par les auteurs antiques et par Boccace[10]. L'historien de l'art italien Eugenio Battisti y a vu pour sa part une représentation de Proserpine, reine des enfers[11].

Vasari ne signale pas l'inscription, ce qui a longtemps fait penser qu'elle était postérieure, de la fin du XVIe siècle. Cela a donc fait douter de la réalité du portrait de la jeune femme. L'analyse radiographique du tableau a pourtant montré depuis qu'elle était bien d'origine. Simonetta Vespucci, bien que Génoise d'origine, était célèbre à Florence pour sa beauté. Simonetta Cattaneo est née en 1453 à Gênes et s'installe en 1469 à Florence à la suite de son mariage avec Marco Vespucci, le fils de Piero Vespucci, un ami proche du maître de la ville, Laurent de Médicis. Si son mariage était politique, scellant la nouvelle alliance entre la République de Gênes et les Médicis, Simonetta a surtout marqué la ville de Florence pour sa beauté. Au cours d'un tournoi qui se déroule le , elle subjugue le frère de Laurent, Julien de Médicis qui entame une relation platonique avec Simonetta. Cependant, elle meurt peu de temps après de la tuberculose le . Malgré son passage furtif dans la ville, elle est évoquée dans de nombreux poèmes écrits en son honneur. De son vivant, elle est chantée par Ange Politien et elle se trouve peut-être représentée sous les traits d'une Vierge de miséricorde dans une fresque peinte par Domenico Ghirlandaio dans la chapelle des Vespucci située dans l'église Ognissanti en 1472[12]. Après sa mort, c'est Laurent de Médicis lui-même qui écrit des sonnets en son souvenir, de même que Luigi et Bernardo Pulci. Son portrait posthume est réalisé par de nombreux peintres : deux d'entre eux sont de la main de Sandro Botticelli[13].

Outre l'inscription, un symbole rappelle l'identité de la jeune femme : sa coiffure, faite d'un filet de cordelettes décorées de perles et d'un rubis à l'arrière de sa tête était une coiffure typique des jeunes mariées et appelée vespaio, pour sa ressemblance avec un nid de guêpes. Il pourrait s'agir d'un jeu de mots avec le surnom de son mari, vespa, la guêpe[14].

Un portrait idéalisé[modifier | modifier le code]

Le peintre a multiplié les symboles qui rendent la jeune femme irréelle. Sa coiffure tout d'abord n'a aucun rapport avec la mode de l'époque. La profusion de perles sont le symbole de la pureté de la Vierge, et rend ainsi Simonetta intemporelle. La représentation du serpent rappelle la mort de la jeune femme, mais il peut aussi être interprété comme une allusion à l'Ouroboros. Cette représentation traditionnelle du serpent qui se mord la queue est le symbole de l'éternel retour de la nature. Le paysage en arrière-plan, semble rappeler la même symbolique d'un temps cyclique : le nuage noir et l'arbre mort à gauche, des arbres en pleine vigueur et le ciel apaisé à droite[10].

Une des hypothèses est d'y voir le portrait idéalisé d'une femme, une image de la beauté parfaite. Le serpent sur le point de se mordre la queue est le symbole néoplatonicien de la mort par laquelle il faut passer pour atteindre cette beauté[1].

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Elisabeth de Boissard et Valérie Lavergne, Chantilly, musée Condé. Peintures de l'École italienne, Paris, Réunion des musées nationaux, coll. « Inventaire des collections publiques de France » (no 34), , 212 p. (ISBN 2-7118-2163-3), p. 118-120
  • (en) Dennis Geronimus, Piero Di Cosimo : Visions Beautiful and Strange, New Haven, Yale University Press, , 366 p. (ISBN 978-0-300-10911-5, lire en ligne), p. 48-75
  • Michel Laclotte et Nathalie Volle, Fra Angelico, Botticelli... chefs-d'œuvre retrouvés, Chantilly/Paris, Cercles d'art - domaine de Chantilly, , 165 p. (ISBN 978-2-7022-1023-9), p. 134-138 (Notice 35 rédigée par Valentina Hristova et description technique d'Élisabeth Ravaud)
  • Mathieu Deldicque (dir.), La Joconde nue [exposition, Domaine de Chantilly, Musée Condé, 1er juin-6 octobre 2019], Paris, In fine, Institut de France, Domaine de Chantilly, , 215 p., p. 34-36

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

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Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c et d de Boissard et Lavergne 1988
  2. (it) Maurizia Tazartes, Piero di Cosimo : "ingegno astratto e difforme", Florence, éd. Mauro Pagliai, 2010.
  3. Laclotte et Volle 2014, p. 137-138
  4. a b c d et e Laclotte et Volle 2014, p. 134
  5. (en) Giovanni Battista Cavalcaselle et Joseph Archer Crowe, A New History of Painting in Italy from the Second to the Sixteenth Century. 3 vols. London: J. Murray, 1864
  6. (it) Gustavo Frizzoni, « L'arte italiana nella Galleria Nazionale di Londra », Archivio Storico Italiano, vol. IV,‎ , p. 246-257
  7. a et b Deldicque 2019
  8. (en) Béla Jozsef Demeter, « Reappraising Piero di Cosimo's serpents: the role of vipers in Renaissance Florence », Renaissance Studies, vol. 32, no 4,‎ (DOI 10.1111/rest.12359)
  9. a b et c Notice d'Élisabeth Ravaud dans Laclotte et Volle 2014, p. 136-138
  10. a et b Laclotte et Volle 2014, p. 137
  11. (it) Eugenio Battisti, L'Antirinascimento, con una appendice di manoscritti inediti, Milan, Feltrinelli,
  12. Geronimus 2006, p. 55
  13. Laclotte et Volle 2014, p. 136
  14. Geronimus 2006, p. 59