Jane Aubert-Krier

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Jane Aubert-Krier
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Fonctions
Présidente
Association française de science économique (d)
Directrice (d)
IGR-IAE Rennes (d)
-
Roger Percerou (d)
Biographie
Naissance
Décès
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RennesVoir et modifier les données sur Wikidata
Nom de naissance
Jane-Marthe-Alice AubertVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Formation
Activités
Fratrie
Jean Aubert (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Conjoint
Henri Krier (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
A travaillé pour
Directeur de thèse
Distinctions
Œuvres principales
La courbe d'offre (d)Voir et modifier les données sur Wikidata

Jane Aubert-Krier, née le à Loudun et morte le à Rennes, est une économiste française considérée comme l'une des pionnières de la science économique en France et plus particulièrement de la science de gestion.

Professeure à l'université de Rennes de 1950 à 1979, elle fonde l'Institut d'administration des entreprises de Rennes, qu'elle dirige entre 1956 et 1962.

Biographie[modifier | modifier le code]

Jane Aubert est née le à Loudun et passe sa jeunesse à Châtellerault[1]. Fille de commerçant[2], elle étudie au collège Descartes, puis au lycée Berthelot avant de partir à l'université de Poitiers où elle est licenciée en lettres[3].

Thèse d'économie sous l'occupation[modifier | modifier le code]

Un peu moins d'un an après la libération de Poitiers, Jane Aubert soutient sa thèse de doctorat intitulée Essai sur la courbe d'offre en théorie économique le 21 juillet 1945 à l’université de Poitiers. Ces premiers travaux scientifiques sont réalisés sous la direction de Daniel Villey. Cette thèse fera l'objet d'une publication sous le titre La courbe d'offre en 1949 aux Presses universitaires de France[4]. Edward Chamberlin, rencontré lors de son séjour de recherche à l'institut Radcliffe de l'université Harvard en 1946[1], préface l'ouvrage de Jane Aubert. Jane dédie son ouvrage à son frère, Jean Aubert (1916-1940), mort pour la France dans les Ardennes[5].

À son retour en France, Jane Aubert devient chargée de cours à la faculté de Poitiers jusqu'en 1948[6].

Première agrégée d'économie[modifier | modifier le code]

Au milieu du XXe siècle, l'économie n'est pas encore une discipline totalement autonome à l'université. Depuis 1896, l'agrégation des facultés de droit comporte quatre sections :

  1. la section de droit privé et criminel ;
  2. la section de droit public ;
  3. la section d'histoire du droit ;
  4. la section des sciences économiques[7].

Il faut attendre 1971 pour que soit institué une agrégation de sciences politiques puis 1976 pour l'agrégation des sciences de gestion[8].

En novembre 1948, Jane Aubert est reçue au concours d'agrégation des facultés de droit option sciences économiques. Elle termine cinquième[4]. Il s'agit de la première femme à obtenir l'agrégation d'économie[9],[10]. Le candidat reçu premier au concours d'agrégation n'est autre que son futur époux, Henri Krier (1920-1992), qu'elle épouse le 17 septembre 1949. Le couple aura cinq enfants[3].

À la suite de l'obtention de l'agrégation, elle est envoyée à la faculté de droit de Caen puis elle est nommée professeure agrégée à la faculté de droit de Rennes en 1950, où elle fera le reste de sa carrière[6].

Si dès le XIXe siècle, des femmes deviennent économistes (Jane Marcet, Harriet Martineau, Zoé Gatti de Gamond, Clémence Royer), il faut attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que des femmes intègrent l'université en devenant assistantes puis professeures : au Royaume-Uni, Joan Robinson (1903-1983) ne devient professeure qu'à 62 ans ; en France, Magdeleine Apchié (1906-1972), docteure en 1932, chargée de mission à l'Insee et secrétaire de rédaction de la Revue d’économie politique, Huguette Biaujeaud (1909-1989), docteure en 1933 avec un Essai sur la Théorie ricardienne de la valeur, unique publication de l'auteure qui n'a pas poursuivi une carrière d’économiste[11],[12],[13].

Son directeur de thèse estime que deux femmes européennes sont reconnues en économie au début des années 1950 : Joan Robinson et Jane Aubert-Krier[9].

En 1956, Jane Aubert-Krier participe au Dictionnaire des sciences économiques de Jean Romeuf. Les derniers dictionnaires d'économie en langue française dataient du XIXe siècle : le Dictionnaire de l'économie politique de Charles Coquelin et Gilbert Guillaumin (1853-1854) et le Nouveau Dictionnaire d'économie politique, par Léon Say et Joseph Chailley (1891-1892). Si le résultat final a été critiqué[14], la notice sur la demande rédigée par Jane Aubert-Krier fut qualifiée d'excellente par René Courtin[15].

Développement de la gestion en France[modifier | modifier le code]

Jane Aubert-Krier crée l'un des quatre premiers instituts d'administration des entreprises qui voient le jour à Bordeaux, Rennes, Dijon et Toulouse. L'IAE de Rennes est créé en 1956 et Jane Aubert-Krier en assure la direction durant deux mandats, jusqu'en 1962, année de naissance du cinquième enfant du couple Aubert-Krier[6]. L'IAE permet de développer l'enseignement de la gestion à l'université de Rennes et traduit l'importance pour Jane Aubert-Krier des « applications concrètes de l'analyse économique de l'entreprise et des marchés »[6]. Roger Percerou lui succède à la direction de l'IAE, mais Jane Aubert-Krier reste directrice honoraire, siège au conseil de perfectionnement et est directrice de recherche de l'institut jusqu'en 1974[16].

Elle publie en 1962 deux ouvrages de références : un ouvrage de comptabilité privée qui présente « cette discipline à partir des concepts de la théorie économique »[6] et la première édition de Gestion de l'entreprise. L'ouvrage est réédité jusqu'en 1981. Pour Patrick Fridenson, il s'agit du « premier grand manuel de gestion en France, qui fait foi dans les années 1960 et 1970 »[17].

La même année, Jane Aubert-Krier rejoint le « Groupe 85 ». Cette commission, présidée par Pierre Guillaumat, est composée d'une quinzaine d'experts français, dont dix permanents : Jean Bernard, Eugène Claudius-Petit, Marcel Demonque, Louis Estrangin, Jean Fourastié, Claude Gruson, Bertrand de Jouvenel, Philippe Lamour, Georges Levard. Le Commissaire général au plan charge la commission de réaliser une étude prospective afin d'imaginer la France de 1985. Le rapport final fut tiré à 100 000 exemplaires et même traduit en japonais[18],[19].

Sa direction de thèses montre également son attrait pour la science de gestion. Entre 1972 et 1995, Jane Aubert-Krier dirige 23 thèses, dont 9 en sciences économiques et 14 en sciences de gestion. Cinq docteurs sur 23 ont poursuivi leur carrière à l'université et ont dirigé au moins une thèse chacun[2].

Enfin l'enseignement est également une source d'innovation. Jane Aubert-Krier introduit les méthodes d'enseignement américaines à l'université : la méthode des cas et le jeu d'entreprise[6].

Première présidente de l'AFSE[modifier | modifier le code]

Il faut attendre 25 ans pour que l'Association française de science économique (AFSE) soit présidée par une femme. Jane Aubert-Krier devient la première femme à présider l'association professionnelle des économistes en 1975. Elle succède à Jean Marczewski et est remplacée par Raymond Barre en 1976[20].

En 1974, Jane Aubert-Krier obtient un contrat au CNRS pour réaliser une grande enquête sur les budgets-temps des familles afin d'étudier l’influence de la famille sur l’apprentissage de la consommation[16]. En 1977, elle organise un séminaire dédié au commerce et au comportement des consommateurs[16].

Mort et hommages[modifier | modifier le code]

Entreprise et organisations : mélanges en l'honneur de Madame le Professeur Jane Aubert-Krier (1982).

Jane Aubert-Krier prend sa retraite anticipée en 1979. Georges Legris, doyen honoraire de la Faculté des sciences économiques et d'économie appliquée à la gestion de Rennes, rend hommage à sa collègue en publiant des mélanges en 1982[6]. En 2019, un séminaire dédiée à ses travaux est organisé par l'université de Rennes[21].

Jane Aubert-Krier meurt le à Rennes[1]. Un amphithéâtre de l'IGR-IAE de Rennes porte son nom depuis le [4],[22].

Travaux[modifier | modifier le code]

Dans l’ouvrage The theory of imperfect competition publié en 1933, Joan Robinson démontre que la concurrence n'est ni pure ni parfaite. En réalité, la détermination des prix s'effectue en grande partie par les entreprises elles-mêmes (différenciation des produits, utilisation de la publicité) et non par un simple rapport entre l'offre et la demande[23]. La même année, dans The theory of monopolistic competition, Edward Chamberlin « souligne qu'il est important de mettre l’accent sur le degré de liberté stratégique dont dispose une entreprise lorsqu'elle combine utilisation du prix et de la publicité, ainsi que la différenciation du produit pour assurer la distinction sur un marché »[23]. Les travaux de Jane Aubert-Krier sont un prolongement des théories de la concurrence monopolistique d'Edward Chamberlin afin de démontrer s'il existe une courbe d'offre lorsque des entreprises monopolistiques s'affrontent sur un marché[6],[24].

Puis, petit à petit, les travaux de recherche de Jane Aubert-Krier se sont orientés vers le domaine de la gestion[6].

Distinctions[modifier | modifier le code]

Publications (sélection)[modifier | modifier le code]

Articles[modifier | modifier le code]

Ouvrages[modifier | modifier le code]

  • La courbe d'offre, Presses universitaires de France, 1949, 266 pages. Préface d'Edward Chamberlin.
  • Jean Romeuf (dir.), « Offre et Demande », dans Dictionnaire des sciences économiques, Presses universitaires de France,
  • Institut d'administration des entreprises, La prévision et le contrôle de gestion : journées d'études des 20 et 21 janvier 1956, Rennes, Centre régional d'études et de formation économiques, coll. « Bibliothèque d'administration des entreprises »,
  • Jane Aubert-Krier et Maurice Duverger (dir.), Comptabilité privée, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Thémis / Manuels juridiques, économiques et politiques », , 196 p. (ISSN 1774-2498, SUDOC 020320833, présentation en ligne)
  • Gestion de l'entreprise, Presses universitaires de France, 1962, 615 pages. Rééditée à plusieurs reprises jusqu'en 1981.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b et c « Châtellerault : disparition de Jane Aubert-Krier, pionnière de l'économie », La Nouvelle République,‎ (lire en ligne)
  2. a et b Fabienne Pavis, Sociologie d'une discipline hétéronome. Le monde des formations en gestion entre universités et entreprises en France. Années 1960-1990, (lire en ligne)
  3. a et b « Krier (Jane, Marthe, Alice) », Who's who in France,‎ 1984-1985, p. 801 (lire en ligne)
  4. a b c et d Luc Marco et Cédric Poivret, Histoire de la pensée gestionnaire française (XVIe – XXIe siècle), Edi-Gestion, , 494 p. (lire en ligne), p. 108
  5. Jane Aubert-Krier, La Courbe d'offre, (lire en ligne)
  6. a b c d e f g h i j et k Georges Legris, Entreprise et organisations : mélanges en l'honneur de Madame le Professeur Jane Aubert-Krier, (lire en ligne), p. V-IX
  7. Luc Marco, « L'agrégation de sciences de gestion (1976-2005) », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, vol. 14, no 1,‎ , p. 173 (ISSN 1622-468X et 1963-1022, DOI 10.3917/rhsh.014.0173, lire en ligne, consulté le )
  8. Jérôme Tourbeaux et Anne-Sophie Beaurenaut, Étude sur le recrutement des professeurs des universités dans les disciplines juridiques, politique, économiques et de gestion, (lire en ligne), p. 7
  9. a et b Daniel Villey, « Review of La Courbe d'Offre », Revue d'histoire économique et sociale, vol. 32, no 1,‎ , p. 85–90 (ISSN 0035-239X, lire en ligne, consulté le )
  10. « Informations diverses », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  11. Luc Marco, « L'évolution de l'humour des économistes, de Montchrétien à nos jours », Revue d'histoire et de prospective du management, vol. III, no 6,‎ , p. 9-20 (lire en ligne)
  12. Christophe Charle, « Antonin Durand, Les Voyages forment la jeunesse. Les boursières scientifiques David-Weill à la découverte du monde (1910-1939), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2020, 391 p., (ISBN 979-10-344-0078-2) », Revue d'histoire moderne & contemporaine, vol. n° 69-3, no 3,‎ , p. 202–203 (ISSN 0048-8003, DOI 10.3917/rhmc.693.0204, lire en ligne)
  13. Gilbert Abraham-Frois, « Huguette Biaujeaud, Piero Sraffa et David Ricardo », dans Les traditions économiques françaises : 1848-1939, CNRS Éditions, coll. « Hors collection », (ISBN 978-2-271-12865-2, lire en ligne), p. 987–997
  14. Jean Meynaud, « Dictionnaire des sciences économiques , publié sous la direction de Jean Romeuf. Tome premier, A-I. Tome second ,J-Z. », Revue économique, vol. 12, no 4,‎ , p. 668–669 (lire en ligne, consulté le )
  15. René Courtin, « Un Dictionnaire Des Sciences Economiques, Entreprise Difficile », Revue d'économie politique, vol. 67, no 2,‎ , p. 224–232 (ISSN 0373-2630, lire en ligne, consulté le )
  16. a b et c Pascal Simon, « Jane Aubert-Krier, avant-gardiste de l'économie moderne de l'entreprise s'en est allée », Ouest-France,‎ (lire en ligne, consulté le )
  17. Patrick Fridenson, « Du commerce à la distribution », Entreprises et histoire, vol. 64, no 3,‎ , p. 5 (ISSN 1161-2770 et 2100-9864, DOI 10.3917/eh.064.0005, lire en ligne, consulté le )
  18. « Dans 20 ans, réflexions propectives pour l'année 1985 », sur INA (consulté le )
  19. Jenny Andersson et Pauline Prat, « Gouverner le « long terme » : La prospective et la production bureaucratique des futurs en France », Gouvernement et action publique, vol. 4, no 3,‎ , p. 9–29 (ISSN 2260-0965, DOI 10.3917/gap.153.0009, lire en ligne, consulté le )
  20. « Liste des anciens présidents », sur www.afse.fr (consulté le )
  21. Centre de recherche en économie & management, « Séminaire Jane Aubert-Krier », sur crem.univ-rennes.fr (consulté le )
  22. « Inauguration de l’Amphithéâtre Jane Aubert-Krier », sur IGR IAE Rennes, (consulté le )
  23. a et b Maurice Baslé, « Jane Aubert-Krier, une économiste pionnière à la Faculté de Droit de l'Université de Rennes à partir de son agrégation en 1948 »,
  24. Yves Morvan, « La courbe d'offre, la fixation des prix et l'entreprise »,
  25. « Légion d'honneur », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  26. a et b Carole Christen-Lécuyer, « Les premières étudiantes de l'Université de Paris », Travail, genre et sociétés, vol. N° 4, no 2,‎ , p. 35 (ISSN 1294-6303 et 2105-2174, DOI 10.3917/tgs.004.0035, lire en ligne, consulté le )
  27. a et b Véronique Champeil-Desplats, « Les femmes dans les facultés de droit en France », Congreso Internacional Mujeres y Profesiones Jurídicas,‎ (lire en ligne, consulté le )
  28. « Elinor Ostrom : la première Nobel : épisode • 1/3 du podcast Portraits de femmes économistes », sur France Culture (consulté le )
  29. « Prix Nobel d'économie : la Française Esther Duflo récompensée », sur Franceinfo, (consulté le )

Liens externes[modifier | modifier le code]