Fiona Scott Morton

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Fiona Scott Morton
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Jerry Hausman, Nancy Lin Rose (en)Voir et modifier les données sur Wikidata

Fiona M. Scott Morton, née le à Lexington, est une économiste américaine professeure à la Yale School of Management depuis 2014. Ses recherches en organisation industrielle portent sur des secteurs tels que les magazines, le transport maritime, les produits pharmaceutiques et le commerce en ligne.

De 2011 à 2012, elle a été sous-procureure générale adjointe pour l'économie à la division antitrust du département de la Justice des États-Unis. Dans son travail universitaire, elle a plaidé en faveur du rôle du gouvernement américain pour assurer une saine concurrence sur les marchés de la santé[1] et du numérique[2]. Fiona Scott Morton est consultante pour la pratique de la concurrence au sein de CRA International (en), un cabinet de conseil en économie parallèlement à son travail de professeure[3].

En juillet 2023, elle est nommée économiste en chef de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne, avec effet au [4]. Cependant, certains fonctionnaires de la Commission européenne ainsi que les ministres français Catherine Colonna et Jean-Noël Barrot demandent que la commission reconsidère cette nomination[5]. Elle renonce à ce poste le .

Jeunesse et éducation[modifier | modifier le code]

Fiona Scott Morton est née et a grandi à Lexington, Massachusetts[6], où elle a fréquenté le système scolaire public. Elle est diplômée de Yale College en 1989 avec un Bachelor of Arts magna cum laude en économie (passant un an à l'étranger au Clare College, Cambridge), puis a obtenu un doctorat en économie au MIT en 1994.

Carrière[modifier | modifier le code]

Début de carrière[modifier | modifier le code]

Le premier emploi universitaire de Scott Morton a été à la Stanford Graduate School of Business, où elle a travaillé pendant trois ans avant de déménager à la Chicago Booth School of Business[7]. En 1999, elle est devenue professeure associée à la Yale School of Management, où elle enseigne depuis[8]. Elle a été promue professeure titulaire en 2014, a occupé le poste de doyenne associée et a remporté à trois reprises le prix d'enseignement électif de l'Association des anciens élèves de Yale.

Département de la Justice[modifier | modifier le code]

En mai 2011, Fiona Scott Morton prend un congé de service public de Yale pour devenir sous-procureur général adjointe chargée de l'analyse économique pour la division antitrust du département de la Justice des États-Unis. À ce poste, elle a supervisé une équipe de près de cinquante économistes pour enquêter sur les fusions, analyser les cas de monopolisation et mener des travaux sur la politique de la concurrence.

À cette époque, la division antitrust a bloqué la fusion entre H&R Block (en) et TaxAct (en)[9] ainsi qu'entre AT&T et T-Mobile[10]. La fusion entre Anheuser-Busch InBev et grupo Modelo[11], qui a abouti à la cession des opérations américaines de grupo Modelo, et l'affaire Apple-eBooks[12] ont commencé alors que Scott Morton était économiste en chef.

Recherche de premier plan[modifier | modifier le code]

L'article de Fiona Scott Morton en 2014, « Strategic Patent Acquisitions », coécrit avec Carl Shapiro, explique que lorsque les organismes de normalisation autorisent l'exercice d'un pouvoir de marché par les brevets nécessaires à la norme, il s'agit en fait d'un cartel anticoncurrentiel susceptible d'être sanctionné par des mesures antitrust[13].

En 2017, dans « A Unifying Analytical Framework for Loyalty Rebates », Scott Morton et Zachary Abrahamson expliquent que les remises de fidélité peuvent potentiellement aller à l'encontre des lois antitrust. Les auteurs y développent une métrique appelée « fardeau effectif des entrants » pour mesurer le degré auquel une entreprise exploite ses actifs non contestables dans l'exclusion anticoncurrentielle[14].

Prises de position[modifier | modifier le code]

Désaccord avec l'école de Chicago[modifier | modifier le code]

Les vues de Fiona Scott Morton s'écartent des hypothèses posées par l'« école de Chicago » de l'antitrust[15].

L'école de Chicago accorde une grande importance à la capacité des entrants à renverser un opérateur historique établi, quels que soient les obstacles à l'entrée, les économies d'échelle, les effets de réseau, etc. De même, la régulation est rarement nécessaire dans les fusions parce qu'elles sont supposées générer de grands gains d'efficacité. En revanche, Scott Morton souligne que même des modèles de concurrence très simples illustrent l'incitation pour les monopoles à s'établir et à rester enracinés en l'absence de régulation. Pour que le capitalisme fonctionne et profite aux consommateurs réguliers, elle estime qu'il doit y avoir des règles[16].

Fiona Scott Morton a exprimé sa frustration face à la réflexion sur les sujets de concurrence qui a prévalu au cours de la période 1980-2010. Entrant dans un domaine où les représentants du gouvernement vantaient l'importance de la modération, elle a défendu une action audacieuse dans la poursuite de mesures anticoncurrentielles[17],[15].

Lettre ouverte à la Commission judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis[modifier | modifier le code]

Le 30 avril 2020, Fiona Scott Morton et 11 autres économistes rédigent une lettre ouverte au Commission judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis décrivant les développements juridiques qui limitent le succès des plaignants antitrust méritoires, à la fois dans les contestations de fusion et les conduites d'exclusion. La lettre appelle le Congrès à mettre en œuvre une réforme antitrust aux États-Unis[18].

Polémiques[modifier | modifier le code]

Conflits d'intérêts non divulgués[modifier | modifier le code]

Fiona Scott Morton a conseillé la Commission judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis dans son enquête de 2019 sur les géants de la technologie[19]. En 2020, le magazine American Prospect révèle qu'elle avait contribué à des rapports critiquant Facebook et Google, sans révéler qu'Apple et Amazon étaient ses clients[20].

Dans un autre cas, Fiona Scott Morton a rédigé dans Op-ed un éditorial plaidant contre toute initiative visant à démanteler les GAFAM, sans divulguer son travail de conseil en cours pour Apple[20],[21].

Au moment des révélations sur les conflits d'intérêts non divulgués, Fiona Scott Morton était la directrice du projet Thurman Arnold à l'université Yale[20]. À la suite des révélations sur les conflits d'intérêts non divulgués de Scott Morton, plusieurs membres du projet ont démissionné[22],[23]. Elle est appelée à démissionner de son poste de directrice du projet[22], ce qu'elle n'a pas fait.

Nomination puis renoncement au poste d'économiste en chef de la Commission européenne[modifier | modifier le code]

Fin juin 2023, Fiona Scott Morton est pressentie pour être nommée au poste d'économiste en chef à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne[24],[25]. Elle est effectivement nommée le , avec l'appui de Margrethe Vestager, ce qui suscite immédiatement des critiques du fait de sa nationalité américaine et ses liens avec les GAFAM, alors que diverses associations (par exemple Corporate Europe Observatory ou LobbyControl) soulevaient ce problème depuis le mois de mai[26],[27].

La polémique est vive au sein du Parlement européen et en France où des élus de tous bords et les ministres français Catherine Colonna et Jean-Noël Barrot réagissent négativement au nom de la défense des intérêts européens[28],[29]. Sa seule nationalité américaine (elle ne dispose pas de la nationalité d'un pays membre de l'Union européenne) est une première à un poste-clé de la Commission, et pose également la question du risque de conflit d’intérêts au moment où l'Union doit mettre en œuvre de nouvelles législations ambitieuses pour réguler le secteur du numérique, après l'adoption des récents règlements DMA (Digital Markets Act) et DSA (Digital Services Act)[30].

Cette demande de reconsidération exprimée par le gouvernement français, soutenue par le Medef et les quatre principaux groupes politiques du Parlement européen, est aussitôt rejetée par la Commission[31],[32]. Cette dernière propose que Fiona Scott Morton puisse être écartée pendant deux ans des dossiers en lien avec les entreprises pour lesquelles elle a travaillé. Selon le journal Le Monde, cela laisse entendre qu’il existe bien un risque de conflit d’intérêts[33].

À la suite du refus de la Commission, plusieurs membres du Sénat français demandent l'intervention d'Emmanuel Macron car ils jugent que la décision ne peut être revue qu'au niveau du Conseil européen[34]. Emmanuel Macron critique publiquement le choix de la Commission le [35], au moment où la commission des affaires économiques et monétaires auditionne Margrethe Vestager à ce sujet[36],[37]. Plusieurs commissaires européens, dont Thierry Breton, Paolo Gentiloni, Josep Borrell, Nicolas Schmit et Elisa Ferreira, demandent à Ursula von der Leyen de réexaminer sa décision[38].

Le 19 juillet 2023, Margrethe Vestager annonce sur Twitter avoir reçu un courrier de Fiona Scott Morton lui annonçant qu'elle renonce à occuper le poste d’économiste en chef de la direction de la concurrence en raison des nombreuses critiques dont elle fait l'objet[39],[40].

Références[modifier | modifier le code]

  1. (en) « Prof. Fiona Scott Morton Outlines Fixes for Healthcare Markets in Congressional Testimony », Yale Insights, (consulté le )
  2. (en) « Is antitrust law keeping up? », Yale Insights, (consulté le )
  3. « CRA Our People Fiona Scott Morton », CRA (consulté le ) : « Fiona M. Scott Morton is a senior consultant to the Competition Practice at CRA. She is the Theodore Nierenberg Professor of Economics at the Yale University School of Management where she has been on the faculty since 1999. »
  4. (en) « Vestager faces blowback over selecting US professor for key competition post », POLITICO, (consulté le )
  5. (en) « France tells EU Commission to rethink American choice for top job », POLITICO, (consulté le )
  6. « Fiona Scott Morton, atouts et doutes autour de la future experte américaine à la concurrence de l’Union européenne », sur Libération (consulté le )
  7. « Fiona Scott-Morton », Antitrust Division, Department of Justice (consulté le )
  8. (en) « Fiona M. Scott Morton », Yale School of Management, (consulté le )
  9. Kendall, « At Last, the Story Behind the Failed Merger of H&R Block and TaxAct », WSJ, Wall Street Journal (consulté le )
  10. « Justice Department Files Antitrust Lawsuit to Block AT&T’s Acquisition of T-Mobile », Office of Public Affairs, US Department of Justice (consulté le )
  11. « Justice Department Reaches Settlement with Anheuser-Busch InBev and Grupo Modelo in Beer Case », Office of Public Affairs, US Department of Justice (consulté le )
  12. Osborne, « Apple settles ebook antitrust case, set to pay millions in damages », ZDNet, ZDNet (consulté le )
  13. Scott Morton et Shapiro, « Strategic Patent Acquisition », Berkeley, Antitrust Law Journal (consulté le )
  14. Scott Morton et Abrahamson, « A Unifying Analytical Framework for Loyalty Rebates », JSTOR, JSTOR (consulté le )
  15. a et b Beyer, « Building a Foundation for the Future of Antitrust and Competition Policy », Yale School of Management, Yale School of Management (consulté le )
  16. « Educational Videos: Antitrust in the 21st Century », Yale School of Management, Yale School of Management (consulté le )
  17. David Dayen, « The Radicalization of Fiona Scott Morton », The New Republic,‎ (ISSN 0028-6583, lire en ligne, consulté le )
  18. « Joint Response to the House Judiciary Committee on the State of Antitrust Law and Implications for Protecting Competition in Digital Markets », sur Washington Center for Equitable Growth, Washington Center for Equitable Growth (consulté le )
  19. Leah Nylen, « How U.S. enforcers could take on Google’s search monopoly », Politico,‎ (lire en ligne, consulté le )
  20. a b et c David Dayen, « Fiona, Apple, and Amazon: How Big Tech Pays to Win the Battle of Ideas », The American Prospect,‎ (lire en ligne, consulté le )
  21. McLaughlin, « Star Critic of Big Tech Has Side Gig Working for Amazon, Apple », Bloomberg, Bloomberg (consulté le )
  22. a et b « Yale Antitrust Scholars Resign Because Director Advises Apple, Amazon », Vice,‎ (lire en ligne, consulté le )
  23. « Stacy Mitchell Resigns Fellowship from Yale’s Thurman Arnold Project », Corporate Crime Reporter, (consulté le )
  24. Peggy Corlin, « Bruxelles : une Américaine pressentie au poste de chief economist à la DG concurrence - 27/06/2023 », sur La Lettre A, (consulté le ).
  25. Céline Pina, « Commission européenne: la politique de concurrence aux mains des Américains? », sur Causeur.fr, (consulté le ).
  26. (en) Foo Yun Chee, « US economist picked for senior EU antitrust job overseeing Big Tech », Reuters,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  27. « Qui est l’Américaine Fiona Scott Morton, la nouvelle économiste en charge de la concurrence européenne ? », sur leparisien.fr, Le Parisien, (consulté le ).
  28. Lucile Descamps, « Polémique à la Commission européenne : 5 minutes pour comprendre la nomination de Fiona Scott Morton », sur leparisien.fr, Le Parisien, (consulté le ).
  29. « L’État français s'oppose à la nomination controversée d'une Américaine (ancienne consultante pour les GAFAM) à un poste clé de l'UE », sur latribune.fr, La Tribune, (consulté le ).
  30. « Trois questions sur la nomination polémique de l'Américaine Fiona Scott Morton à un poste clé de la Commission européenne », sur Franceinfo, (consulté le ).
  31. « Nomination de Fiona Scott Morton à Bruxelles : la Commission européenne refuse de « reconsidérer » son choix de l’experte américaine », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  32. « Affaire Fiona Scott Morton : la Commission européenne tente d'éteindre la polémique », sur L'Express, (consulté le ).
  33. « A Bruxelles, la nomination choquante de Fiona Scott Morton », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  34. Henri Clavier, « « Scandale », « Contresens »…La nomination de Fiona Scott Morton à un poste clé de l’UE, ne passe au Sénat », sur Public Sénat, (consulté le ).
  35. Anthony Berthelier, « Fiona Scott Morton à Bruxelles : Emmanuel Macron se dit « dubitatif » au sujet de cette nomination », sur Le HuffPost, (consulté le ).
  36. « Nomination d'une experte américaine: Vestager va être auditionnée au Parlement européen », sur L'Express, (consulté le ).
  37. (en) « Exchange of views with Margrethe VESTAGER, Executive VP of the European Commission in charge of Europe fit for the Digital Age, and Commissioner for Competition: opening by Chair of ECON, Irene TINAGLI (S&D, IT) and statement by Margrethe VESTAGER », sur European Parliament Multimedia Centre, (consulté le ).
  38. Virginie Malingre, « Affaire Fiona Scott Morton : la défense en semi-vérités de Margrethe Vestager ne convainc pas », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  39. « Commission européenne : Fiona Scott Morton renonce à occuper le poste d’économiste en chef de la direction de la concurrence », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  40. Ariane Tyché, « Face à la polémique, Fiona Scott Morton renonce à un poste à la Commission européenne », L'Usine Nouvelle,‎ (lire en ligne, consulté le )

Liens externes[modifier | modifier le code]