Expédition de Djidjelli

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Expédition de Djidjelli (1664)
Description de cette image, également commentée ci-après
Gravure d'époque représentant le débarquement français à Djidjelli (alias Gigeri)
Informations générales
Date 22 juillet -
Lieu Djidjelli (Régence d'Alger, Empire ottoman)
Issue Victoire barbaresque,
abandon de Djidjelli,
naufrage de La Lune
Belligérants
Drapeau du royaume de France Royaume de France
Drapeau de l'ordre militaire de Malte Ordre de Saint-Jean de Jérusalem
Empire ottoman Régence d'Alger
Commandants
François de Vendôme
Charles-Félix de Galéan
Forces en présence
Drapeau du Royaume de France Royaume de France :
• 5 000 hommes[1]
• 14 vaisseaux[1]
• 8 galères[1]
Drapeau de l'ordre militaire de Malte Ordre de Saint-Jean de Jérusalem :
• 1 bataillon[2]
• 7 galères[1]
Navires de la Régence
Tribus kabyles
Pertes
2 000 morts
prisonniers
30 canons en fonte
15 canons en fer
50 mortiers

Naufrage de La Lune :
700 morts
La Lune sombre
500 tués
200 blessés

Coordonnées 36° 49′ 14″ nord, 5° 46′ 00″ est

L'expédition de Djidjelli[3] est une opération de débarquement menée de juillet à octobre 1664 par le royaume de France, avec le concours de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem à Malte, des Provinces-Unies et de l'Angleterre, à l'Est de la côte des Barbaresques alors province de l'Empire ottoman. Cette campagne d'Afrique s'inscrit dans la politique de la France en tant que membre de la ligue du Rhin : elle participe alors à la Première guerre austro-turque (bataille de Saint-Gothard).

Cette expédition militaire visait à s'emparer de la ville kabyle de Djidjelli et de la fortifier afin d'y établir une base navale permanente facilitant la lutte contre les corsaires barbaresques des régences d'Alger et de Tunis. L'expédition était placée sous le commandement de l'amiral de France François de Vendôme, duc de Beaufort (cousin de Louis XIV et petit-fils d'Henri IV) tandis que les forces terrestres étaient dirigées par le lieutenant-général Charles-Félix de Galéan, comte de Gadagne.

Trois mois après la prise de la ville, privé de renfort à cause de la peste et assiégé par les troupes turques et maures, le corps expéditionnaire de Louis XIV abandonne Djidjelli et rembarque pour la France. Durant la traversée de retour, un navire de premier rang vieillissant et mal radoubé, La Lune, coule dans la rade de Toulon et fait plus de 700 morts.

Causes de l'expédition

Combat d'un vaisseau français et de deux galères barbaresques.

Le jeune roi Louis XIV, dont le règne personnel a débuté en 1661 à la suite du décès du cardinal Mazarin, et son ministre Colbert souhaitent assurer le libre passage en Méditerranée de la flotte de commerce française qui, au même titre que celle des autres nations chrétiennes, est continuellement attaquée et pillée par les corsaires en provenance des trois régences barbaresques placées sous administration et protection ottomane (Alger, Tunis et Tripoli).

Une ville de la côte de Barbarie à mi-chemin entre Alger et Tunis est choisie. Il s'agit de s'en emparer, de la fortifier, d'y construire un port et d'en faire un poste avancé permettant des sorties rapides contre les corsaires, à l'image de ce que les Anglais faisaient alors à Tanger (1661-1684). À la même époque, à l'ouest de la côte, la ville d'Oran est aux mains de la Monarchie catholique espagnole depuis 1509 ; ce préside se maintiendra jusqu'en 1790.

Sont proposées les villes de Bougie, Bône et Stora, (près de l'ancien comptoir Bastion de France), mais c'est Djidjelli qui est retenue. Le choix de cette ville est un sujet de discorde entre le commandant de l'expédition, son second et l'ingénieur chargé des fortifications.

Composition du corps expéditionnaire

Le commandant suprême de l'expédition est le duc de Beaufort. L'armée est commandée par son second, le comte de Gadagne, qui est lui-même assisté de deux maréchaux de camp, Monsieur de la Guillotière et le comte de Vivonne. L'artillerie est dirigée par Monsieur de Bétancourt, le génie par le chevalier de Clerville, la flotte est confiée au chevalier Paul et à Abraham Duquesne. Les nombreuses dissensions dans le commandement seront une des causes principales de l'échec de l'opération.

La flotte et l'armée expéditionnaire sont assemblées au port royal de Toulon en mars 1664 et partent le .

Prise de Djidjelli par le duc de Beaufort (23 juillet)

Les troupes royales s'emparent de Djidjelli le .

Désaccord stratégique Beaufort / Gadagne

La mésentente entre le duc de Beaufort et le comte de Gadagne est documentée, notamment par le courrier du adressé par le roi Louis XIV à monsieur de Gadagne. Il apparait que le comte de Gadagne souhaitait débarquer ses troupes à Bougie « alors abandonné, mieux situé et plus à portée des secours que Djidjelli »[4].

Siège de Djidjelli (6 octobre)

Une attaque des Turcs et des Kabyles est repoussée par les assiégés le .

Arrivée des renforts / départ de Beaufort (22 octobre)

Parti le 18 octobre de Toulon, le marquis de Martel arrive en renfort à la tête de quatre vaisseaux (dont La Lune) transportant notamment des chevaux, le [5] (voir la correspondance de Louis XIV).

Un message du roi, qui a été mis au courant de la discorde entre les chefs de l'expédition, enjoint le duc de Beaufort à reprendre la mer laissant le commandement des opérations au comte de Gadagne. Le cousin de Louis XIV et sa flotte quittent donc définitivement Djidjelli le 22 octobre.

Retraite de Djidjelli (31 octobre)

La peste s'étant déclarée à Toulon, l'embarquement prévu de troupes de renfort et de munitions est annulé[6]. Par conséquent, assiégée et jugée trop difficile à garder, la place est démolie et abandonnée par les Français qui rembarquent dans la nuit du 30 au 31 octobre 1664[7].

La retraite se fait en utilisant les vaisseaux du marquis de Martel, arrivés le 22 octobre, et sans le concours de la flotte du duc de Beaufort.

Naufrage de La Lune

À son retour en France, toute la flotte de la campagne d'Afrique est envoyée en quarantaine à l'île de Porquerolles par le Parlement de Provence à cause de la peste. Le vieux trois-mâts La Lune, qui était arrivé en renfort à Djidjelli le 22 octobre, se trouvait déjà en piteux état et mal radoubé. Il prend l'eau dès son départ de Toulon. Le vaisseau se disloque, s'ouvre en deux et coule à pic dans la rade de Toulon, en face des îles d'Hyères, avec à son bord les dix premières compagnies du régiment de Picardie. Plus de 700 hommes périssent noyés, avec parmi eux le général de la Guillotière, l'un des deux maréchaux de camp du comte de Gadagne durant l'expédition[8],[9].

Une centaine de rescapés parviennent à regagner le Port-Cros, mais abandonnés sur cet île déserte de 7 km2, ils meurent tous de faim[10]. Le capitaine du navire qui est un chevalier de Malte, le commandeur de Verdille et Antoine Bœsset de La Villedieu (aide de camp du général de la Guillotière) s'en réchappent tous les deux à la nage[11],[8]. On n'aurait compté en tout que 24 rescapés[12].

En 1993, l'épave de La Lune a été découverte gisant par 90 m de profondeur par l'IFREMER[10]. L'année suivante, Marie-Chantal Aiello a réalisé un documentaire pour France 3, La Lune et le Roi Soleil.

Conséquences

Le , le duc de Beaufort détruit deux navires corsaires algériens et en capture trois autres, sur l'un desquels il retrouve l'artillerie abandonnée à Djidjelli en octobre 1664[13].

Un traité de paix est signé entre le duc de Beaufort et la Régence de Tunis le , un second traité est conclu avec la Régence d'Alger le . Cependant, il faudra attendre le bombardement d'Alger par l'amiral Duquesne en 1682 pour que le comptoir français du Bastion de France soit rouvert l'année suivante.

Correspondance entre le roi et les commandants de l'expédition

Lettre de Louis XIV au comte de Gadagne (12 septembre 1664)

« AU COMTE DE GADAGNE.
Vincennes, le .
Monsieur de Gadagne, j'ai vu, par votre lettre du 25 d'août, le détail de ce qui s'est passé dans le trajet de mes troupes et depuis leur descente en Afrique. Je vous avoue que je n'avois point ouï parler de Bugie dans les termes que vous m'en parlez, et je veux croire avec vous qu'on y auroit pu réussir : mais comme c'est une chose faite, il ne faut plus penser maintenant qu'à s'établir à Gigeri; car j'y suis fort résolu, et je prétends en venir à bout, à quelque prix que ce soit. C'est pourquoi, et vous et tous les officiers se doivent mettre dans l'esprit que la chose réussira; qu'il n'y a qu'à prendre patience, et à faire travailler avec application, empêchant aussi avec soin la dissipation des outils et des autres choses de cette nature qui, bien que de peu de valeur, sont tout à fait nécessaires à la conservation de ce poste.
Sur-tout, il faut bien étudier le terrain des environs, afin de reconnoître les endroits d'où vous pourrez avoir du bois avec moins de peine et de péril.
Les cent chevaux que je vous envoie vous en faciliteront les moyens; et de plus, j'ai donné ordre que vous ayez quelques charrettes, tant pour voiturer le bois, après qu'il sera coupé, que pour servir à tel autre usage que vous jugerez à propos.
Je suis très-aise de ce que vous me mandez des bonnes intentions de toutes les troupes en général, n'ayant point de plus grand plaisir, que d'entendre leurs louanges: vous pouvez témoigner à d'Arci, à Cauvisson et aux autres qui furent détachés à la dernière occasion, que je sais ce qu'ils ont fait, et que je me souviendrai d'eux.
Vous pouvez témoigner aussi au régiment de Normandie, la satisfaction que j'ai de tout le corps, et dire en particulier à Cadaillan, que je suis fort content de lui.
Je ne suis pas surpris de voir, que mes compagnies des Gardes s'offrent à faire toutes choses pour me servir et me plaire, sans trouver rien de difficile; car je n'attendois pas moins de leur affection, après ce que j'ai écrit; et même je suis persuadé qu'elles le feront de bon cœur et avec moins de façon, que celles du dernier corps qui soit à mon service. Aussi vous les assurerez du gré que je leur en sais, et continuerez au surplus à me mander en détail, les actions que chacun fera pour signaler son courage ou son zèle dans les rencontres, afin que je puisse traiter chacun selon son mérite.
Cependant, comme je sais qu'il y a quelques officiers qui ne règlent pas leurs discours selon mes intentions, il est bon de les avertir que j'en suis bien informé, et qu'ils ne peuvent mieux faire pour mon service ni pour eux-mêmes, que de réparer le passé par une conduite toute contraire. Après avoir entretenu ceux qui viennent du lieu où vous êtes, j'ai trouvé tous leurs rapports uniformes sur ce point-là : ils m'ont dit beaucoup d'autres choses qui ne s'accordent pas de même; mais je saurai bien dans la suite discerner la vérité, par les actions et les discours de ceux qui restent à Gigeri : et me remettant au surplus à ce que j'ai commandé aux sieurs le Tellier et Colbert d'écrire, soit à Charuel ou au chevalier de Clerville, je prie Dieu, etc.[14]. »

Lettre de Louis XIV au duc de Beaufort (12 novembre 1664)

« AU DUC DE BEAUFORT.
Paris, le 12 novembre 1664.
Mon cousin, le sieur de la Roche m'a rendu votre lettre et expliqué de vive voix le détail de la dernière attaque de la redoute de Gigeri ; à quoi j'ai pris beaucoup de plaisir, non seulement pour le succès d une action si glorieuse, mais aussi pour le bonheur que vous avez eu de couronner votre séjour en ce pays-là par un service de cette importance, et même pour le nouveau lustre qu'une blessure aussi favorable que celle que vous avez reçue, ajoute à votre valeur: vous croyant maintenant en Provence, et peut-être déjà parti pour vous rendre auprès de moi, il seroit superflu de vous faire plus longue lettre ; je pourrai m'entretenir plus commodément avec vous à votre arrivée ici, et il me suffit par avance de vous dire, que je suis entièrement satisfait de vous[15]. »

Postérité

Durant la conquête de l'Algérie, après la prise de Djidjelli en 1839 et jusqu'en 1962, la France honora la mémoire du comte de Gadagne en nommant une artère de la ville « avenue Gadaigne » (sic). À l'indépendance de l'Algérie, l'avenue Gadaigne est renommée « avenue du 1er-Novembre », en célébration des attentats de la Toussaint Rouge de 1954 (casus belli de la guerre d'Algérie pour les Français, jour inaugural de la Libération nationale pour les Algériens).

En 1847, l'écrivain Alexandre Dumas relate l'expédition de Djidjelli dans le dernier épisode de sa trilogie romanesque des mousquetaires intitulé Le Vicomte de Bragelonne.

En 2008, l'auteur Jean Teulé narre une version romanesque de l'expédition de Djidjelli dans son ouvrage Le Montespan, centré sur le marquis de Montespan.

Références

  1. a b c et d Gérard Poumarède, La France et les Barbaresques in Étienne Taillemite, Denis Lieppe, Rivalités maritimes européennes : XVIe – XIXe siècles, Revue d'histoire maritime no 4 PUPS, PUF, Presses Paris Sorbonne, 2005, p. 133
  2. Louis XIV 1806, p. 198, note
  3. Également appelée « expédition de Gigéri », « expédition de Gigery », « expédition de Gigelly », « affaire de Gergily », « affaire de Djidjelli » ou « campagne d'Afrique », selon les sources.
  4. Louis XIV 1806, p. 237-238, note
  5. Olivier Lefèvre d'Ormesson, Journal d'Olivier Lefèvre d'Ormesson : et extraits des mémoires d'André Lefevre d'Ormesson, vol. 2, Imprimerie impériale, 1861, p. 246
  6. Duc Paul de Noailles, Histoire de Madame de Maintenon et des principaux événements du règne de Louis XIV, Volume 3Comptoir des imprimeurs-unis, Lacroix-Comon, 1857, p. 666
  7. Isaac de Larrey, Histoire de France sous le règne de Louis XIV, vol. 1, Michel Bohm & Cie., Rotterdam 1734, p. 464
  8. a et b Auguste Jal & Abraham Duquesne, Abraham Du Quesne et la marine de son temps, Plon, 1873, p. 598
  9. Frédéric Lewino, Gwendoline Dos Santos, 6 novembre 1664. Le naufrage de la Lune avec 800 hommes à bord marque la fin de la première guerre d'Algérie., LePoint.fr, 6 novembre 2012
  10. a et b Bernard Estival, Un siècle de navires scientifiques français, Paris Issy-les-Moulineaux, Éd. du Gerfaut Ifremer, , 160 p. (ISBN 978-2-914-62221-9, OCLC 469516653), p. 141
  11. Yves Durand & Jean-Pierre Bardet, État et société en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Presses Paris Sorbonne, 2000, p. 514
  12. Bernard Bachelot, Raison d'État, L'Harmattan, 2009, p. 30
  13. Louis XIV 1806, p. 305, note
  14. Louis XIV 1806, p. 237-240
  15. Louis XIV 1806, p. 264-265

Voir aussi

Documentaire

  • Marie-Chantal Aiello, La Lune et le Roi Soleil: Retour sur une tragédie navale, 13 Production, France 3 Méditerranée / C.M.C.A / IFREMER, 1994 ;
  • L’épave de la Lune, La Marche des sciences, France Culture, émission du 12/07/2012 [1]

Bibliographie

  • Antoine Augustin Bruzen de La Martinière & Yves Joseph La Motte, Histoire de la vie et du règne de Louis XIV, vol. 3, J. Van Duren, 1741 ;
  • Louis XIV, Œuvres de Louis XIV : Lettres particulières, t. V, Paris, Treuttel et Würtz,
  • Ernest Mercier, Histoire de l'Afrique septentrionale (Berbérie) depuis les temps les plus reculés jusqu'à la conquête française (1830), vol. 3, Ernest Leroux, Paris, 1891,
  • Guy Turbet-Delof, L'Affaire de Djidjelli (1664) dans la presse française du temps, Taffard, 1968 ;
  • Bernard Bachelot, Louis XIV en Algérie : Gigeri 1664, Monaco, Éditions du Rocher, coll. « Art de la guerre », (réimpr. octobre 2011), 460 p. (ISBN 978-2-268-04832-1, OCLC 53374515) ;
  • Bernard Bachelot et Michel Albert (préf. Michel Albert), Raison d'état, Paris, L'Harmattan, , 171 p. (ISBN 978-2-296-08423-0, OCLC 318870802) ;
  • Bernard Bachelot, L’Expédition de Gigéri, 1664 : Louis XIV en Algérie, Les éditions Maison, coll. « Illustoria », , 104 p. (ISBN 2-917575-48-4);
  • Michel Vergé-Franceschi (dir.), Jean Kessler (conseil scientifique) et al., Dictionnaire d'Histoire maritime, éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », (ISBN 9782221087510 et 9782221097441)
  • Guy Le Moing, Les 600 plus grandes batailles navales de l'Histoire, Rennes, Marines Éditions, , 620 p. (ISBN 235743077X et 9782357430778, OCLC 743277419)

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