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Déclin de Détroit

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Le déclin de Detroit désigne une période de déclin économique, industriel et démographique de la ville de Détroit, principale ville de l'État américain du Michigan. Cette ville, historiquement spécialisée dans la construction automobile avec le lancement de trois des principales marques américaines, Ford, General Motors et Chrysler surnommées les « big three », est confrontée à une importante désindustrialisation depuis la seconde moitié du XXe siècle, qui se poursuit au début du XXIe siècle[1]. Les raisons de ce déclin sont multiples et s'alimentent entre elles. L'un des principaux éléments déclencheurs est le choc pétrolier de 1973, puis celui de 1979[2], qui impactent lourdement la compétitivité des voitures américaines très consommatrices de carburant, au profit de leurs concurrentes allemandes et japonaises. On peut y ajouter une explosion de l'insécurité qui commerce par des émeutes raciales dans les années 1960[2], puis qui s’accroît avec le chômage et la pauvreté, qui détériore fortement l’attractivité de la ville pour les investisseurs. Enfin, la crise des surprimes de 2008, qui impacte lourdement l'industrie automobile américaine à l'image de General Motors qui, au bord de la faillite, a dû être nationalisée[3]. De son côté, Chrysler, autre compagnie des big three, est sauvée de la fair un rachat en 2011 par l'entreprise italienne Fiat[4].

Le déclin économique et industriel de Détroit provoque un déclin encore plus inédit, social et démographique, avec une population passant de 1,8 million d'habitants en 1950 à 706 000 en 2013, et plus de la moitié des résidents restants étant sans emploi (16 % des actifs au chômage)[1]. Ce déclin de la population active en emploi provoque un effondrement des recettes fiscales, et par conséquent à une dégradation des finances et des services publics[5], alors que selon la loi américaine, si la population d'une ville passe en dessous des 750 000 habitants,celle-ci ne peut plus bénéficier des aides financières fédérales[6]. En 2013, Détroit, endettée à hauteur de 18 milliards de dollars, se déclare officiellement en faillite[1], devenant la plus grande ville américaine à connaitre cette situation[5].

Histoire du déclin

Dans la première moitié du XXe siècle, la ville de Détroit est considérée, non seulement comme une capitale industrielle, mais comme le symbole de la prospérité et du « rêve américain »[7]. Pour des raisons multiples, comme la proximité de gisements de charbon et d'acier dans la région des grands lacs[8], la présence d'une métropole (Détroit) bien reliée au reste du pays, et la disponibilité de grands terrains bon marché, les principaux pionniers de l'industrie automobile américaine, Henry Ford, William Crapo Durant, Walter Chrysler et Louis Chevrolet démarrent leurs activités de production dans cette ville[9]. En réalité, plusieurs dizaines de compagnies automobiles se lancent dans cette région à cette période, mais seules trois d'entre elles, Ford, General Motors et Chrysler surnommées les « big three », atteignent une taille critique et éliminent la concurrence[8].

Dans les années 1930, la ville est frappée par la Grande dépression, mais s'en sort en grâce au plan de relance dit « new deal » du Président Franklin Roosevelt[10]. La croissance économique de la ville provoque un afflux important de populations pauvres en recherche d'emplois, encouragés par les patrons dont les usines ont d'importants besoins de main-d'œuvre[7]. C'est à cette époque qu'Henry Ford propose un salaire généreux, de 5 dollars par jour (plus du double du montant moyen proposé pour des postes ouvriers) pour faire de ses ouvriers des clients potentiels, et pour se rendre plus attractif pour la main-d'œuvre que ses concurrents[11].

Mais cet afflux de main-d'œuvre, dont une grande partie est constituée d'afro-américains du sud du pays[11], crée des tensions dans la ville à l'époque où la ségrégation raciale encore très dure et dégénère régulièrement, à l'image du massacre de Tusla en 1921[12]. Un grand nombre d'ouvriers des usines Ford est également constitué d'immigrés européens (principalement irlandais), mexicains ou libanais à une époque où le racisme et la xénophobie sont encore répandus aux États-Unis[11]. Henry Ford fait ces choix de recrutement en connaissance de cause, comptant sur le fait qu'une animosité entre ses salariés les dissuadera de se regrouper pour avoir des revendications[11].

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la production des automobiles commerciales fut cessée entièrement ; à la place, toutes les usines construiraient des chars de combat M5 Stuart, des jeeps militaires, et des bombardiers B-24 pour l'usage des Alliés. Pour sa contribution importante à la cause des Alliés, Détroit gagnait le surnom The Arsenal of Democracy. Après la seconde guerre mondiale, les États-Unis, grand vainqueur du conflit dont le territoire est épargné contrairement à l'Europe et la Russie, s'imposent comme une puissance économique et industrielle majeure dans le monde.

En 1967, la ville de Détroit, qui compte désormais une part importante de sa population afro-américaine, est le théâtre de violentes émeutes dans le contexte de protestations anti-ségrégationnistes dans le cadre du mouvement afro-américain des droits civiques[7]. Celles-ci provoquent d'importants dégâts matériels ainsi que 43 morts, contribuant à affecter durablement la sécurité, et donc l'attractivité de dans la ville[7].

Quelques années plus tard, en 1973 et 1979, les deux chocs pétroliers amorcent un déclin de l'industrie automobile américain au profit des constructeurs japonais, avec de petites voitures à bas coût, et les constructeurs allemands, avec des berlines de luxe[7]. Pour faire face à cette concurrence, les constructeurs américains délocalisent vers l'étranger d'une partie de l'outil industriel pour baisser les coûts, et pénétrer les marchés étrangers en vendant directement sur place la production[7]. Ainsi, alors que Détroit enregistrait 300 000 emplois manufacturiers en 1960, la ville n'en compte plus que 25 000 en 2013, soit 12 fois moins[7]. Rien qu'entre 1979 et 1982, l’industrie automobile américaine licencie près de 250 000 ouvriers, tandis que les syndicats de Ford sont acculés à accepter, pour la première fois de leur histoire, le blocage des salaires[9].

Enfin, l'éclatement de la crise des subprimes en 2008 augmente les difficultés économiques des populations de la ville, avec une augmentation du nombre de ménages insolvables[7].

Analyse

Causes

Causes industrielles

La principale cause du déclin de la vile de Détroit est de nature industrielle, la principale force de la ville étant aussi sa principale faiblesse : sa totale dépendance à son industrie automobile pour sa bonne santé économique[8]. Dans les années d'après-guerre, alors que les Etats-Unis comme Détroit étaient à l'apogée de leur domination économique, l'industrie automobile américaine presque exclusivement localisée dans cette métropole employait près de 300.000 personnes[8]. À partir de la fin des années 1960, les émeutes raciales, les chocs pétroliers, et la concurrence internationale obligent les constructeurs américains à diversifier leurs outils de production, ainsi que leurs localisations[7].

Causes économiques et sociales

Le déclin amorcé jusqu'à la mise en faillite de la ville en 2013 est inarrêtable pendant plus de 50 ans, nourrissant un cercle vicieux qui ne cesse de s'aggraver : le chômage des ouvriers licenciés de l'industrie automobile fait baisser les recettes fiscales, et accroît l'insécurité largement alimentée par la misère (vols et trafic de drogue)[13]. Par conséquent, la qualité des services publics (dont font partie les forces de l'ordre) baisse fortement avec la chute des recettes fiscales, et l'attractivité de la ville pour les investisseurs s'effondre avec la hausse de la criminalité[13].

Causes administratives

Pour l'urbaniste et sociologue de l’Université du Michigan Reynolds Farley, le manque de coopération entre les villes américaines notamment dans la mise en commun de ressources pour assurer les services publics comme l’éducation ou les transports a également participé au déclin de la ville[14]. Celle-ci reposant quasiment exclusivement sur les impôts locaux pour fonctionner, ses finances et ses services publics se sont effondrés lorsque la croissance économique s'est arrêtée[14]. Reynolds Farley relève également que les problèmes de Détroit étaient largement partagés par d'autres villes du Michigan elles aussi touchées par la désindustrialisation, et déplore le manque de concertation aussi bien entre elles, qu'avec les autorités fédérales[14].

Conséquences

Conséquences sociales

Dans les années 1980, des cas de malnutrition, notamment de jeunes enfants sont même signalés. Des associations se mobilisent pour venir en aide à la population en grande détresse économique en distribuant des denrées de première nécessité aux familles et aux écoles[9].

On assiste même à une forte régression dans l'éducation à cause des coupes budgétaires dans les finances publiques, avec pour conséquence que presque un habitant sur deux était analphabète en 2013[15], tandis qu'un tiers vivait en dessous du seuil de pauvreté[16]. Un taux qui monte à presque deux tiers pour les enfants[17].

En décembre 2014, la ville connaît une panne d'électricité massive de 6 heures en raison de la vétusté des infrastructures[18].

Impacts financiers

En 2013, Détroit, endettée à hauteur de 18 milliards de dollars, se déclare officiellement en faillite[1], devenant la plus grande ville américaine à connaitre cette situation[5].

Impacts sur l’immobilier

La désertification de la ville de Détroit la fait être considérée par de plus en plus d'analystes comme une « ville-fantôme » faisant allusion au nombre très important de maisons et autres bâtiments (industriels, administratifs et commerciaux) abandonnés[19]. Lors de sa faillite en 2013, Détroit compte 78.000 bâtiments délaissés et le coût de démolition pour chaque structure s’élève à 8.000 dollars, un montant trop élevé pour une ville en faillite[19].

La gare centrale du Michigan à Détroit en 2016

L'un des plus connus, mais aussi désormais le plus emblématique du déclin de Détroit, est la gare centrale du Michigan, qui connectait la ville au reste du pays ainsi qu'au Canada pendant ses années prospérité, mais désaffectée et inutilisée depuis 1988[20].

Des cas de maisons mises en vente à des prix dérisoires sont médiatisés, pour des montants allant de 1000 dollars[21] voire quelques centaines[22] ou quelques dollars[23]. Des conditions sont parfois ajoutées à la vente, comme l'engagement de l'acheteur à rénover le bien dans les 6 mois qui suivent l'achat, afin de faire bénéficier au quartier de la mise en ente à bas prix de ces maisons, dont l'état de délabrement fait anticiper, une hausse du coût pour l'acheteur avec des travaux inclus[21].

Perspectives

Conséquences de la mise en faillite

En 2013, la mise en faillite de Détroit peut paradoxalement être considérée comme une issue positive au déclin, cette situation juridique permettant à la ville de se placer sous la protection de la loi américaine sur les faillites, et renégocier sa dette[6]. Le remboursement de sa dette pourrait être étalé dans le temps, et cette dernière pourrait même être en partie annulée[6]. Toutefois, les problèmes structurels de l'économie de la ville qui ont causé sa faillite ne seraient pas résolus quand bien même, la dette dans sa totalité pouvait être annulée[6]. Une annulation totale n'étant de toutes façons pas envisageable, alors que la dette de Détroit est en majorité détenue par des fonds de pension américains qui y placent l'épargne de simples citoyens ; ces derniers, dont certains ont investi pour leur retraite, se retrouveraient ruinés[6].

Reprise économique possible

Secteur automobile

En janvier 2020, General Motor, sauvée de la faillite par sa nationalisation en 2009, annonce un investissement de 2,2 milliards de dollars pour reconfigurer un site de production à Détroit, et le tourner vers la production de véhicules électriques et autonomes[24]. L’entreprise espère générer 2 200 postes qualifiés, notamment grâce aux incitations fiscales de l’État du Michigan[24].

En 2021, le consortium franco-italien Stellantis constitué par les compagnies Fiat Chrysler et PSA, annonce l'ouverture d'une usine de jeeps à Détroit, d'une valeur de 1,6 milliard de dollars et s'étendant sur près de 180.000 m2, promettant de fournir 5.000 emplois[25].

Autres secteurs

À la suite de sa faille en 2013, la ville de Détroit tente une stratégie de diversification de son économie, actant que c'est une trop forte dépendance à un seul secteur d'activité qui a causé sa ruine[26]. Misant sur le tourisme, Détroit investit dans ses célèbres casinos dont le principal, le MGM Grand Detroit, se dote en 2007 d'un hôtel luxueux de 400 chambres, intégré à son bâtiment[27].

La PME Shinola, spécialisée dans les biens de consommation haut de gamme comme les montres au style rétro, les carnets de cuir ou des vélos, décide de s'implanter à Détroit lorsque sa faillite est annoncée, pour « participer à sa renaissance »[26]. Cinq ans plus tard, cette entreprise emploie 3500 personnes dans la ville[28].

En août 2020, bénéficiant de la pandémie de covid-19 qui booste fortement les achats en ligne, l'entreprise de logistique et vente à distance Amazon annonce l'embauche de 3500 salariés dans les divisions tech et administrative de la société, dans six villes américaines comportant des centres technologiques Amazon ; Détroit en fait partie[29].

De nombreux projets agricoles de « fermes urbaines » voient également le jour, à l'initiative d'habitants pour subsister, ou d'entrepreneurs pour en faire commerce[20]. En 2015, Détroit a rejoint le mouvement Fab City, suivant l'appel lancé par le maire de Barcelone, Xavier Trias, à ce que toutes les villes du monde deviennent autosuffisantes pour 2054[30].

Notes et références

  1. a b c et d « La faillite de Detroit en cinq chiffres », sur Franceinfo, (consulté le )
  2. a et b « Les trois raisons de la faillite de Detroit », sur L'Humanité, (consulté le )
  3. « La justice entérine la nationalisation de General Motors », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. « Chrysler sauvé par Fiat », Usine Nouvelle,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. a b et c Julien Bonnet, « Détroit en faillite, dernière étape du long déclin de "Motor city" », Usine Nouvelle,‎ (lire en ligne, consulté le )
  6. a b c d et e Sylvain Fontan, « La faillite de Détroit : triomphe et déclin (II) », sur lesechos.fr, (consulté le )
  7. a b c d e f g h et i Les Echos, « La faillite de Détroit : triomphe et déclin (I) », sur lesechos.fr, (consulté le )
  8. a b c et d « Et Detroit devint le royaume de l'automobile... », sur Les Echos, (consulté le )
  9. a b et c « Le déclin de Detroit capitale américaine de l'automobile », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  10. « Detroit : berceau de la soul devenu cimetière urbain - Regarder le documentaire complet », sur ARTE (consulté le )
  11. a b c et d « Henry Ford ou l'automobile à la portée de tous », sur Les Echos, (consulté le )
  12. « Massacre de Tulsa aux États-Unis: que s’est-il passé les 31 mai et 1er juin 1921? », sur LEFIGARO (consulté le )
  13. a et b Jean-Luc Wachthausen, « Undercover, plongée dans l'enfer de Détroit, ville fantôme », sur Le Point, (consulté le )
  14. a b et c « Detroit : soixante ans de déclin, et une faillite », sur Le Devoir (consulté le )
  15. (en-US) « Report: Nearly Half Of Detroiters Can't Read », (consulté le )
  16. « Infographie : Detroit, une ville à genoux », sur France 24, (consulté le )
  17. (en-US) « Report: Childhood Poverty High In Detroit, But Teen Pregnancy Down », (consulté le )
  18. « Panne d'électricité massive à Detroit », sur Le Figaro, (consulté le )
  19. a et b Alexandra Le Seigneur, « Detroit, ville en ruine et nouvelle attraction touristique », sur Slate.fr, (consulté le )
  20. a et b « Detroit, de la cité fantôme à la ville laboratoire », Le Figaro,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  21. a et b « À Détroit, des maisons à vendre à partir de... 1000 dollars », sur Le HuffPost, (consulté le )
  22. « Un Américain vend sa maison contre... un iPhone 6 », sur Le Figaro,
  23. « Une maison à vendre pour… 5 euros ! », sur BFM BUSINESS,
  24. a et b « General Motors va investir 2,2 milliards de dollars dans un site de production de véhicules électriques autonomes », sur usine-digitale.fr (consulté le )
  25. « Détroit: Stellantis dévoile sa nouvelle usine Jeep dans l'ancienne capitale de l'automobile », Usine Nouvelle,‎ (lire en ligne, consulté le )
  26. a et b « Shinola, la montre « arty » made in Détroit », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  27. (en-US) Hilary Howard, « MGM Grand Places a Bet on Detroit », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
  28. « [Reportage] Etats-Unis: la renaissance de Detroit », sur RFI, (consulté le )
  29. « Amazon va recruter 3 500 postes dans la tech aux Etats-Unis », sur usine-digitale.fr (consulté le )
  30. « Fab City Global Initiative », sur fab.city (consulté le )