Iftikhar Muhammad Chaudhry
Iftikhar Muhammad Chaudhry | |
Iftikhar Muhammad Chaudhry, en novembre 2008. | |
Fonctions | |
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Président de la Cour suprême du Pakistan | |
– 4 ans, 8 mois et 19 jours |
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– 3 mois et 14 jours |
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– 1 an, 8 mois et 7 jours |
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Biographie | |
Date de naissance | |
Lieu de naissance | Quetta, Baloutchistan |
Nationalité | Pakistanaise |
Diplômé de | Université du Sind |
Profession | Magistrat |
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Iftikhar Muhammad Chaudhry (en ourdou افتخارمحمدچودھری) est un juge pakistanais né le . Nommé en 2005 président de la Cour suprême du Pakistan par le général Pervez Musharraf, il a ensuite été suspendu de son poste par ce dernier, du au , et du à mars 2009, date à laquelle le Premier ministre Yousaf Raza Gilani l'a rétabli dans ses fonctions[1],[2]. Il se retire finalement le , à la date prévue de sa retraite.
Chaudhry se pose comme le défenseur des droits des simples citoyens et comme le pourfendeur de la corruption de la classe politique. En tant que président de la Cour suprême, il a ouvert de nombreux dossiers sensibles, comme les accusations de corruption contre le président Asif Ali Zardari ou le dossier des personnes disparues dans le cadre des opérations militaires dans le Baloutchistan.
Carrière de juriste
[modifier | modifier le code]Iftikhar Chaudhry a un diplôme en lettres (Bachelor of Arts) et en droit (Bachelor of Laws). Il est entré au barreau en 1974 et c'est en 1976 qu'il fut engagé en tant qu'avocat à la Haute cour et en 1985 en tant qu'avocat à la Cour suprême. En 1989 il a été nommé avocat général de la province du Baloutchistan puis fut élevé au rang de Juge additionnel à la Haute cour du Balouchistan du au . Tout en étant juge à la Haute cour, il a assumé les fonctions de juge des opérations bancaires, juge à la Cour spéciale pour les procédures accélérées, juge à la Cour d'appel des douanes ainsi que juge des entreprises. Iftikhar Chaudhry est également demeuré président de l’association du barreau de la Haute cour de Quetta (la capitale de la province), et a été élu deux fois membre au Conseil du barreau. D'autre part, il a été nommé président de l’autorité électorale du conseil régional du Balouchistan en 1992, puis en 1998 pour un deuxième mandat. Il a également œuvré en tant que président au comité d'examen provincial pour la province du Balouchistan et a été deux fois président de la Croix-Rouge pakistanaise du Balouchistan. Actuellement, Chaudhry est également président du comité d'inscription du conseil du barreau du Pakistan et président du comité des bâtiments de la Cour suprême. Il a été nommé président de la Haute cour du Baloutchistan le , et pour son travail et son ancienneté, est entré à la Cour suprême le .
Nomination à la présidence de la Cour suprême et suspension sous Musharraf
[modifier | modifier le code]Il a été désigné président de la Cour suprême du Pakistan le par le président pakistanais Pervez Musharraf. Chaudhry est le juge le plus ancien parmi les juges en exercice de cette cour, la plus élevée du pays, après la juge en chef sortante Nazim Hussain Siddiqui. Chaudhry a pris ses fonctions de président le .
Sa lutte contre Pervez Musharraf a entraîné sa suspension le 9 mars 2007 pour « abus de son autorité ». Depuis cet événement, il y a eu beaucoup d'agitation dans le pays, de débats quant à la véracité des faits reprochés, des doutes ont également été émis quant au droit de Musharraf de suspendre le président de la Cour suprême dans de telles circonstances. Le , l'arrivée de Chaudhry à Karachi, la plus grande ville du Pakistan, a été l'occasion d'affrontements entre l'opposition et les partisans de Pervez Musharraf (40 morts)[3],[2].
La suspension de Chaudhry a été la première, en cinquante ans d'histoire de la Cour suprême pakistanaise, pour mauvaise conduite. La Cour dirigée par Chaudhry a pris des décisions contre la corruption gouvernementale, y compris dans le cadre du scandale des Aciéries du Pakistan (Pakistan Steel Mills).
Le , la Cour suprême a déclaré illégale la suspension de Chaudhry, et a ordonné l'abandon des accusations portées contre lui[4].
Lors de la déclaration de la loi martiale par le président et chef d'Etat-major des armées Pervez Musharraf le , la Cour suprême a de nouveau été suspendue, et par conséquent son président. Chaudhry a depuis été mis en résidence surveillée et remplacé par Abdul Hameed Dogar. Après la démission de Musharraf en 2008 et la nomination de Yousaf Raza Gilani, il a été rétabli dans ses fonctions en .
Décisions importantes de la Cour suprême
[modifier | modifier le code]Sous la présidence de Chaudhry, la Cour suprême a pris des positions tranchées sur des sujets soulevant des débats importants dans la société et le monde politique pakistanais. L'opinion publique attribue largement ces décisions à la personnalité du président de la Cour suprême, que cela soit pour les saluer ou pour les dénoncer.
Le scandale des Aciéries du Pakistan
[modifier | modifier le code]En 2007, la Cour suprême a annulé la privatisation des Aciéries du Pakistan (en), considérant que celle-ci comportait des irrégularités.
La loi de hasba
[modifier | modifier le code]La loi dite de hasba (en), visant à l'application de la loi régionale sur la sharia de 2003, votée par l'assemblée de la province de Khyber Pakhtunkhwa, a été déclarée anticonstitutionnelle par la Cour, après avoir été saisie par le général Pervez Musharraf. La province est dominée par la coalition religieuse du Muttahida Majlis-e-Amal.
« Le gouverneur de la province peut ne pas approuver la loi de hasba sous sa forme actuelle » a déclaré Iftikhar Muhammad Chaudhry, avant d'énumérer plusieurs clauses dans la loi considérées comme inconstitutionnelles.
Les personnes disparues
[modifier | modifier le code]Beaucoup de gens au Pakistan ont « disparu », et ont prétendument été enlevés par les agences américaines du FBI et de la CIA au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Une commission de la Cour suprême, dirigée par Iftikhar Muhammad Chaudhry, avait contraint le gouvernement à rechercher les disparus et à faire cesser les abus contre des personnes. Le gouvernement a d'abord nié savoir où se trouvaient les disparus, mais certains ont été retrouvés[5], qui avaient été détenus dans des locaux de l'armée.
Autres débats pouvant relever de la Cour suprême
[modifier | modifier le code]Quelques points très importants devaient, pensent certains observateurs, être débattus à la Cour suprême dans les mois à venir :
- la double nationalité du Premier ministre Shaukat Aziz, mettant en jeu sa possibilité de rester à ce poste ;
- la possibilité pour le président Pervez Musharraf de se présenter de nouveau à l'élection présidentielle ;
- La « question de l'uniforme » concernant Pervez Musharraf, c'est-à-dire la possibilité pour lui d'être à la fois général en chef de l'armée pakistanaise et président ;
- la question de la validité des diplômes délivrés par des médersas.
Suspension en 2007
[modifier | modifier le code]La décision du président Musharraf
[modifier | modifier le code]Le président du Pakistan, le général Pervez Musharraf, a suspendu Iftikhar Chaudhry de ses fonctions le et a nommé le doyen, Javed Iqbal, président temporaire de la Cour suprême du Pakistan. Il fut par la suite précisé que c'était le juge Rana Bhagwandas qui était réellement le doyen de la Cour, mais celui-ci ne vivant plus au Pakistan, c’est Javed Iqbal, le suivant sur la liste des juges doyens, qui assure l’intérim jusqu’à son retour[6].
À la suite du limogeage d’Iftikhar Chaudhry, le président Musharraf a immédiatement fait entamer une procédure légale au Conseil judiciaire suprême (SJC), en vertu de l’article 209 de la Constitution du Pakistan, pour enquêter sur les accusations d’« inconduite et abus de pouvoir »[7].
Le juge Chaudhry a été convoqué par le président Musharraf à sa résidence militaire de Rawalpindi le vendredi et invité à expliquer sa position sur une liste d’accusations portées contre lui émanant de différentes parts. Il lui a été alors demandé de démissionner, chose que le juge Chaudhry a refusé de faire. Il a été, par voie de conséquence, retenu prisonnier pendant environ cinq heures tandis que des arrangements étaient pris ailleurs à Islamabad pour que soit rapidement nommé un remplaçant au juge en exercice. Ce n’est qu’après que le nouveau juge en chef eut prêté serment et que les procédures au Conseil judiciaire suprême eurent été lancées que Chaudhry fut relâché. Selon les analystes juridiques, cette manière de procéder est non seulement injuste et inappropriée mais également inconstitutionnelle et par conséquent illégale[2].
Les ordres du président sont venus dans l'après-midi, et en quelques minutes ont soulevé un tollé dans le pays. Beaucoup dans la confraternité juridique ont été choqués par la manière dont le premier juge du pays avait été traité. En quelques heures, le public en général et les avocats en particulier se sont ralliés à sa cause. La réaction de Chaudhry n’a pas été connue puisque depuis sa « suspension », et l’impossibilité qui lui était faite d’exercer, il était maintenu en isolement. Après sa réunion avec le président Musharraf, il est resté à l’intérieur du bureau présidentiel pendant quelques heures, et a par la suite été empêché de se rendre à la Cour suprême par les responsables de la sécurité. Il a plus tard été officieusement mis en résidence surveillée et personne, media ou autre, n’a été autorisé à l’approcher.
Les réactions
[modifier | modifier le code]Peu après la cérémonie de prestation de serment, le SJC a ouvert une session et a décidé de demander à Iftikhar Chaudhry, le , de répondre aux allégations d’inconduite qui lui étaient faites. Présidé par le juge en exercice Javed Iqbal, le SJC a également ordonné à Chaudhry de ne pas exercer ses fonctions de juge de la Cour suprême ni de président tant que le conseil n’avait pas tranché.
Selon l'avocat général du Sind, Chaudhry est toujours le président de la Cour suprême du Pakistan, et devrait être autorisé à exercer ses prérogatives. Cependant, les drapeaux de la république islamique du Pakistan et de la Cour suprême ont été enlevés de sa maison. De même, ses nom et références ont tout d’abord été retirés du site de la Cour suprême du Pakistan, puis replacés 24 heures plus tard. Officiellement, ce sont des erreurs techniques qui ont provoqué ce retrait d’information. D’après la BBC Urdu et The News (journal pakistanais), le Conseil judiciaire suprême va examiner la procédure engagée contre Chaudhry. Deux des trois juges qui siègent au Conseil sont sous le coup d'une accusation de corruption (l’un pour corruption financière, l’autre pour fraude). Le troisième juge a fait prétendument admettre sa fille dans une université médicale suivant les recommandations du ministre en chef d'une province du Pakistan.
Le , les avocats à travers le Pakistan ont commencé à boycotter toutes les procédures judiciaires pour protester contre la suspension. Dans la capitale, à Islâmâbâd, et dans d'autres villes telles que Lahore, Karachi et Quetta, des centaines d'avocats portant la robe noire ont pris part à des manifestations condamnant la suspension comme étant inconstitutionnelle. Plus de vingt avocats ont été blessés lors d’affrontements avec la police aux manifestations de Lahore. Un des slogans de protestation scandés par ces avocats et retransmis par BBC Urdu et Geo TV était « Musharraf Kutta Haey Haey » (Musharraf va-t-en, va-t-en). Ce slogan avait déjà été employé contre un des précédents dictateurs.
Le , le gouvernement a levé l'assignation à résidence de Chaudhry, après quoi il est allé, depuis Islamabad, à Lahore pour prendre la parole lors d'un rassemblement politique.
Charges citées dans la procédure
[modifier | modifier le code]Le texte intégral de la procédure contre le président de la Cour suprême du Pakistan Chaudhry a été communiqué à la presse, grâce à une fuite, le . Les principales charges retenues contre le juge Chaudhry sont les suivantes :
- le président de la Cour suprême du Pakistan a obligé des membres du gouvernement à faire admettre illégalement son fils à l’université de médecine, puis à l’engager en tant qu’officier de police (classification 18) ;
- le président de la Cour suprême du Pakistan était autorisé à utiliser une voiture 1 700 cm3, mais il a utilisé une Mercedes 3 000 cm3 et a conservé plusieurs autres véhicules pour son propre usage à Lahore, Islamabad et Karachi ;
- le président de la Cour suprême du Pakistan a exigé plus de protocole qu'il n’en méritait. Il a exigé de hauts fonctionnaires qu’ils l’accueillent aux aéroports et utilisait également des hélicoptères et des avions pour se rendre à des réceptions privées ;
- utilisation d'une voiture BMW « RAZIA 1 » par sa famille ;
- il a demandé plus d'avantages qu’il n’était habilité à en avoir.
Émeutes à Karachi
[modifier | modifier le code]Au , au moins 42 personnes avaient été tuées et 140 avaient été blessées dans les émeutes qui ont éclaté dans la ville de Karachi, la capitale de la province de Sind, et la ville la plus peuplée du Pakistan. Les routes ont été bloquées, des voitures brûlées et des centaines de personnes blessées et arrêtées. La violence a éclaté après l'arrivée de Iftikhar Muhammad Chaudhry, venu faire un discours à l’association du barreau de la ville pour le 50e anniversaire de la création de la Cour suprême pakistanaise.
Beaucoup de ceux qui ont été tués étaient des partisans de Chaudhry et des sympathisants du parti politique PPP. Plus de 800 militants ont été arrêtés, la majorité étaient des membres d’organisations syndicales et estudiantines qui avaient prévu d’accueillir Chaudhry à son arrivée.
Selon Deutsche Presse-Agentur, les affrontements ont commencé lorsque des membres du Muttahida Qaumi Movement (MQM) ont provoqué une rixe avec des membres des partis de l’opposition qui ont répliqué par des tirs armés. Le MQM, mouvement pro-gouvernemental, avait prévu de se rassembler le jour de l’arrivée de Chaudhry pour montrer leur soutien à la décision de Musharraf de suspendre le président de la Cour suprême.
Human Rights Watch (HRW), une organisation qui défend les droits de l’homme située aux États-Unis, a dit : « ceci [cette violence] peut être due à l'incompétence du gouvernement, ou à sa complicité. ». HRW déclarait aussi : « l’enchaînement des événements conduisant à cette violence, y compris les déclarations des autorités provinciales et l’arrestation de centaines d’activistes de l’opposition ces derniers jours, indiquent que le gouvernement, agissant à travers ses alliés politiques, a délibérément chercher à fomenter la violence à Karachi. »
Iftikhar Chaudhry est resté bloqué à l'aéroport international de Jinnah en raison des violences et des barrages routiers dressés aux alentours jusqu'à 20 heures.
Le gouvernement a accepté d'envoyer un hélicoptère pour le transporter hors de l'aéroport, mais Chaudhry a refusé, indiquant qu’il souhaitait voyager par voie de terre. Ne faisant aucun compromis sur ce point, il est finalement reparti à Islâmâbâd, déclarant qu’il était peu disposé à quitter l’aéroport sans sécurité suffisante ni sans son noyau d’avocats.
Poursuite des mouvements de protestation
[modifier | modifier le code]Le , plus de 50 000 personnes[8] ont acclamé Chaudhry à Abbotabad, à une cinquantaine de km d'Islâmâbâd. Le , le président Musharraf a renforcé les pouvoirs de l'instance de contrôle des radios et télévisions pakistanaises, permettant notamment la saisie des matériels des médias et la fermeture de leurs locaux[9] sur des motifs peu ou mal définis. L'opposition pakistanaise et l'ensemble des médias internationaux a analysé cette décision comme marquant la volonté du gouvernement d'empêcher radios et télévision d'effectuer des reportages sur Iftikhar Chaudhry.
Levée des charges
[modifier | modifier le code]Le , l'annonce de la Cour suprême du Pakistan, qui ordonne la levée des charges contre Chaudhry et son rétablissement dans ses prérogatives, apparaît à l'ensemble des observateurs[10] comme un revers important pour le président Musharraf.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- CJP reinstated but political differences persist, Daily Times, 19 mars 2009
- Christophe Jaffrelot, « Un gouvernement des juges ? », Le Monde diplomatique, (lire en ligne)
- On peut se reporter à l'article du site Worlpress (en anglais), qui publie les déclarations du chef de l'ONG International crisis group (ICG), et de la présidente de la Commission des droits de l'homme du Pakistan.
- Le juge Khalil ur-Rehman Ramday a annoncé que les charges contre Chaudhry étaient abandonnées à la suite d'un vote à dix voix contre trois.
- C'est par exemple le cas de Saud Memon, arrêté par le FBI, détenu au camp américain de Guantanamo, puis livré en 2005 aux autorités pakistanaises, retrouvé mourant sur un tas d'ordure de Karachi en avril 2007 : «Nous avons appris par ses codétenus relâchés en novembre que Saud Memon était aux mains des agences et qu'il était très malade», raconte Amina Janjoa, enseignante qui a pris la tête d'un groupe de familles de disparus. «Nous avons alors mis le nom de Saud sur la liste de 250 disparus que j'ai présentée à la Cour suprême. Grâce à l'intervention de la Cour, il a pu être relâché. Mais il avait perdu la mémoire et ne reconnaissait même pas ses cinq enfants. Son état de santé était pathétique. Cela nous fait craindre le pire pour les autres disparus.» Déclaration recueillie par Célia Mercier, correspondante à Islamabad du journal Libération, 24 mai 2007.
- Article 180 : À tout moment quand (a) la charge de président de la Cour suprême du Pakistan est vacante ; ou (b) le président de la Cour suprême du Pakistan est absent ou ne peut exercer les fonctions de sa charge pour n’importe quelle autre raison, le président nommera [163] [le plus ancien parmi les autres juges de la Cour suprême] pour exercer en tant que président de la Cour.
- Notamment le §6 : si, après enquête, le Conseil notifie au président qu'il est d’avis, (a) que le juge est incapable d'exercer les fonctions de sa charge ou a été coupable d’inconduite, et (b) qu'il devrait être démis de ses fonctions, le président peut démettre le juge de ses fonctions.
- Dépêche Associated Press du 2 juin 2007, 14h11.
- Dépêche de l'Agence France Presse du 4 juin 2007, 19h24.
- On peut se reporter à l'article du journal Le Monde du 20 juillet 2007.
Voir aussi
[modifier | modifier le code]- Christophe Jaffrelot, « Un gouvernement des juges ? », Le Monde diplomatique, (lire en ligne)
Articles connexes
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