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Utilisateur:Ylzkhan/Brouillon6

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Le massacre de Dersim est le massacre et la déportation de Kurdes alévis dans l'actuelle province de Tunceli, Dersim jusqu'en 1935, en Turquie, entre 1937 et 1938, par l'armée turque de Mustafa Kemal Atatürk. Plusieurs milliers de civils sont tués dans une « campagne disciplinaire », jugée nécessaire par les autorités, afin de reprendre le contrôle de cette dernière zone de non-droit où certains chefs tribaux kurdes imaginaient déjà l’indépendance du Kurdistan turc. Longtemps occultée par les différents gouvernants kémalistes, cette affaire refait surface en 1990 lorsque le sociologue İsmail Beşikci publie un livre critique intitulé La loi de Tunceli (1935) et le génocide de Dersim. Ce livre sera aussitôt censuré, comme presque tous les livres de Beşikci, et l'auteur fera près de 20 ans de prison. Le , le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan s'excusent officiellement pour ce « massacre » mais les revendications des associations kurdes et alévies restent insatisfaites.

Histoire[modifier | modifier le code]

Contexte[modifier | modifier le code]

Entre mars 1937 et septembre 1938, une campagne militaire de l'armée turque s'active dans la province de Tunceli, Dersim jusqu'en 1935, afin de reprendre le contrôle de cette dernière zone de non-droit peuplée de Kurdes alévis. Des milliers de civils sont alors tués. Ce massacre sera pendant un siècle qualifiait de « campagne disciplinaire » (tedip harekâtı) — le historien militaire Reşat Hallı reprendra ce terme dans ses écrits en 1972 — par les autorités militaires ; les politiciens et les médias préférant utiliser « mission civilisatrice ». Néanmoins, en 2009, le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan parlent pour la première fois d'un « massacre » lors d'un discours et, le , s'excuse officiellement. Ce massacre a eu lieu dans un contexte de solidification de la République de Turquie nouvellement fondée par Mustafa Kemal Atatürk en 1923, et de la répression des rebellions de Koçgiri en 1921 et du Cheikh Saïd en 1925. La campagne de Dersim était néanmoins préparée en avance et n'était en cela pas une réaction courte et directe à un mouvement de rébellion ; le président Mustafa Kemal Atatürk, mort en 1938, soutient personnellement cette opération et sa fille adoptive Sabiha Gökçen prend part aux bombardements. Après le traité de Lausanne de 1923 qui refixe les frontières turques, la République de Turquie est fondée par le fameux Mustafa Kemal Atatürk la même année ; l'hégémonie des nationalistes turcs est totale, et les autorités, influencées par le turquisme kémaliste, tentent par tout moyen de « turquifier » l'ensemble de l'Anatolie qu'ils présentent comme la région d'origine des Turcs. La région de Dersim, renommée Tunceli en 1935, était la dernière zone de non-droit où les tribus kurdes faisaient la loi. Dans un rapport de 1926, Hamdi Bey, un ancien officiel, explique que cette région est un « abcès » qui a besoin d'un traitement républicain. Le journaliste et député Naşit Uluğ publie en 1932 un petit livre intitulé Les seigneurs féodaux et Dersim dans lequel il se demande comment le « système Dersim », marqué selon lui par le féodalisme et la banditisme, pourrait être détruit. Les inspecteurs généraux İbrahim Tali, Fevzi Çakmak, et le ministre de l'Intérieur Şükrü Kaya rédigent des rapports à leur tour demandant des « réformes » dans cette région. Cette nécessité de réformes n'est pas récente puisque, durant les Tanzimat, l'Empire ottoman tente aussi la même reprise de contrôle mais sans succès. Depuis le XVIe siècle, ce sont en effet des chefs tribaux kurdes qui dirigent la région, et le pouvoir central ne peut que compter sur une coopération assez fragile. Dersim a malgré tout eu des députés au Parlement ottoman puis, à partir de 1920, au Parlement turc à Ankara.

Dersim est une région montagneuse située entre Sivas, Erzincan et Elâzığ. Selon les estimations des années 1930, elle couvre une zone de 90 km à l'est-ouest et 70 km au nord-sud, et compte près de 80 000 habitants avec moins d'un cinquième d'hommes pouvant faire la guerre selon un rapport de 1932 de la Jandarma. L'économie de cette région reposait essentiellement sur l'agriculture. Dersim abrite aussi des cavernes qui ont permis notamment aux alévis de se réfugier et de survivre. En effet, depuis le XVIe siècle, ils ont été persécutés pour hérésie par les sunnites et complaisance aux Séfévides. La première langue parlée par les habitants de Dersim, que l'on appelle les Dersimlis, était le zazaki ou le kurmandji. Le nationalisme kurde commençait à se développer parmi certains chefs tribaux qui s'inspiraient notamment du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes du président américain Woodrow Wilson, et qui croyaient de plus en plus à la création d'un État kurde indépendant. Dans son rapport, le militaire Fevzi Çakmak, au courant de la situation, demandait ainsi la purge des fonctionnaires kurdes à Erzincan. La révolte de Koçgiri en 1921 est la première rébellion marquée par le nationalisme kurde. Malgré la proclamation d'une république laïque et l'abolition du califat, les autorités persistent dans la méfiance envers les alévis. La communauté de Dersim était essentiellement composée d'alévis, et des lieux de pèlerinage étaient par exemple partagés avec les Arméniens. Dersim était par ailleurs l'un des rares endroits où la communauté arménienne était en sécurité. Après le génocide arménien, la répression des révoltes kurdes-alévis des années 1920 et la fondation de la République de Turquie en 1923, l'attention d'Ankara était tournée sur Dersim qui s'isolait de plus en plus du pouvoir central. Selon l'officiel Hamdi Bey, qui se rend dans la région en 1926, la communauté de Dersim adoptait par ailleurs des positions kurdes anti-kémalistes. La situation pour l'intégrité de la Turquie devenait de plus en plus critique. La loi sur l'installation du débute la déportation des Kurdes et l'installation de colonies turques.

Acteurs[modifier | modifier le code]

En 1935, l'armée italienne envahit l'Éthiopie et massacre des milliers de personnes. Pour l'un des proches collaborateurs d'Atatürk, le juriste Mahmut Esat Bozkurt, le mussolinisme et le kémalisme se ressemble. En 1930, il écrit que les Turcs sont les « maîtres de ce pays » et que les autres n'ont que le « droit d'être des esclaves ». En 1935, la loi de Tunceli (Tunceli Kanunu), présentée par le ministre de l'Intérieur Şükrü Kaya, est adoptée changeant ainsi le nom de la région, instaurant un état d'urgence sous le contrôle du militaire Abdullah Alpdoğan — promoteur de la « pacification » de Dersim depuis 1921 et gendre du général Nurettin Paşa qui dirigé la répression de la révolte de Koçgiri — et autorisant le remplacement des Kurdes alévis par des populations turques. Des routes, écoles, commissariats et des rails de train sont installés, et beaucoup de Dersimlis voient cela comme une agression. Dans ses rapports de 1936, Alpdoğan se félicite de l'avancée des installations militaires dans la région. Le chef tribal kurde Seyit Rıza insistait à l'inverse sur l'indépendance de Dersim et l'abolition de la loi de Tunceli. Avec d'autres chefs, il organise la révolte de Dersim. Des attaques sont menées contre des installations turques, notamment un commissariat, vers la fin de mars 1935. Le pouvoir central se sert de ces événements pour déclencher leur campagne militaire. L'armée turque investit plus de 8 600 soldats et déploie aussi l'armée de l'air, nombre supérieur à celui des insurgés. Le , le Conseil des ministres, auquel  Atatürk et Fevzi Çakmak prennent part, décident une violente attaque contre la partie ouest-centre de Dersim ; le même jour, des avions larguent des tracts qui menacent de mort ceux qui n'abonderont pas leurs armes.

La coalition des tribus menée par les chefs Rıza et Alişer — un activiste et poète talentueux qui sera décapité par son propre peuple et sa tête envoyée à Alpdoğan — avaient du mal à contrer l'avancée turque. Rıza enverra une lettre au Premier ministre turc dénonçant l'épuration des Kurdes, mais aussi à la France, au Royaume-Uni et aux États-Unis par l'intermédiaire de son ami Nuri Dersimi, sans réponse. Des messages de félicitations ont été envoyés à Alpdoğan par le président Atatürk, le ministre de l'Intérieur Kaya et le Premier ministre İnönü. Juste avant la visite d'Atatürk à Dersim, Rıza, son fils Resik Hüseyin, le chef Seyit Haso et plusieurs enfants de chefs sont exécutés. L'exécution est organisée par le juriste İhsan Sabri Çağlayangil qui deviendra ministre des Affaires étrangères en 1965. Mais la révolte continue puisque les Kurdes alévis ont peur de finir comme les Arméniens et, le , le Premier ministre Celâl Bayar insiste devant les parlementaires sur la nécessité d'« éradiquer une fois pour toute le problème Dersim ». L'armée turque pénètre alors les zones encore sous le contrôle des insurgés, c'est-à-dire Pülür, Danzik et Pah. Une dernière vaste opération est lancée le . Des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants sont massacrés, même parmi les tribus qui ont collaboré avec l'armée turque.

Le contexte[modifier | modifier le code]

L'Empire ottoman[modifier | modifier le code]

La République de Turquie[modifier | modifier le code]

« Tous, amis et ennemis, doivent savoir que le Turc est le maître de ce pays. Les autres n'ont qu'un droit ː celui d'être des esclaves. », écrit Mahmut Esat Bozkurt en 1930, l'un des plus proches collaborateurs d'Atatürk et ministre de l'Intérieur entre 1924 et 1930. Il n'hésitera d'ailleurs pas à comparer le kémalisme au fascisme de Mussolini.

La loi sur l'installation (1934)[modifier | modifier le code]

La loi n° 2510 sur l'installation (İskân Kanunu) du 14 juin 1934, promulguée au journal officiel du 21 juin 1934, prévoit des mesures visant à assimiler les Kurdes à la culture turque par des déplacements forcés ou encore l'installation de colonies turques, selon une découpe tripartite et réfléchie de la Turquie. Dans un article publié en 1994, l'anthropologue néerlandais Martin van Bruinessen, spécialiste de la question kurde, écrit que cette loi donne un « cadre légal à une politique d'ethnocide » visant principalement la population kurde. Les premières déportations commencent en effet à cette date.

La loi de Tunceli (1935)[modifier | modifier le code]

La loi n° 2884 de Tunceli (Tunceli Kanunu) du 25 décembre 1935, présentée par le ministre de l'Intérieur Şükrü Kaya et promulguée dans le journal officiel du 2 janvier 1936, complète la loi sur l'installation de 1934. Elle change le nom de « Dersim » en « Tunceli », place la région dans un état d'urgence sous le contrôlé de l'armée turque, et plus particulièrement du commandant Abdullah Alpdoğan — promoteur de la « pacification » de Dersim depuis 1921 et gendre du commandant Nurettin Paşa qui a notamment dirigé la répression de la révolte de Koçgiri —, et complète la turquification de l'est anatolien. Ainsi, des infrastructures (routes, écoles, chemins de fer, commissariats, etc.) commencent à être installées à Dersim sous la supervision des militaires, et l’œil inquiet des tribus kurdes. Dans un rapport de 1936, Alpdoğan se félicitera des avancées de ces installations.

Le déroulement[modifier | modifier le code]