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Terrorisme stochastique

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Le terrorisme stochastique désigne une communication de masse avec pour objectif d’inciter de manière aléatoire des acteurs à commettre des actes violents ou terroristes qui sont statistiquement prévisibles, mais individuellement imprévisibles".[1] C'est une violence politique ciblée, déclenchée par une rhétorique publique hostile dirigée contre un groupe ou un individu. Contrairement à l'incitation au terrorisme, le terrorisme stochastique est accompli en utilisant un langage indirect, vague ou codé qui permet à l'instigateur de rejeter de manière plausible la responsabilité de la violence qui en résulte[2]. Un élément clé est l'utilisation des médias sociaux et d'autres formes de communication distribuées où la personne qui exécute la violence n'a pas de lien direct avec les utilisateurs de la rhétorique violente.

Caractéristiques

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Bien que le terrorisme stochastique soit considéré comme un terme académique sans définition juridique formelle, il se distingue des autres formes de terrorisme par sa nature publique, indirecte et apparemment aléatoire.

  1. Le discours : Un personnage public ou un groupe diffuse une rhétorique violente et incendiaire via les médias de masse, à l'intention de personnes ou de groupes de personnes, suggérant ou légitimant parfois le recours à la violence. Ce discours tend à être protégé en raison de l'utilisation d'un langage codé ambigu, d'appels du pied, de plaisanteries, d'allusions et d'autres sous-entendus dans des déclarations qui n'atteignent pas le seuil criminel de causalité. Parmi les autres thèmes identifiés figurent les récits noir et blanc du bien contre le mal ainsi que la présentation d'un ennemi comme une menace mortelle, qui ont été comparés aux techniques de radicalisation utilisées par les groupes terroristes. Ces attaques sont souvent répétées et amplifiées à l'intérieur d'une chambre d'écho médiatique.
  2. Le ou les instigateur(s) : Ils peuvent ou non utiliser sciemment cette technique pour attaquer et intimider leurs ennemis, mais l'effet reste le même. La personnalité publique peut plausiblement rejeter toute attaque ultérieure, car ses paroles n'étaient pas un appel explicite à la violence et en raison de l'absence de lien organisationnel direct entre l'instigateur et l'auteur de l'attaque. La personnalité publique ne peut pas être poursuivie pour ses déclarations tant qu'elles ne répondent pas à la définition légale de l'incitation. Il s'agit là de la principale distinction entre le terrorisme stochastique et les autres formes de terrorisme. Aux États-Unis, l'affaire Brandenburg v. Ohio, jugée par la Cour suprême en 1969, a établi que les discours violents et incendiaires ne peuvent être érigés en infraction pénale que s'ils ont pour but et sont susceptibles d'entraîner une action illégale imminente. Cependant, Kurt Braddock prévient que les discours peuvent être très dangereux, même s'ils sont légaux.
  3. L'inspiration : Un individu ou un groupe, sans aucun lien avec des groupes terroristes connus, entend le discours et est motivé pour commettre des actes de violence contre la cible du discours, pensant que cela favorisera la réalisation d'un objectif politique ou idéologique[2],[3].
  4. L'attaque : Un attaquant commet un acte de terrorisme qui peut inclure des violences physiques, des menaces ou d'autres actes destinés à nuire, à inspirer la peur ou à intimider[4]. Les victimes peuvent recevoir ou craindre des attaques physiques, du harcèlement (en ligne) et des menaces de mort[5]. Cela peut avoir un effet dissuasif, car de nombreuses victimes n'ont pas les moyens d'assurer leur propre sécurité[6].
  5. La probabilité : Bien qu'il soit difficile de prévoir chaque acte de violence individuel en raison d'une chaîne de causalité complexe ou diffuse, le discours rend les menaces et les attaques terroristes plus probables. Ces attaques observées dans leur ensemble ont une relation statistiquement valide, même si les attaques individuelles sont trop aléatoires (stochastiques) pour être prédites avec précision[7].

Origine et vulgarisation du terme

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En 2002, le terme a été utilisé pour la première fois par Gordon Woo pour décrire un processus visant à quantifier le risque d'une attaque terroriste[8],[9],[10],[11].

Le mérite de la définition du terme revient également au blogueur G2geek, sur la plateforme Daily Kos en 2011, qui l'a défini comme "l'utilisation des communications de masse pour inciter des loups solitaires aléatoires à commettre des actes violents ou terroristes qui sont statistiquement prévisibles mais individuellement imprévisibles", avec une dénégation plausible pour ceux qui créent les messages médiatiques. L'article couvrait la fusillade de Tucson en 2011[4].

En 2016, le "terrorisme stochastique" était un terme académique "obscur" selon le professeur David S. Cohen. Lors d'un meeting de campagne le 9 août 2016, Donald Trump, alors candidat, a déclaré : "Si [Hillary Clinton] choisit ses juges, vous ne pourrez rien faire, les amis. Mais pour les défenseurs du deuxième amendement, il y a peut-être quelque chose à faire. Je ne sais pas." Ces commentaires ont été largement condamnés comme une incitation à la violence et décrits par Cohen comme du "terrorisme stochastique", popularisant ainsi le terme. Donald Trump, comme Elon Musk, ont continué d'être critiqués comme des source d'incitation à la violence.

Contre-mesures

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Les techniques antiterroristes telles que l'inoculation psychologique peuvent aider à expliquer à un large public comment fonctionnent la radicalisation et la manipulation, contribuant ainsi à atténuer l'impact des messages qui augmentent les tendances violentes. Le politologue et ancien haut fonctionnaire au département américain de la Défense Seth Jones estime qu'il serait utile d'étiqueter les groupes terroristes nationaux, comme on le fait pour les groupes internationaux, même s'il reconnaît que la plupart des actes de violence d'extrême droite sont perpétrés par des loups solitaires[12]. La chercheuse au programme Démocratie, conflits et gouvernance du Carnegie Endowment for International Peace Rachel Kleinfeld plaide pour que les actions violentes ou les menaces à l'encontre des élus, des agents électoraux et d'autres personnels essentiels au fonctionnement d'une démocratie soient classées dans une catégorie spécialement protégée, à l'instar de la classification des crimes de haine[13].

Occurrences

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Le meurtre de George Tiller en 2009 a été décrit comme un exemple de terrorisme stochastique, car de nombreuses émissions d'information et de radio conservatrices l'ont diabolisé à plusieurs reprises pour avoir pratiqué des avortements post-viabilité[14],[15],[16].

Dans leur ouvrage de 2017 intitulé Age of Lone Wolf Terrorism, le criminologue Mark S. Hamm et le sociologue Ramón Spaaij décrivent l'État islamique, Anwar al-Awlaki et Alex Jones comme étant coupables de terrorisme stochastique. Lors de la fusillade sur l'autoroute d'Oakland en 2010, Byron Williams aurait été en route vers les bureaux de l'American Civil Liberties Union (Union américaine pour les libertés civiles) et de la Tides Foundation, planifiant de commettre un meurtre de masse, "indirectement rendu possible par les théories du complot" de Glenn Beck et d'Alex Jones. Ils citent également la fusillade survenue en 2012 au Family Research Council[17].

Le meurtre en 2015 de la députée britannique Jo Cox par le suprémaciste blanc Thomas Mair avant le référendum sur le Brexit a été qualifié de terrorisme stochastique[18].

L'attentat de la mosquée de Finsbury Park, mené avec une camionnette utilisée comme véhicule-bélier dans la nuit du 18 au 19 juin 2017 à Londres, relève du terrorisme stochastique, ayant été incité par les propos de plusieurs responsables de l'extrême-droite britannique, dont le chef de l'English Defence League (EDL) Stephen Yaxley-Lennon (connu sous le pseudonyme de Tommy Robinson)[19].

Le projet d'enlèvement de Gretchen Whitmer en 2020 a été décrit comme un exemple de terrorisme stochastique[20],[21].

À la suite de l'escalade des attaques contre la communauté LGBT au début des années 2020, notamment les alertes à la bombe contre des hôpitaux pour enfants et la fusillade dans la boîte de nuit de Colorado Springs, des militants de droite tels que Matt Walsh et Chaya Raichik de Libs of TikTok ont été accusés de terrorisme stochastique[22],[23],[24].

La fusillade de Buffalo en mai 2022 et l'attaque du bureau du FBI à Cincinnati en août 2022 ont été citées comme des exemples de terrorisme stochastique[25].

L'auteur de l'attentat d'octobre 2022 contre Paul Pelosi a déclaré qu'il recherchait Nancy Pelosi et qu'il espérait intimider d'autres législateurs démocrates, des actions qui ont été décrites comme du terrorisme stochastique[26],[27],[28].

En divulguant publiquement, en février 2024, le numéro de portable de la directrice du bureau du New York Times au Mexique suite à un article qui lui avait déplu, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a été accusé par la presse de s'être livré à du terrorisme stochastique[29].

En juin 2024, deux agressions à l'arme blanche à caractère raciste ont eu lieu à Oulu, en Finlande. Les attaques ont été précédées par des années de rhétorique hostile de la part des politiciens d'extrême droite en Finlande, plus particulièrement du Parti des Finlandais[30],[31],[32].

Suite à la tentative d'assassinat de Donald Trump en juillet 2024, plusieurs commentateurs ont invoqué de manière critique le concept de terrorisme stochastique[33],[34],[35]. D'autres affirment que la menace de terrorisme stochastique a augmenté en raison de certaines réactions à la fusillade qui prétendent, sans preuve, que l'attentat était motivé par des considérations politiques[36].

Responsabilité

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A l'instar du procès d'Eichmann qui mit en évidence le peu de liens qui existaient entre les tortionnaires et l'idéologie, la pathologie ou une forme de cruauté, le trait de personnalité commune et distincte des auteurs est « la fragilité et la superficialité des esprits [...]. Ça n'était pas de la stupidité mais une authentique incapacité de penser[37],[38]». Contrairement à l'intention initiale de Hannah Arendt, la « banalité du mal » désigna un temps une théorie de la doctrine avant d'être désambiguïsée[39],[40].

  • Théorie du complot : attribution d'événements à des complots moins probables.
  • Diabolisation : caractérisation d'individus ou d'organes politiques comme étant diaboliques.
  • Diffusion de la responsabilité : phénomène social psychologique.
  • Fausse accusation : affirmation ou allégation d'actes répréhensibles qui n'est pas vraie.
  • Justification de génocide : tentative de prétendre que le génocide est une action morale.
  • Discours de haine : discours exprimant la haine envers des individus ou des groupes.
  • Petits Eichmanns (en): petites actions conduisant à la complicité dans le mal.
  • Panique morale : crainte qu'un mal menace la société.
  • Radicalisation : processus social par lequel des personnes parviennent à des opinions extrêmes.
  • Bouc émissaire : pratique consistant à désigner une partie comme étant la cible d'un traitement négatif ou d'un blâme injustifié.
  • Personne ne me débarrassera-t-il de ce prêtre turbulent ? Citation de 1170 à l'origine de l'assassinat de Thomas Becket.

Références

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  1. G2g, « Stochastic Terrorism: Part 1, triggering the shooters. », sur Stochastic Terrorism, (consulté le )
  2. a et b (en) Molly Amman, « Stochastic Terrorism: A Linguistic and Psychological Analysis », Perspectives on Terrorism, vol. 15, no 5,‎ , p. 2-13 (lire en ligne [.pdf])
  3. Hutterer, « From Sparks To Fire », , (consulté le )
  4. a et b (en-US) Jonathon Keats, « How Stochastic Terrorism Lets Bullies Operate in Plain Sight », Wired,‎ (ISSN 1059-1028, lire en ligne, consulté le )
  5. Ben Mathis-Lilley, interview par Mary Harris, The Poll Workers Targeted by Trump,  (consulté le ).
  6. Kleinfeld, « The Rise of Political Violence in the United States », Journal of Democracy (en), vol. 32, no 4,‎ , p. 160–76 (DOI 10.1353/jod.2021.0059, S2CID 239879073, lire en ligne, consulté le )
  7. (en-US) « What Is 'Stochastic Terrorism,' And Why Is It Trending? », Dictionary.com, (consulté le )
  8. Amman et Meloy, « Stochastic Terrorism: A Linguistic and Psychological Analysis », Perspectives on Terrorism, vol. 15, no 5,‎ , p. 2–13 (ISSN 2334-3745, JSTOR 27073433, lire en ligne, consulté le )
  9. Munn, « Alt-Right pipeline: Individual Journeys to extremism online », First Monday, vol. 26, no 6,‎ (DOI 10.5210/fm.v24i6.10108, lire en ligne, consulté le )
  10. Woo, « Quantitative Terrorism Risk Assessment », The Journal of Risk Finance, vol. 4, no 1,‎ , p. 7–14 (ISSN 1526-5943, DOI 10.1108/eb022949, lire en ligne, consulté le )
  11. Woo, « Insuring Against Al-Quaeda », Cambridge: National Bureau of Economic Research,‎ (lire en ligne, consulté le )
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  13. Kleinfeld, « The Rise in Political Violence in the United States and Damage to Our Democracy », Carnegie Endowment for International Peace, (consulté le )
  14. Crockett, « Trump's 2nd Amendment comment wasn't a joke. It was 'stochastic terrorism.'  », Vox.com, (consulté le )
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  16. (en-US) David S. Cohen, « Trump's Assassination Dog Whistle Was Even Scarier Than You Think », Rolling Stone,‎ (lire en ligne, consulté le )
  17. Mark S. Hamm, Ramón Spaaij et Simon Cottee, The Age of Lone Wolf Terrorism, New York City, Columbia University Press, coll. « Studies in transgression », (ISBN 978-0-231-54377-4, lire en ligne)
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  19. (en) Sarah Archibald, « EDL hails Finsbury Park terror attack » Accès libre,
  20. Amman et Meloy, « Incitement to Violence and Stochastic Terrorism: Legal, Academic, and Practical Parameters for Researchers and Investigators », Terrorism and Political Violence, Terrorism Research Initiative, vol. 15, no 5,‎ , p. 2–13 (ISSN 0954-6553, DOI 10.1080/09546553.2022.2143352, S2CID 254907232, lire en ligne)
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  26. (en) Bryn Nelson, « How Stochastic Terrorism Uses Disgust to Incite Violence », sur Scientific American, (consulté le )
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