Concert de casseroles

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Un concert de casseroles ou casserolade est une protestation populaire consistant à frapper des ustensiles domestiques de métal pour lancer un charivari, permettant aux citoyens de se manifester.

Il est pratiqué en France dès 1832 par des milliers de personnes pour dénoncer la monarchie de Juillet, puis au siècle suivant, à la fin de la guerre d'Algérie et sous la dictature militaire d'Augusto Pinochet au Chili, sous forme non-violente dans un contexte où manifester est dangereux. Il se généralise au XXIe siècle comme lors de la révolution islandaise de 2008, du mouvement des indignés de 2011 en Espagne ou du mouvement contre la réforme des retraites de 2023 en France.

Efficacité et non-violence[modifier | modifier le code]

Ces concerts sont présentés par les observateurs de la non-violence comme relevant de campagnes non-violentes et comme des « opérations diffuses », car de nature différente des manifestations populaires dites « concentrées » qui, elles, rassemblent des milliers de protestataires sur un même lieu [1].

Adaptés aux situation de couvre-feu, quand les manifestations sont dangereuses, selon José Del Poso, professeur d'histoire spécialisé en histoire latino-américaine de l'Université du Québec à Montréal (UQAM)[2], leur efficacité s'appuie sur des « barrières morales, matérielles et communicationnelles » plus basses pour les rejoindre[1]. Selon Marcos Ancelovici, sociologue des conflits sociaux à l’Université du Québec à Montréal, la casserole est « plus qu’une simple interpellation de l’Etat », car elle « renvoie aux besoins de la population, à ses préoccupations privées »[3].

Histoire[modifier | modifier le code]

Organisée le plus souvent pour dénoncer une « mauvaise gestion gouvernementale », pour le sociologue Marcos Ancelovici[4], elle est devenue une « arme de contestation massive » et « un point commun », aux « révoltes du monde entier » [5].

Moyen-Âge[modifier | modifier le code]

L'Antiquité a connu de nombreuses fêtes populaires, avec défilés agités et bruyants, dont les Bacchanales et les Saturnales sont les mieux connues. Le Moyen-Âge occidental a eu la Fête des fous, puis la pratique du carnaval s'est imposée, dont le Carnaval de Paris : la mise à mort du Bonhomme Hiver (ou du vieux monde) est une réjouissance importante. Une forme de critique sociale peut s'y manifester, au moins symboliquement.

Dans le domaine germanique, les célébrités indésirables (médisantes) pouvaient être promenées avec au cou la Pierre des Bavards (Klapperstein) : en témoigne le Klapperstei de Mulhouse, forme de pilori mobile, peine afflictive et infamante.

Au XIXe siècle, revivifiant des traditions carnavalesques, les Sociétés festives et carnavalesques organisent généralement des mascarades, manifestations festives sonores : Sociétés bigophoniques, Fanfares des Beaux-Arts, sans revendication autre que de ferveur partagée, avec une certaine dose de parodie.

XIXe siècle[modifier | modifier le code]

Charivari (lithographie de Grandville).

Sous la monarchie de Juillet, les opposants républicains au nouveau régime utilisent cette pratique reprise du charivari traditionnel à l'encontre du gouvernement et de ses préfets. Les manifestations de ce type atteignent en 1832 la dimension d'une campagne nationale, au cours de laquelle se conjuguent une centaine de ces événements. Chacun d'eux dure plusieurs heures, se répète parfois plusieurs jours et peut impliquer de quelques dizaines à plusieurs milliers de personnes, le plus souvent la nuit [6].

XXe siècle[modifier | modifier le code]

Algérie[modifier | modifier le code]

Concert de casseroles à Alger en 1961.

Le phénomène apparait vers 1961 comme une forme de protestation populaire des pieds-noirs favorables au maintien de l'Algérie française, contre la politique gaullienne d'autodétermination et l'indépendance du pays. Au cours de concerts nocturnes, souvent organisés à l'initiative de l'OAS, les habitants, montés sur les terrasses, ou depuis leur balcon, scandent sur des casseroles en style télégraphique trois brèves et deux longues symbolisant Al-gé-rie fran-çaise[7].

Chili[modifier | modifier le code]

Tract appelant à participer à la troisième protestation nationale au Chili le 12 juillet 1983.

Ils ont eu lieu au Chili, d'abord par des femmes de la bourgeoisie protestant contre les pénuries de nourriture sous Allende[5],[8], puis par les femmes des milieux populaires sous la dictature du général Augusto Pinochet[5],[9],[10],[2], pour protester contre le couvre-feu[10], alors que toute forme de manifestation est sévèrement punie et que «les citoyens risquaient les coups de matraque et pouvaient même être tués», selon José Del Poso, professeur d'histoire spécialisé en histoire latino-américaine de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Ils ont en particulier lieu le 11 de chaque mois pour rappeler la violence du Coup d'État du 11 septembre 1973[11]. Entre juin et octobre 1983, ces concerts accompagnent cette fois une crise économique, causée notamment par la chute des cours du cuivre, qui affaiblit le général Pinochet[12]. Ils sont à nouveau constatés lors des manifestations de la fin des années 2010 au Chili, également en période de couvre feu[3] et au bilan humain très lourd, qui conduisent la classe politique chilienne à s'accorder sur l'organisation le 25 octobre 2020 d'un Référendum sur un changement de constitution ainsi que sur la convocation d'une assemblée constituante chargée de sa rédaction.

XXIe siècle[modifier | modifier le code]

Afrique[modifier | modifier le code]

Algérie[modifier | modifier le code]

Pendant la période du Hirak en Algérie, qui a débuté en février 2019, de nombreux manifestants sont descendus dans les rues pour exprimer leur mécontentement envers le pouvoir en place. Parmi les symboles de cette mobilisation, on retrouve notamment l'utilisation de casseroles[13], qu'on frappe pour produire un bruit assourdissant[14], comme une forme de protestation pacifique.

Burkina Faso[modifier | modifier le code]

Au Burkina Faso en 2022, l'Association de défense des intérêts des consommateurs, qui regroupe plusieurs mouvements différents, a organisé dans la capitale, un concert de casseroles pour exiger une baisse du prix du carburant à la pompe, relayé dans quelques secteurs de la ville de Ouagadougou. Plusieurs femmes ont fait valoir que les hausses des prix des hydrocarbures à la pompe se sont répercutées sur les produits de grande consommation, en particulier[15],[16].

Maroc[modifier | modifier le code]

Au Maroc, au cours de l'année 2017, plusieurs milliers de personnes ont participé à un tel concert, nouvelle forme de contestation dans le nord du pays, théâtre pendant six mois de manifestations contre « l’Etat corrompu », la police se faisant très discrète. La province d’Al-Hoceïma avait été secouée par une série de manifestations fréquentes depuis la mort fin octobre 2016 d’un vendeur de poisson, broyé dans une benne à ordures[17].

Sénégal[modifier | modifier le code]

23 juin 2022, un concert de casseroles a retenti pendant plusieurs minutes à Dakar à l’appel du principal opposant sénégalais, à l’approche des élections législatives de juillet, alors que le Conseil constitutionnel venait de confirmer l’invalidation le 3 juin de la liste nationale des titulaires de la coalition Yewwi Askan wi. Des habitants de tous les âges sont sortis à 20 heures dans la rue ou sur leur balcon, tapant sur leurs ustensiles de cuisine pour faire un maximum de bruit[18].

Gabon[modifier | modifier le code]

Le concert des casseroles est repris par la population gabonaise au début de l'année 2021 pour contester les mesures de restriction décrétées par le gouvernement visant à lutter contre la progression de la Covid-19. Jugées liberticides, ces mesures impopulaires poussent une partie de la population gabonaise à organiser des concerts de casseroles devant les fenêtres durant le couvre-feu pour exprimer son mécontentement. Bien qu'il se veuille et qu'il soit majoritairement non violent, ce mouvement donne lieu à des débordements à Libreville, des jeunes en colère ayant violé l'interdiction, érigé des barricades, allumé des incendies et jeté des projectiles sur les forces de l'ordre ; les affrontements avec la police font deux morts du côté des contestataires et plusieurs blessés[19].

Europe[modifier | modifier le code]

Le mot cacerolazo vient de cacerola en espagnol, qui signifie « casserole ». Le suffixe azo désigne un coup (de perforation ou de suppression) d'action, et a été étendu métaphoriquement à toute sorte de manifestation de choc.

France[modifier | modifier le code]
2016[modifier | modifier le code]

En 2016, parmi les grèves et manifestations contre la loi El Khomri, des « Casseroles debout » (en référence au mouvement social Nuit debout), sont organisées dans 350 villes « dès 19h30 » pour des « échanges, débats, apéro »[20].

2023[modifier | modifier le code]

Ces concerts ont progressivement pris de l'ampleur en 2023, lors du mouvement social contre la réforme des retraites. François Ruffin a proposé que les Français s'installent à la fenêtre avec sifflets ou casseroles, et le slogan « Macron démission »[21], tous les lundis dans leurs villes et villages, à 20 h 49 min 3 s, pendant la période de pause publicitaire sur toutes les chaînes. Le , 2 000 personnes participent à Nantes à un concert de casseroles[22]. La semaine suivante, Emmanuel Macron promulgue la loi quelques heures après le feu vert du Conseil constitutionnel puis annonce une allocution télévisée le surlendemain à 20 h, déclenchant un appel de l'association Attac[23] à des concerts de casseroles à la même heure, qui sont ensuite constatés devant environ 400 mairies et préfectures, deux lundis de suite à 20 h[24].

« C'est pas des casseroles qui feront avancer la France », répond Emmanuel Macron en visite en Alsace deux jours après, à nouveau accueilli par un concert de casseroles[25], en estimant ne pas avoir « le droit de s’arrêter »[26] car «  si on est dans une société où on n'écoute que les gens qui veulent faire du bruit pour couvrir des paroles, on ne s'en sort pas »[25].

Le lundi suivant la casserolade du 17 avril, une autre a lieu devant plus de 400 mairies, dont la plupart des mairies d'arrondissement de Paris, où les manifestants partent ensuite poursuivre leur concert dans la Gare de Lyon, ralentissant le retour à Paris du ministre de l'Éducation Pap N'Diaye[27]. À Nantes, où plusieurs centaines de personnes ont participé, un homme de 37 ans subit dans la nuit l’ablation d’un testicule, touché vers 22 h par un tir de LBD à l’entrejambe[28]. Quatre jours après, un sondage Odoxa pour Le Figaro montre qu'une majorité de la population (70 %) « comprend » les « casserolades »[29].

Jurisprudence contre les arrêtés les interdisant[modifier | modifier le code]

En France, fin avril 2023, des arrêtés interdisent « les dispositifs sonores amplificateurs de son » lors de trois visites consécutives, en quelques jours, d’Emmanuel Macron en Alsace, Languedoc et France-Comté, amenant les gendarmes à confisquer des casseroles à de « nombreux manifestants »[30]. Ils sont d'abord pris par le préfet du Loir-et-Cher puis par celui de l’Hérault. Le premier est suspendu par le tribunal administratif d’Orléans dans l’après-midi du 25 avril[31], ce qui amène le préfet du Doubs à retirer son arrêté le lendemain, lors d'un troisième déplacement du président de la République[32].

Espagne[modifier | modifier le code]

Les manifestants ont organisé en 2004 à Barcelone un bref concert de casseroles pour dire « non au forum de la spéculation et de l'hypocrisie », en dénonçant une vaste opération immobilière sur le front de mer[33].

Islande[modifier | modifier le code]

Amérique latine[modifier | modifier le code]

Argentine[modifier | modifier le code]
Manifestation et cacerolazo à Buenos-Aires en 2002 ; sur la bannière se lit « Banques voleuses - redonnez-nous nos dollars ».
Chili[modifier | modifier le code]

Les manifestations qui ont eu lieu au Chili le n'avaient pas vraiment un caractère spontané, mais étaient organisées en sous main par la droite et l'extrême-droite contre le gouvernement de l'unité populaire et le président Salvador Allende.

Colombie[modifier | modifier le code]
  • décembre 2012
  • juin 2017
  • novembre 2019
Honduras[modifier | modifier le code]

Mexique[modifier | modifier le code]

Uruguay[modifier | modifier le code]
Venezuela[modifier | modifier le code]
Cacerolazo à Caracas en 2013.

Amérique du Nord[modifier | modifier le code]

Canada[modifier | modifier le code]

Le recours aux concerts de casseroles s'est développé au Canada à partir du pendant la grève étudiante québécoise de 2012 afin de protester contre les entraves au droit de grève et de manifester. Ce jour-là, le gouvernement du Québec faisait adopter la Loi 78, une loi visant à mettre un frein aux piquets de grève et à plusieurs délits commis dans les manifestations, comme la casse ou l'outrage au travail de la police. De fortes amendes sont notamment prévues dans cette législation, pour les grévistes commettant ces délits. Ce mode de protestation se répandit très vite dans tout le Québec et surtout dans les quartiers du centre de l'île de Montréal[34].

Ils ont ainsi été utilisés dans 70 villes au Canada lors de la grève étudiante québécoise du printemps 2012[5] contre la hausse des droits d'inscription, une page Facebook relayant l'appel[35].

Arts et culture populaire[modifier | modifier le code]

La référence au concert de casseroles est « devenue instrumentale de hip-hop » pour la rappeuse franco-chilienne Ana Tijoux car elle « s’en sert pour poser ses rimes »[5] sur son tube contestataire #Cacerolazo.

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b "Pouvoir de la non-violence: Pourquoi la résistance civile", par Erica Chenoweth et Maria J. Stephan, en 2021
  2. a et b "Manifestations de casseroles: l'histoire qui résonne", par Annie_Mathieu, dans Le Soleil le 26 mai 2012 [1]
  3. a et b "La casserole, arme de contestation massive" par Guillaume Carel, le 26 novembre 2019, dans Le Temps
  4. Marcos Ancelovici est sociologue des conflits sociaux à l’Université du Québec à Montréal
  5. a b c d et e La casserole, arme de contestation massive, article dans le quotidien suisse Le Temps par Guillaume Carel le 26 novembre 2019 [2]
  6. Hélène Combis, « De la monarchie de Juillet à François Fillon, petite histoire de la casserole comme outil politique », France Culture,‎ (lire en ligne).
  7. Ces casseroles, ces sifflets, ces klaxons Al-gé-rie française, ont quelque chose d'émouvant. Cela a duré deux heures sans une seconde d'interruption. Ce n'est plus de l'hystérie, mais un cri désespéré, interminable, qui remue les plus endurcis. Voilà comment on est balancé continuellement entre deux mondes qui s'entretuent, pleurent, souffrent, appellent au secours : cri dérisoire des casseroles, quête pathétique d'un impossible miracle. Cela ne me fait pas oublier les autres, les miens qui ne finissent pas de tomber, de se faire haïr et ne parviendront sans doute jamais à émouvoir leur vis-à-vis car il y a longtemps qu'on se refuse à les prendre pour des hommes. Extrait de Mouloud Feraoun, Journal, 1955-1962, Éditions du Seuil, 1962
  8. Le Point le 25/04/2023 [3]
  9. "Rock poblacional chileno : marginalité et discours de la transgression", par Emmanuelle Rimbot, dans la revue Cahiers du Criccal en 2000 [4]
  10. a et b Le vacarme de casseroles : des échos d'Amérique latine", Radio Canada, par Lili Boisvert 2012-05-24 [5]
  11. "Les chemins de paix", page 18 [6]
  12. "D'où viennent les concerts de casseroles ?" par Margaux Lacroux, dans Libération le 25 septembre 2017 [7]
  13. « En Algérie, les casseroles de la colère », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  14. « Grande poste à Alger. Concert de casseroles. Degg el mahras en soutien aux détenus d'opinion | By algerie-focus.COM | Facebook », sur www.facebook.com (consulté le )
  15. « Hausse des prix des Hydrocarbures : Des associations annoncent « un concert de casseroles » pour protester », sur Faso7
  16. Yaya Boudani, « https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220910-burkina-faso-concert-de-casseroles-pour-protester-contre-la-hausse-du-carburant », sur Radio France internationale,
  17. Maroc : concert de casseroles à Al-Hoceïma contre « l’Etat corrompu » le 7 mai 2017, par l'AFP, sur le site de Jeune Afrique [8]
  18. « Au Sénégal, concert de casseroles et de klaxons à l’appel de l’opposition », sur Le Monde,
  19. [9]
  20. François Vignal, « Loi travail : après « Nuit Debout », « Casseroles Debout » veut faire du bruit », sur Public Sénat,
  21. Article dans La Dépêche le 25 mars 2023 [10]
  22. « Réforme des retraites : près de 2 000 personnes à Nantes pour un concert de casseroles » dans Le Figaro avec AFP, le 4/04/2023 [11]
  23. « L'association Attac France, à l'origine de l'appel, a recensé lundi "plus de 370 rassemblements" à travers le pays" », article sur France Info le 17 avril 2023 [12]
  24. « [VIDEO] REPLAY. « Retraites : la Nupes veut déposer une nouvelle motion de censure, Sandrine Rousseau appelle à se mobiliser "en masse" le 1er mai » », sur ladepeche.fr (consulté le )
  25. a et b « C'est pas des casseroles qui feront avancer la France », dit Emmanuel Macron en Alsace, dans Le Figaro avec AFP [13]
  26. r Damien Dole, « Privé de courant par la CGT puis hué, Macron gronde : « Ce n’est pas avec des casseroles qu’on fera avancer la France » », sur Libération,
  27. AFP 24 avril [14]
  28. 20 Minutes, 25 avril 2023 [15]
  29. Le Figaro 28 avril 2023
  30. France 3, 21 avril 2023 [16]
  31. Vingt Minutes le 21 avril 2023 [17]
  32. Vingt Minutes le 27/04/23 [18]
  33. Article dans L'Obs le 12 mai 2004 [19]
  34.  : Global noise, site lesindignesduquebec.wordpress.com.
  35. "Conflit étudiant : les casseroles résonnent hors des frontières du Québec" sur Radio-Canada le 31 mai 2012 [20]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]