Grande Ciguë

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La Ciguë tachetée ou Grande Ciguë[1] (Conium maculatum L.) est une plante herbacée bisannuelle de la famille des Apiacées (Ombellifères). Très toxique, elle était à la base du poison officiel des Athéniens.

Histoire

Jadis, la ciguë Conium maculatum était considérée comme une plante magique associée à la magie noire.

Dans l'acte III de Macbeth, les sorcières préparent toutes sortes de philtres magiques : « … oreille d'un singe noir et de la ciguë arrachée un soir. Remplissez la chaudière et bouillez l'ensemble afin qu'opère ce mélange infernal, ce charme sans égal. »

Socrate est mort après avoir bu de la ciguë alors que Mithridate VI s'en est immunisé en absorbant régulièrement des doses croissantes[2].

Description

La ciguë est une plante herbacée ronde, à tiges dressées, pouvant atteindre 1 à 2 mètres de hauteur.

Les tiges entièrement glabres (sans poils, mais couvertes d'une pruine bleuâtre, détersile), cylindracées, creuses, cannelées, très rameuses, sont tachetées de rouge-pourpre notamment dans la partie inférieure. Elles se prolongent par une racine principale pivotante. La tige ne se développe que lors de la deuxième année de croissance à partir de la racine principale en forme de carotte grêle blanchâtre, donnant quatre rangées de racines secondaires.

Les feuilles sont alternes, molles, à limbe grossièrement triangulaire, très découpées et divisées (composées deux ou trois fois). Elles atteignent jusqu'à 50 cm de longueur sur 40 de large. Leur pétiole est creux et tacheté.

Les fleurs, qui n'apparaissent généralement que la seconde année, sont petites, blanches, longuement pédiculées et groupées en ombelles, composées de 10 à 20 rayons d'ombellules d'inégale longueur (15-30 mm).

Les fruits sont des noix de 3 mm sur 2 mm, ovoïdes à sphériques, munis de dix côtes longitudinales saillantes.

La plante tout entière dégage une odeur désagréable, rappelant l'urine de souris ou de chat, surtout quand on la froisse.

Distribution

Cette espèce est spontanée dans toutes les régions tempérées de l'Eurasie, en Afrique du Nord et dans le sous-continent indien, maintenant acclimatée en Amérique du Nord[3].

La plante pousse dans les endroits frais, les haies et les friches, au bord des chemins et des cours d'eau.

Propriétés et utilisations

La plante contient dans toutes ses parties, notamment les fruits, au moins cinq alcaloïdes violemment toxiques, avec principalement la conine (encore appelée coniine, conicine ou cicutine) et la γ-conicéine. Leur teneur en fonction de la localisation (variant sensiblement selon la maturation et les conditions climatiques) est la suivante :

  • fruits verts : 0,73-0,98 %
  • fruits mûrs : 0,50 %
  • fleurs : 0,09-0,24 %
  • feuilles : 0,03-0,18 %
  • tiges : 0,01-0,08 %
  • racines : 0,05 %

Quelques grammes de fruits verts suffiraient théoriquement à provoquer la mort d'un être humain. Les oiseaux semblent être réfractaires, le cheval et l'âne y sont peu sensibles, mais elle est donnée comme poison violent pour les bovins, les lapins et les carnivores. Chez le mouton, elle provoque contractures musculaires, mâchonnements, écume, grincements de dents, spasmes musculaires, coma et mort.

Chez l'homme, l'ingestion de ciguë provoque dans l'heure qui suit des troubles digestifs (surtout quand la racine est utilisée), des vertiges et céphalées, puis des paresthésies, une diminution de la force musculaire, et enfin une paralysie ascendante. Des convulsions et des rhabdomyolyses ont été rapportées, suivies d'insuffisance rénale pouvant entraîner la mort. Par contre, la mort par « paralysie respiratoire », relatée et relayée depuis la scène de Socrate, n'a pas encore été attestée par la toxicologie moderne pour la ciguë isolée, d'où l'hypothèse d'un mélange probable de ciguë, de datura et d'opium dans le poison de la Grèce antique (voir les excellentes observations du Phédon de Platon, ci-dessous).

Lors de rares intoxications accidentelles, on a parfois invoqué une confusion possible de sa racine avec le panais, le céleri, le navet, et même de la plantule avec le persil, mais le risque apparaît bien maigre en raison de la grande différence de taille, l'odeur nettement désagréable (le persil a une odeur agréable caractéristique) et les taches rouges sur les tiges, toujours absentes chez le persil.

Toutefois, un cas d'empoisonnement avéré prouve que l'odeur et la description ne suffisent pas à décourager certaines personnes de consommer cette plante. Le 4 mai 1922, à L'Orignal, petite municipalité majoritairement francophone de l'Ontario, au Canada, sept membres d'une famille qui en comptait neuf, périrent en l'espace de quatre heures, après avoir consommé de la racine de ciguë bouillie. Seuls les deux plus jeunes enfants survécurent. La famille était celle de Charles Napoléon Langevin dit Lacroix et de Marie-Louise Charlebois. Le Comité du Patrimoine de L'Orignal, qui occupe les aires de l'ancienne prison de cette localité, conserve quelques documents rappelant cette tragédie, dont le signet mortuaire commun pour les sept défunts, avec une photographie de chacun d'eux, ainsi que l'édition du 12 mai 1922 du Eastern Ontario Review Weekly de Vankleek Hill (Vol. XXIX, No 19) qui rapportait tous les détails de ce fait divers, incluant les rapports du médecin et du coroner, ainsi que les témoignages du médecin appelé sur les lieux et des voisins qui assistèrent à l'agonie des victimes; tous décrivirent les symptômes typiques de l'empoisonnement à la ciguë.

Autrefois longtemps administrée par voie interne ou externe par de nombreux médecins, elle a été utilisée pour presque toutes les maladies, en phytothérapie comme en homéopathie. De récentes recherches en Ontario (Canada) tendent à présenter la grande ciguë comme la « limousine » des médications anticancéreuses.

Phédon : Récit de la mort de Socrate

Le philosophe grec Socrate fut condamné à mort par ingestion d'une solution à base de ciguë en 399 av. J.-C.. Malade, Platon n'ayant pu assister aux derniers instants de son maître, a reconstitué la célèbre scène dans Phédon, d'après le récit de plusieurs disciples. Voici le passage décrivant les symptômes :

« Socrate se coucha sur le dos, comme l'homme le lui avait recommandé. Celui qui lui avait donné le poison, le tâtant de la main, examinait de temps à autre ses pieds et ses jambes ; ensuite, lui ayant fortement pincé le pied, il lui demanda s'il sentait quelque chose. Socrate répondit que non. Il lui pinça ensuite le bas des jambes et, portant les mains plus haut, il nous faisait voir ainsi que le corps se glaçait et se raidissait. En le touchant encore, il déclara que quand le froid aurait gagné le torse, Socrate s'en irait. Déjà la région du bas-ventre était à peu près refroidie lorsque, levant son voile, car il s'était voilé la tête, Socrate dit, et ce fut sa dernière parole : « Criton, nous devons un coq à Asclepios ; payez-le, ne l'oubliez pas. — Oui, ce sera fait, dit Criton, mais vois si tu as quelque autre chose à nous dire. » À cette question il ne répondit plus ; mais quelques instants après il eut un sursaut. L'homme le découvrit : il avait les yeux fixes. En voyant cela, Criton lui ferma la bouche et les yeux. »

Ce récit nous apprend aussi que la préparation était réalisée extemporanément, en quantité précise pour « une dose mortelle », et devait être bue jusqu'à la dernière goutte. Le condamné devait marcher après avoir bu afin de favoriser la diffusion rapide des toxines dans l'organisme[réf. nécessaire]. Les spasmes, les yeux exorbités et le faciès tragique des intoxiqués par la ciguë ne correspondent pas à l'état d'inconscience et de sérénité de Socrate dans le récit. Pour cette raison, on a avancé l'hypothèse que la boisson létale des Grecs contenait d'autres poisons comme le datura pour en renforcer la toxicité, et de l'opium pour en diminuer la conscience et neutraliser les convulsions. Une autre hypothèse est que Platon fournit un récit adouci de sa fin pour des raisons politiques et pour lui donner une « mort noble »[4].

Notes et références

  1. La réforme de l’orthographe de 1990 recommande cigüe.
  2. Pierre Aldebert, « Poisons et venins » [PDF], sur www.cermav.cnrs.fr, (consulté le )
  3. (en) Eva Castells, Mark A Berhow, Steven F Vaughn, May R Berenbaum, « Geographic variation in alkaloid production in Conium maculatum populations experiencing differential herbivory by Agonopterix alstroemeriana », Journal of chemical ecology, vol. 31, no 8,‎ , p. 1693-1709 (ISSN 0098-0331, PMID 16222803)
  4. (en) A D Dayan, « What killed Socrates ? Toxicological considerations and questions », Postgraduate Medical Journal, no 85,‎ , p. 34-37 (DOI 10.1136/pgmj.2008.074922)

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