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=== L'invention de l'eurodollar ===
=== L'invention de l'eurodollar ===
Les premières transactions d’eurodollars ont lieu à la fin des années 1950 à Londres mais aussi en Italie<ref>{{Article|langue=en|prénom1=Ioan Achim|nom1=Balaban|titre=Banking and Eurodollars in Italy in the 1950s|périodique=Enterprise & Society|volume=24|numéro=3|pages=759–783|date=2023-09|issn=1467-2227|issn2=1467-2235|doi=10.1017/eso.2022.11|lire en ligne=https://www.cambridge.org/core/product/identifier/S1467222722000118/type/journal_article|consulté le=2024-03-14}}</ref>, puis en France à Paris<ref>{{Article|langue=en|prénom1=Ioan Achim|nom1=Balaban|titre=The establishment of the Eurodollar market in Paris and the failure of regulation and reform, 1959–1964|périodique=Business History|pages=1–23|date=2023-04-26|issn=0007-6791|issn2=1743-7938|doi=10.1080/00076791.2023.2202909|lire en ligne=https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00076791.2023.2202909|consulté le=2024-03-14}}</ref>. Les banques anglaises effectuent les premières transactions pour profiter des différences entre les politiques monétaires britannique et états-unienne<ref>{{Article|langue=en|prénom1=Catherine R.|nom1=Schenk|titre=The Origins of the Eurodollar Market in London: 1955–1963|périodique=Explorations in Economic History|volume=35|numéro=2|pages=221–238|date=1998-04|doi=10.1006/exeh.1998.0693|lire en ligne=https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S0014498398906933|consulté le=2024-03-14}}</ref>. La [[Banque d'Angleterre|banque d’Angleterre]] laisse faire, voir encourage ces opérations.
Les premières transactions d’eurodollars ont lieu à la fin des années 1950 à Londres mais aussi en Italie<ref>{{Article|langue=en|prénom1=Ioan Achim|nom1=Balaban|titre=Banking and Eurodollars in Italy in the 1950s|périodique=Enterprise & Society|volume=24|numéro=3|pages=759–783|date=2023-09|issn=1467-2227|issn2=1467-2235|doi=10.1017/eso.2022.11|lire en ligne=https://www.cambridge.org/core/product/identifier/S1467222722000118/type/journal_article|consulté le=2024-03-14}}</ref>, puis en France à Paris<ref>{{Article|langue=en|prénom1=Ioan Achim|nom1=Balaban|titre=The establishment of the Eurodollar market in Paris and the failure of regulation and reform, 1959–1964|périodique=Business History|pages=1–23|date=2023-04-26|issn=0007-6791|issn2=1743-7938|doi=10.1080/00076791.2023.2202909|lire en ligne=https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00076791.2023.2202909|consulté le=2024-03-14}}</ref>. Les banques anglaises effectuent les premières transactions pour profiter des différences entre les politiques monétaires britannique et états-unienne<ref>{{Article|langue=en|prénom1=Catherine R.|nom1=Schenk|titre=The Origins of the Eurodollar Market in London: 1955–1963|périodique=Explorations in Economic History|volume=35|numéro=2|pages=221–238|date=1998-04|doi=10.1006/exeh.1998.0693|lire en ligne=https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S0014498398906933|consulté le=2024-03-14}}</ref>. La [[Banque d'Angleterre|Banque d’Angleterre]] laisse faire, voir encourage ces opérations.


=== Stabilisation du marché et première expansion ===
=== Stabilisation du marché et première expansion ===
Dans les années qui suivent, un véritable marché émerge et commence à attirer l'attention de la presse financière et des régulateurs qui se réunissent à la [[Banque des règlements internationaux]] pour définir exactement ce marché (plusieurs définitions sont possibles et ne se recoupent que partiellement) et commencer à estimer sa taille<ref>Jean-Baptiste Pons (2020) La genèse des Euromarchés. Thèse de doctorat de l'Université PSL</ref>. Ils se développe du fait notamment de la législation américaine : les États-Unis continuent de réguler les [[taux d'intérêt]] que les banques commerciales peuvent appliquer aux dépôts de leurs clients sur le territoire américain. Un nombre croissant de banques et d'entreprises décident d'envoyer une part de leurs réserves libellées en dollars sur les marchés européens, afin d'obtenir des taux d'intérêt plus élevés<ref name=":1">{{Ouvrage|prénom1=Fritz|nom1=Bartel|titre=The triumph of broken promises: the end of the Cold War and the rise of neoliberalism|éditeur=Harvard University Press|date=2022|isbn=978-0-674-97678-8|consulté le=2023-11-01}}</ref>. En 1970, les euromarchés sont estimés à 80 milliards de dollars<ref name=":1" />.
Dans les années qui suivent, un véritable marché émerge et commence à attirer l'attention de la presse financière et des régulateurs qui se réunissent à la [[Banque des règlements internationaux]] pour définir exactement ce marché (plusieurs définitions sont possibles et ne se recoupent que partiellement), acter son existence et commencer à estimer sa taille<ref name=":3">Jean-Baptiste Pons (2020) La genèse des Euromarchés. Thèse de doctorat de l'Université PSL</ref>. Ils se développe du fait notamment de la législation américaine : les États-Unis continuent de réguler les [[taux d'intérêt]] que les banques commerciales peuvent appliquer aux dépôts de leurs clients sur le territoire américain. Un nombre croissant de banques et d'entreprises décident d'envoyer une part de leurs réserves libellées en dollars sur les marchés européens, afin d'obtenir des taux d'intérêt plus élevés<ref name=":1">{{Ouvrage|prénom1=Fritz|nom1=Bartel|titre=The triumph of broken promises: the end of the Cold War and the rise of neoliberalism|éditeur=Harvard University Press|date=2022|isbn=978-0-674-97678-8|consulté le=2023-11-01}}</ref>. Le système des eurodollars est également utilisé par l'[[Union des républiques socialistes soviétiques]] pendant la [[Guerre froide]] afin de réutiliser des dollars américains qu'elle avait obtenus. Ils passent notamment par la City à Londres et par la [[Banque commerciale pour l'Europe du Nord - Eurobank|Banque commerciale pour l'Europe du Nord]] à Paris<ref name=":02">{{Ouvrage|langue=Fr|auteur1=Bruno Fuligni (dir.)|titre=Dans les archives inédites des services secrets|lieu=Paris|éditeur=Folio|date=2012|isbn=978-2070448371}}</ref>. En 1970, les euromarchés sont estimés à 80 milliards de dollars<ref name=":1" />.


=== Intensification à partir des années 1970 ===
=== Intensification à partir des années 1970 ===
Pénalisés par une baisse de leurs recettes, libellées en dollars, et en réaction à la [[guerre du Kippour]], les pays producteurs de pétrole provoquent fin 1973 une augmentation brutale des prix du baril de pétrole par une baisse de la production. Le baril passe de {{unité|1.9|dollar}} à {{unité|9.76|dollars}} : c'est le [[premier choc pétrolier]]<ref name="Soros" />. Cette nouvelle donne permet la mise en place du système de [[pétrodollar]] : les contrats pétroliers étant libellés en dollars américains, un circuit macroéconomique se crée par lequel les pays exportateurs de pétrole, recevant des sommes de plus en plus importantes en dollars en échange de leur pétrole, réinvestissent leurs réserves de dollars ou bien aux États-Unis, ou bien en Europe sur les euromarchés<ref>{{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Ali|nom1=Laïdi|titre=Les États en guerre économique|éditeur=[[Éditions du Seuil]]|date=2010-09-23|isbn=978-2-02-102638-2|lire en ligne={{Google Livres|id=3N9m7CnSp98C|page autre=PT90}} |consulté le=2021-08-20}}.</ref>. Ces eurodollars financent les marchés financiers européens. Pendant les dix premiers mois de l'année 1974, les pays de l'OPEP ayant généré 45 milliards de dollars de ventes de pétrole, déposent 16,5 milliards dans les euromarchés, et 10,5 milliards aux États-Unis<ref name=":1" />.
Pénalisés par une baisse de leurs recettes, libellées en dollars, et en réaction à la [[guerre du Kippour]], les pays producteurs de pétrole provoquent fin 1973 une augmentation brutale des prix du baril de pétrole par une baisse de la production. Le baril passe de {{unité|1.9|dollar}} à {{unité|9.76|dollars}} : c'est le [[premier choc pétrolier]]<ref name="Soros" />. Cette nouvelle donne permet la mise en place du système de [[pétrodollar]] : les contrats pétroliers étant libellés en dollars américains, un circuit macroéconomique se crée par lequel les pays exportateurs de pétrole, recevant des sommes de plus en plus importantes en dollars en échange de leur pétrole, réinvestissent leurs réserves de dollars ou bien aux États-Unis, ou bien en Europe sur les euromarchés<ref>{{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Ali|nom1=Laïdi|titre=Les États en guerre économique|éditeur=[[Éditions du Seuil]]|date=2010-09-23|isbn=978-2-02-102638-2|lire en ligne={{Google Livres|id=3N9m7CnSp98C|page autre=PT90}} |consulté le=2021-08-20}}.</ref>. Ces eurodollars financent les marchés financiers européens. Pendant les dix premiers mois de l'année 1974, les pays de l'OPEP ayant généré 45 milliards de dollars de ventes de pétrole, déposent 16,5 milliards dans les euromarchés, et 10,5 milliards aux États-Unis<ref name=":1" />.


De plus, des innovations socio-techniques permettent de diminuer les coûts sur ce marché, dont notamment la chambre de compensation [[:en:Clearing_House_Interbank_Payments_System|CHIPS]] (''Clearinghouse Interbank Payments System'') et les technologies de communication de [[Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication|SWIFT]]<ref name=":4">{{Chapitre|langue=en|prénom1=Stefano|nom1=Battilossi|titre chapitre=International Money Markets: Eurocurrencies|titre ouvrage=Handbook of the History of Money and Currency|éditeur=Springer Singapore|date=2020|pages totales=269–314|isbn=978-981-13-0595-5|doi=10.1007/978-981-13-0596-2_57|lire en ligne=http://link.springer.com/10.1007/978-981-13-0596-2_57|consulté le=2024-03-14}}</ref>.
Entre 1970 et 1982, le montant des dépôts bancaires en dollars effectués par des non-Américains dans le monde est multiplié par 40, pour atteindre {{nombre|2000}} milliards de dollars<ref>{{Ouvrage|auteur1=[[Dominique Barjot]]|auteur2=Christophe Réveillard|directeur1=oui|directeur2=oui|titre=L'Américanisation de l'Europe occidentale au {{s-|XX}} : mythe et réalité|éditeur=Université Paris-Sorbonne|année=2001|passage=149}}.</ref>. En décembre 1985, le marché de l'[[euromonnaie]] était estimé par [[J.P. Morgan & Co.]] comme ayant une valeur totale nette de {{unité|1668 milliards}} de dollars, dont 75 % d'eurodollars<ref>{{en}} Harold G. Vatter and John F. Walker (ed.), ''History of the U.S. Economy since World War II'', Sharpe, 1996.</ref>.

Entre 1970 et 1982, le montant des dépôts bancaires en dollars effectués par des non-Américains dans le monde est multiplié par 40, pour atteindre {{nombre|2000}} milliards de dollars<ref>{{Ouvrage|auteur1=[[Dominique Barjot]]|auteur2=Christophe Réveillard|directeur1=oui|directeur2=oui|titre=L'Américanisation de l'Europe occidentale au {{s-|XX}} : mythe et réalité|éditeur=Université Paris-Sorbonne|année=2001|passage=149}}.</ref>. En décembre 1985, le marché de l'[[euromonnaie]] était estimé par [[J.P. Morgan & Co.]] comme ayant une valeur totale nette de {{unité|1668 milliards}} de dollars, dont 75 % d'eurodollars<ref>{{en}} Harold G. Vatter and John F. Walker (ed.), ''History of the U.S. Economy since World War II'', Sharpe, 1996.</ref>. Le marché des eurodollars est dans les années 1980 la plus grande source de financement mondial. En 1997, près de 90 % de tous les prêts internationaux ont été accordés par le biais des eurodollars<ref name="Shaxson">{{ouvrage|langue=en|auteur=Nicholas Shaxson|titre=Treasure Islands|lieu=London|éditeur=The Bodley Head|année=2011|isbn=978-1-84792-110-9}}</ref>.


L'autre cause du développement des euromarchés est l'emballement des [[Balance commerciale|déficits commerciaux]] et des [[Déficit budgétaire et déficit public|déficits budgétaires]] des États-Unis, liés à la [[guerre du Viêt Nam]] et à la hausse des taux d'intérêt. Les importations américaines, payées aux pays européens en dollars, provoquent un transfert de dollars des entreprises américaines aux comptes en banque des entreprises européennes. Ces entreprises placent alors leurs dollars américains sur les euromarchés<ref>{{Ouvrage|langue=en|prénom1=Paolo|nom1=Savona|prénom2=George|nom2=Sutija|titre=Eurodollars and International Banking|éditeur=Springer|date=1985-05-20|isbn=978-1-349-07120-3|lire en ligne=https://books.google.com/books?id=ptuuCwAAQBAJ&newbks=0&printsec=frontcover&pg=PA50&dq=Eurodollars&hl=en|consulté le=2021-09-06}}.</ref>.
L'autre cause du développement des euromarchés est l'emballement des [[Balance commerciale|déficits commerciaux]] et des [[Déficit budgétaire et déficit public|déficits budgétaires]] des États-Unis, liés à la [[guerre du Viêt Nam]] et à la hausse des taux d'intérêt. Les importations américaines, payées aux pays européens en dollars, provoquent un transfert de dollars des entreprises américaines aux comptes en banque des entreprises européennes. Ces entreprises placent alors leurs dollars américains sur les euromarchés<ref>{{Ouvrage|langue=en|prénom1=Paolo|nom1=Savona|prénom2=George|nom2=Sutija|titre=Eurodollars and International Banking|éditeur=Springer|date=1985-05-20|isbn=978-1-349-07120-3|lire en ligne=https://books.google.com/books?id=ptuuCwAAQBAJ&newbks=0&printsec=frontcover&pg=PA50&dq=Eurodollars&hl=en|consulté le=2021-09-06}}.</ref>.


=== Premières crises ===
Le système des eurodollars a été notamment utilisé par l'[[Union des républiques socialistes soviétiques]] pendant la [[Guerre froide]] afin de réutiliser des dollars américains qu'elle avait obtenus. Ils passent notamment par la City à Londres et par la [[Banque commerciale pour l'Europe du Nord - Eurobank|Banque commerciale pour l'Europe du Nord]] à [[Paris]]<ref name=":02">{{Ouvrage|langue=Fr|auteur1=Bruno Fuligni (dir.)|titre=Dans les archives inédites des services secrets|lieu=Paris|éditeur=Folio|date=2012|isbn=978-2070448371}}</ref>.
En 1974, la faillite de la petite banque allemande [[Herstatt]] provoque la première grande crise de ce marché<ref name=":4" /> (au début des années 1960, des faillites de moindre envergures étaient déjà survenues)<ref name=":3" />. L'accès au liquidité se contracte brutalement et les taux d'intérêt interbancaires explosent. Elle montre les risques systémiques que ce nouveau système et conduit, avec d'autres facteurs, à la création du [[Comité de Bâle]]. En 1982, le défaut souverain mexicain et [[Crise de la dette des pays en voie de développement|la crise]] qui s'ensuit entraîne de nouvelles tensions sur le marché de l'eurodollar, et relance les débats sur la règlementation à adopter et les reponsabilités des différentes banques et États.


=== La crise de 2007-2008 et ses conséquences ===
Le marché des eurodollars est dans les années 1980 la plus grande source de financement mondial. En 1997, près de 90 % de tous les prêts internationaux ont été accordés par le biais des eurodollars<ref name="Shaxson">{{ouvrage|langue=en|auteur=Nicholas Shaxson|titre=Treasure Islands|lieu=London|éditeur=The Bodley Head|année=2011|isbn=978-1-84792-110-9}}</ref>.
[[Bâle I|Les accords de Bâle 1]] signés en 1988 et, plus généralement, la stabilité macroéconomique des années 1990 et du début des années 2000 diminuent le risque perçu, comme en témoigne le rapprochement des taux de l'eurodollar et du dollar domestique. Le marché continue son expansion. Il se concentre dans quelques grandes banques dont dépendent tous les autres participants. Lorsque [[Crise financière mondiale de 2007-2008|la crise des supbrimes]] éclate, le marché se fige et menace la survie de nombreuses banques. Les banques impliquées se dirigent vers leurs correspondants états-uniens, ce qui met [[Federal Funds|le marché domestique du dollar]] en tension. La [[Réserve fédérale des États-Unis|Fed]] se résout à intervenir et autorise les banques centrales d'autres pays à fournir des liquidités en dollars aux banques qui dépendent de leurs juridictions. Depuis, le marché des eurodollars reste important mais reste en-deçà des niveaux observés auparavant<ref name=":4" />.


== Références ==
== Références ==

Version du 14 mars 2024 à 18:17

Les eurodollars sont les dollars américains déposés dans des banques situées en dehors des États-Unis, et notamment en Europe. Alors que les marchés financiers nationaux étaient compartimentés dans les années 1940, les années 1950 voient la création d'innovations financières qui permettent aux pays européens, qui disposent de plus en plus de dollars grâce à l'intensification de leurs exportations vers les États-Unis, de placer leurs dollars sur les marchés financiers anglais puis continentaux. Les marchés d'eurodollars sont l'une des causes de la financiarisation de l'économie mondiale.

Plusieurs facteurs concourent, à partir des années 1960, à la forte croissance des marchés eurodollars : la nécessité pour le bloc de l'Est d'accéder aux marchés financiers pendant la Guerre froide, l'émergence du système des pétrodollars, des réformes fiscales américaines rendant plus rentable pour les entreprises de ne pas rapatrier leurs profits sur le sol américain.

Concept

Le système de l'eurodollar a eu plusieurs utilités. Premièrement, les banques européennes ont pu se servir de ces nouvelles réserves en dollar pour payer des banques étasuniennes lorsqu'elles avaient obtenu des avances d'elles dans le cadre du fonctionnement régulier du marché interbancaire. Ensuite, les eurodollars stockés dans les coffres des banques européennes ont servi à ces dernières à financer des multinationales ou des banques d'investissement qui avaient besoin de dollars. Enfin, les eurodollars permettaient aux banques européennes, via des accords de swap, d'échanger des dollars contre des devises locales plus rares lorsqu'elles en avaient besoin[1].

Ainsi, des pays en développement qui découvraient des gisements pétroliers, comme le Mexique, le Venezuela, l'Indonésie ou le Nigeria, ont pu obtenir des eurodollars pour financer les prospections et les extractions. D'une manière plus globale, les eurodollars ont permis à des États de garantir une stabilité financière. En effet, certains pays européens avaient besoin d'attirer des capitaux étrangers pour lutter contre les sorties de capitaux qui mettaient en danger le Serpent monétaire européen[2].

Il est à noter que les prêts d'eurodollars par les banques ne génèrent pas d'inflation. En effet, étant basés la possession de dollars existant préalablement, ils ne provoquent pas une expansion de la masse monétaire[3]. Aussi, les eurodollars ne constituent-ils pas une devise à part entière, mais sont appelés ainsi en référence à leur origine (le dollar américain) et à leur lieu de placement (l'Europe)[4].

Histoire

L'invention de l'eurodollar

Les premières transactions d’eurodollars ont lieu à la fin des années 1950 à Londres mais aussi en Italie[5], puis en France à Paris[6]. Les banques anglaises effectuent les premières transactions pour profiter des différences entre les politiques monétaires britannique et états-unienne[7]. La Banque d’Angleterre laisse faire, voir encourage ces opérations.

Stabilisation du marché et première expansion

Dans les années qui suivent, un véritable marché émerge et commence à attirer l'attention de la presse financière et des régulateurs qui se réunissent à la Banque des règlements internationaux pour définir exactement ce marché (plusieurs définitions sont possibles et ne se recoupent que partiellement), acter son existence et commencer à estimer sa taille[8]. Ils se développe du fait notamment de la législation américaine : les États-Unis continuent de réguler les taux d'intérêt que les banques commerciales peuvent appliquer aux dépôts de leurs clients sur le territoire américain. Un nombre croissant de banques et d'entreprises décident d'envoyer une part de leurs réserves libellées en dollars sur les marchés européens, afin d'obtenir des taux d'intérêt plus élevés[9]. Le système des eurodollars est également utilisé par l'Union des républiques socialistes soviétiques pendant la Guerre froide afin de réutiliser des dollars américains qu'elle avait obtenus. Ils passent notamment par la City à Londres et par la Banque commerciale pour l'Europe du Nord à Paris[10]. En 1970, les euromarchés sont estimés à 80 milliards de dollars[9].

Intensification à partir des années 1970

Pénalisés par une baisse de leurs recettes, libellées en dollars, et en réaction à la guerre du Kippour, les pays producteurs de pétrole provoquent fin 1973 une augmentation brutale des prix du baril de pétrole par une baisse de la production. Le baril passe de 1,9 dollar à 9,76 dollars : c'est le premier choc pétrolier[2]. Cette nouvelle donne permet la mise en place du système de pétrodollar : les contrats pétroliers étant libellés en dollars américains, un circuit macroéconomique se crée par lequel les pays exportateurs de pétrole, recevant des sommes de plus en plus importantes en dollars en échange de leur pétrole, réinvestissent leurs réserves de dollars ou bien aux États-Unis, ou bien en Europe sur les euromarchés[11]. Ces eurodollars financent les marchés financiers européens. Pendant les dix premiers mois de l'année 1974, les pays de l'OPEP ayant généré 45 milliards de dollars de ventes de pétrole, déposent 16,5 milliards dans les euromarchés, et 10,5 milliards aux États-Unis[9].

De plus, des innovations socio-techniques permettent de diminuer les coûts sur ce marché, dont notamment la chambre de compensation CHIPS (Clearinghouse Interbank Payments System) et les technologies de communication de SWIFT[12].

Entre 1970 et 1982, le montant des dépôts bancaires en dollars effectués par des non-Américains dans le monde est multiplié par 40, pour atteindre 2 000 milliards de dollars[13]. En décembre 1985, le marché de l'euromonnaie était estimé par J.P. Morgan & Co. comme ayant une valeur totale nette de 1 668 milliards de dollars, dont 75 % d'eurodollars[14]. Le marché des eurodollars est dans les années 1980 la plus grande source de financement mondial. En 1997, près de 90 % de tous les prêts internationaux ont été accordés par le biais des eurodollars[15].

L'autre cause du développement des euromarchés est l'emballement des déficits commerciaux et des déficits budgétaires des États-Unis, liés à la guerre du Viêt Nam et à la hausse des taux d'intérêt. Les importations américaines, payées aux pays européens en dollars, provoquent un transfert de dollars des entreprises américaines aux comptes en banque des entreprises européennes. Ces entreprises placent alors leurs dollars américains sur les euromarchés[16].

Premières crises

En 1974, la faillite de la petite banque allemande Herstatt provoque la première grande crise de ce marché[12] (au début des années 1960, des faillites de moindre envergures étaient déjà survenues)[8]. L'accès au liquidité se contracte brutalement et les taux d'intérêt interbancaires explosent. Elle montre les risques systémiques que ce nouveau système et conduit, avec d'autres facteurs, à la création du Comité de Bâle. En 1982, le défaut souverain mexicain et la crise qui s'ensuit entraîne de nouvelles tensions sur le marché de l'eurodollar, et relance les débats sur la règlementation à adopter et les reponsabilités des différentes banques et États.

La crise de 2007-2008 et ses conséquences

Les accords de Bâle 1 signés en 1988 et, plus généralement, la stabilité macroéconomique des années 1990 et du début des années 2000 diminuent le risque perçu, comme en témoigne le rapprochement des taux de l'eurodollar et du dollar domestique. Le marché continue son expansion. Il se concentre dans quelques grandes banques dont dépendent tous les autres participants. Lorsque la crise des supbrimes éclate, le marché se fige et menace la survie de nombreuses banques. Les banques impliquées se dirigent vers leurs correspondants états-uniens, ce qui met le marché domestique du dollar en tension. La Fed se résout à intervenir et autorise les banques centrales d'autres pays à fournir des liquidités en dollars aux banques qui dépendent de leurs juridictions. Depuis, le marché des eurodollars reste important mais reste en-deçà des niveaux observés auparavant[12].

Références

  1. (en) Suk H. Kim et Seung H. Kim, Global Corporate Finance: Text and Cases, John Wiley & Sons, (ISBN 978-1-4051-5224-2, lire en ligne)
  2. a et b George Soros, La crise du capitalisme mondial, Plon, p. 159.
  3. (en) Federal Reserve Bank of St Louis, Review, The Bank, (lire en ligne)
  4. Max Crochat, Le Marché des eurodevises, Éditions de l'Épargne, (lire en ligne)
  5. (en) Ioan Achim Balaban, « Banking and Eurodollars in Italy in the 1950s », Enterprise & Society, vol. 24, no 3,‎ , p. 759–783 (ISSN 1467-2227 et 1467-2235, DOI 10.1017/eso.2022.11, lire en ligne, consulté le )
  6. (en) Ioan Achim Balaban, « The establishment of the Eurodollar market in Paris and the failure of regulation and reform, 1959–1964 », Business History,‎ , p. 1–23 (ISSN 0007-6791 et 1743-7938, DOI 10.1080/00076791.2023.2202909, lire en ligne, consulté le )
  7. (en) Catherine R. Schenk, « The Origins of the Eurodollar Market in London: 1955–1963 », Explorations in Economic History, vol. 35, no 2,‎ , p. 221–238 (DOI 10.1006/exeh.1998.0693, lire en ligne, consulté le )
  8. a et b Jean-Baptiste Pons (2020) La genèse des Euromarchés. Thèse de doctorat de l'Université PSL
  9. a b et c Fritz Bartel, The triumph of broken promises: the end of the Cold War and the rise of neoliberalism, Harvard University Press, (ISBN 978-0-674-97678-8)
  10. Bruno Fuligni (dir.), Dans les archives inédites des services secrets, Paris, Folio, (ISBN 978-2070448371)
  11. Ali Laïdi, Les États en guerre économique, Éditions du Seuil, (ISBN 978-2-02-102638-2, lire en ligne).
  12. a b et c (en) Stefano Battilossi, « International Money Markets: Eurocurrencies », dans Handbook of the History of Money and Currency, Springer Singapore, , 269–314 p. (ISBN 978-981-13-0595-5, DOI 10.1007/978-981-13-0596-2_57, lire en ligne)
  13. Dominique Barjot (dir.) et Christophe Réveillard (dir.), L'Américanisation de l'Europe occidentale au XXe siècle : mythe et réalité, Université Paris-Sorbonne, , p. 149.
  14. (en) Harold G. Vatter and John F. Walker (ed.), History of the U.S. Economy since World War II, Sharpe, 1996.
  15. (en) Nicholas Shaxson, Treasure Islands, London, The Bodley Head, (ISBN 978-1-84792-110-9)
  16. (en) Paolo Savona et George Sutija, Eurodollars and International Banking, Springer, (ISBN 978-1-349-07120-3, lire en ligne).