Aller au contenu

Dé-commémoration

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
La Chute de la colonne Vendôme, Bruno Braquehais, place Vendôme, Paris,

La dé-commémoration est un phénomène social de destruction ou de modification profonde des représentations matérielles du passé dans l'espace public.

Définition

[modifier | modifier le code]

La dé-commémoration est l'ensemble des « processus dans lesquels les représentations matérielles et publiques du passé sont retirées, détruites ou fondamentalement modifiées[1] ».

Le néologisme dé-commémoration est calqué sur le même néologisme en anglais. Il permet d'exprimer l'idées que les déboulonnages sont aussi une forme de commémoration[2], qui élargit le répertoire symbolique d'une société[3]. La dé-commémoration donne une impression de liberté par rapport au passé, mais la démarche de démolition d'un monument renforce la signification symbolique de celui-ci et amène ensuite à une négociation. Le déshonneur même lui redonne de l'importance[4], alors que les plaques commémoratives et monuments qui rappellent le passé dans l’espace public sont très souvent ignorés dans la vie quotidienne. D'autre part, les revendications de dé-commémoration manifestent une adhésion de leurs promoteurs au recours au paysage mémoriel comme espace commun[2].

Trois types de pratiques peuvent être relevées. La plus répandue est la désacralisation, c'est-à-dire la profanation et la destruction[5]. La deuxième pratique est le recadrage, qui consiste à montrer le passé controversé en le recontextualisant ou en lui donnant un sens nouveau. Cela passe notamment par l'ajout de plaques explicatives ou le renommage des espaces mémoriels et des rues. Il s'agit de changer le statut des monuments ou des paysages[6]. La troisième pratique, l'obsolescence planifiée, est plus rare : on construit des monuments à durée de vie limitée pour critiquer les véritables monuments institués ou on les installe pour faire éclater une polémique et ainsi provoquer leur démolition[7].

La dé-commémoration, qui n'est pas un phénomène social récent[8], relève de cinq démarches différentes[9]. Elle peut être consécutive à un changement de régime politique et a alors pour but d'adapter le paysage symbolique. C'est le cas par exemple en France après le Premier Empire, dans les pays colonisés après leur indépendance ou après l'effondrement des régimes communistes en Europe de l'Est[10].

La dé-commémoration peut aussi être liée à une transformation sociétale qui fait apparaître comme anachronique des monuments ou des toponymes, par exemple en tentant de réduire la surreprésentation des statues ou odonymes masculins, ou en Nouvelle-Zélande quand il s'agit de faire une place à la mémoire maorie[11]. Elle peut aussi résulter d'une action militante, d'une mobilisation qui a pour but de provoquer des changements dans le paysage mémoriel. C'est le type de dé-commémoration, comme celle menée à la suite du mouvement Black Lives Matter, ou dans les pays d'Amérique latine confrontées à l'héritage du colonialisme, ou dans les ports européens à propos de la traite occidentale, qui est le plus médiatique, ne particulier la décolonisation de l'espace public[12].

La dé-commémoration est aussi parfois un écran de fumée, une manœuvre de la part de responsables pour empêcher un changement politique ou escamoter un débat sur le passé, comme en Namibie postcoloniale[13]. Enfin, elle conduit, plus rarement, à une transformation de la manière de penser la mémoire, à reconsidérer la commémoration elle-même. Cela arrive rarement parce la tendance est à remplacer le monument détruit par un autre de sens différent mais du même type. Toutefois, la dé-commémoration amène aussi à interroger et à modifier les cadres législatifs des usages mémoriels et parfois à recourir à des outils technologiques nouveaux[14].

Références

[modifier | modifier le code]
  1. Sarah Gensburger et Jenny Wüstenberg, « Introduction », dans Sarah Gensburger et Jenny Wüstenberg (dir.), Dé-commémoration : Quand le monde déboulonne des statues et renomme des rues, Paris, Fayard, (ISBN 978-2-213-72205-4), p. 7-18.
  2. a et b Sarah Gensburger, « Pourquoi déboulonne-t-on des statues qui n’intéressent (presque) personne ? », sur The Conversation, (consulté le ).
  3. Admas et Guttel-Klein 2022, p. 604-605.
  4. Admas et Guttel-Klein 2022, p. 607-608.
  5. Admas et Guttel-Klein 2022, p. 610-612.
  6. Admas et Guttel-Klein 2022, p. 610-615.
  7. Admas et Guttel-Klein 2022, p. 615-617.
  8. Admas et Guttel-Klein 2022, p. 607.
  9. Gensburger et Wüstenberg 2023, p. 11.
  10. Gensburger et Wüstenberg 2023, p. 12.
  11. Gensburger et Wüstenberg 2023, p. 12-14.
  12. Gensburger et Wüstenberg 2023, p. 14-16.
  13. Gensburger et Wüstenberg 2023, p. 16.
  14. Gensburger et Wüstenberg 2023, p. 16-17.

Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie

[modifier | modifier le code]

Articles connexes

[modifier | modifier le code]

Liens externes

[modifier | modifier le code]