Juliette Delagrange

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Juliette Delagrange, née le à Besançon dans le Doubs et morte le à Paris[1], fut surintendante d’usine, secrétaire du Conseil de perfectionnement des écoles d'infirmières au ministère de l'Assistance et de l'Hygiène publique (1922).

Biographie[modifier | modifier le code]

Jeunesse[modifier | modifier le code]

Juliette Delagrange naît dans une famille protestante d’imprimeurs à Besançon. Elle est la fille de Charles Delagrange et de Marie-Louise Louys. Elle fait ses études secondaires au lycée de jeunes filles de cette ville. Elle travaille dans l’imprimerie de ses parents, qui connaît des difficultés en raison de la gestion défectueuse de son père.

L'École des surintendantes d'usine[modifier | modifier le code]

Juliette prend un poste de préceptrice chez un industriel de Belfort. Ses loisirs sont consacrés aux Unions chrétiennes de jeunes filles ou à des œuvres protestantes. À la déclaration de guerre, ses élèves partent pour la Suisse et Juliette se retrouve sans travail.

En , Cécile Brunschvicg (1877-1946), membre du Conseil national des femmes françaises (CNFF), Marie Diémer, Renée Lydie Charlotte Marguerite Loppin de Montmort, Marie Routier, secrétaire chargée des affaires sociales du président Raymond Poincaré, Henriette Viollet (1872-1960)[2] fondent l'École des surintendantes d'usine[3]. Elles veulent former des femmes pour occuper des postes de « directrices surveillantes sociales » dans les usines où les hommes en âge de se battre ont laissé la place à des femmes, en particulier dans les usines d’armement. Les sessions de formation sont de six mois[4].

En , elle intègre la deuxième promotion de cette jeune école. Elle effectue son stage de surintendante à l’arsenal de Puteaux.

Carrière professionnelle d'une surintendante[modifier | modifier le code]

Diplômée en , elle prend un poste à la Pyrotechnie de Bourges, dirigée par le général Appert, où 15 000 ouvriers et ouvrières fabriquent des munitions. Après l’armistice, les surintendantes trouvent à se placer auprès des préfets des régions libérées, au nord et à l'est du pays, pour organiser la coordination des œuvres sociales[5].

À sa démobilisation, elle est nommée en 1919 inspectrice déléguée du ministère des Régions libérées pour l’hygiène et l’assistance aux populations, pour le département du Nord, à la préfecture de Lille. Elle crée un ensemble d’œuvres sociales, des consultations, des ouvroirs, des bibliothèques, des sanatoriums. Elle a progressivement sous ses ordres vingt-sept infirmières visiteuses. Elle s’attache particulièrement à la création et à la direction de la colonie scolaire de Camiers, qui accueille 11 000 enfants chaque année. L’Association des travailleuses sociales (ATS), présidée par Hélène Gervais-Courtellemont, sœur du préfet Lallemand[6], nomme Juliette en tant que secrétaire générale.

En 1922, après le décès accidentel d’Hélène, Juliette Delagrange devient présidente de l’ATS[7].

Engagement au ministère de l'Hygiène[modifier | modifier le code]

Nommée au ministère de l’Hygiène[8], Juliette Delagrange centralise les questions relatives aux services d’hygiène et l’assistance dans les huit départements des régions libérées : Aisne, Nord, Marne, Oise, Meurthe-et-Moselle, Somme, Pas-de-Calais, Ardennes. Elle a sous ses ordres neuf inspectrices déléguées et cent infirmières visiteuses, et s’appuie sur les œuvres privées nombreuses dans ces régions. Elle choisit d’habiter à la périphérie de Paris, 32, rue des Minimes, à Vincennes.

La création d’un Conseil de perfectionnement des écoles d'infirmières découle de l’application du décret du instituant le diplôme d’État d’infirmière et de visiteuse. Sous la présidence du Pr Maurice Letulle (1853-1929) et la vice-présidence de Léonie Chaptal, membre du Conseil supérieur de l'Assistance publique, elle exerce la fonction de secrétaire[9]. C’est elle qui prépare les séances du Conseil et essaie de donner suite aux décisions prises : arrêtés, circulaires, diplômes d'État, correspondances. Mais la tâche est trop lourde. En fait, le Conseil n’a pas les ressources humaines pour faire appliquer ses décisions jusqu’à la création du Bureau central des infirmières en , dont il devient un des services[10].

La fondation Rockefeller[11] rétribue Juliette Delagrange et son adjointe, Mlle Séguénot. Juliette Delagrange est chargée de l'application des programmes d'enseignement pour obtenir le diplôme d’État, de l’habilitation des écoles d’infirmières existantes, de la création et du développement de nouvelles écoles d’infirmières, de la surveillance de leur fonctionnement et de l’organisation des sessions d’examens dans la France entière. Ce Bureau est d’abord rattaché à l'Office national d'hygiène sociale, sous l'autorité du directeur de l'Assistance et de l'Hygiène publiques.

Puis, en 1934, il est rattaché au ministère de la Santé publique, et fonctionne comme l'un de ses services réguliers. Juliette Delagrange exerce la fonction de secrétaire de ce Conseil de perfectionnement des écoles d'infirmières, qui dépend de la direction de l'Assistance et de l'Hygiène publique. Elle est à ce titre chargée de susciter la création et le développement de nouvelles écoles d’infirmières, de surveiller leur fonctionnement et d’organiser des sessions d’examens dans la France entière. Elle y siège aux côtés d’Anna Hamilton, Mlle Fumey, directrice de l'hôpital civil de Reims, Jeanne de Joannis, directrice de l'École d'infirmières de l'Association pour le développement d'assistance aux malades (ADAM), Mme Chardayre, déléguée de l'Union des femmes de France (UFF), membre de l’Union catholique des services sanitaires et sociaux (UCSS), Mme Delafontaine, inspectrice des écoles de visiteuses d'hygiène sociale du Comité national de défense contre la tuberculose, Mlle Garcin, directrice de l'École d'infirmières de Strasbourg, Marguerite Grenier, surveillante générale de l'École d'infirmières de l'Assistance publique de Paris, Mme Haloua, directrice de l'École d'infirmières visiteuses de Lille, Mlle d'Haussonville, déléguée de la Société de secours aux blessés militaires (SSBM).

Juliette Delagrange est l’agent de liaison entre l’administration et les écoles, et réussit parfois à obtenir en faveur de celles-ci une aide matérielle pour leur construction. C’est le cas pour Lyon, Nancy, Lille, Bordeaux, Nantes, Montpellier. Elle obtient et gère une ligne budgétaire pour le fonctionnement des écoles d’infirmières et l’attribution de bourses d’études aux jeunes filles peu fortunées. Elle se bat pour que seules des infirmières ayant le diplôme d’État occupent les postes à pourvoir. Elle établit le fichier des infirmières et infirmiers de toutes spécialisations existant en France, soit 24 404 en 1930.

En 1928, elle est favorable à la scission de ce Conseil en deux instances. Elle siège aussi au Conseil de perfectionnement des écoles du service social. Elle est une cheville ouvrière de la naissance du diplôme d’assistante sociale en 1932.

Engagement auprès d'œuvres privées[modifier | modifier le code]

À côté de ce travail administratif, elle est sollicitée pour participer à la création de l’Association d’hygiène sociale de l’Aisne (AHSA) en 1923 et pour être membre du conseil d’administration du sanatorium de Chantoiseau créé par la Fondation Edith-Seltzer, œuvre protestante fondée par Madeleine Seltzer et sa sœur Éveline.

Organisatrice de la Conférence internationale du service social à Paris en 1928[modifier | modifier le code]

En 1928, le Pr René Sand[12], secrétaire de la Ligue des sociétés Croix-Rouge, souhaite organiser la première grande conférence internationale du service social, mais il rencontre de vives oppositions. En France, Juliette Delagrange soutient son projet qui reçoit l’appui de personnalités aussi diverses qu’Albert Thomas, ancien ministre, directeur du Bureau international du travail, (BIT), Adéodat Boissard, secrétaire général de l'Association internationale pour le progrès social, Jules Brisac, directeur de l'Office national d'hygiène sociale, Mgr Chaptal, ainsi que celui de plusieurs grandes animatrices d’œuvres privées : Marie Diémer, Léonie Chaptal, Renée de Montmort, Georges Getting (1877-1943), présidente fondatrice du Service social à l’hôpital, Marie-Jeanne Bassot, Apolline de Gourlet.

En , René Sand ouvre la première séance de la première Conférence internationale par une allocation de Louis Loucheur, ministre du Travail, devant 2 500 participants venant de quarante-deux pays. Devant la virulence des luttes de tendances, un Comité français de service social, né pour la préparation de cette conférence, ne reçoit ses statuts qu’en 1936. C’est à Juliette Delagrange que revient l’honneur de prendre la tête de la délégation française aux Conférences internationales du Service social à Francfort-sur-le-Main () et à Londres (12-).

Engagements féministes[modifier | modifier le code]

En outre, Juliette Delagrange est membre du comité central de l’Union française pour le suffrage des femmes[13], et membre fondateur du Soroptimist-club[14].

Fin de vie[modifier | modifier le code]

Bien que malade, elle n’interrompt pas ses activités. L’annonce de son décès, à cinquante-six ans, a soulevé beaucoup d’émotions et l’organisation d’une série d’hommages.

Ses collaboratrices, amis et amies ont organisé une série d’hommages sous la présidence de Paul Strauss. Étaient notamment présents le pasteur Cadix, Mme Cécile Brunschvicg, le général Appert, le Dr Édouard Rist, Mme Kempf-Berthelot.

Archives[modifier | modifier le code]

Archives du ministère de la Santé, bureau des infirmières (1925-1938) et comptes rendus du Conseil de perfectionnement des écoles d’infirmières et de service social. Archives départementales de la Seine, série DX6, brochures des associations loi de 1901.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Évelyne Diebolt, Unions relatives à la santé : Union des auxiliaires sociales (UAS), p. 515-517, Notice sur l’UCSS, p. 518-523, Notice sur l’Uciss et l’Uniopss p. 521-522, Encyclopédie catholicisme hier, aujourd’hui, demain, Letouzet et Ané.
  • Évelyne Diebolt, Les Femmes dans l’action sanitaire, sociale et culturelle, 1901-2001. Les associations face aux institutions, Paris, Femmes et associations, 2001.
  • Susan Paderson, Family, Dependence and the Origins of the Welfare State: Britain and France, 1914-1945, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.
  • Geneviève Poujol, Un féminisme sous tutelle, les protestantes françaises (1810-1960), Paris, éditions de Paris, 2003.
  • Roger-Henri Guerrand et Marie-Antoinette Rupp, Brève histoire du service social en France, 1896-1976, Toulouse, éditions Privat, 1978.
  • Annie Fourcaut, Femmes à l'usine, éditions La Découverte, Paris, 1982.
  • Jeannine Verdès-Leroux, Le Travail social, Éditions de Minuit, Paris, 1978.
  • Eliane Gubin, Leen Van Molle . (dir.), Des femmes qui changent le monde : Histoire du Conseil international des femmes. 1888- 1988, Bruxelles, Racine, 2005.
  • Ludovic Tournès, « La Fondation Rockefeller et la naissance de l’universalisme philanthropique américain », in Critique internationale, avril-, vol. 2 ; 35 : 173-197.
  • Colette Bec, Assistance et République. La recherche d’un nouveau contrat social sous la IIIe République, Paris, L’Atelier, 1994

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Juliette Delagrange : 1880-1936 - Réseau Prisme », sur www.documentation-sociale.org (consulté le )
  2. Évelyne Diebolt, « Les Créateurs de l’Uniopss », Union sociale, numéro spécial L’Uniopss a quarante ans, no 382, décembre 1987, p. 5-8. Ce numéro a été réalisé sous la direction de Jean-Bernard Dumortier, Jean-Raoul Berthier, Évelyne Diebolt, Sylvie Fayet-Scribe.
  3. « Les surintendantes d'usine : pionnières de la gestion du risque professionnel ? | Centre d'études de l'emploi », sur www.cee-recherche.fr (consulté le )
  4. François Aballéa et Charlotte Simon, Le Service social du travail : avatars d’une fonction, vicissitudes d’une profession, Paris, L'Harmattan,
  5. Annie Fourcaut, Femmes à l'usine, éditions La Découverte, Paris, 1982.
  6. Stéphane Henry, Vaincre la tuberculose (1879-1939) : La Normandie en proie à la peste blanche, Publication univ Rouen Havre, , 374 p. (ISBN 979-10-240-0206-4, lire en ligne)
  7. (en) Linda L. Clark, The Rise of Professional Women in France : Gender and Public Administration since 1830, Cambridge University Press, (ISBN 978-1-139-42686-2, lire en ligne)
  8. Lion Murard et Patrick Zylberman, L’Hygiène dans la République. La santé publique en France ou l’utopie contrariée, Paris, Fayard,
  9. Colette Bec, Assistance et République. La recherche d’un nouveau contrat social sous la IIIe République, Paris, L’Atelier, 1994
  10. « http://www.em-consulte.com/en/article/266515 »
  11. Ludovic Tournès, « La Fondation Rockefeller et la naissance de l’universalisme philanthropique américain », in Critique internationale, avril-juin 2007, vol. 2 ; 35 : 173-197.
  12. René Sand (préf. Édouard Herriot), L'Économie humaine par la médecine sociale, Paris, Rieder,
  13. Stéphane Henry, « Histoire et témoignages d'infirmières visiteuses (1905-1938), History and testimonies of visiting nurses (1905-1938) », Recherche en soins infirmiers, no 109,‎ 0000-00-00, p. 44–56 (ISSN 0297-2964, lire en ligne, consulté le )
  14. Eliane Gubin, Leen Van Molle . (dir.), Des femmes qui changent le monde : Histoire du Conseil international des femmes. 1888- 1988, Bruxelles, Racine, 2005.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]