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Jules Senard

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Jules Senard
Illustration.
Fonctions
Député français

(3 ans, 11 mois et 20 jours)
Élection 14 octobre 1877
Circonscription Seine-et-Oise
Législature IIe (Troisième République)
Groupe politique Gauche républicaine
Prédécesseur Eugène Rendu
Successeur François Vermond

(1 an, 4 mois et 18 jours)
Élection 18 octobre 1874
Circonscription Seine-et-Oise
Groupe politique Gauche républicaine
Prédécesseur Jean-Pierre Labelonye

(1 an, 1 mois et 3 jours)
Élection 23 avril 1848
Circonscription Seine-Inférieure
Groupe politique Cavaignac
Ministre de l'Intérieur

(3 mois et 15 jours)
Gouvernement Gouvernement Cavaignac
Prédécesseur Adrien Recurt
Successeur Jules Dufaure
Maire de Saint-Cloud

(3 ans)
Prédécesseur Léon Tahère
Successeur Ferdinand Tordo
Biographie
Date de naissance
Lieu de naissance Rouen, Drapeau de la France France
Date de décès (à 85 ans)
Lieu de décès 8e arrondissement de Paris
Langue Français

Antoine Marie Jules Senard (connu sous le nom Antoine Senard ou plus fréquemment Jules Senard[1]) est un avocat et un homme politique français, né à Rouen le et mort à Paris le .

Jules Senard était le fils de Jean-Pierre Senard, d'abord maître maçon à Canteleu, commune proche de Rouen, puis architecte, et de Sophie Dutertre, fille du chevalier Antoine-Marie Dutertre, commissaire militaire destitué de sa charge en 1793 et incarcéré quelques mois en 1794 à la prison de Rouen. Jean-Pierre Senard, aurait par ses interventions évité qu'Antoine-Marie Dutertre passe en jugement. Jean-Pierre et Sophie se marient en 1795.

Sous la monarchie de Juillet

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Après des études au lycée de Rouen et à Paris, Jules Senard s'inscrit au barreau de Rouen dès 1820, alors qu'il n'a pas encore vingt ans. Reconnu rapidement comme un avocat de talent, il est élu bâtonnier en 1835 et il le sera de nouveau en 1837, 1842 et 1846. En , il adhère à la monarchie de Juillet, mais celle-ci ne lui apportant que des déceptions, il ne tarde pas à se ranger du côté de l'opposition dynastique dont il devient le chef de file à Rouen.

Sa réputation d'avocat défenseur des libertés s'affirme à l'occasion de plusieurs affaires : protestation contre une ordonnance de 1835 conférant au président de la Cour des pairs le droit de désigner d'office des défenseurs aux accusés de , ce qui lui vaut des poursuites judiciaires ; défense du Journal de Rouen au nom de la liberté de la presse.

En , l'opposition républicaine et l'opposition dynastique lancent la campagne des banquets qu'elles mèneront parfois ensemble, parfois séparément. Senard est l'un des orateurs du premier banquet organisé le à Paris, dans la salle du Chäteau Rouge. Il préside le le dernier banquet qui se tient à côté de Rouen au Petit-Quevilly, sans intervenants républicains.

Sous la Deuxième République

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Procureur général à Rouen

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À la suite de la révolution de février 1848 qui proclame la République, il se rallie au nouveau régime. Il est nommé procureur général à la Cour d'appel de Rouen. En mars, alors que la crise économique s'aggrave, des troubles surviennent à Rouen et dans d'autres agglomérations industrielles du département de Seine-Inférieure (10 morts et 25 blessés à Lillebonne).

Le , un décret du gouvernement provisoire organise l'élection d'une Assemblée nationale constituante au suffrage universel masculin. Le , dans le cadre d'un scrutin de liste départemental, Senard, leader des républicains modérés, est élu député de Seine-Inférieure. Frédéric Deschamps, un confrère de Senard, républicain avancé soutenu par Ledru-Rollin, ministre de l'Intérieur du Gouvernement provisoire, nommé en février commissaire général du département, qui avait pris de sa propre initiative des mesures pour répondre aux revendications ouvrières, est largement battu.

Lorsque les résultats des élections sont connus, des incidents éclatent à Rouen le . Les ouvriers présents devant l'hôtel de ville, qui comptaient sur l'élection de Deschamps et qui craignaient une aggravation de leur condition, refluent dans leurs quartiers et montent des barricades. Senard reprend pendant quelques jours son poste de procureur et contribue à réprimer le soulèvement, avec l'armée et la garde nationale sous le commandement du général Gérard. Les combats font une trentaine de morts et une centaine de blessés, tous du côté des insurgés.

Président de l'Assemblée nationale constituante. Les journées de Juin.

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Senard, qui avait gagné en notoriété et acquis une réputation d'homme à poigne, fait partie des six vice-présidents élus par l'Assemblée début mai. Le , après la manifestation du 15 mai 1848, il est élu président en remplacement de Philippe Buchez. Pendant les sanglantes journées de Juin 1848 [2], qui font suite à la fermeture des ateliers nationaux, il jouera un rôle important. Le , sur la proposition de son président, l'Assemblée qui comprend 900 membres se déclare réunie en permanence. Ce même jour, à l'initiative de Senard, le commandement de toutes les forces de l'ordre (armée, garde nationale, garde mobile) est placé entre les mains du général Cavaignac. Le , Senard signe au nom de l'Assemblée le décret décidant l'état de siège et déléguant « tous pouvoirs exécutifs » au général Cavaignac.

Puis, Senard fait adopter par l'Assemblée une proclamation à la garde nationale : « Sans doute la faim, la misère, le manque de travail sont venus en aide à l'émeute. Mais, s'il y a dans les insurgés beaucoup de malheureux qu'on égare, le crime de ceux qui les entraînent, et le but qu'ils se proposent sont aujourd'hui à découvert. Ils ne demandent pas la République. Elle est proclamée. Le suffrage universel. Il a été pleinement admis. Que veulent-ils donc? On le sait maintenant : ils veulent l'anarchie, l'incendie, le pillage ».

Dans la journée du , Cavaignac et Senard affichent une proclamation demandant aux ouvriers de se rendre : « …Venez à nous, venez comme des frères repentants et soumis à la loi et les bras de la République sont tout prêts à vous accueillir. » Mais que faire des milliers d'insurgés arrêtés et entassés dans les prisons et des lieux de détention improvisés (forts, caves, souterrains, combles d'édifices publics…) ? Dans la soirée, Senard propose à l'Assemblée une disposition selon laquelle tout individu pris les armes à la main pourrait être déporté outre-mer par voie administrative, donc sans jugement. Le , les insurgés abandonnent le combat. Le texte concernant la déportation sera voté, le , avec deux modifications : le terme de « transportation » est utilisé à la place de celui de « déportation » qui correspondait à une condamnation judiciaire ; une distinction est opérée entre les "chefs" de l'insurrection qui relèvent des conseils de guerre et les autres[3]

Ministre de l'Intérieur

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Le , l'Assemblée décrète que Senard et Cavaignac ont « bien mérité de la patrie ». Cavaignac dépose alors devant l'Assemblée l'autorité qui lui avait été conférée, mais celle-ci le confirme comme chef du pouvoir exécutif et le nomme président du conseil des ministres. Cavaignac constitue un gouvernement dans lequel Senard occupera pendant quelques mois le poste de ministre de l'Intérieur ( - ). Il sera à l'initiative de projets de loi réglementant les libertés politiques et la liberté de la presse, en rétablissant une obligation de cautionnement. " Silence aux pauvres ! " proclame Lamennais. Senard fait adopter par l'Assemblée une loi prévoyant l'application du suffrage universel masculin aux élections locales, départementales et municipales. Il organise les élections qui ont lieu dans le calme en juillet et août. Un décret du avait fixé la durée maximale du travail à 10 heures par jour à Paris et onze heures en province. Senard rejette les arguments développés par des députés pour redonner une liberté complète aux employeurs. Un nouveau texte fixant la durée maximum à douze heures dans les usines et manufactures est voté par l'Assemblée le .

Anti-bonapartiste, ses méthodes pour faire du général Cavaignac le candidat officiel à l'élection présidentielle de décembre 1848 provoquent une crise ministérielle et il est évincé du gouvernement. Il entre dans l'opposition après l'élection de Louis Napoléon Bonaparte à la présidence de la République en . Le 1er février il vote contre une proposition d'amnistie des insurgés de juin. Il change de position trois mois plus tard et dépose un amendement prévoyant une amnistie pleine et entière, qui ne sera pas adopté. Il est sévèrement battu à l'élection du à la nouvelle Assemblée, appelée Assemblée législative. Cette élection voit au niveau national la défaite des républicains modérés dont fait partie Senard, une victoire des conservateurs (listes menées par la grande bourgeoisie ou des notables légitimistes et orléanistes), et un succès relatif des républicains avancés. Dès le résultat, connu Senard décide de quitter Rouen et de reprendre sa carrière d'avocat à Paris.

Sous le Second Empire

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Sous le Second Empire, Senard se consacre à sa profession d'avocat. Opposant à l'Empire, il s'abstient de toute activité proprement politique. Il trouve sa place au sein du barreau de Paris, qui se veut gardien des libertés et défenseur du droit, aux côtés d'autres avocats républicains. Il montre une grande compétence dans les affaires de commerce, d'industrie, de finance, de brevets d'invention et de contrefaçon.

Le procès Madame Bovary

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En 1857, il défend Gustave Flaubert et Léon Laurent-Pichat, gérant de la Revue de Paris, accusés d'outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs pour avoir écrit et publié le roman Madame Bovary. Senard est un avocat habile et renommé, une vedette du barreau, qui a bien connu la famille Flaubert à Rouen. Son gendre, Frédéric Baudry, est un ami de Gustave dont il a été le condisciple au lycée. Senard plaide, le , pendant quatre heures la respectabilité de l'écrivain et la moralité de l'œuvre[4] avec de nombreuses références littéraires à l'appui, mais il ne développe pas d'arguments en faveur de la liberté de l'écrivain et des droits de la littérature. Un acquittement est prononcé ; néanmoins le tribunal inflige à Flaubert « un blâme sévère, car la mission de la littérature doit être d'orner et de recréer l'esprit en élevant l'intelligence et en épurant les mœurs plus encore que d'imprimer le dégoût du vice en offrant le tableau des désordres qui peuvent exister dans la société[5]. »

Sous la Troisième République

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En septembre , Senard propose ses services au gouvernement de la Défense nationale qui l'envoie en mission diplomatique à Florence pour demander l'appui de l'Italie dans la guerre franco-allemande. Il arrive à Florence, alors capitale de l'Italie, le . Le , l'armée italienne pénètre dans Rome. Le 22, Senard, malgré l'absence d’instructions, écrit directement au roi d'Italie, Victor Emmanuel II, pour le féliciter de cet « heureux événement » au nom du gouvernement français et en son nom personnel. Adolphe Thiers rejoint Senard, le , mais son manque de succès à Londres, Vienne et Saint-Pétersbourg, où il venait de se rendre, entraîne la neutralité de l'Italie. Seuls, Garibaldi, que Senard avait contacté, et des volontaires italiens placés sous son commandement, rejoignirent l'armée française. Néanmoins, l'intervention de Senard empêcha, semble-t-il, une remise en cause du rattachement de Nice à la France, intervenu en 1860.

Senard se porte candidat à l'Assemblée nationale, en Seine-Inférieure, aux élections de février , mais il échoue.

Il est élu, en août 1871, conseiller municipal de Saint-Cloud dont il sera le maire jusqu'en décembre . Il se consacre à la reconstruction de la ville qui, se trouvant sur la ligne de feu pendant le siège de Paris de 1870, venait d'être détruite.

Il est élu bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, en .

Il retrouve un siège de député de Seine-et-Oise à la faveur d’une élection partielle en . Il vote en pour l'amendement Wallon et les lois constitutionnelles. Il ne se représente pas en 1876, mais, à la suite de la dissolution de la Chambre, il est candidat dans la circonscription de Pontoise en et remporte l'élection. Il est élu vice-président de la Chambre en , avant une défaite aux élections législatives de 1881.

Il est inhumé au cimetière monumental de Rouen[6],[7].

Plusieurs rues entretiennent sa mémoire :

Dédicace du de Madame Bovary à Marie-Antoine-Jules-Senard par Gustave Flaubert[8]

  1. Sans accent aigu sur le "e" du nom.
  2. L'historien Patrice Gueniffey estime qu' " aux 4000 insurgés morts, aux 1600 soldats et gardes tués, il faut ajouter les 15 000 insurgés raflés et abattus sans jugement après la fin des combats, les 11 000 autres qui sont arrêtés et entassés dans des prisons de fortune en attendant d'être jugés ". Source Journal de la France et des français, p. 1556, édition Quarto Gallimard, 2001.
  3. Jean-Claude Farcy, « Inculpés des insurrections de juin 1848 », base de données, Centre Georges Chevrier, 2012 : au 9 juillet 1848, La Gazette des tribunaux donne le chiffre de 14 000 détenus incarcérés. Huit commissions statuent jusqu'en octobre sur le sort de 10 780 individus, 6255 sont remis en liberté, 4276 désignés pour la transportation et 249 renvoyés devant les conseils de guerre. Les désignés pour la transportation sont dirigés vers des ports de l'ouest où ils sont entassés dans des pontons et des forts, avant d'être regroupés à la prison de Belle-île-en-Mer. Plutôt qu'une amnistie, le pouvoir exécutif préfère accorder en nombre des grâces à partir de novembre 1848. En février 1850, 459 personnes seront finalement transportées en Algérie et non dans d'autres territoires, une loi du 24 janvier 1850 ayant désigné l'Algérie comme lieu de transportation. Les amnisties du 20 mars 1856 et du 16 août 1859 mettront un terme définitif à la transportation.
  4. « Plaidoirie du procès de Mme Bovary », sur le site du centre Flaubert de l'université de Rouen
  5. « Jugement du procès de Mme Bovary », sur le site du centre Flaubert de l'université de Rouen
  6. « Les obsèques de M. Senard », Journal de Rouen,‎ , p. 1-2 (lire en ligne)
  7. Jean-Pierre Chaline (dir.), Mémoire d'une ville, le Cimetière monumental de Rouen, Rouen, Société des Amis des monuments rouennais, (ISBN 2-9509804-1-4), p. 115.
  8. « Dedicace Madame Bovary de Gustave Flaubert », sur le site du centre Flaubert de l'université de Rouen

Sources et bibliographie

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  • Henri Bardoux, Discours et plaidoyers, Paris, Arthur Rousseau, 1889.
  • Maxime Brenier de Montmorand, « Éloge de Senard », Bulletin de l'Association amicale des secrétaires et anciens secrétaires de la Conférence des avocats de Paris, no 9, 1887.
  • Jean-Luc Brière, « Jules Senard sous la Monarchie de Juillet et la Deuxième République », in Bulletin de l'association des amis de Flaubert et Maupassant, no 30 2014, Rouen.
  • Max Brière, « Aperçus sur le monde des Lettres et des Arts, du Palais et de la Politique à l'époque de Jules Senard », Précis analytique de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, 1985 et 1986.
  • Hippolyte Castille, Les massacres de d'après des documents historiques, Paris, 1869.
  • Jean-Louis Debré, Les Républiques des avocats, Paris, Librairie Académique Perrin, 1984.
  • André Dubuc, « Les émeutes de Rouen et d'Elbeuf (27, 28 et ) », in Études d'histoire moderne et contemporaine, tome II, 1948.
  • Jean Joubert, Jules Senard, Paris, Les Presses du Palais Royal, 1984.
  • Yvan Leclerc, Crimes écrits, Plon, Paris, 1991.
  • (en) Frederick A. de Luna, The French Republic under Cavaignac, 1848, Princeton, Princeton University Press, , X-451 p. (présentation en ligne).
  • Yannick Marec, « Entre répression et conciliation sociale: les réactions aux émeutes rouennaises d' », in 1848, Paris, Creaphis, 2002.
  • Gisèle Sapiro, La responsabilité de l'écrivain, Paris, Seuil, 2011.
  • Macha Séry, « Marie-Antoine-Jules Sénard » in Ceci est pour vous: de Baudelaire à Modiano, à qui sont dédiées les grandes œuvres, Paris, Philippe Rey, 2012.
  • « Antoine Sénard », dans Adolphe Robert et Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français, Edgar Bourloton, 1889-1891 [détail de l’édition] [texte sur Sycomore]

Liens externes

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