Exil intérieur en Grèce

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20 000 prisonniers politiques ont été bannis à Gyaros pendant et après la guerre civile grecque[1].

L'exil intérieur en Grèce est utilisé pour punir les dissidents politiques, par différents gouvernements grecs, y compris le régime du 4-Août, le gouvernement pendant la guerre civile grecque et la junte grecque. Les personnes visées sont généralement envoyées dans des petites îles grecques[2],[3],[4],[5],[6],[7]. Plus de 100 lieux ont été utilisés pour y déplacer les opposants, à différentes époques du XXe siècle[8].

Historique[modifier | modifier le code]

L'exil interne est utilisé depuis longtemps par les dirigeants de la Grèce et, au début du XXe siècle, il est employé pour les opposants au vénizélisme, tels que les monarchistes, les conservateurs ou les communistes[9]. Pendant le schisme national et après l'arrivée d'Elefthérios Venizélos au pouvoir, en été 1917, de nombreux opposants politiques (tels que l'ancien Premier ministre Spyrídon Lámpros) ont été placés en exil interne[10].

L'exil est préféré à l'emprisonnement sur le continent car les prisons du continent sont surpeuplées et l'exil permet de contrôler plus facilement la correspondance des prisonniers et de limiter leur influence politique[9]. La loi Idionymon (en), de 1929, criminalise les idées et les actions subversives, ce qui entraîne une augmentation du nombre de prisonniers. L'île d'Ágios Efstrátios est utilisée, à partir de 1929, et les exils ne cessent qu'en 1974. Jusqu'en 1943, il n'y a pas de camps et les exilés louent des maisons aux résidents locaux[8].

Régime du 4-Août[modifier | modifier le code]

Des camps de prisonniers pour les dissidents politiques, sur des îles désertes, sont créés par le régime de Metaxas (1936-1941)[9],[11]. Sous le régime de Metaxás, environ 1 000 personnes sont condamnées à l'exil interne, dont des membres du Parti communiste de Grèce, des socialistes, des organisateurs syndicaux et d'autres qui s'opposaient au gouvernement. La plupart des personnes emprisonnées sont des ouvriers, mais d'autres sont des intellectuels. Les prisonniers condamnés à l'exil interne sont emmenés sur des îles désertes où ils doivent organiser leur propre nourriture et leur propre logement[9].

Guerre civile[modifier | modifier le code]

L'île de Makronissos.

Pendant et après la guerre civile grecque (1946-1949), des milliers de combattants de gauche et de sympathisants présumés sont arrêtés et emprisonnés. Après la guerre civile, les prisonniers politiques continuent d'être détenus, tout au long des années 1950 et 1960. L'île de Makronissos est utilisée, de 1947 à 1955 et elle devient une sorte de camp modèle pour la junte grecque[11]. À Ai Stratis, où 5 500 personnes, dont des femmes et des enfants, sont envoyées entre 1946 et 1947, des camps sont créés pour la première fois[8]. 20 000 personnes sont envoyées dans un camp de concentration sur l'île inhabitée de Gyaros, surnommée « Dachau de la Méditerranée »[1]. Les prisonniers devaient travailler à la construction de la prison, mais dès qu'elle fut terminée, l'île fut fermée, en 1952 en raison de la condamnation par les Nations unies des mauvaises conditions qui y régnaient[1]. Ai Stratis, désignée pour les prisonniers « impénitents », est restée ouverte jusqu'en 1963, bien que le nombre de prisonniers ait progressivement diminué[8].

Junte[modifier | modifier le code]

Après le coup d'État du 21 avril 1967, la junte étend les arrestations des dissidents politiques et l'utilisation des îles-prisons. Environ 6 000 personnes sont envoyées à Gyaros, aujourd'hui appelé le « goulag grec »[11]. La junte a nié que des prisonniers politiques y étaient détenus, mais le mensonge est révélé lorsque les journalistes allemands de Stern louent un avion et photographient l'île du haut des airs, révélant ainsi la vérité[1]. Gyaros est fermé en à la suite des protestations internationales contre ses mauvaises conditions de vie et aux critiques de la Croix-Rouge[11]. Ai Stratis, rouvert par la junte et utilisé pour des cas individuels, est dévasté par un tremblement de terre, en 1968 qui détruit une grande partie du camp où les prisonniers étaient contraints de vivre[8].

En , juste avant les élections législatives grecques de 1974, cinq chefs de la junte, dont Geórgios Papadópoulos, sont temporairement exilés à Kéa[12].

Liste des lieux d'exil[modifier | modifier le code]

Les îles qui ont accueilli le plus grand nombre de prisonniers sont celles de :

  • Makrónissos, utilisée comme lieu d'exil pour la première fois en 1947.
  • Gyáros, utilisée comme lieu d'exil pour la première fois en 1947, elle fonctionne jusqu'en 1974 avec de courts temps d'arrêt. En 2002, elle est déclarée site historique, mais en 2011, la décision est modifiée de sorte que la désignation n'inclut pas toute l'île, mais seulement 2 500 acres.
  • Ágios Efstrátios, lieu d'exil, pour les intellectuels, de 1928 à 1962.
  • Anáfi, lieu d'exil de 1947 à 1949, où un total de 7 283 personnes ont été déplacées.
  • Ikaría, lieu d'exil depuis 1923 jusqu'à la période de la dictature des colonels.

Les îles suivantes ont également accueilli un plus petit nombre d'exilés :

Un petit nombre d'exilés ont également accueilli, pour de courtes périodes, sur les îles d'Ándros, Tínos, Syros, Kythnos, Mykonos et Skiathos.

Conséquences[modifier | modifier le code]

La pratique de l'exil interne est abolie, en 1974, pendant la Metapolítefsi[13]. L'île de Makronisos est protégée depuis 1989[14]. La Grèce tente de faire reconnaître l'île, par l'UNESCO, comme un site du patrimoine mondial, pour « préserver l'île de l'exil et ses ruines restantes comme symboles de la lutte contre le fascisme, des esprits humains et du triomphe de la démocratie contre l'oppression et la déshumanisation »[15].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c et d (en) Yanis Papadimitriou, « Yaros, the forgotten prison island », sur le site dw.com, (consulté le ).
  2. (en) E. Mamoulaki, « Pictures of Exile, Memories of Cohabitation: Photography, Space and Social Interaction in the Island of Ikaria », dans Philip; Hamilakis, Yannis Eleni Papargyriou,, Camera Graeca: Photographs, Narratives, Materialities, Routledge, (ISBN 978-1-317-17005-1).
  3. (en) Anna Papaeti, « Music, Torture, Testimony: Reopening the Case of the Greek Junta (1967–1974) », The World of Music, vol. 2, no 1,‎ , p. 67-89 (ISSN 0043-8774, JSTOR 24318197, lire en ligne, consulté le ).
  4. (en) Maria Michou, « Inhabiting the memory of political incarceration in Greece: two women's narratives from the Civil War and the Junta », dans Leonidas Karakatsanis, Nikolaos Papadogiannis, The Politics of Culture in Turkey, Greece & Cyprus: Performing the Left Since the Sixties, Taylor & Francis, (ISBN 978-1-317-42821-3).
  5. (en) Dimitris Asimakoulas, « Brecht in dark times: Translations of his works under the Greek junta (1967–1974) », Target, vol. 17, no 1,‎ , p. 93-110 (DOI 10.1075/target.17.1.06asi, lire en ligne, consulté le ).
  6. (en) Nota Pantzou, « War remnants of the Greek archipelago », dans Gilly Carr, Keir Reeves, Heritage and Memory of War: Responses from Small Islands, Routledge, (ISBN 978-1-317-56698-4).
  7. (en) Margaret E. Kenna, « Conformity and Subversion: Handwritten Newspapers from an Exiles' Commune, 1938–1943 », Journal of Modern Greek Studies, vol. 26, no 1,‎ , p. 115-157 (DOI 10.1353/mgs.0.0006, S2CID 144654989, lire en ligne, consulté le ).
  8. a b c d et e (en) Nota Pantzou, Materialities and Traumatic Memories of a Twentieth-Century Greek Exile Island, Springer, coll. « Archaeologies of Internment », (ISBN 978-1-4419-9666-4), p. 191-205.
  9. a b c et d (en) Margaret E. Kenna, The social organisation of exile : Greek Political Detainees in the 1930s, Routledge, (ISBN 978-1-134-43682-8, lire en ligne), p. 63 et s..
  10. (el) Spyros Vlachopoulos et Evanthis Hadjivassiliou, Διλήμματα της ελληνικής συνταγματικής ιστορίας: 20ός αιώνας [« Dilemmes de l'histoire constitutionnelle grecque: XXe siècle »], Patakis,‎ , 352 p. (ISBN 978-9-6016-8215-0, lire en ligne), p. 111.
  11. a b c et d (en) Anna Papaeti, « Music and 're-education' in Greek prison camps: from Makronisos (1947-1955) to Giaros (1967-1968) », Torture: Quarterly Journal on Rehabilitation of Torture Victims and Prevention of Torture, vol. 23, no 2,‎ , p. 34-43 (ISSN 1997-3322, lire en ligne [PDF], consulté le ).
  12. (en) Steven V. Roberts, « Papadopoulos Sent Into Island Exile With 4 From Junta », The New York Times,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  13. (en) Dimitris Christopoulos, « 'Exiles in the Aegean': a year after the EU–Turkey deal », sur le site opendemocracy.net, (consulté le ).
  14. (en) Assil Giacheia, « Makronissos Exile Island Declared an Archaeological Site », sur le site greece.greekreporter.com, (consulté le ).
  15. (en) « Greece to submit bid to UNESCO for 'exile island' », sur le site balkanspost.com, (consulté le ).

Article connexe[modifier | modifier le code]