Affaire des disparus de Mourmelon
L’affaire des disparus de Mourmelon est une affaire criminelle française dont la lenteur et les incertitudes de l'enquête, entre 1982 et 2003, ont marqué les esprits. Elle concerne la disparition dans les années 1980 de huit jeunes gens, principalement des appelés du contingent, qui avaient fait de l’auto-stop à proximité du camp militaire de Mourmelon, dans la Marne. La séquestration et le viol en 1988 en Saône-et-Loire d’un auto-stoppeur hongrois a permis aux enquêteurs d’être mis sur la piste du seul suspect identifié, l'adjudant-chef Pierre Chanal.
Avec le procès d'Outreau, cette affaire reste aujourd'hui l'un des exemples les plus médiatisés des défaillances de la justice française dans la résolution d’affaires complexes[1].
D'autres cas de disparitions similaires, dans la même région et la même période ou dans d'autres garnisons où Chanal était affecté, n'ont pas été joints à l'affaire en dépit des demandes des familles. Quelques-unes de ces disparitions avaient en effet été classées par l’armée comme des désertions.
L'accusé
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Pierre Chanal | |
Tueur en série | |
---|---|
Information | |
Nom de naissance | Pierre Chanal |
Naissance | à Saint-Étienne (Loire) |
Décès | (à 56 ans) à Reims (Marne) |
Cause du décès | Suicide par sectionnement |
Actions criminelles | Meurtres |
Victimes | Entre 8 et 17 |
Période | - |
Pays | France |
Régions | Champagne-Ardenne |
Ville | Mourmelon-le-Grand |
Arrestation | 9 août 1988 |
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Pierre Chanal est né le à Saint-Étienne[2]. Son père, dur, avare, alcoolique, violait sa femme. Pierre, qui ne gardera aucune relation avec ses parents, ne se souviendra plus s'il a eu 16 ou 17 frères et sœurs. Il quitte l'école à 14 ans pour commencer un apprentissage de pâtissier mais n'achève pas sa formation, entre à l'usine et part à l'armée à 18 ans. Il est adjudant-chef et instructeur au camp de Mourmelon au 4e régiment de dragons dans la Marne, de 1977 à 1986, au moment de l'affaire des disparus de Mourmelon. De nature discrète, décrit comme un gentleman, il voue un respect total au règlement ; très dur au service comme à l'effort, il a des états de service irréprochables, pratique chaque matin un footing de 15 km, s'entraîne au combat au corps à corps, se passionne pour le parachutisme et les ULM[2].
Il est médaillé de la valeur militaire avec étoile d'argent, gagnée au Liban (dans le cadre du mandat des casques bleus français au Liban). Son déploiement a lieu entre le et le . Une fois de plus son comportement est qualifié d'exemplaire par ses supérieurs.
Chronologie
[modifier | modifier le code]À partir de , huit personnes disparaissent dans un triangle dans la région de Mourmelon, près de la caserne de Mourmelon-le-Grand. Ces disparitions inexpliquées, dont certains étaient des appelés du contingent, font régulièrement la une des journaux et embarrassent magistrats, enquêteurs et militaires. Les autorités militaires nient d'ailleurs qu'il s'agit de disparitions inquiétantes et préfèrent parler de désertions. Plusieurs militaires ont brusquement disparu après leur départ en permission alors qu'ils faisaient de l'auto-stop. Le fait que certains des disparus aient été accusés de désertion retarde le démarrage d'une enquête poussée.
Le , la découverte du corps d'Olivier Donner au sud de Mailly-le-Camp (département de l’Aube), dans un bosquet bordant la RN 77, entraîne l'ouverture d'une information judiciaire à Troyes. On commence à évoquer la possibilité d'un tueur en série dans la région. Le , à défaut d'autres disparitions, les dossiers Dubois, Havet, Sergent et Donner sont clos par la justice française. Le , une information judiciaire est ouverte pour « séquestration » de Patrice Denis auprès d'un juge de Châlons-en-Champagne. En , l'adjudant-chef Pierre Chanal est muté au Centre sportif d'équitation militaire de Fontainebleau[3]. Il continue à se rendre régulièrement au para-club de Mourmelon. Le , une information judiciaire est ouverte dans l'affaire O'Keefe à Saint-Quentin.
En 1990, on recense pas moins de sept disparus : cinq appelés entre 1980 et 1982, un civil se rendant au camp de Mourmelon en 1985 et enfin un militaire appelé affecté au 4e dragons qui disparaît lui aussi en 1987. À ces disparitions peuvent être également ajoutés deux corps retrouvés à proximité du camp : celui d'Olivier Donner, militaire appelé au 4e régiment de dragons de Mourmelon, disparu le et retrouvé le suivant dans un bosquet non loin de Mailly-le-Camp, ainsi que le corps d'un touriste irlandais, Trevor O'Keefe retrouvé le près d'Alaincourt dans l'Aisne, le corps à moitié enseveli dans un bosquet.
Arrestation et liens avec l'accusé
[modifier | modifier le code]Le , des gendarmes de Saône-et-Loire sont intrigués de voir un camping-car Volkswagen Combi II stationné dans un chemin sans issue débouchant sur une ligne TGV en construction, située sur la commune de Bussières[3]. Les gendarmes s'approchent en pensant que ce véhicule appartient à des écologistes opposants au projet TGV, et tombent sur le propriétaire du véhicule, Pierre Chanal, qui explique « qu'il est un sous-officier profitant de sa permission pour faire un peu de tourisme ». Le gendarme demande les papiers d’identité de Pierre Chanal, s'aperçoit qu'il a été affecté au 4e régiment de dragons à Mourmelon de 1977 à 1986, et établit directement le lien avec l'affaire des disparus de Mourmelon. Pendant ce temps, l'autre gendarme resté en retrait, faisant le tour du véhicule aperçoit au travers de la vitre du hayon arrière la tête d'un homme entravé et enroulé dans une couverture. Détaché de ses liens par les gendarmes, la victime de Pierre Chanal, un jeune Hongrois de 20 ans du nom de Palázs Falvay, explique que Pierre Chanal l'a pris en auto-stop la veille au soir au péage de Chalon-sur-Saône.
Il accuse l'adjudant-chef de l'avoir séquestré et violé. Lors de la fouille du Combi, les gendarmes retrouvent des preuves permettant de compromettre Pierre Chanal, des objets à caractère sexuel et une caméra comprenant les scènes décrites par l'auto-stoppeur.
La perquisition de son véhicule et de sa chambre au mess dévoile ses manies sexuelles (vagin artificiel, films pornographiques, photos d'appelés nus sous la douche, cassettes VHS avec des séquences de masturbations face à son caméscope...)[3].
Le , Pierre Chanal est mis en examen et écroué.
Le , la cour d'assises de Saône-et-Loire condamne Pierre Chanal à dix ans de réclusion criminelle pour viol et séquestration. Il est conduit à la maison d'arrêt de Dijon, où il demande à être placé à l'isolement. Tout au long du procès et par la suite, Pierre Chanal s'enferme dans un mutisme total.
Mais, depuis sa première arrestation, les gendarmes, intrigués par ce militaire, ont la conviction de l'implication de Pierre Chanal dans l'affaire des disparus de Mourmelon. Tout semble, selon eux, le désigner : son profil psychologique d'impuissance homosexuelle, sa violence et sa force physique ainsi que son camping-car, mais surtout ses années d'affectation au 4e régiment de dragons de Mourmelon.
Le , une ordonnance joint les dossiers Dubois, Havet, Carvalho, Sergent, Denis et Gache qui présentent des similitudes. Le , un juge d'instruction de Châlons-en-Champagne procède à la mise en examen de Pierre Chanal pour séquestrations et assassinats dans les dossiers Dubois, Havet, Carvalho, Sergent, Denis et Gache avec mise en détention provisoire.
Le Canard enchaîné révèle, le , que le SIRPA a commandé en 1987 à Jean-Noël Kapferer, professeur de marketing à HEC, une étude présentant « les disparitions de Mourmelon » comme une légende urbaine. La complexité de l'affaire, la dispersion et l'insuffisance des moyens (au moins onze juges d'instruction), des fautes et des négligences (pertes de scellés, expertises inutiles ou mal faites) ont rendu l'instruction extrêmement longue et chaotique.
Le , le juge de Troyes se dessaisit de l'enquête sur la mort d'Olivier Donner au profit de son collègue de Châlons-en-Champagne. Le , Pierre Chanal est mis en examen pour le meurtre de Trevor O'Keefe. Le juge de Saint-Quentin se dessaisit ensuite de l’affaire au profit de son collègue de Châlons-en-Champagne.
Pierre Chanal est libéré le pour l'affaire de l'auto-stoppeur hongrois.
Procès et mort
[modifier | modifier le code]Le , plus de vingt-et-un ans après la première disparition, Pierre Chanal est finalement renvoyé devant la cour d'assises de la Marne pour trois des disparitions. Faute de preuves suffisantes, cinq non-lieux ont été prononcés pour les disparitions les plus anciennes.
En , Eroline O'Keeffe, la mère de l'auto-stoppeur irlandais étranglé, assigne l'État en justice pour les manquements et erreurs de l'enquête. Le , la cour d'appel de Reims renvoie Pierre Chanal devant les assises pour « séquestration et meurtre avec préméditation » de trois des disparus.
Le , Pierre Chanal tente de mettre fin à ses jours, à la veille de l'ouverture de son procès à Reims. Le , le procès commence en l'absence de l'accusé. La cour lui donne une semaine pour comparaître et le place en détention. En raison de l'état de santé de l'accusé, le procès est finalement reporté au mois d'.
Le , Pierre Chanal est placé d'office à l'hôpital psychiatrique de Villejuif (Val-de-Marne) qu'il quitte fin juin. Le , Pierre Chanal entame une grève de la faim à la maison d'arrêt de Fresnes. Le , le procès rouvre devant la cour d'assises de la Marne à Reims.
Le , dans la chambre d'hôpital à Reims où il termine une grève de la faim (passant de 78 à 48 kilos[4]), Pierre Chanal se sectionne deux fois l'artère fémorale gauche à l'aide d'une lame de rasoir précédemment cachée sous l'étiquette de son survêtement. Il meurt cinq à dix minutes plus tard malgré l'intervention d'un policier[5]. Des questions seront soulevées quant au fait que l'Administration pénitentiaire ait fourni six rasoirs à un détenu particulièrement signalé[6]. Sa mort met fin à son procès, au désespoir des familles des victimes.
Le , un premier courrier envoyé à Dominique Perben, ministre de la Justice, pour demander une enquête sur l'ensemble de l'instruction de l'affaire. Le , les avocats des familles des sept disparus français se joignent à la plainte de Mme O'Keeffe contre l'État, suivis le lendemain par les parents de deux jeunes hommes disparus en 1975 et en 1977 du camp militaire de Valdahon (Doubs), où Pierre Chanal était instructeur.
Le , le tribunal de grande instance de Paris condamne l'État français pour faute lourde[7]. Le jugement stigmatise « l'inaptitude du service public de la justice à remplir sa mission » car une « série de fautes » commises par les juges d'instruction ainsi que par les enquêteurs « ont ralenti l'instruction des différentes affaires de disparitions inquiétantes » et ont conduit « à ce que demeurent inconnues les circonstances de l'enlèvement et du décès de plusieurs victimes. »
En 2011, à la suite de la parution de l'ouvrage d'Éric Bellahouel[8], des familles de disparus demandent à la justice de rouvrir le dossier, estimant que Chanal n'aurait pas agi seul[9].
Liste des victimes connues
[modifier | modifier le code]Date | Nom | Affectation | Découverte éventuelle du corps | |
---|---|---|---|---|
1 | Patrick Dubois | 4e régiment de chars de combat à Mourmelon | Disparu | |
2 | Serge Havet | 3e régiment d'artillerie à Mailly | Disparu | |
3 | Manuel Carvalho | 4e régiment de dragons à Mourmelon | Disparu | |
4 | Pascal Sergent | 503e régiment de chars de combat à Mourmelon | Disparu | |
5 | Olivier Donner | 4e régiment de dragons à Mourmelon | Son cadavre est découvert à Mailly-le-Camp le [10] | |
6 | Patrice Denis | civil | Disparu alors qu'il se rend au camp de Mourmelon | |
7 | Patrick Gache | 4e régiment de dragons de Mourmelon | Disparu | |
8 | Trevor O'Keeffe | auto-stoppeur irlandais | Son cadavre est découvert le près d'Alaincourt dans l'Aisne |
Plusieurs autres jeunes gens, et certains appelés du contingent, ont disparu aussi à cette époque et dans cette région, mais ces affaires ont été classées par la justice malgré l'insistance des familles[11].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Tourancheau 2006.
- « Militaire exemplaire, bourreau présumé », sur nouvelobs.com, .
- François Wenz-Dumas, « L’affaire de l’adjudant-chef Chanal à Mourmelon : sous-officier et gentlemen », sur liberation.fr, .
- « Vers un procès sans Chanal », ladepeche.fr, 14 octobre 2003.
- « Le suicide de Pierre Chanal clôt l'affaire des disparus de Mourmelon » , sur Le Monde, (consulté le )
- Chanal : les rasoirs fournis par la prison
- Tribunal de grande instance de Paris, Jugement rendu le 26 janvier 2005, 16 p. (lire en ligne)
- La condamnation de Pierre Chanal et la fin tragique
- Disparus de Mourmelon : huit ans après la mort de Pierre Chanal, la réouverture de l'enquête ?
- « Disparus de Mourmelon, pour une enquête sur l'échec de la justice : fac-similé d’un article de L'Union de Reims d’ », sur disparusdemourmelon.org (consulté le ).
- « Disparus de Mourmelon, pour une enquête sur l'échec de la justice : d’autres disparitions à Mourmelon », sur disparusdemourmelon.org (consulté le ).
Annexes
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Jean-Noël Kapferer, « Les disparitions de Mourmelon. Origine et interprétation des rumeurs », Revue française de sociologie, tome XXX-I, janvier-, Paris, Éditions du CNRS, p. 81-89, lire en ligne.
- Gérard Chemla et Vincent Durtette, Chanal : la justice impossible - Enquête à charge, Éditions Michalon, 2003.
- Jean-Marie Tarbes, Sur la piste du tueur de Mourmelon - Quinze ans à traquer l’assassin du « Triangle maudit », Éditions Robert Laffont, 2003.
- Christian English et Frédéric Thibaud, Affaires non classées (tome 1) (chapitre : Les "déserteurs" de Mourmelon), First édition, , 334 p. , (ISBN 2876917661)
- Pascal Michel, 40 ans d'affaires Criminelles 1969-2009 (chapitre : L'affaire Pierre Chanal, les disparus de Mourmelon) p. 32 à 38, , 208 p., (ISBN 978-1-4092-7263-2)
- Éric Bellahouel, Les disparus de Mourmelon - Tout n'a pas été dit - Une affaire d'État, Éditions Jacob-Duvernet, 2011.
Filmographie
[modifier | modifier le code]- L'Affaire Pierre Chanal téléfilm (2006), le rôle de Pierre Chanal est joué par François Levantal.
Documentaires télévisés
[modifier | modifier le code]- « Mystérieuses disparitions » (début du reportage) le dans Faites entrer l'accusé présenté par Christophe Hondelatte sur France 2.
- « Pierre Chanal, l'énigme de Mourmelon » le dans Faites entrer l'accusé présenté par Christophe Hondelatte sur France 2.
- « Mourmelon : le mystère des disparus » le dans Secrets d'actualité sur M6, puis le dans Enquêtes criminelles : le magazine des faits divers sur W9.
- « Les Disparus de Mourmelon » le dans Affaires criminelles sur NT1.
- « Tueur en série : les secrets de l'adjudant Chanal » le dans Crimes sur NRJ 12.
- « Affaire Chanal : L'histoire d'un impossible procès » dans Crimes à l'Est sur France 3.
- « Les disparus de Mourmelon » dans Au bout de l'enquête, la fin du crime parfait ? le sur France 2.
Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
[modifier | modifier le code]- Frédéric VIGNALE, Interview de Simone Chanal, sœur de Pierre Chanal, suspect numéro un de l'affaire des disparus de Mourmelon au journal Le Mague, 17/03/2006.
- « Site de l’association « Disparus de Mourmelon : pour une enquête sur l'échec de la justice », sur disparusdemourmelon.org (consulté le ).
- Association Disparus de Mourmelon : http://www.net1901.org/association/Disparus-De-Mourmelon,1462027.html
- (en) Biographie de Pierre Chanal sur un site anglophone consacré aux criminels.
- Biographie de Pierre Chanal sur un site consacré aux affaires criminelles.
- Description de l'affaire des disparus de Mourmelon sur le site de la police technique et scientifique.
- Patricia Tourancheau, « Le juge et les fantômes de Mourmelon », sur liberation.fr, (consulté le ) — L'article est paru la veille du suicide de l'accusé Chanal.
- Patricia Tourancheau, « L'armée questionnée sur les "disparus de Mourmelon" », sur liberation.fr, (consulté le ) — Bref article sur les défaillances de l’armée et de la justice dans cette affaire.