Dominique Sels

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Dominique Sels (née le à Paris) est un écrivain français. Elle est diplômée de mathématiques, de lettres classiques, d’histoire des sciences et d’épistémologie.

Dominique Sels à Lens, en août 2014 – photo Casimir Lepel.


Biographie

Dominique Sels est la fille de Michel Sels, chirurgien emporté par une leucémie trois ans après sa thèse, et de Nicole Sels, une Science-po qui a ensuite préféré les sciences humaines et a été, une dizaine d’années, bibliothécaire de l’École freudienne de Paris, l’institution fondée puis dissoute par Jacques Lacan ; Nicole Sels a été ensuite bibliothécaire du Centre Louis Gernet (d’études sur les sociétés anciennes), auquel sont associés les noms de Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, Jeannie Carlier, Florence Dupont

Œuvre

C’est un concert dans la mouvance du free jazz qui en 1979 décide Dominique Sels à se consacrer à la littérature. La mobilité esthétique des musiciens est l'une de ses influences. Passion, jazz et cruauté des amours libres, cette période a inspiré le roman Camarillo (Adios les seventies). Elle l’a écrit en partie hors de Paris, chez Anne-Lise Stern, dans l'ancienne école de La Lande-de-Goult que celle-ci louait en guise de maison de campagne ; A.-L. Stern avait compris la nécessité, pour D. Sels, de se mettre au vert afin de maîtriser la violence de ce premier roman[1](qui sera publié après d'autres).

En 1981, Dominique Sels rencontre Steve Lacy à Paris, au Dreher, club de jazz proche de la tour Saint-Jacques où elle est allée l'écouter en août et en novembre. Le saxophoniste soprano jouait avec le pianiste Mal Waldron, un disque de ce duo, paru sous le label Hathut Records, a été enregistré ce soir-là de la mi-août 1981 : le quadruple CD paru en 2003 s' intitule Live at Dreher Paris 1981, tandis que le 33 tours originel du même label a pour titre Snake-out. Pour longtemps Dominique Sels se lie d'amitié avec Steve Lacy.

Eden en friche (1990), est remarqué par Michel Crépu dans La Croix[2]. Pierre Vidal-Naquet, ayant perdu ses parents enfant, pendant la guerre, aime ce récit d'enfance et essai, tissé d'éléments biographiques.

Pendant son enfance puis son adolescence, Dominique regrette que sa mère, une fois de retour de la bibliothèque, continue de taper les séminaires de Lacan qui tapissent la maison, et de traduire pour celui-ci les choses qu’il lui a demandées, notamment "les mémoires d’un marionnettiste"[3], que sont les Mémoires d’un névropathe, de Daniel Paul Schreber (traduction de Paul Duquenne et Nicole Sels, 1975, éd. du Seuil), livre à l'origine des travaux de Freud sur la paranoïa. Dominique finit par elle-même acheter une machine à écrire, pour apostropher le lecteur invisible qui accapare sa mère rivée à sa machine à écrire[4], telle est la structure d’Eden en friche. Parce que sa mère était enfant pendant la guerre, Dominique Sels a écrit Eden en friche dans la réminiscence du roman Le Jardin des Finzi-Contini, pour perpétuer, par delà l'horreur, le bonheur du jardin et de la maison dans les familles juives de la Méditerranée[5].

Dans Les Plus Beaux Diamants du monde (Notes de nuit), dont ce n’est pas le thème, elle donne un portrait sensible de Jacques Lacan venant de dissoudre son École, sous les traits du professeur Jacques Humbert.

Dans la postface des Mots de l’amour arrivent d’Athènes, qui est une étude du vocabulaire de l’amour dans Le Banquet de Platon[6], elle dépeint l'atmosphère de la classe de grec en Sorbonne, et rend hommage à ses professeurs de grec (Annick Lallemand et Anne Lebeau), mais aussi de chimie (Olivier Kahn) et de français (Anne Grandsenne).

Dominique Sels représente dans Les Plus Beaux Diamants du monde son éditeur et ami le romancier Michel Bernard (1934-2004), auteur de La Négresse muette, et de Brouage, sous le personnage de Raphaël : un séducteur extraordinaire, prosateur baroque, homme si discret en société "qu'il ne figure pas sur ses photos"[7], il "appartient au dix-septième ou au dix-huitième siècle, à la forêt, au marais (…) - davantage au grand siècle qu'à l'autre peut-être, où il fait déjà trop clair, trop raisonnable[8]." La forme des Notes de nuit, adoptée pour Les Plus Beaux Diamants du monde, est inspirée de la littérature japonaise du XIe siècle, où les écrits intimes d'auteurs féminins formaient un genre important.

Rêverie et fécondité (roman, 2009) développe l'histoire d'une femme qui part vers le pays du rêve, alors que la possibilité d’une maternité est en question : « Les femmes qui attendent un enfant - mais davantage encore celles qui attendent d’attendre un enfant - rêvent beaucoup. » Une soif de merveilleux se heurte au monde de l'hôpital. Comme dans plusieurs titres précédents, la prose poétique se troue sous l'irruption d'une voix d'homme, parfois triviale, comique ou angoissée : ici celle de Philippe contre les mandarins.

Après la correspondance et avant l’internet, le téléphone a su relier les amants et alimenter leurs jeux : dans le roman Camarillo, Adios les seventies, un musicien, qui ne vit jamais mieux que dans l’univers sonore, entraîne son amante vers une liaison purement téléphonique. On pense à Psyché qui n'a le droit que d'entendre les mots de son divin amant, Éros, la vue du visage de celui-ci lui étant interdite. Dans ce roman Camarillo et dans Les plus Beaux Diamants du monde (notes de nuit), les voix érotiques des hommes sont éruptives. C'est le nu masculin qui caractérise le diptyque[9] formé par Camarillo et par Les plus Beaux Diamants du monde.

Les Mots de l'amour arrivent d’Athènes peuvent être rangés à côté. Un thème commun à ces trois livres est une certaine rivalité entre désir charnel et désir de parler.

On peut relier à cet ensemble La petite maîtresse (salon Botul du 28 mai 2009, publié en 2010). La petite maîtresse s'intéresse aux amours avec écart d’âge tournées vers la création -plutôt que vers la famille. Alors que de telles amours, vouées à la transmission de la connaissance entre un aîné et un être jeune, étaient masculines en Grèce antique, Dominique Sels note qu’elles existent aujourd’hui plus largement, peu importe le genre de l’un ou de l’autre (Édith Piaf et ses jeunes amis comme Georges Moustaki; Auguste Rodin et Camille Claudel, etc.). La "petite maîtresse" éponyme est à prendre ici au neutre, différents binômes sont possibles, les exemples de couples étant par ailleurs parfois volontairement pris dans la culture populaire.

Le prologue de La petite maîtresse, intitulé "Les Arlésiens", est consacré aux êtres aimés qui sont en creux, qui ne sont pas là, s’emploient à allumer l’étincelle et à se dérober (Socrate au Banquet, l’Arlésienne d’Alphonse Daudet, Dulcinée du Toboso, Jenny Colon, etc.)

Affaire dite "Polanski"

Dès le 6 octobre 2009 dans Libération, Dominique Sels[10] apporte son soutien au cinéaste Roman Polanski, après son arrestation à Zurich le 26 septembre, pour une affaire remontant à 1977, où il avait été inculpé pour relations illicites avec une mineure ("Protégeons les filles de leur mère plutôt que de Roman Polanski" [11]).

Dominique Sels publie début juin 2010 San Fernando Valley (impressions), qui reprend le récit détaillé du cinéaste[12] relatant lui-même les faits, qui se déroulèrent à San Fernando Valley (Los Angeles). Elle s'attache à recréer avec les nuances nécessaires la rencontre entre le cinéaste et le jeune modèle. Écartant l’outil d’analyse communément connu sous le nom de domination masculine, D. Sels interroge « l’emprise maternelle »[13], qui exercerait quelquefois sur les destins des filles une influence passéiste ; par exemple quand "la fille substitut"[14], envoyée à un homme par sa mère, réalise par procuration le désir sexuel de celle-ci. « L’emprise maternelle n’est pas plus enviable que la domination sociale masculine. L’emprise maternelle a l’antériorité biologique, elle est prioritaire. Des mères y possèdent leurs filles et leur transmettent un destin périmé[15].» Le fait divers lui-même qui est à l'origine de ces réflexions est très éloigné dans le temps et les lieux, donc enveloppé d’incertitude (d'où le sous-titre : impressions). D’une part, dans tous les métiers, les « coucheries transactionnelles »[16] qui n’auraient pas procuré l’ascension professionnelle escomptée, et qui, déguisées en agression, se retrouvent au tribunal, sont difficiles à distinguer par les magistrats et desservent la cause des femmes violentées. D’autre part « les métiers du désir »[17], comédienne ou modèle, exigent sinon un encadrement du moins une conscience très forte de ce que l’on fait.

Œuvre (suite)

Un sanglier dans le salon est un recueil d’une vingtaine de débats et causeries, dont sept salons Botul[18],[19]. Souvent les causeries se présentent ainsi : un homme parle, écouté par des femmes diplômées et discrètes ; ou bien une femme parle des hommes (chap. 2 « Une juge pour garçons » ; chap. 17). « Mue par une exigence d’équilibre », la narratrice part « à la recherche de la voix de fille de l’humanité [20]». Chemin faisant elle se joint au groupe d’action La Barbe pour aller lézarder la structure même de la causerie traditionnelle. Les chapitres 16 et 18 sont une chronique d’un hiver de ce groupe d’action féministe. Le titre : le sanglier tirerait son nom (qui signifierait singulier, seul) des habitudes du mâle adulte de mener vie solitaire. C’est un hommage à cette part de soi qui à certains instants se sent seule bien qu’entourée, se sent un drôle d’animal. « Quand j’écris, je me moque d’être femme, homme ou sanglier [21] » - ou encore : « Ce matin le goût inné pour les promenades indisciplinées, où l’on s’aventure en solitaire, me tire vers un inconnu bruissant [22].» Ce sanglier ne charge pas systématiquement ; quand il le fait c’est sans parti pris : « Le Deuxième Sexe n’était pas un bon titre. Pourquoi cette allégeance à la Bible[23] ?»

La Barbe retrouve les Guerrilla Girls au Palais de Tokyo. D. Sels est vêtue d’une robe orangée (Paris, 20 juin 2013, photo Alice Coffin.)

Notes et références

  1. épisode relaté in Dominique Sels, Les plus Beaux Diamants du monde, éd. de la Chambre au Loup, p. 43-45.
  2. Michel Crépu, "La mémoire en désordre", La Croix, 03/02/1990.
  3. Eden en friche, p. 187.
  4. « Je vous écris pour vous dire qu’il n’y en a que pour vous depuis que ma mère vous a rencontré, et que ce n’est pas normal. » Eden en friche, apostrophes au lecteur p.12,109-112.
  5. « Lecteur, ma mère, dans mon enfance, tapait à la machine, s'adressant à vous. Son cœur ne battait que pour vous. Et moi, j'allais dans le jardin, je rêvais, j'ai vu un siècle entier dans le ciel du jardin, j'ai vu toute ma famille, les morts et les vivants, toutes les branches de l'arbre de cet Eden en friche. Lecteur, j'ai grandi dans votre silence, mais vous êtes aussi le charme de ce jardin. » Eden en friche, quatrième de couverture dont le texte avait été demandé à l’auteur par l’éditeur.
  6. Le Canard enchaîné, 11/06/08.
  7. Les plus Beaux Diamants du monde, p. 112.
  8. Les plus Beaux Diamants du monde, p. 101 ; pour l'évocation de ce personnage et de son ardent érotisme, voir spécialement p. 101-114, et passim.
  9. Le Masque et la plume, extrait de l'émission du 26/08/07.
  10. avec un texte intitulé /Le désir, la jeune fille et la mère.
  11. " Suites de « l’affaire Polanski »", in Synthèse de l'actualité, Service des Droits des femmes, 16/10/2009.
  12. chapitre 26 du livre de Roman Polanski Roman, éd. Robert Laffont, 1984.
  13. D.Sels, San Fernando Valley, impressions, ed. de la Chambre au Loup, 2010, p. 46 et 88.
  14. titre de la préface à l’édition kindle 2011 de San Fernando Valley, impressions.
  15. D.Sels, San Fernando Valley, impressions, éd. de la Chambre au Loup, 2010, p. 88.
  16. terme et thématique développés dans la section 2 de la préface,op.cit., en ligne ici.
  17. les métiers du désir, op.cit., 2010, thématique des p. 93-94.
  18. « nouvelobs.com », Jean-Max Méjean, "Un sanglier dans le salon", 31.01.2014.
  19. (fr) Sommaire du sanglier dans le salon et premier chapitre, Adolphe contre Adolphe (Adolfo Kaminsky au salon Botul) « en accès libre ici ».
  20. Un sanglier dans le salon, p.13.
  21. Un sanglier dans le salon, p.14.
  22. Un sanglier dans le salon, p. 311.
  23. Un sanglier dans le salon, p. 304.

Voir aussi

Bibliographie

  • Eden en friche, roman, Denoël, 1989 (ISBN 978-2-207-23652-9)
  • Chère indolente, roman, Denoël, 1991 (ISBN 978-2-207-23874-5)
  • Écrire pour conquérir, l’Atelier de Dauphine, propos tenus dans l’atelier de rédaction de l’université de Paris 9-Dauphine, Le Banquet de Frazé éditeur, 2004 (ISBN 978-2-9521689-0-8)
  • Camarillo, Adios les Seventies, roman, éditions de La Chambre au Loup, 2007 (ISBN 978-2-9528451-0-6)
  • Les Plus Beaux Diamants du monde, notes de nuit, éditions de La Chambre au Loup, 2007 (ISBN 978-2-9528451-1-3)
  • Les Mots de l'amour arrivent d'Athènes (vocabulaire de l'amour dans Le Banquet de Platon, suivi du Portrait de Socrate), étude pour le plaisir, éditions de la Chambre au Loup, 2008 (ISBN 978-2-9528451-2-0)- Titre référencé dans le tome 79 de L’Année philologique (APh ; Plato Philosophus – Études). Texte en français. Le vocabulaire de l’amour dans le Banquet de Platon est classé en neuf thèmes ; chaque mot est replacé par une triple citation dans la scène vivante de l’œuvre (citations en grec ancien suivies de la translittération et de la traduction en français). Précédé d'une préface, suivi d'un portrait de Socrate et d'une postface. Index en grec ancien.(Lexicologie - Lettres Classiques - Grec ancien - Littérature - Philosophie - Psychanalyse)
  • Rêverie et fécondité, roman, éditions de la Chambre au Loup, 2009 (ISBN 978-2-9528451-3-7)
  • La petite maîtresse, salon, éditions de la Chambre au Loup, 2010 (ISBN 978-2-9528451-4-4)
  • San Fernando Valley, impressions, éditions de la Chambre au Loup, 2010 pour l'édition brochée (ISBN 978-2-9528451-5-1); et 2011 pour l'édition numérique kindle/Chambre au Loup(ASIN B006BG9QXE)
  • Un sanglier dans le salon , éditions de la Chambre au Loup, 2013, (ISBN 978-2-9528451-7-5)
  • « Adolphe contre Adolphe »,Adolfo Kaminsky au salon Botul, chap. 1 de Un sanglier dans le salon, lecture en accès libre.
  • Sept salons Botul : Adolfo Kaminsky, une Juge, Rémi Mathis, Alain Caillol, Régis Debray, Cédric Villani et Jacqueline Carroy pour ses Nuits savantes (Un sanglier dans le salon, tome I), éd. numérique Kindle/Chambre au Loup, 2014 (ISBN 978-2-9528451-9-9); (ASIN B00HTNRF86)
  • La Barbe à Pleyel et autres rendez-vous, (Un sanglier dans le salon, tome 3), e-book kindle/ Chambre au Loup, 2014 , (ISBN 978-2-37142-000-7) Ce tome contient : Natasha à la Java, soirée H/F : « Où sont les musiciennes ? ; La Parole errante, débat non mixte : Les violences faites aux femmes dans le monde de l’art et de la culture ; Beaumarchais a une poutre dans l’œil, Vous dérangez Jean-Paul Huchon (La Barbe au conseil régional), La Barbe à Pleyel ; Claire Gibault, un frottement sur le mot désir, entretien, en compagnie d’Anne-Marie Viossat.



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