Bien commun

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Le bien commun, en philosophie et sociologie, correspond à accéder à des ressources équitablement partagées et à des intérêts qui soudent les membres d'une communauté et participent à son existence. Pour Ricardo Petrella, le bien commun est ce qui fait vivre les sociétés [1]. Selon Harribey (2011)[2], cette notion (qui met aussi en jeu celle de propriété) serait notamment liée à la prise de conscience progressive par tous et chacun de l'existence d'un patrimoine commun de l’humanité.

Si une réflexion philosophique sur ce qui nous constitue en tant que communauté s'est amorcée au moins dès Platon, le concept de bien commun est thématisé pour lui-même à partir de Thomas d'Aquin.

Éléments de définition

Ce concept semble intuitivement facilement compris, mais s'avère difficile à définir et parfois à traduire (ex l'anglais ne distingue pas facilement le "collectif" du "public", et le mot "commun" est très polysémique en Français).

Il est donc souvent défini par son inverse ou ce à quoi il s'oppose, sur des thèmes aussi variés que par exemple l'appropriation par le marché ou par certains ; la privatisation ; la disparition d'espèces ; la dégradation ou la disparition de ressources non renouvelables ; la surexploitation des ressources ; le dérèglement climatique, la pensée unique ; le personnalisme[3], etc).

Sa définition semble plus ou moins précise ou transversale selon les auteurs et utilisateurs, mais elle est généralement articulée à une réflexion sur l'ordre social ; le contrat social ;l'autorité et sa légitimité[4] ; la chose publique (res publica) ; l'État démocratique comme garant du bien public et commun ou encore de la sécurité foncière[5], du droit et de l'accès réel à la santé et à la justice[6] ; le patrimoine[7] (ou les patrimoines[8]) (avec ou sans notion de propriété) ; l'environnement et la santé environnementale ; le « plein emploi de qualité »[9] et la responsabilité sociale des entreprises (RSE) ; la biodiversité et le bon état écologique, la citoyenneté[10] puis l'éco-citoyenneté, la solidarité et les droits de l'homme[11] ou encore la vie vertueuse. Avec le développement des NTIC, l'information elle-même est parfois considérée comme bien commun[12]. L'eau est souvent présenté comme exemple de bien commun de l'humanité[13].

Pour les économistes

De nombreux économistes se sont intéressé à ce concept. Paul A. Samuelson définit en 1954 le « « bien collectif » » par deux critères

  1. critère de non-exclusion : on ne peut exclure personne de son usage ;
  2. critère de non-rivalité : l’usage par un individu n'empêche pas un même usage ou un autre usage par un autre.

Deux exemples souvent cités sont le phare ou l’éclairage public[2]. Certains auteurs ajoutent que le vrai bien commun est obligatoirement consommé (ex l'air) ou qu'on n'y échappe pas (« on est obligé de « consommer » des avions de chasse »[2]) et qu'il n'est plus commun quand il est si utilisé qu'il y a un effet d’encombrement (la route quand elle devient sursaturée de voitures)[2].

En 1968, le socio-biologiste Garret Hardin postule qu'un accès libre au bien collectif conduit inévitablement à une « tragédie des communs », sauf si (selon lui) un système en régule la consommation ou l'exploitation par un contrôle de la natalité et de la démographie, la nationalisation de ces biens ou leur privatisation. Cette théorie a selon Harribey (2011) trouvé un vif soutien dans le monde économique et financier qui entamait alors « un grand mouvement de dérégulation et de déréglementation de l’économie mondiale » en cherchant à justifier un recul de l’intervention publique ou du contrôle de l'économie par les États[2]. Ce modèle, qui a conduit à la surexploitation de nombreuses ressources naturelles et à l'aggravation du dérèglement climatique et à une croissance des inégalités, sera ensuite dénoncé par l'économiste et politologue américaine Elinor Ostrom qui propose une théorie alternative à la fois au tout-marché et au tout-État, au profit de l'action collective et d'une gestion plus collaborative et négociée des biens communs et des biens publics (matériels ou immatériels). Elle inscrit ce courant dans une « nouvelle économie institutionnelle »[14], notamment précisée en 1990 dans son livre « Gouvernance des biens communs »[15]. Selon E. Ostrom, ce qui différencie le commun et le collectif et/ou public aurait son origine dans une décision et des choix de type politique et collectifs, quel que soit l’échelon considéré, du local au global.

Le bien commun (hormis l'air) est de moins en moins gratuit ou à coût marginal nul.

Depuis l'apparition du brevet et de la protection des droits d'auteurs (dont la durée dans le temps tend à s'allonger), certains "biens" tels que les inventions brevetables et les "oeuvres originales de l'esprit" ne deviennent publics ou "communs" qu'après un certain temps. Cependant un libre accès aux connaissances (non-rivalité) produirait des externalités positives puisque « plus de gens savent, plus la connaissance progresse »[2]

Typologies

Le bien commun regroupe au moins trois types de biens et/ou de communs :

  • des ressources externe à l'Homme et antérieures à l'humanité, que l'on considère souvent comme en quelque sorte offert à la personne[16] et/ou aux sociétés par la Nature (ex air, eau, sol, service écosystémique, aménités telles que la beauté d'un paysage, etc.). Certaines sont encore gratuitement exploitables (l'air par exemple) et d'autres peu à peu appropriées ou privatisées (l'eau, le sol, le sous-sol et les ressources génétiques par exemple) ;
  • parfois entièrement construit par les générations successibles d'humains (la culture, la musique, l'art, etc.) et transmis de génération en génération (ex : diversité des races d'élevage et des variétés cultivées)...

Il est selon J.M Harribey dans tous les cas une construction sociale[2].

Une approche essentialiste lui confère une valeur intrinsèque et par défaut, alors que des approches utilitaristes lui donnent une valeur qui pourraient selon les utilitaristes être chiffrée et étalonnée à l'aune de son utilité pour la société, l'industrie, l'économie.. Ces deux approches peuvent parfois se combiner.

Le « bien commun » est plus ou moins explicitement pris en compte ou défendu par le droit coutumier et/ou certains dispositifs réglementaires classiques (souvent confondu avec l'intérêt public ou l'intérêt général, par opposition aux intérêts particuliers) et s'insère généralement dans un dispositif plus ouvert de négociation locale qui tend aussi depuis plusieurs décennies à devenir global et mondial (Le bien commun et notamment le climat et la biodiversité étaient au centre des attentions du Sommet de la Terre de Rio, qui pour la première fois dans l'histoire de l'Humanité à rassemblé tous les États au chevet de la Planète, pour encourager une gestion plus soutenable et durable de ses ressources, notamment des ressources pas, peu, difficilement, couteusement ou lentement renouvelables afin comme le dit le rapport Brundtland (1987) de répondre à l’objectif de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.

Le « bien commun » dans l'Histoire de la philosophie

De Platon à Aristote

Platon introduit dans la République l'idée que les gardiens de la cité idéale ne possèdent rien en propre, hormis les objets de première nécessité, mais partagent l'habitat, les possessions matérielles et les repas, reçoivent leur nourriture des autres et ne sont pas autorisés à acquérir de l'or[17]. L'éducation des enfants et des jeunes, la procréation et la propriété des femmes appartiennent à l'ensemble des citoyens. Le bien commun définit un mode de propriété conçu pour assurer l'harmonie collective.

Aristote s'attaque directement à Platon, arguant que la communauté des biens génère plus de différends que l'appropriation privée[18]. Affirmant que la cité implique la diversité de ses membres, il élargit la notion de bien commun à la recherche de l'intérêt général ou encore de la vie vertueuse[19]. Le rapport du souverain avec le bien commun départage la nature despotique, oligarchique ou démocratique du régime.

Un droit de propriété romain

Le droit romain apporte à la notion une portée juridique. Les romains distinguent deux catégories majeures du droit : les personnes et les choses (res). Un bien se définit comme une chose appropriable. L'empereur Justinien Ier le divise en quatre catégories dans les Institutes : les choses sacrées, propriété des dieux ; les choses publiques, qui appartiennent à l’État ou à la cité ; les choses communes[20], comme la mer ; les choses privées, propriété des personnes, qui sont précisément organisées par le droit privé. La théorie du bien commun ne s'accompagne alors plus de préoccupations morales ou politiques.

La théorie classique du droit (Domat) distinguera outre la chose publique (res publica) : la chose qui appartient à tous et ne peut appartenir à personne en particulier, ou res communis = chose commune ; et la chose qui n’appartient à personne en particulier, mais pourrait appartenir à quelqu’un, ou res nullius = chose de personne. Soit par exemple : la mer, chose commune, et les poissons, chose de personne.

De l'aristotélisme au thomisme

Albert le Grand, dans son deuxième commentaire de l'Éthique à Nicomaque , discerne deux significations du bien commun, l'une portée sur la perfection morale, l'autre sur la sécurité matérielle, la première étant supérieure à la seconde.

Alain Giffard et d'autres attribuent à Thomas d'Aquin et au thomisme[21] l'une des premières références à ce terme, bonus communis, comme bien (au sens matériel) commun[22]. Thomas d'Aquin affine en effet l'idée d'Albert le Grand dans son propre commentaire en incluant l'idée de participation : c'est en prenant part au bien commun que l'individu fait preuve de bonté. Le bien commun politique vise l'autarcie en vue du bien commun universel qui consiste en l'honnestas, le salut éternel de chacun[19]

Les dimensions du bien commun

Le bien commun a une forte dimension patrimoniale et spirituelle, et donc historique, prospective (en tant que patrimoine inaliénable et à transmettre aux générations futures) et parfois territoriale (Cultures locales, terroir...) ; il peut donc être valorisé, protégé ou au contraire menacé selon les modalités d'aménagement du territoire mis en oeuvre, et selon la manière dont cet aménagement est évalué et contrôlé.

L'Internet et plus encore le Web 2.0 semblent avoir ouvert de nouvelles dimensions aux réseaux sociaux, à la culture et au patrimoine immatériel de l'humanité et à la noosphère. Là aussi se négocient des questions d'apparente gratuité, de sécurité, de transparence et d'appropriation ou privatisation de l'information et de l'accès à l'information et aux informations personnelles.

Aspects moraux et éthiques

Des questions morales et éthiques nouvelles se posent et sont en débat en raison des effets possibles des progrès techniques des biotechnologies (de la transgenèse en particulier), dont sur les génomes humains, animaux, végétaux, microbiens, viraux ou fongiques (« bien privé ou bien commun ? »[23].

Notes et références

  1. Voir fin de la page 15, in Petrella, Ricardo (1996). Le bien commun ; Éloge de la solidarité. Cahiers libres, Ed pages deux, Quotidien Le courrier, Labor (PDF, 111 pages)
  2. a b c d e f et g Harribey, J. M. (2011). Le bien commun est une construction sociale. Apports et limites d'Elinor Ostrom. L'Économie politique, (1), 98-112
  3. De Koninck, C. (1943). De la primauté du bien commun contre les personnalistes. Éditions de l'Université Laval.
  4. Fessard, G. (1969). Autorité et bien commun. Aubier-Montaigne.
  5. Jacob, J. P. (2005). Sécurité foncière, bien commun, citoyenneté: quelques réflexions à partir du cas burkinabè. Laboratoire citoyennetés.
  6. Chanial, Philippe (2001). Justice, don et association: la délicate essence de la démocratie, Ed La découverte, Paris (résumé).
  7. ]Audrerie, D. (1997). La notion et la protection du patrimoine (Vol. 3304). Presses universitaires de France.
  8. Micoud, A. (1995). Le bien commun des patrimoines. École Nationale du Patrimoine, Patrimoine culturel, patrimoine naturel, 25-38.
  9. Méda, D. (2000). Le plein-emploi de qualité : une figure du bien commun in L'économie politique no 8.
  10. David, F. (2004). Bien commun recherché : une Option citoyenne. Montréal: Éditions Écosociété.
  11. Petrella, Ricardo (1996). Le bien commun ; Éloge de la solidarité. Cahiers libres, Ed pages deux, Quotidien Le courrier, Labor (PDF, 111 pages)
  12. Aigrain P (2005) Cause commune: l'information entre bien commun et propriété. Paris ; Fayard.
  13. Bouguerra, M. L. (2003). Les batailles de l'eau : pour un bien commun de l'humanité (Vol. 7). Éditions d'en bas.
  14. Nick Zagorski, « Profile of Elinor Ostrom », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 103, 2006.
  15. La gouvernance des biens communs : Pour une nouvelle approche des ressources naturelles [« Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action »], Commission Universite Palais, , 300 p. (ISBN 978-2804161415)
  16. Maritain J (1947) La personne et le bien commun. Desclée de Brouwer et Cie.
  17. Platon, La République, Paris, GF Flammarion, (ISBN 2-08-070090-1), Livre III 416a-147b
  18. Aristote, Les Politiques, traduction et notes par Pierre Pellegrin, GF Flammarion, 2e éd., 1993, Livre II, chap. 5
  19. a et b Bénédicte Sère, « Aristote et le bien commun au Moyen Âge : une histoire, une historiographie », Revue Française d'Histoire des Idées Politiques, 2/2010 (no 32), p. 277-291. [1]
  20. "L'air, l'eau courante, la mer et ses rivages sont choses communes en ce sens qu'il n'existe à leur égard aucune distinction de propriété ; d'où il suit que chacun peut en user librement, et par l'usage qu'il en fait, s'approprier l'air qu'il respire, l'eau qu'il puise." Justinien, trad. et explication par Adolphe Marie Du Caurroy de la Croix, Institutes, Livre 2, titre 1, §1. [2]
  21. Michel, S. (1931). La notion thomiste du bien commun (Doctoral dissertation).
  22. Alain Giffard, « Distinguer bien commun et bien(s) commun(s) », (consulté le )
  23. Cassier, M., & Gaudillière, J. P. (2000). Le génome: bien privé ou bien commun ?. Biofutur, 2000(204), 26-30

Voir aussi

Bibliographie