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Gravure dénonçant les cruautés du 2 septembre 1792

Les massacres de septembre sont une suite d’exécutions sommaires qui se sont déroulées du 2 au 6 ou au 7 septembre 1792 dans les prisons parisiennes[1]. Ils s'accompagnent de massacres en province (notamment à Orléans, Meaux, Reims, ou Versailles) qui ont fait beaucoup moins de victimes.

Ces exécutions s'inscrivent dans un contexte de violences à Paris[note 1] et en province[2] qui radicalisent les extrêmes en affaiblissant les modérés[2]. Elles s'inscrivent également sur fond de psychose alimentée à la fois par le flou qui règne au niveau du pouvoir exécutif, l’invasion austro-prussienne, les nouvelles alarmantes du front qui ravivent la crainte de représailles royalistes, et les rumeurs d’un complot de l'intérieur, le « complot des prisons » où sont retenus les suspects de sympathie avec l'ennemi.

Des groupes (les « septembriseurs »[note 2]) se rendent dans les prisons de Paris et exécutent de nombreux prisonniers au terme d'un procès sommaire. Les historiens estiment généralement que ces massacres auraient fait entre 1 000 et 1 400 morts à Paris et 150 morts en province.

Les réactions à ces événements ont été très variées ; instrumentalisés, dénoncés, minimisés voire sanctionnés, ils ont alimenté l'imaginaire romantique et fait l'objet d'analyses contradictoires dans l'historiographie.

Contexte[modifier | modifier le code]

L’invasion étrangère[modifier | modifier le code]

Siège de Lille, 1792, par le peintre Watteau de Lille

La France avait déclaré la guerre à l'Autriche — alliée à la Prusse par un accord du — le 20 avril 1792. Après une campagne de printemps calamiteuse pour les armées françaises, une trêve de trois mois avait été obtenue le 18 mai[3], mais les opérations avaient repris après le 10 août. Le 19, les armées de Clerfayt (29 000 Autrichiens) et de Brunswick (40 000 Prussiens), suivies de 5 000 émigrés, ayant fait leur jonction, pénètrent en France. Les places de la frontière furent rapidement menacées par l’avancée prussienne : Longwy capitula sans résister le 23 août , Verdun fut assiégée, alors que Thionville se trouvait encerclée et bombardée. Sur le front nord, la situation n’était pas meilleure, Lille étant soumise aux intenses bombardements de l’armée autrichienne[4].

Les nouveaux généraux, Kellermann et Dumouriez furent donc jugés tout aussi inefficaces que Luckner[5]. Dumouriez, commandant l’armée du Nord, projetait d'envahir la Belgique, ce qui lui aurait permis de couper la route de Paris au généralissime des armées austro-prussiennes ; mais le 29 août, la prise de Verdun — après la capitulation de Longwy le 23 août — l’obligea à abandonner ce plan[6]. Dès lors, Paris se sentit directement menacé.

La Commune insurrectionnelle, qui, après le 10 août 1792, représentait un pouvoir parallèle à celui de l'Assemblée, décida de lever une armée de 30 000 hommes en région parisienne et dans les départements limitrophes afin d'aller combattre les armées ennemies, ainsi que et de faire creuser des retranchements pour la défense de Paris[7].

Rumeurs et violences[modifier | modifier le code]

Prise des Tuileries le 10 août 1792

Le manifeste de Brunswick, daté du 25 juillet, avait été publié à Paris par le Moniteur le 1er août [8]. Signé par le duc de Brunswick, il avait été rédigé à la demande de Marie-Antoinette afin d’intimider ses ennemis[9]. Menaçant pour les révolutionnaires, il laissait entendre que, faute d’une reddition et d’un retour à l’ordre royal, les armées prussiennes livreraient Paris à « une exécution militaire et une subversion totale ». Ce manifeste déclencha un formidable sursaut révolutionnaire qui aboutit à la journée du 10 août[10].

Les sectionnaires, poussés par les menaces contre-révolutionnaires, et considérant Louis XVI comme un traître, prirent le palais des Tuileries lors de la journée du 10 août 1792. La Commune se fait remettre le roi et la famille royale et les enferme au Temple le 13 août[11]. Un certain nombre de proches du roi et de suspects furent également incarcérés dans les prisons parisiennes, où ils furent rejoints par des agités qui avaient été surpris à piller le palais des Tuileries. Le mouvement d’émigration des royalistes s’accélèra alors, certains rejoignant l’armée des émigrés.

En province, notamment dans le sud et dans l'ouest, les contradictions s'exacerbèrent entre partisans et opposants de la Révolution[2]. Les massacres de septembre s’inscrivent donc dans un contexte de montée de la violence meurtrière contre les ennemis supposés de la Nation. Pendant l’été 1792, ces accès de violence eurent lieu notamment après le 11 juillet avec la déclaration de la Patrie en danger, et après le 10 août avec la prise des Tuileries.

Vide politique[modifier | modifier le code]

Dans ce contexte de radicalisation des positions, la suspension du roi, la lutte permanente et concurrentielle de deux instances dirigeantes : le comité exécutif de l'Assemblée législative, encouragé par les Girondins, d'un côté et la Commune insurrectionnelle, encouragée par Robespierre et les sans-culottes parisiens de l'autre, favorisa des dérapages constitutionnels ; ainsi, les journaux Feuillants furent interdits et leurs députés n’osèrent plus se présenter à l’Assemblée de peur d’être molestés ou arrêtés et beaucoup durent s’exiler, alors que les purs royalistes, authentiques contre-révolutionnaires, sont peu inquiétés [note 3].

La Commune insurrectionnelle fut la grande bénéficiaire de la journée du 10 août : proche des sections de sans-culottes, elle représentait une légitimité nouvelle, issue de la révolution. Ce nouveau pouvoir envahissant, qui siégeait à l’Hôtel de ville, portait, sinon dans ses projets révolutionnaires, du moins dans ses compétences, les défauts de son recrutement. La Commune disposait en effet d’une grande influence à Paris et pouvait faire pression sur l’Assemblée législative à qui elle imposa la création d’un tribunal criminel le 17 août pour juger les suspects qui avaient défendu le roi lors de la prise des Tuileries[12]. La volonté de vengeance était forte chez les sans-culottes : il y avait eu en effet près de 400 victimes parmi les assaillants de la journée du 10 août[13] et les sections menaçaient de massacrer les royalistes si le tribunal n’était pas créé rapidement[14].

De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace !

Une rumeur persistante circulait dans Paris que les royalistes arrêtés le 10 août méditaient un complot, du fond des prisons où ils étaient détenus, prêts à s’appuyer sur les prisonniers de droits communs qu’ils côtoyaient pour égorger les patriotes[15]. Selon François Furet, ce fut davantage la base populaire des sans-culottes que leurs chefs qui prit peur : peur de la trahison, et peur chez les volontaires qui allaient partir que leurs femmes et leurs enfants ne subissent des représailles en leur absence[16]. Ce fameux « complot des prisons », visant à égorger des femmes et des enfants[13], contribua fortement à l’excitation des esprits et à l’amplification de la peur. Dans ce contexte, l’annonce simultanée du siège de Verdun, de l’acquittement de Montmorin, la publication d’une lettre d’un espion des émigrés indiquant les activités royalistes à l’intérieur même de Paris poussèrent les angoisses des sectionnaires à leur paroxysme.

La section Poissonnière fut la première à adopter une motion exigeant le jugement rapide des prisonniers, suivie par quatre autres le même jour. D’autres sections s’insurgèrent contre les atermoiements et les déficiences du tribunal du 17 août en demandant une justice plus expéditive.

La tension monta encore le 26 août, lors de la cérémonie funèbre organisée aux Tuileries en mémoire des morts du 10-Août[17],[18]. Cette cérémonie était orchestrée par Sergent-Marceau. On pouvait contempler une grande pyramide de serge noire recouvrant le grand bassin devant les Tuileries, sur laquelle étaient répertoriés les massacres commis par les aristocrates depuis le début de la Révolution, à Nîmes, à Nancy, au Champ-de-Mars, en Provence ou à Marseille. Une procession fut organisée, ouverte par les veuves et les orphelines en robe blanche et ceinture noire mêlée de tricolore, suivies par des sarcophages représentant les victimes du 10 août et des fédérés sabre au poing et des bannières sur lesquelles étaient tracées des inscriptions vengeresses. Puis venaient les statues de la Loi et de la Liberté, les membres du tribunal criminel du 17 août, les 288 membres de la Commune de Paris, enfin les députés de l'Assemblée, des couronnes civiques à la main. Une musique de Gossec accompagnait des vers funèbres de Marie-Joseph Chénier, tandis qu'une guillotine avait été dressée en face, sur la place du Carroussel, pour signifier le sort qui attendait ceux qui s'opposaient à la marche de la Révolution[19].

Or, en date du 26 août, le tribunal n'avait encore prononcé que trois condamnations à mort[20] et libéré certains suspects faute de preuves[21], alors que les journaux publiaient des articles signés Marat, Hébert ou Fréron réclamant une « purge » des ennemis de la révolution[22]. Devant l'exaspération montante des sections, les municipalités furent autorisées à effectuer des visites domiciliaires, ce qui conduisit à de nombreuses arrestations de suspects[23]. La crainte montant, les portes de Paris furent fermées le 29 août au soir à 22 heures, et les visites domiciliaires se succédèrent jusqu’au soir du 31[21].

C'est dans ce contexte que les députés girondins réclamèrent, le 30 août, la dissolution de la Commune insurrectionnelle, décision qui, selon l'historien Jean-Paul Bertaud, contribua à renforcer un sentiment d’abandon parmi les sans-culottes qui se sentaient trahis par une partie importante de l’Assemblée et du gouvernement et ne virent dès lors leur salut qu’entre leurs propres mains [20].

Cette désaffection s’exacerba lorsque, sur proposition des militaires[20], le ministre de l’Intérieur Roland, ainsi que quelques Girondins, voulurent déplacer le gouvernement sur les bords de la Loire et évacuer la capitale à l'annonce de la chute de Verdun. Le gouvernement et l’Assemblée se seraient trouvés ainsi à l’abri des Prussiens, mais aussi de la Commune et des clubs[24]. Danton, ministre de la Justice, s’opposa énergiquement à cette mesure le 2 septembre, dans un discours célèbre  : « Le tocsin qu’on va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie [..] de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! ».

Chronologie des événements du 2 au 7 septembre[modifier | modifier le code]

2 septembre[modifier | modifier le code]

Verdun était tombée le 2 septembre, mais la nouvelle officielle n’arriva à Paris que bien plus tard. Cependant, dès le 2 septembre, la rumeur s'était répandue dans la ville, augmentant la panique. Les massacres commencèrent ce jour même, deux heures après le discours de Danton appelant au maintien du gouvernement à Paris[25].

Massacres devant la prison de l'Abbaye

À 14 heures, un groupe de 24 prêtres réfractaires était convoyé du dépôt de l’Hôtel de ville à la prison de l'Abbaye, sous l’escorte de gardes nationaux[25],[23]. Ce transfert, ordonné par le comité de surveillance[26], allait déclencher la série des massacres[27]. L’escorte, formée d’ardents révolutionnaires, insulta et rudoya les prêtres tout au long du trajet. Le convoi dut ralentir, freiné par la foule, avant d’arriver à la prison de l’Abbaye. Le moment précis de la formation de cet attroupement est discuté, et selon Bluche, impossible à déterminer[28]. Quoi qu'il en soit, les prisonniers furent la cible de coups et d’insultes venus de la foule. Arrivés à l’Abbaye, des hommes armés, pour la plupart adjoints de l’escorte, demandèrent à la section des Quatre-Nations de juger les prêtres promptement. Brièvement interrogés, dix neuf prêtres furent immédiatement exécutés. Cinq d’entre eux furent épargnés[29], dont l’abbé Sicard, reconnu et protégé par un membre du comité de la section[30],[31] ; les quatre autres, dans la confusion, ayant été assis par ruse parmi les juges, eurent la vie sauve. Ces exécutions, avec les interrogatoires, ne duraient au total pas plus de 30 à 60 minutes[31].

Les jugements étaient rendus par une « commission populaire », présidée par Stanislas Maillard. L'appel des suspects s'opérait à l'aide du registre d’écrou informant les juges sur les circonstances de leur incarcération[32]. Les vérifications, comme les interrogatoires, furent sommaires. Quelques rares acquittements eurent lieu, lorsque le public murmurait contre l’exécution de certains prisonniers. La plupart des jugements étaient cependant accueillis par des vivats[note 4].

Vers 16 heures, un groupe armé se rendit à la prison des Carmes où 150 prêtres insermentés étaient détenus depuis le 10 août[33]. Une heure auparavant, le juge de paix Joachim Ceyra y avait fait une brève apparition pour procéder à l’appel des prisonniers. Les prêtres furent poussés vers le jardin[34] où débuta la tuerie, d'abord par une fusillade, puis à coups de piques et de sabres ; certains religieux cherchèrent refuge à la chapelle, mais furent ramenés de force et exécutés dans le jardin ; quelques uns toutefois parvinrent à s’échapper[33]. L’arrivée du Commissaire de la section du Luxembourg Jean-Denis Violette suspendit un instant les massacres. Il établit une procédure en faisant office de juge et fit comparaître les prêtres survivants. Les jugements consistèrent en une rapide vérification d’identité et un verdict immédiat. Peu avant six heures tout était terminé, après 115 exécutions. Les quelques prêtres rescapés furent conduits au siège de la section du Luxembourg[35].

Vers 20 heures, les massacres commencèrent à la Conciergerie où ils s’achevèrent dans la nuit[36]. Pour accélérer le rythme des exécutions, une deuxième section s'ajouta au tribunal ; parmi les victimes figuraient le général de Beaufort et les juges hostiles au mouvement populaire de la journée du 20 juin précédent[37]. Les exécutions commencèrent à 23 heures au Grand-Châtelet, et s’y poursuivirent jusqu’à 4 heures du matin[38].

3 septembre[modifier | modifier le code]

À minuit, dans la nuit du 2 au 3, le massacre s’étendit à la Force[38], où, comme pour les prisons de l’Abbaye, des Carmes ou du Châtelet, une forme de justice rudimentaire fut mise en place[39]. En cette matinée du 3 septembre, Jacques-René Hébert était le président de ce tribunal improvisé[40]. Assisté par Monneuse, il fit comparaître et condamner la princesse de Lamballe, la seule femme exécutée dans cette prison où étaient retenues les dames de l'entourage de la famille royale comme Mme de Tourzel et sa fille.

Le matin du 3, à la prison de Saint-Firmin, 75 ou 76 prisonniers (soit 80 % des prisonniers) furent massacrés[41]. Dans le même temps les bagnards du dépôt de la tour Saint-Bernard sont presque tous exécutés[41].

Dès la journée du 2 septembre une rumeur s’était propagée sur la prison de Bicêtre, qu’une conspiration armée se préparait en relation avec les autres centrales de Paris, rumeur sans fondement[42], mais sur la foi de laquelle, l’après-midi du lundi 3 septembre, les massacreurs se portèrent à cette prison, où ils agirent sous la protection de 1 500 à 2 000 sectionnaires équipés de canons[41]. Au soir, le « travail » était inachevé, mais s’arrêta pour la nuit[43].

Au même moment, environ 250 hommes armés pénétraient dans la Salpêtrière, pendant féminin de Bicêtre, et libéraient 186 recluses. Un détachement fourni de la garde nationale de la section de Mauconseil, arrivé vers dix-neuf heures, parvint à faire évacuer l'établissement[44],[45].

Dans la matinée, le massacre s’arrêta définitivement à la prison de l'Abbaye[46]. Sur 238 internés environ que comptait la prison, on estime que le chiffre des victimes a pu se situer entre 139 et 179[47].

Sous l’inspiration de Marat, qui en était membre, une circulaire du comité de surveillance, contresignée par Danton, ministre de la Justice, appela à la généralisation des massacres dans toute la France[48].

Du 4 septembre à la fin des massacres à Paris[modifier | modifier le code]

Le massacre reprit à Bicêtre le matin du 4 pour s’arrêter à 15 heures. Sur approximativement 411 détenus, on dénombre entre 162 et 172 victimes[49].

À l’hospice-prison de la Salpêtrière, l'économe, Dommey, inquiet de ce que des citoyens armés entraient librement dans les bâtiments et du bruit qui courait, suivant lequel des hommes et des femmes interviendraient dans la journée, écrivit le matin du 4 septembre au maire de Paris, Jérôme Pétion de Villeneuve, et à la section du Finistère pour demander de l'aide. Pétion était absent et le commandant de la garde nationale, Antoine Joseph Santerre, ne bougea pas. Quant à la section du Finistère, elle se contenta d'envoyer deux commissaires, Mathieu François Brunet et Charles Gombert Bertrand. En fin d'après-midi, une bande d'hommes qui avaient participé aux massacres de Bicêtre s'attroupa sur le boulevard de l'hôpital et se rendit à la Salpêtrière. Deux commissaires municipaux, Simon et Michonis, auraient, selon leur rapport, tenté en vain de les retenir. À l'intérieur, un tribunal fut improvisé et, après examen des registres que l'économe avait été forcé de leur communiquer, ils exécutèrent les 35 détenues portant une flétrissure, soit 8 % des femmes emprisonnées[50]. Une des victimes fut Marie-Louise Nicolais, veuve de l'empoisonneur Antoine-François Desrues, âgée de 47 ans, « flétrie d'un (V) sur les deux épaules » et enfermée à la Salpêtrière depuis le [51]. Parmi les autres victimes se trouvaient des enfants et des malades mentaux.

Cinquante-deux femmes furent par contre libérées[52]. Après la fin du massacre, les commissaires de la section, qui avaient assisté impuissants à la tuerie, procédèrent avec deux « garçons de bureau » à l'inventaire des biens contenus dans les vêtements des victimes, soit 830 livres en assignat et en pièces, ainsi que quelques bijoux, déposés à la section, et firent inhumer les corps dans le cimetière de l'hôpital[53].

Les historiens diffèrent sur le crédit à apporter aux témoignages concernant le viol des victimes. Bluche les tient pour possibles[52], Michelet et Carbonnières pour certains[54],[55]. J.-C. Martin pense qu'il y en eut une trentaine[50].

Le soir du 4, seul le tribunal de la Force fonctionnait encore. Il opéra jusqu’au soir du 6, peut-être jusqu’au matin du 7[56]. Ce fut le dernier tribunal populaire à fonctionner à Paris. Sur un total de 408 prisonniers, 161 à 169 furent exécutés, au terme d'une centaine d’heures de procédure[57].

Les massacres en province[modifier | modifier le code]

La plupart des auteurs évoquent les massacres qui eurent également lieu en province les jours suivants, dont les plus importants se situèrent à Versailles, Meaux, Lyon, Caen, Gisors[23] et Reims. Ils firent 14 morts à Meaux, 11 à Lyon, 8 à Reims et furent le fait de volontaires, de gardes nationaux ou de fédérés. Le seul massacre d'importance eut lieu à Versailles le 9 septembre, où, sur une cinquantaine de prisonniers transférés depuis Orléans, 42[58] 44 furent massacrés, dont l’ancien ministre Lessart[23] et le comte-évêque Jean-Arnaud de Castellane. Après quoi, 23 prisonniers de la ville, essentiellement de droit commun, furent à leur tour massacrés[58].

Les victimes[modifier | modifier le code]

Bilans chiffrés[modifier | modifier le code]

Très rapidement, de nombreux bilans contradictoires se succédèrent, alimentés par les rumeurs et par les priorités politiques des uns et des autres. Le London Times du 10 septembre 1792 annonça en gros titre un bilan de 12 000 victimes « TWELVE THOUSAND PERSONS »[59]. En 1793, l’abbé Barruel parla de 13 000 morts.

Cependant un premier bilan un peu méthodique fut diligenté par la Commune de Paris. Assaillie de requêtes par les familles, celle-ci commanda un rapport sur les victimes dans les différentes prisons : remis le 10 novembre, il estimait à 1 079 le nombre de morts, mais fut tenu secret avant d'être retrouvé par Adolphe Granier de Cassagnac dans les archives de l'Hôtel de Ville de Paris[60]. On trouve des chiffres analogues dans les publications des témoins d'époque : dans son Histoire particulière des événements qui ont eu lieu en France pendant les mois de juin, juillet, août et septembre 1792, publié en 1806, Mathon de la Varenne estimait le nombre de victimes à 1089[61]. Prudhomme, évaluait le nombre de victimes à 1035. Jean Gabriel Peltier, réfugié à Londres après le 10 août, avançait en 1797 le chiffre de 1005 morts[62].

Depuis les travaux réalisés par les historiens de la seconde moitié du XIXe siècle à partir des archives et des registres d'écrous[63], il semble qu'un consensus se soit formé sur une fourchette allant de 1 090 à 1 400 exécutions sommaires[64],[note 5].

Le profil des victimes[modifier | modifier le code]

Pour Jean-Clément Martin, la majorité des victimes furent des hommes, contre 8 % de femmes (dont une trentaine de détenues violentées à la Salpêtrière)[50].

Parmi les prisonniers, 75 % étaient des détenus de droit commun ou des prostitués[65],[23]. Les cibles principales des massacreurs furent cependant les prêtres réfractaires[16] et les aristocrates[23],[note 6].

Parmi les victimes laïques figuraient des serviteurs employés aux Tuileries, les officiers et sous-officiers des gardes suisses et les gardes du corps qui avaient été placés à l'Abbaye et à la Force, ainsi que des proches de la famille royale tels que la princesse de Lamballe, les anciens ministres Montmorin ou Valdec de Lessart, le duc de Brissac ou bien encore Thierry de Ville-d'Avray, qui recevait les confidences de Louis XVI.

Les septembriseurs[modifier | modifier le code]

Nombre de participants[modifier | modifier le code]

Leur nombre est difficile à préciser. Si le 2 septembre, au début des massacres, on peut estimer que la foule qui se rend aux prisons est relativement plus importante (au maximum 10 000 personnes), que lors d’une journée révolutionnaire classique, son nombre ne cesse de diminuer les jours suivants : quelques centaines, voire quelques milliers de personnes au maximum sont présentes devant les prisons[66]. Cette foule, qui ne fait qu’assister aux massacres, prise de lassitude, finit même par les désapprouver (à la Force, elle manifeste son approbation lors des acquittements[67]). Ceux qui exécutent les prisonniers sont beaucoup moins nombreux, quelques centaines au maximum, travaillant par roulement, ce qui réduit d’autant leur nombre effectif lors des massacres : cinquante à l’Abbaye, une douzaine à la Force[68].

Profil[modifier | modifier le code]

Les septembriseurs furent identifiés essentiellement par le procès de floréal an IV, qui concerna 36 prévenus. Parmi eux, on trouve des petits bourgeois, artisans, commerçants, comme lors des journées du 20 juin et du 10 août 1792. Les marginaux de la capitale, truands et mendiants, en sont complètement absents[16],[69]. La moyenne d’âge est de 36 ans en septembre 1792. Michel Winock, s’il donne la même composition sociale aux groupes de septembriseurs, note qu’on ne connaît pas le nom des acteurs[70] : en fait, sur les quelques centaines de massacreurs, la plupart restèrent libres et anonymes. En effet, comme pour les massacres de province, les « septembriseurs » étaient souvent des fédérés ou des volontaires en route vers la zone des combats[71]. Ils tuaient principalement à l'arme blanche (haches, piques, coutelas), mais certains prisonniers furent assommés (à l'aide de bûches, massues, outils divers, battes à plâtre)[72], ce qui fit les fit surnommer les « bûcheurs ».

Motivations[modifier | modifier le code]

Au moment des interrogatoires, les accusés évoquèrent à leur défense le danger extrême pesant sur la patrie, le complot des prisons « avéré », la justice légale inopérante ; ils nièrent avoir été guidés par un chef, considérant que le peuple, depuis le 10 août, s'était emparé de tous les pouvoirs, celui de faire la loi, de juger et d'exécuter, pour rétablir un ordre menacé[73].

Parmi les autres motivations qui ressortirent des débats figure la haine des aristocrates, des fortunés, des accapareurs qui faisaient renchérir le pain, haine ancienne, renforcée par les difficultés économiques de l'époque[74]. En ce qui concerne les massacres de criminels, Frédéric Bluche y voit l'expression de l'hostilité habituelle du petit bourgeois envers les marginaux[75].

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Roger Dupuy, La République jacobine : Terreur, guerre et gouvernement révolutionnaire, Paris, Le Seuil, coll. « Points histoire », (ISBN 2-02-039818-4) ;
  • Jean-Clément Martin, Contre-Révolution, Révolution et Nation en France, 1789-1799, Paris, éditions du Seuil,  ;
  • Frédéric Bluche, Septembre 1792. Logiques d’un massacre, Paris, Robert Laffont,  ;
  • Michel Winock, L’Échec au roi, 1791-1792, Paris, Olivier Orban, (ISBN 2855655528) ;
  • Michel Vovelle, La Révolution française, vol. III, Messidor/Livre Club Diderot,
  • François Furet et Denis Richet, La Révolution française, Fayard,  ;
  • Albert Soboul, La Révolution française, Paris, Gallimard, 1984, nouvelle édition revue et augmentée (ISBN 2-07-070106-9) ;
  • Jean et Nicole Dhombre, Lazare Carnot, Fayard,
  • Haïm Burstin, Une révolution à l'œuvre: le faubourg Saint-Marcel (1789-1794), Champ Vallon, , 923 p. ;

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Voir les événements du 10 août
  2. « Septembriseur. sub. m. Nom donné à ceux qui firent ces massacres, et par extension, à ceux qui furent soupçonnés de les avoir approuvés. On nommoit proprement ces derniers Septembristes. » In cinquième édition, Dictionnaire de l'Académie française,
  3. Les Jacobins, avec une grande lucidité politique s’en prennent surtout aux monarchistes modérés, les seuls vers lesquels les « perspicaces » pouvaient se tourner le cas échéant ; bref, ils s’en prirent surtout aux partisans les plus sincères de la royauté constitutionnelle. (Voir Frédéric Bluche, Logiques d’un massacre, p. 24-25)
  4. Lorsque le verdict était la peine capitale, les juges annonçaient : « à la Force », ce qui pouvait laisser supposer un transfert simple à la prison de la Force (voir Bluche, Logiques d’un massacre, p 61. Mais dès que les prisonniers franchissaient le seuil de la prison sur la place de l'Abbaye, ils tombaient sous les coups de piques ou de baïonnettes. Le cri : « Vive la nation », en revanche, signifiait l’acquittement
  5. Jean-Paul Bertaud indique également une fourchette allant de 1 090 à 1 395 massacrés, dont 200 prêtres réfractaires, et signale qu'au moins 1 333 prisonniers furent épargnés (Jean-Paul Bertaud, La Révolution française, Perrin, coll. « Tempus », , p. 169). Cet avis est partagé par Donald Sutherland (Donald M. G. Sutherland, Révolution et Contre-Révolution, p 176). De son côté, Bernardine Melchior-Bonnet donne 1 395 morts à Paris (op. cit., p. 57.), tandis que François Furet pense qu'il y eut entre 1 100 et 1 400 victimes) (op. cit., p. 175.
  6. Les religieux furent considérés comme martyrs par l'Église catholique. 191 d'entre eux (3 évêques, 127 prêtres séculiers, 56 religieux et 5 laïcs) (Voir « Saints Martyrs de Septembre »), Nominis et « Bienheureux martyrs de 1792 », site comprenant une liste des martyrs), ont été béatifiés en par Pie XI. Célébrés le 2 septembre dans le calendrier liturgique, cette mention ne figure pas sur les agendas ordinaires

Références[modifier | modifier le code]

  1. Roger Dupuy, La République jacobine : Terreur, guerre et gouvernement révolutionnaire, Paris, Le Seuil, coll. « Points histoire », (ISBN 2-02-039818-4) p. 21
  2. a b et c Jean-Clément Martin, Contre-Révolution, Révolution et Nation en France, 1789-1799, Paris, éditions du Seuil, p.137-146
  3. Frédéric Bluche, Septembre 1792. Logiques d’un massacre, Paris, Robert Laffont, , p. 26.
  4. Michel Vovelle, La révolution française, vol. III, Messidor/Livre Club Diderot, , p. 157.
  5. Bluche, op. cit., p 26-27
  6. François Furet et Denis Richet, La Révolution française, Fayard, , p. 174.
  7. Albert Soboul, La Révolution française, Paris, Gallimard, 1984, nouvelle édition revue et augmentée (ISBN 2-07-070106-9) p 255
  8. Les historiens ne sont pas tous d’accord sur la date de parution du Manifeste à Paris : cela va du 27 juillet au 4 août, mais une majorité (tels Albert Soboul, Frédéric Bluche ou Élisabeth et Robert Badinter, etc.) s’accordent pour donner plus précisément le 1er août.
  9. Michel Winock, L’Échec au roi, 1791-1792, Paris, Olivier Orban, (ISBN 2855655528), p. 262.
  10. Jean et Nicole Dhombre, Lazare Carnot, Fayard,
  11. Sa déchéance n’étant prononcée que lors de la première séance de la Convention, le , Winock, op. cit., p. 264.
  12. Winock, op. cit., p. 287.
  13. a et b Jacques Berchtold, Michel Porret, La peur au XVIIIe siècle: discours, représentations, pratiques, Librairie Droz, , 276 p. (ISBN 2600000127), p. 73-74
  14. Jacques Solé, Révolution et révolutionnaires en Europe : 1789-1918, Paris, Gallimard, p. 530-531.
  15. Bluche, op. cit., p. 30.
  16. a b et c François Furet & Denis Richet, La Révolution française, Paris, Hachette, 2003, collection Pluriel (1re édition 1963) (ISBN 2-01-278950-1), p. 173.
  17. Jacques Solé, op. cit., p 532
  18. Voir Isidore Helman, « Pompe funèbre en l'honneur des morts du 10 août organisée dans le jardin national »
  19. Roger Dupuy, La République jacobine, p. 13 et 18-19.
  20. a b et c Jean-Paul Bertaud, op. cit., p. 167.
  21. a et b La République jacobine, p. 19.
  22. Jacques Berchtold, Michel Porret, p. 74
  23. a b c d e et f Bernardine Melchior-Bonnet, op. cit., p. 57.
  24. Frédéric Bluche, Danton, p. 193-194.
  25. a et b François Furet & Denis Richet, op. cit. p 172
  26. Roger Dupuy, op. cit., p. 22-23.
  27. Bluche, Logiques d’un massacre, p 47
  28. Bluche, Logiques d’un massacre, p 48
  29. Michel Winock, op. cit., p 308
  30. Roger Dupuy, op. cit., p 23
  31. a et b Bluche, Logiques d’un massacre, p 49
  32. Bluche, Logiques d’un massacre, p 60
  33. a et b Bluche, Logiques d’un massacre, p 49-50
  34. Voir Les grandes heures de la Révolution de G. Lenotre et André Castelot tome II - chapitre IV – « Les Massacres », Perrin 1962. p.165
  35. Bluche, Logiques d’un massacre, p 50
  36. Bluche, Logiques d’un massacre, p 193
  37. Bluche, Logiques d’un massacre, p 65
  38. a et b Bluche, Logiques d’un massacre, p 68
  39. Bluche, Logiques d’un massacre, p. 126.
  40. Les grandes heures de la Révolution de G. Lenotre et André Castelot tome II- chapitre IV – « Les Massacres », Perrin, 1962, p. 200.
  41. a b et c Bluche, Logiques d’un massacre, p. 70.
  42. Bluche, Logiques d’un massacre, p. 90.
  43. Bluche, Logiques d’un massacre, p. 71.
  44. Haïm Burstin, Une révolution à l'œuvre: le faubourg Saint-Marcel (1789-1794), Champ Vallon, , 923 p., p. 429.
  45. Louis Mortimer-Ternaux, Histoire de la terreur, 1792-1794, t. III, Michel Lévy frères, p. 315-317, parle de deux ou trois compagnies.
  46. Bluche, Logiques d’un massacre, p. 193.
  47. Bluche, Logiques d’un massacre, p. 99.
  48. Albert Mathiez, La Révolution française, volume 2, Denoël, 1985, p. 35, ou Frédéric Bluche, op. cit., 1986, p.171.
  49. Bluche, Logiques d’un massacre, p. 99.
  50. a b et c Jean-Clément Martin, Violence et Révolution..., 2006, p. 141
  51. Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris et de l'île de France, 1902, t. 29, p. 43.
  52. a et b Bluche, op. cit., p 72
  53. Haïm Burstin, Op. cit., p. 429-430.
  54. Philippe de Carbonnières, Lesueur, gouaches révolutionnaires: collections du Musée Carnavalet, Paris musées, 2005, 247 pages (ISBN 2879008581)
  55. Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, Chamerot, 1849, tome IV, p. 193.
  56. Bluche, Logiques d’un massacre, p. 72.
  57. Bluche, Logiques d’un massacre, p. 192.
  58. a et b Roger Dupuy, La République jacobine, p. 25.
  59. Éditorial, « France », London Times,‎ (lire en ligne)
  60. Adolphe Granier de Cassagnac, Histoire des Girondins et des massacres de septembre, d'après les documents officiels et inédits, accompagnée de plusieurs fac-simile, E. Dentu, , p. 268
  61. Crimes de Marat et autres égorgeurs, ou ma résurrection, 1795 (1086 morts, plus trois inconnus, dont 202 ecclésiastiques)
  62. Tableau du massacre des ministres catholiques et des martyres de l'honneur exécutés dans le couvent des Carmes et à l'abbaye Saint-Germain, etc: les 2, 3, 4 septembre 1792, à Paris, par les infâmes suppôts de l'anarchie, 1797, 139 pages
  63. Voir Adolphe Granier de Cassagnac, op. cit. ou Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, 1792-1794, t. III, Michel Lévy frères, , p. 539-547
  64. Voir Marcel Dorigny, « Massacres de septembre », dans Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, PUF/Quadrige, p. 724., Roger Dupuy, Nouvelle histoire de la France contemporaine. La République jacobine, p. 24., Jean-Clément Martin, Violence et Révolution : Essai sur la naissance d'un mythe national, p. 141.
  65. François Furet, Mona Ozouf, Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988, p 158
  66. Frédéric Bluche, op. cit., p 223-224
  67. Frédéric Bluche, op. cit., p 192
  68. Frédéric Bluche, op. cit., p 191
  69. Frédéric Bluche, op. cit., p 187-188
  70. Michel Winock, L’échec au Roi, 1791-1792, Paris, Olivier Orban, 1991, (ISBN 2-85565-552-8), p 314
  71. Bluche, Logiques d’un massacre, p 210 et 233
  72. Frédéric Bluche, op. cit., p 230
  73. Jean-Paul Bertaud, La Révolution française, Perrin, coll. « Tempus », , p. 169
  74. Frédéric Bluche, op. cit., p 234
  75. Frédéric Bluche, op. cit., p 235