Lièvre à la royale
Lièvre à la royale | |
Lièvre à la royale | |
Autre(s) nom(s) | Lièvre du sénateur Couteaux, lièvre à la Henri Babinski, lièvre façon Marie-Antoine Carême |
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Lieu d’origine | France : Poitou (pour la recette de Couteaux), Périgord (pour celle d'Henri Babinski) |
Place dans le service | Plat principal |
Température de service | Chaude |
Ingrédients | Lièvre avec ses abats et son sang, vin rouge et, selon la formule, gousses d'ail et d'échalotes ou foie gras entier et truffes |
Mets similaires | Compotée de lièvre, Lièvre farci à la périgourdine en cabessal ou chabessal[1] |
Accompagnement | Pomerol, Côte-rôtie, Aloxe-corton, Gevrey-Chambertin, Pommard, Beaune, Châteauneuf-du-pape |
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Le lièvre à la royale est un plat de gibier emblématique de la gastronomie française. Sa réalisation requiert des compétences techniques ainsi qu'une expérience professionnelle confirmée. Il en existe deux recettes "concurrentes" : l'une s'apparente à un civet cuit à l'étouffée (en daube) avec force gousses d'ail et d'échalotes, puis effiloché dans une sauce au vin rouge liée au sang ; l'autre prend la forme d'une galantine chaude farcie au foie gras et truffes, servie en tranche nappée d'une sauce au vin rouge également liée au sang. Bien que ces deux variantes contemporaines se distinguent largement l'une de l'autre, elles revendiquent toutes deux l'appellation historique de lièvre à la royale.
Origines et variantes
[modifier | modifier le code]« Historiquement, les préparations dites "à la royale" qualifient des plats dont la finesse et la qualité de préparation sont à la mode du roi, ou telles qu'il convient à un roi, et sont attestées depuis 1588, mais surtout à partir du XVIIe siècle[2]. » C'est ainsi qu'en 1755 le cuisinier et auteur culinaire Menon donne, dans la première édition de son ouvrage Les soupers de la Cour ou L'art de travailler toutes sortes d'aliments, une recette de Lapereaux au Monarque[3] accompagné d'une Sauce à la Royale[4]. Pourtant, sémantique mise à part, qu'il s'agisse du plat ou de la sauce, on est ici bien loin des recettes contemporaines et "concurrentes" du lièvre à la royale[note 1]. Plus avant dans son livre, Menon décrit encore deux préparations évoquant le lièvre en civet compoté : l'une froide, sous l'intitulé de Lièvre en terrine à la Daube, l'autre chaude, le Lièvre au Sang[note 2]. Sur les pages suivantes, on y trouve aussi une recette de Roulades de Lièvre servies froides (version galantine), mais sans foie gras ni truffes, et cuite au vin blanc et bouillon[5].
Façon Aristide Couteaux
[modifier | modifier le code]Passés ces prémices, ces premières manifestations de "lièvre à la royale" inscrites dans la littérature culinaire du milieu du XVIIIe siècle, il faut attendre le pour voir publier dans le journal parisien Le Temps une recette bien nommée de lièvre à la royale[6] telle que le journaliste Aristide Couteaux, élu de la Vienne et fin gastronome, disait la tenir de ses parents[7]. Cette préparation en civet, cuite à l'étouffée avec de l'ail et des échalotes puis effiloché dans une sauce au vin rouge liée au sang, est celle que Paul Bocuse et Joël Robuchon mettront à l'honneur près d'un siècle plus tard en la tenant pour la recette "historique" du lièvre à la royale[8]. Point important dans cette façon de "compoter" le gibier, il se consommait sans couteau, à la cuillère. Considérant les origines sénatoriales d'Aristide Couteaux, cette version est aussi dite : façon poitevine[9].
Méthode Henri Babinski
[modifier | modifier le code]En 1903, le chef cuisinier Auguste Escoffier publie son célèbre Guide culinaire dans lequel figure la recette d'une Périgourdine (lièvre farci à la). Le gibier désossé y est garni d'une farce agrémentée du sang de l'animal, de foies de volaille et de parures de truffes. Braisé au vin blanc, le plat est servi chaud accompagné d'une sauce demi-glace de gibier[10]. Si cette préparation se rapproche en technique et par sa composition de la version contemporaine du lièvre à la royale en galantine, il faudra encore attendre une vingtaine d'années avant que la terminologie exacte s'y ajoute sans équivoque (avec le foie gras et le vin rouge en plus). C'est donc dans l'ouvrage d'Henri Babinski, Gastronomie pratique (1928)[11], que le lièvre à la royale, telle une galantine chaude farcie au foie gras et truffes, servie en tranche nappée d'une sauce au vin rouge liée au sang, fait son entrée dans les manuels de cuisine[note 3]. Cette version est aussi dite : à la périgourdine[9] ou encore : à la façon d'Antonin Carême[12]. Cette version de la recette est celle qui a été choisie par le restaurant Les Grands Buffets à Narbonne, pour venir enrichir son conservatoire de la gastronomie française.
Marie-Antoine Carême
[modifier | modifier le code]Dans l'avant-propos de son Guide culinaire de 1903, Auguste Escoffier fait référence à Marie-Antoine Carême (1784-1833) comme étant le chef de file des cuisiniers des rois, à l'image d'Urbain Dubois (1818-1901), dont lui-même dit s'inscrire dans la lignée[13]. Dès lors et par extension, le Lièvre farci à la Périgourdine de son guide pourrait être la codification écrite d'une recette ancestrale, plus ancienne encore que celle du sénateur Couteaux, remontant aux pratiques de Marie-Antoine Carême lorsqu'il cuisinait pour les monarques, ou peut-être même en deçà[note 4]. Sans plus de traces écrites anciennes pour valider cette hypothèse, c'est donc ici que l'histoire de la recette du lièvre à la royale façon galantine se trouble sous le voile de la légende en en attribuant parfois la "paternité" à Marie-Antoine Carême[note 5].
« Un plat gastronomique est souvent ce que l’on s’imagine qu’il doit être ou ce qu’il devrait être. Ainsi en est-il du lièvre à la royale, plat certes récent, mais qui est l’objet de querelles homériques entre les tenants du lièvre servi en roulade avec du foie gras entier, et les tenants de la recette du lièvre compoté du sénateur Couteaux. La part de l’imaginaire dans l’histoire de la gastronomie explique les multiples facettes des recueils publiés en fonction de l’histoire, de la sensibilité et de l’imaginaire de l’auteur. Il en est de même des tentatives de re-créations de recettes anciennes[15]. »
Un symbole de la cuisine française
[modifier | modifier le code]Recette emblématique du patrimoine culinaire français, ce plat est reconnu comme une référence gastronomique à l'extérieur des frontières du pays. L'émission américaine The Final Table en fait le sujet de l'émission consacrée à la cuisine française en 2018[16].
Ingrédients et préparation
[modifier | modifier le code]Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- En effet, dans cette recette, Menon prépare un lapereau (coupé en morceaux) avec des tranches de veau et de jambon. La cuisson est faite au bouillon et vin de Champagne. A mi-parcours, le cuisinier ajoute du lard et des tronçons d'anguille[3]. Quant à la Sauce à la Royale, elle est faite à base de lard, de jambon, d'une rouelle de veau, et même d'un poulet, le tout mijoté au consommé et vin de Champagne avant d'être dégraissée puis filtrée[4].
- Pour la Terrine à la Daube, le lièvre est désossé, coupé en gros morceaux, lardé et placé dans une marmite avec, entre autres condiments, de l'ail, des échalotes, le sang de l'animal et les os. La cuisson se fait au four, à l’étouffée (faible mouillement), pendant 4 à 5 heures. Puis, avant refroidissement, les os sont retirés et les chaires pressées. Le Lièvre au Sang est quant à lui apprêté au vin blanc en civet avec son foie, de l'ail et des échalotes. A mi-cuisson, le foie est passé au tamis avec le sang de l'animal. Ce mélange est utilisé à la fin pour lier la sauce[5].
- L'auteur introduit sa recette de Lièvre à la Royale en ces termes : « Le lièvre à la Royale est un plat très riche qui tient à la fois de la daube et du civet ; il est préparé avec un lièvre entier désossé, farci et garni. » Puis, en fin de recette, il adresse à demi-mot une critique à la recette compotée du sénateur Couteaux : « Ce plat, royal, laisse loin derrière lui les préparations sans finesse dites « à la royale », tombant en purée, dans lesquelles il est fait une véritable débauche d'échalotes, d'oignons et d'ail. »[11].
- Car, dans les chroniques culinaires contemporaines, on lit souvent l'histoire de ces rois de France dont la dentition était mise à rude épreuve par les banquets et festins qu'ils affectionnaient. Il s'agissait donc pour leurs cuisiniers de les soulager en élaborant des plats nécessitant peu de mâche (hachis, bouillis, compotes, purée). Le lièvre compoté, ou même celui désossé servi en galantine, aurait ainsi tirer ses lettres de noblesse "à la royale" de cette gêne à la mastication des anciens monarques[8].
- A la lecture du célèbre Larousse gastronomique de Prosper Montagné (1938), le voile de la légende se trouble d'autant plus qu'il y est fait mention d'une recette de lièvre au Cabessal, ou Chabessal avec ce commentaire : « Ce plat, qui est la grande spécialité culinaire de ce pays [Limousin] est connu dans le monde des gourmands sous le nom de Lièvre à la royale ». Autrement dit, la recette du lièvre à la royale serait, selon cette édition du Larousse gastronomique, d'inspiration limousine[14].
Références
[modifier | modifier le code]- F. Zégierman, « Le lièvre en cabessal », sur Keldelice : Information et guide d’achat sur les produits du terroire (consulté le ).
- Jean Vitaux, « La chronique « Histoire et gastronomie » de Jean Vitaux », sur Canal Académie, (consulté le ).
- Menon, Les soupers de la Cour ou L'art de travailler toutes sortes d'aliments, t. 2/4, Paris, , 484 p. (lire en ligne), p.371-372.
- Menon, Les soupers de la Cour ou L'art de travailler toutes sortes d'aliments, t. 1/4, Paris, , 484 p. (lire en ligne), p.131-132.
- Menon, Les soupers de la Cour ou L'art de travailler toutes sortes d'aliments, t. 2/4, Paris, , 484 p. (lire en ligne), p.377-380.
- Aristide Couteaux, « La recette du lièvre à la royale », Le Temps, no 13691, , p. 2 (lire en ligne).
- Jean-Claude Ribaut, « Le lièvre à la royale, de Carême à Couteaux », sur Le Monde, (consulté le ).
- Jean-Paul Demarez, « Recette de saison », sur Les Soirées de Paris, (consulté le ).
- Jacky Durand, « Le lièvre à la royale, agitateur de palais », sur Libération, (consulté le ).
- Auguste Escoffier, Le guide culinaire : aide-mémoire de cuisine pratique, Paris, Flammarion, , 822 p. (lire en ligne), p.543.
- Henri Babinski, Gastronomie pratique. Études culinaires suivies du Traitement de l'obésité des gourmets, Paris, Flammarion, , 5e éd., 1310 p. (lire en ligne), p.775-777.
- Jean-Philippe Durand, « Un plat par Bertrand Guéneron et Pascal Barbot - Lièvre à la royale », sur Atabula, (consulté le ).
- Auguste Escoffier, Le guide culinaire : aide-mémoire de cuisine pratique, Paris, Flammarion, , 822 p. (lire en ligne), p.V-VII.
- Prosper Montagné, Larousse Gastronomique, Paris, Larousse, , 1100 p. (lire en ligne), p.666.
- Jean Vitaux, « Peut-on écrire l’histoire de la gastronomie ? », sur Académie des sciences morales et politiques, (consulté le ).
- Nicolas Demorand, « “Tout le monde à table” avec François-Régis Gaudry », sur www.franceinter.fr, (consulté le )
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]Lien externe
[modifier | modifier le code]- [vidéo] « Le magistral Lièvre à la Royale : recette de Gérard Garrigues (en galantine) », sur YouTube, (consulté le )